SOUHAITS DE BIENVENUE
AU PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE DES LORDS
DU ROYAUME-UNI
M. le président. Mes chers collègues, j'ai le très grand plaisir de saluer la présence, dans notre tribune officielle, de Lord Williams of Mostyn, président de la Chambre des Lords du Royaume-Uni. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
Nous sommes particulièrement sensibles à l'intérêt et à la sympathie qu'il porte à notre institution.
Au nom du Sénat de la République, je lui souhaite la bienvenue et je forme des voeux ardents pour que son séjour en France contribue à renforcer les liens d'amitié entre nos deux peuples et nos pays. (Applaudissements sur l'ensemble des travées).
RÉFORME DE LA POLITIQUE
AGRICOLE COMMUNE
Suite de la discussion
d'une question orale avec débat
(Ordre du jour réservé)
M. le président. Nous reprenons la discussion de la question orale avec débat n° 16.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Daniel Soulage.
M. Daniel Soulage. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, la semaine dernière, lors de la réunion informelle de Corfou, le commissaire Fischler a déclaré que la décision sur la réforme à mi-parcours de la politique agricole commune serait prise avant la fin de la présidence grecque. Après les échanges de vues ministériels à Corfou, il a été prévu que la négociation de la réforme de la PAC soit confiée à un groupe à haut niveau.
Les autorités françaises ont réaffirmé leur refus de la réforme Fischler en l'état - c'est une position que je salue et que je soutiens fermement -, notamment sur le volet du découplage, qui conduirait à une déstabilisation du marché et défavoriserait de nombreux producteurs. Cependant, il ne semble pas exclu qu'une décision puisse être prise le mois prochain, dans le cas où la Commission de Bruxelles ferait de sérieuses concessions qui permettent de s'entendre, notamment sur un découplage partiel.
Cette notion, que vous avez qualifiée, monsieur le ministre, de « clef » de la négociation européenne, est largement consensuelle en France, mais aussi parmi les pays membres.
Toutefois, si jamais nous devons aboutir à un accord, il faut que le consentement des parties repose sur les mêmes bases. La question est la suivante : autour de quoi y a-t-il consensus ? M. Fischler lui-même l'a rappelé : parler de découplage partiel est dangereux, tant l'interprétation du concept varie d'un pays à l'autre.
En effet, des pays comme l'Espagne ou l'Italie suggèrent d'exempter certaines productions animales, par exemple. D'autres, comme l'Allemagne, prônent un découplage pour chaque secteur, mais appliqué à un pourcentage variable des aides.
Monsieur le ministre, si j'ai bien compris, vous distinguez trois conceptions différentes qui se cachent derrière l'expression « découplage partiel » : une simplification des aides, surtout dans le secteur animal ; une prise en compte de l'environnement, notamment des surfaces herbagères ; enfin, une sorte de revenu minimum agricole.
C'est pourquoi, à l'heure où les négociations de réforme de la PAC semblent s'accélérer, je souhaiterais avoir des clarifications sur la position du Gouvernement français et, surtout, sur la conception du découplage partiel qu'il entend défendre à Bruxelles.
Monsieur le ministre, je souhaite profiter de cette intervention pour vous féliciter et vous remercier de tout le travail que, dans un contexte très difficile, vous accomplissez en vue de défendre nos agriculteurs et de leur redonner espoir.
Je souhaite aussi féliciter M. César, auteur de la question, dynamique et très compétent rapporteur de la mission d'information relative à la révision de la PAC, dont le rapport nous permet aujourd'hui de faire le point dans ce dossier capital pour notre agriculture. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Fernand Demilly.
M. Fernand Demilly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'année 2003 s'annonce cruciale pour l'agriculture française et européenne : préparation du projet de loi sur le développement rural, « révision à mi-parcours » de la PAC et négociations agricoles au sein de l'OMC.
Ces enjeux s'inscrivent dans un contexte particulier, marqué par des tensions liées à la crise de l'Irak et par la perspective de l'adhésion de nouveaux Etats membres à l'Union européenne.
Déjà contestée à ses débuts par les Etats-Unis, la PAC fait aujourd'hui l'objet de critiques de plus en plus virulentes de la part de certains de nos partenaires mondiaux ; pis encore, elle est remise en cause de l'intérieur, j'entends de l'Europe même.
Certains de nos partenaires européens voudraient en effet peu ou prou instaurer une comptabilisation nationale des aides agricoles afin de mieux préparer une renationalisation de leurs financements.
La Commission européenne elle-même a formulé en juillet 2002 des propositions qu'elle entend mettre en oeuvre dès maintenant et qui visent pour l'essentiel à baisser les prix d'intervention et à découpler les aides de la production.
Cette tentative de remise en cause anticipée de la PAC par ceux qui considéraient que la position française n'était peut-être plus aussi ferme ces dernières années est inacceptable.
D'abord, elle ne respecte pas les engagements pris par l'ensemble des chefs d'Etat et de gouvernement à Berlin, en 1999. Ces derniers n'entendaient pas aller, pour cet exercice à mi-parcours, au-delà d'un certain nombre de rendez-vous techniques destinés à tirer parti, si nécessaire, de l'expérience acquise. On ne définit pas en quelques semaines l'avenir de la PAC, pas plus qu'on ne la change tous les trois ans !
Ensuite, proposer des changements d'une telle ampleur à la veille des échéances majeures de l'OMC est particulièrement inopportun. Le découplage total des aides notamment risque fort de modifier de façon déterminante l'équilibre de la négociation en affichant d'entrée ce qui correspond à une demande majeure de certains de nos partenaires.
Il est tout de même étonnant d'entendre certains affirmer que ce découplage nous placerait dans une meilleure position pour les négociations internationales, au moment précis où nos principaux concurrents sont eux-mêmes en train de développer leur propre système d'aides individuelles. Je pense aux farm bills américains ou aux dispositifs considérables de soutien à l'exportation.
Enfin, il y aurait une désinvolture certaine à prendre des décisions sur des sujets politiquement lourds sans permettre aux futurs Etats membres de se prononcer eux aussi alors qu'ils sont directement concernés.
Monsieur le ministre, vous avez fait preuve de la fermeté qui s'imposait et obtenu un accord, au sommet de Bruxelles en octobre dernier, pour que le calendrier arrêté à Berlin soit respecté. Malgré cet accord, la Commission a réitéré ses propositions et entend fixer le 30 juin prochain comme date butoir pour engager la révision.
Le dernier conseil des ministres de l'agriculture a prouvé que la France n'était plus isolée, mais aura-t-elle la possibilité de maintenir et d'étendre le « front du refus » ? Les propositions de la Commission ne pouvant être rejetées qu'à l'unanimité des Etats membres, n'y a-t-il pas un risque de blocage ?
La France défend une position cohérente, constante et solide sur le respect des engagements pris aux conseils des ministres de l'agriculture de Berlin et de Bruxelles. Il faut maintenant qu'elle entre dans une phase offensive et prépare pour 2006 une réforme de la PAC acceptable, pouvant être négociée avec une majorité de ses partenaires.
Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous prendrez la tête de ce mouvement, que vous avez d'ailleurs déjà engagé.
Quelles orientations défendrez-vous ?
L'Espagne et l'Allemagne ont avancé l'idée d'un découplage partiel qui épargnerait certaines productions ou s'appliquerait à toutes mais dans une proportion variable. Pouvez-vous apporter des précisions sur cette proposition alternative et nous indiquer si vous y êtes ouvert ?
Alors qu'une succession de crises - d'ordre sanitaire principalement - a frappé des secteurs importants de l'agriculture européenne, la PAC a démontré sa capacité à y faire face dans le respect des grands équilibres arrêtés à Berlin. Les instruments de marché ont pris une part déterminante au rétablissement de la situation. Ils doivent être confortés, comme doit l'être aussi la préférence communautaire.
Des améliorations sont nécessaires, certes, mais la PAC doit continuer à remplir ses missions fondamentales : régulation des marchés agricoles, soutien au revenu des agriculteurs et appui au développement rural.
Les agriculteurs sont légitimement inquiets face à toutes ces perspectives. Il est impératif que nous fassions des choix, que nous leur tracions une route : ils l'attendent. L'agriculture n'est pas un secteur comme les autres. Elle est porteuse d'un modèle de développement tant économique qu'humain.
L'excellent rapport de notre collègue Gérard César sur la politique agricole commune dégage pour l'avenir des axes forts que nous approuvons pleinement. Comptez-vous y donner suite, monsieur le ministre ?
Vos propos relatifs à la spécificité et au caractère multifonctionnel des activités agricoles et votre opposition à un découplage intégral des aides ainsi qu'à une modulation dont le produit n'irait pas à l'aménagement rural relevant du deuxième pilier vont dans le bon sens.
Mais, au-delà, il nous paraît indispensable d'entreprendre auprès des futurs Etats membres un grand effort de communication sur les mérites de la PAC, afin de se constituer des alliés pour la défense du modèle agricole européen.
Vous le savez, l'élargissement apparaît à certains de nos agriculteurs comme une menace. Il faut au contraire faire de l'arrivée de nouveaux grands pays agricoles une chance nouvelle pour l'avenir de l'agriculture française et européenne.
Pour conclure, le « paquet Fischler » ne saurait résumer à lui tout seul les problèmes qui devraient être gérés au sein de la PAC. On peut citer sur ce point le coût de la mise aux normes des exploitations ou encore l'absence d'organisations communes de marché pour les filières de la volaille et du porc.
En outre, ce « paquet » ne comporte pas de propositions visant à relancer les productions oléoprotagineuses, pourtant très déficitaires, de l'Union européenne ou à corriger la faiblesse de filières comme celles des fruits et légumes.
Enfin, il n'encourage pas l'installation des jeunes. En France, moins de 6 000 jeunes agriculteurs ont pris en main une exploitation en 2002 contre 9 000 en 1995, phénomène si persistant que, en 2003, plutôt que d'axer leur rapport d'orientation sur les baisses de revenus comme les années précédentes, les Jeunes Agriculteurs ont voulu d'abord assurer la promotion de leur métier.
Nous attendons de votre part, monsieur le ministre, un projet qui ait l'ambition de prendre en compte les caractéristiques et la richesse de l'agriculture, tant française qu'européenne, dans sa diversité. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Yolande Boyer.
Mme Yolande Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que la question orale posée par notre collègue Gérard César nous donne l'occasion d'aborder, même rapidement, le complexe et délicat sujet de la révision de la politique agricole commune.
En préambule aux questions qu'au nom du groupe socialiste Louis Le Pensec et moi-même allons poser, je veux souligner la qualité du travail réalisé par la mission d'information dont je faisais partie. Le président de cette mission, M. Marcel Deneux, et le rapporteur, M. Gérard César, ont su établir une ambiance de travail chaleureuse. Je crois même si, bien sûr, - je n'en partage pas toutes les conclusions - que ce rapport présente un réel intérêt et une grande qualité, résultat que nous devons aussi à la collaboration des services de la commission des affaires économiques. Je remercie le président de cette dernière d'avoir organisé des auditions à la demande des commissaires ; le déplacement en Pologne et en Autriche fut aussi une initiative constructive.
La partie du rapport qui concerne l'histoire de la PAC et rappelle que chaque étape de la construction de celle-ci a été difficile montre que ce n'est pas un long fleuve tranquille !
Nous devons également avoir en mémoire qu'en trente ans la part des agriculteurs dans la population active est passée de 13 % à 3 %, soit 900 000 actifs aujourd'hui.
La politique agricole commune, souvent accusée de beaucoup de maux, est certainement victime de son ancienneté. Elaborée pour répondre aux besoins agricoles d'une époque, l'après-guerre, elle a depuis perdu beaucoup de sa pertinence, même si les réformes ayant débouché sur l'Agenda 2000 ont fait quelque peu évoluer la situation.
Pourtant, aujourd'hui, le système tient toujours pour quantité négligeable des éléments qui doivent fonder la politique agricole européenne de demain : la sécurité alimentaire et le respect de l'environnement en font partie.
L'irruption d'une économie de plus en plus mondialisée participe également aux évolutions du secteur agricole européen.
Les prochaines échéances concernant la politique agricole commune seront décisives : l'élargissement à l'Est avec l'entrée de pays agricoles tels que la Pologne, les négociations multilatérales à l'OMC, négociations qui concernent, entre autres choses, les productions agricoles.
La PAC est aujourd'hui à un tournant décisif. Ne l'oublions pas.
Je souhaite maintenant aborder plusieurs aspects et vous interroger, monsieur le ministre, sur chacun d'eux.
D'abord, faut-il ou non renégocier ?
Les négociations agricoles sont en ce moment permanentes si l'on en croit les quotidiens : réunion àCorfou, réunion à l'Elysée, conciliabules à Matignon... Nous souhaitons vivement que vous fassiez le point sur toutes les discussions en cours et sur leurs débouchés concrets concernant la position de la France à l'égard de la Commission européenne.
Le rapport de forces engagé actuellement entre notre pays et la Commission européenne doit se solder par l'infléchissement des positions de chacun, ont souligné les ministres européens de l'agriculture à Corfou. Quelles seront, monsieur le ministre, les propositions françaises en la matière ?
Il nous semble important de ne pas s'accrocher, dans un cadre multilatéral comme l'Union européenne, à des positions de principe intangibles, cela valant d'ailleurs également pour la Commission européenne.
Faut-il réformer ? Deux volontés fortes se font actuellement face : d'une part, la volonté du commissaire européen de réformer immédiatement et, d'autre part, la volonté, conforme sur ce point à celle de certains syndicats agricoles, du gouvernement français de ne rien changer.
Ces positions opposées partent pourtant presque des mêmes constats et des mêmes objectifs : contraintes externes avec les négociations de l'OMC, élargissement de l'Union européenne, refondation des relations entre les agriculteurs et la société.
Reconnaissons que la politique agricole commune n'est toujours pas dans un bon chemin : pour changer cela, il faut changer la PAC.
L'hostilité à une réforme rapide ne peut être le paravent d'un soutien renouvelé aux pratiques désastreuses de l'agriculture productiviste, dont la Bretagne tout entière connaît les ravages.
Pour autant, souhaiter réformer la PAC ne consiste pas non plus à donner un blanc-seing aux ultralibéraux, partisans d'une déréglementation totale.
Réformer, oui, mais comment et avec quel contenu ? Seul ce point doit nous intéresser. « Précipitation n'est pas raison », comme l'affirme le titre du rapport de la mission d'information : certes, mais l'immobilisme non plus, serait-on tenté d'ajouter !
La réforme de la PAC doit se préparer dès aujourd'hui. Se focaliser sur une question de calendrier en délaissant le fond serait une grave erreur : en tentant de préserver le court terme, on hypothéquerait le long terme.
Les agriculteurs attendent des perspectives et des garanties sur l'avenir de leur métier. Ces garanties sont nécessaires lorsque l'on constate la diminution constante du nombre d'agriculteurs dans notre pays.
Plusieurs arguments militent en faveur d'une réforme rapide.
Les évolutions de la société rendent l'option productiviste caduque. Ajoutons que l'hémorragie dans le monde agricole s'est principalement produite au détriment des petites et moyennes exploitations. Poursuivre dans cette logique du subventionnement lié à la production perpétuerait les dérives d'un système qui a montré ses limites.
Que des subventions soient nécessaires quand les prix du marché ne sont pas suffisamment rémunérateurs reste vrai. Encore faut-il que ces subventions soient justes. C'est toute la logique de la loi d'orientation agricole : la société dans son ensemble doit contribuer au maintien d'un monde rural vivant.
Mon collègue Louis Le Pensec évoquera plus particulièrement les négociations relatives à l'OMC, mais la principale raison qui milite pour la réforme de la PAC est la perspective de l'élargissement.
Monsieur le ministre, vous dites ne vouloir d'aucune renégociation de la PAC à mi-parcours ; pouvez-vous nous préciser quels sont les pays de l'Union européenne qui vous soutiennent dans ce refus ? A trop s'isoler, ne risquons-nous pas de graves désillusions pour notre agriculture ? A rester ainsi en retrait, la France ne risque-t-elle pas d'être hors jeu, d'avoir ensuite des marges de manoeuvre encore plus restreintes et de se retrouver en mauvaise posture pour négocier ?
Je veux parler maintenant du libéralisme, qui, si l'on en juge par les propos des uns et des autres, est a priori notre ennemi commun lorsqu'il est appliqué à l'agriculture.
Sommes-nous cependant vraiment d'accord sur les mots que nous employons ? Ainsi, à la page 11 de son rapport, la mission d'information relative à la révision de la politique agricole commune fait le choix d'un modèle agricole fondé sur des exploitations moyennes. Il faudrait préciser : « et petites », car, vous le savez, selon les régions, le terme peut avoir un sens différent, et ce sont bien celles-là qui sont les plus menacées.
Je donne acte à la mission d'information de ne pas vouloir d'une agriculture libérale. Mais quels moyens utiliser ? A nos yeux, il est clair qu'il faut maintenir des outils de régulation, à l'image des quotas laitiers.
Venons-en à la notion de découplage, qui est effectif dans certains secteurs depuis 1992.
Monsieur le ministre, quelle est la position du gouvernement français sur le découplage, total ou partiel ? On connaît la position des syndicats agricoles majoritaires : ils y sont totalement hostiles. Cependant, dans l'hypothèse où l'on se dirigerait vers un découplage partiel, quels pourraient être les secteurs concernés ?
A notre avis, le découplage ne peut ni ne doit être refusé a priori. Déconnecter les subventions de la production fait partie des combats des socialistes depuis longtemps.
Préserver la diversité des exploitations, des productions, prendre en compte celle de nos régions sont des éléments liés à cette réforme. Pour autant, les modalités pratiques proposées par la Commission européenne ne nous paraissent pas adéquates. Mettre fin au productivisme est une nécessité, mais il ne faut pas remplacer ce système par un découplage qui créerait une concentration des crédits publics dans les secteurs les plus compétitifs. Il ne faut pas créer un marché des droits à subvention !
Troisième aspect : quelle agriculture voulons-nous pour demain ?
Promouvoir une agriculture durable qui conjugue qualité des produits, protection de l'environnement et développement rural équilibré doit être notre objectif commun. Pour l'atteindre, il faut définir les contours d'une nouvelle réforme qui permette à l'agriculture européenne de garantir et d'améliorer les revenus des agriculteurs, de répartir plus justement les aides publiques, de mieux réguler les marchés et d'être davantage solidaire des pays en voie de développement.
Un tournant majeur a été accompli en France avec la loi d'orientation agricole, proposée par vos prédécesseurs MM. Louis Le Pensec et Jean Glavany. En instaurant la notion de contrat entre l'agriculteur et la société, cette loi marquait une nouvelle approche de la politique agricole dans notre pays.
Par l'intermédiaire des CTE, les contrats territoriaux d'exploitation, il s'agissait de rénover la logique agricole qui, jusque-là, se réduisait à une logique de guichet. La modulation et l'écoconditionnalité des primes sont des notions d'avenir, mais que penser des CTE vidés de leur substance et de la suspension de la modulation ?
Sur certains points, la Commission européenne va dans le sens pris par le gouvernement Jospin, et sur lequel le gouvernement actuel est revenu. Le rééquilibrage entre le premier et le deuxième pilier de la politique agricole commune est un pas important, mais encore faut-il prévoir les modalités pratiques qui le rendront effectif. A cette fin, et pour remettre en phase les agriculteurs et la société, il faut mobiliser de vrais moyens pour le développement rural.
Pour autant, les propositions de la Commission européenne ne sont pas satisfaisantes en l'état. Le flou entourant les conditions de mise en oeuvre de la modulation, notamment, pose question.
Enfin, je voudrais aborder le problème des restitutions au travers d'un sujet d'actualité : la situation de la filière avicole.
Elue d'une région où est concentrée une grande partie de la production avicole française, maire de la commune de Châteaulin, sur le territoire de laquelle se trouve le siège de l'entreprise Doux-Père Dodu, premier producteur européen et troisième producteur mondial de volailles, vous comprendrez, monsieur le ministre, la vive inquiétude que je ressens aujourd'hui, après l'annonce, à l'issue du comité d'entreprise de jeudi dernier, d'une restructuration et de la suppression d'un nombre important d'emplois.
Je comprends fort bien les demandes de suppression de subventions à l'exportation et la nécessité de défendre le développement des pays les moins avancés, mais nous ne pouvons accepter que, dans le cadre des négociations au sein de l'OMC, tous les pays n'appliquent pas les mêmes règles. Les Etats-Unis imposent les suppressions de subventions sans se les appliquer à eux-mêmes, au mépris de toutes les règles internationales. Ainsi, en mai 2002, ils ont voté une loi par laquelle ils tentent de biaiser à l'égard de leurs engagements internationaux, comme le souligne d'ailleurs notre rapport. Nous ne pouvons accepter, dans une région comme la nôtre, des décisions qui aboutiront au démantèlement total d'une filière.
En début d'année, monsieur le ministre, vous avez bien voulu répondre à mes interrogations sur la crise que traverse actuellement l'aviculture.
Vous confirmiez notamment alors que les restitutions sont clairement menacées. Le plan d'adaptation de la filière avicole que vous venez de mettre en oeuvre prévoit-il les moyens de garantir que les fonds ainsi dégagés serviront effectivement à la restructuration de l'outil, à l'orientation de la production vers de nouveaux produits, ainsi qu'au financement de la formation des salariés, qui représente un besoin corollaire, et non pas au seul accompagnement financier des plans sociaux ?
Vous conveniez également de la nécessité de favoriser, en particulier, la préférence communautaire : comment envisagez-vous d'y parvenir ?
Enfin, alors que la France est un exemple dans le domaine de la qualité sanitaire des modes de production et des produits, le consommateur ne peut identifier clairement l'origine des produits qu'il achète. Par exemple, on peut aujourd'hui consommer du poulet thaïlandais ou brésilien, dans des plats préparés, sans le savoir. Le Gouvernement entend-il apporter une réponse à cette situation, alors que, précisément, la consommation de volailles des ménages est actuellement en baisse ?
En évoquant la crise de la filière avicole, je ne m'éloigne pas de notre sujet : la réforme de la PAC. En effet, cette crise est porteuse d'enseignements. Elle illustre notamment la nécessité, pour les pouvoirs publics, d'anticiper ou du moins d'accompagner l'évolution du marché en adaptant les modes d'encadrement de ce dernier. C'est pour cela qu'il faut se préparer à la révision de la PAC, s'agissant en particulier de tels domaines.
En conclusion, je ferai miens les propos de votre prédécesseur Jean Glavany, député des Hautes-Pyrénées, qui écrivait récemment que « le débat sur l'avenir de la politique agricole commune est un débat profondément politique : ou bien l'on reste sur une position purement conservatrice et de défense de certains privilèges, ou bien l'on se met en recherche d'une politique répondant mieux aux attentes profondes de la société ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis dix ans, l'agriculture européenne vit dans un décor de chantier. Les grandes réformes et les négociations commerciales se succèdent, et l'activité agricole ressemble de plus en plus à une navigation à vue par mauvais temps.
Garantir une meilleure visibilité doit être l'un de nos principaux objectifs. C'est l'un des aspects du problème de l'installation des jeunes : il est difficile de s'engager dans une activité qui demande des capitaux importants dès lors que le cadre de cette activité paraît aussi instable.
Je ne défends nullement ici une attitude conservatrice, hostile à toute évolution, mais il me semble indispensable que les adaptations s'opèrent dans un climat de véritable concertation et dans le respect des échéances.
Les Etats membres de l'Union européenne ont décidé, en 1999, la mise en place d'un cadre pour sept ans ; il n'est pas normal que la Commission européenne ait entrepris, avec une telle opiniâtreté, de réviser complètement cet accord à mi-chemin de son application.
Imaginons que la Commission européenne ait fait de même pour les volets non agricoles de l'accord de Berlin ; supposons, par exemple, qu'elle ait revu de fond en comble le montant et la répartition des aides structurelles aux régions : cela aurait soulevé un véritable tollé parmi les bénéficiaires de ces fonds, qui ont programmé leurs investissements en escomptant, bien sûr, que l'accord de Berlin serait respecté.
Pourquoi ce qui vrai pour les autres domaines d'action de l'Europe serait-il faux pour l'agriculture ? Si elle veut être crédible, l'Union doit respecter les règles et le calendrier qu'elle s'est elle-même fixés.
Il y a, heureusement, quelques éléments plus stables dans ce paysage mouvant.
Grâce au compromis franco-allemand qui a permis l'accord de Bruxelles sur le financement de l'élargissement, nous disposons d'un cadre financier valide jusqu'en 2013. C'est un point très positif.
Par ailleurs, la proposition de la Commission de proroger le dispositif des quotas laitiers jusqu'en 2014 est très satisfaisante dans son principe, car cela donnerait aux producteurs la visibilité dont ils ont besoin.
Pour les autres secteurs, en revanche, l'adoption de la proposition, défendue par M. Fischler, de rompre les liens entre la production et les aides aurait pour effet, à mon avis, de déstabiliser notre agriculture.
On peut tout à fait admettre un découplage partiel entre la production et les aides, s'il est conçu de manière telle que le revenu agricole reste suffisamment lié au volume produit. Cependant, avec un découplage total, que se passera-t-il ? Les agriculteurs constituent une population relativement âgée, ayant pour perspective de percevoir une très faible retraite. Dès lors qu'une véritable rente de situation serait assise sur les sols, on pourrait voir de nombreux agriculteurs rester en activité, directrement ou indirectement, afin de conserver cette rente, en se contentant d'une efficacité productive limitée. Inévitablement, cette dégradation de la productivité se répercuterait sur les industries de transformation.
Dans une région comme la mienne, la Normandie, où ces industries de transformation ont une place particulièrement importante dans l'économie, bien des entreprises n'auraient le choix qu'entre la délocalisation et le déclin.
Le risque me paraît d'autant plus grand que, parallèlement, les normes concernant le bien-être animal se situent de plus en plus à un niveau qui fragilise tant la situation des producteurs que celle des transformateurs.
Je suis vétérinaire de formation, et l'on ne fera pas de moi un adversaire du bien-être animal.
M. Gérard Larcher, président de la commission des affaires économiques et du plan. Très bien ! (Sourires.)
M. Jean Bizet. Toutefois, je crois que cette préoccupation, aussi sympathique soit-elle, ne doit pas se traduire par ce qui prend l'allure d'une véritable croisade ignorant les impératifs économiques, comme le laisse craindre l'action de certains groupes de pression particulièrement influents à Bruxelles.
Il faut veiller à maintenir un équilibre raisonnable entre, d'une part, le souci légitime du bien-être animal et, d'autre part, l'impératif de ne pas augmenter démesurément les coûts, avec le risque d'une perte de compétitivité de nos productions et d'une fragilisation de nos outils de transformation.
En Normandie, un tiers de l'activité agricole est dédié à l'exportation. Nous ne pouvons ignorer l'existence d'une concurrence internationale qui, quant à elle, n'est pas soumise aux mêmes règles.
Les normes en matière de bien-être animal doivent rester dans une juste mesure et être conçues avec davantage de cohérence. Nombre de petits abattoirs ont dû fermer en raison de normes sanitaires draconiennes et, désormais, ce sont les conditions de transport entre le lieu de production et les abattoirs qui sont jugées inacceptables au regard du bien-être animal, ce qui risque de remettre en cause la viabilité de certains des abattoirs subsistants. On tombe ainsi dans un cercle vicieux !
De la même manière, nous devons éviter les attitudes excessives et dogmatiques en ce qui concerne les biotechnologies. Une décrispation semble s'esquisser dans ce domaine en Europe, et c'est tant mieux.
Il faut naturellement respecter à la fois la liberté de choix des consommateurs, par l'étiquetage et la traçabilité, et celle des agriculteurs, en assurant la coexistence des différentes filières, qu'il s'agisse de l'agriculture biologique ou de l'agriculture conventionnelle.
L'Europe ne peut en effet se permettre de se tenir à l'écart du développement des biotechnologies. A cet égard, je me réjouis que le Sénat ait obtenu, par le biais de sa mission d'information sur le sujet, un « consensus d'étape », qui permet de dépasser les clivages politiques traditionnels et, je l'espère, de préparer nos concitoyens à une approche plus objective et moins passionnée de cette question.
Une véritable mutation de la connaissance et des techniques est en cours dans ces domaines. Si nous nous interdisons d'y participer et d'en tirer parti, nous affaiblirons non seulement notre capacité concurrentielle, mais aussi notre position dans les négociations commerciales internationales.
Ces négociations comportent déjà suffisamment de risques. Certes, la position de l'Europe est bien définie et les futurs Etats membres se sont engagés à la soutenir, mais les négociations commerciales sont globales : il faut un accord d'ensemble. En d'autres termes, il n'y aura d'accord sur rien tant qu'il n'y aura pas d'accord sur tout ! L'importance économique de l'agriculture étant sans commune mesure avec celle des services, qui sont le fer de lance de l'activité en Europe, ma crainte est que, finalement, ce soit l'agriculture qui supporte la charge de l'ajustement.
Or, nous le savons tous, même si la place proprement économique qu'elle occupe est aujourd'hui plus limitée, l'agriculture conserve un rôle essentiel en matière d'équilibre territorial, social et environnemental dans notre pays. Ce sont là des réalités qu'il est extrêmement difficile de faire prendre en compte dans des négociations commerciales.
J'ai eu, sur ce sujet, un échange un peu vif, par presse interposée, avec le commissaire européen au commerce, M. Pascal Lamy, qui m'a assuré que sa détermination à faire valider le « modèle agricole européen » restait entière. Je prends acte et me réjouis de cette déclaration, mais je crois que nous devrons rester particulièrement vigilants.
Enfin, je mentionnerai un dernier point : les négociations agricoles ont tendu à compartimenter la production entre blocs de pays.
A cet égard, la situation est particulièrement défavorable à l'Europe en ce qui concerne les protéagineux. Nombre de mes collègues ont souligné ce fait. Cette production se trouve sévèrement contingentée, alors même que, depuis la crise de la « vache folle », on ne peut utiliser, pour l'alimentation animale, les farines obtenues à partir des déchets et des écarts de consommation, ce qui est d'ailleurs une bonne chose.
Nous nous trouvons, de ce fait, dépendants des Etats-Unis pour les trois quarts de nos besoins en protéagineux. Cette situation, trop déséquilibrée, est assurément malsaine.
Dans cette optique, il me semble qu'il serait opportun d'engager une coopération particulière avec les pays désormais situés en bordure de l'Europe : je pense tout naturellement ici à l'Ukraine.
En effet, ces pays ont tendance à nous concurrencer dans des domaines où nous sommes autosuffisants, telle la production de blé. Il serait préférable que, plutôt que de s'orienter vers des secteurs de production déjà saturés, ils se spécialisent davantage dans les cultures protéagineuses, pour lesquelles ils trouveraient un débouché assuré sur le marché communautaire tout en faisant bénéficier l'Europe d'une diversification de ses approvisionnements.
Je suis persuadé - ce sera ma conclusion - que notre agriculture mérite mieux que le simple rôle d'occupation de l'espace auquel certains voudraient la confiner. Ce rôle est certes important, mais il ne peut être le seul. Ne faisons pas comme si l'agriculture avait perdu son importance économique et politique ! De plus, l'industrie de transformation joue un grand rôle dans l'économie de notre pays. Elle représente plusieurs milliards d'euros de chiffre d'affaires et 450 000 emplois répartis dans plus de 4 500 entreprises. Notre industrie de transformation ne pourra être forte si elle s'appuie sur une agriculture par trop environnementaliste, uniquement vouée à l'entretien de notre territoire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque, voilà une quarantaine d'années, la Communauté européenne a décidé de mettre en place une politique agricole commune, ses motivations et les objectifs fixés aux agriculteurs européens étaient clairs : accroître la productivité de l'agriculture pour parvenir à l'autosuffisance alimentaire et stabiliser les marchés pour assurer un niveau de vie décent à la population agricole.
Force est de reconnaître que ces objectifs ont été mobilisateurs et que les agriculteurs ont su répondre aux attentes. J'en veux pour preuve la hausse considérable des rendements céréaliers à laquelle on a assisté : de trente quintaux à l'hectare au début des années soixante, ceux-ci sont passés à plus de quatre-vingt quintaux à l'hectare aujourd'hui. L'Europe est devenue l'une des toutes premières puissances agricoles mondiales.
Une fois l'objectif d'autosuffisance alimentaire atteint, l'Union européenne s'est malheureusement montrée plus soucieuse de régler les prétendues dérives budgétaires dues à l'agriculture et de réduire les prétendus excédents que de réfléchir au développement d'une nouvelle et véritable politique agricole commune.
Si les réformes de 1992 et de 1999 ont ainsi permis de régler, en bonne partie, ces problèmes, force est malheureusement de constater qu'elles n'ont ouvert aucune perspective nouvelle à nos agriculteurs, et ce ne sont pas les propositions de réforme annoncées aujourd'hui par le commissaire européen à l'agriculture, Franz Fischler, qui permettront de donner une nouvelle ambition à l'agriculture européenne !
Comment peut-on espérer mobiliser les agriculteurs avec un catalogue de mesures n'ayant pas d'autre finalité apparente que la réduction des coûts et de la production ?
Comment peut-on espérer mobiliser les agriculteurs en leur interdisant d'utiliser les terres mises en jachère pour développer de nouvelles sources de revenus et de nouvelles filières agro-industrielles aussi porteuses d'avenir et nécessaires que, par exemple, les biocarburants ?
Comment peut-on espérer mobiliser les agriculteurs en les accusant de tous les maux, notamment sur le plan de l'environnement et de la santé publique ? C'est oublier un peu vite que l'agriculture intensive a été longtemps encouragée par l'Europe et que la sécurité alimentaire, non seulement sur le plan quantitatif, mais aussi sur le plan sanitaire, est bien mieux assurée aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a une quarantaine d'années.
Comment peut-on espérer mobiliser les agriculteurs par un découplage des aides qui fera d'eux des assistés touchant leur chèque quelle que soit leur production, voire même sans produire ?
Comment peut-on espérer mobiliser les agriculteurs autour d'une politique dont la mise en oeuvre se traduira inévitablement par l'abandon de pans entiers de notre agriculture pourtant essentiels, tels que la filière de la luzerne déshydratée, dont nous avons un énorme besoin au regard de notre déficit en protéines végétales ?
Quarante ans après qu'eurent été fixés les objectifs que je rappelais voilà un instant, quelles perspectives offre-t-on aujourd'hui à nos agriculteurs ? A cette question, Bruxelles ne répond pas.
Loin de moi l'idée que tout va très bien et qu'aucune réforme de la PAC n'est aujourd'hui nécessaire, mais cette réforme ne doit pas se faire en accusant les agriculteurs de tous les maux et en opposant le deuxième pilier, relatif à la politique d'aménagement rural, au premier, qui concerne la politique de marché : ces deux piliers de la PAC sont au contraire complémentaires.
Si le développement rural n'est pas l'affaire des seuls agriculteurs, en tout état de cause, sans les agriculteurs, il n'y aura pas d'aménagement rural, ce qui, malheureusement, risque d'être le cas si les propositions de la Commission européenne ne sont pas revues et corrigées. Le maintien d'une agriculture productive et de qualité n'est pas en contradiction avec le respect de l'environnement et l'aménagement du territoire. Les agriculteurs en sont eux-mêmes parfaitement conscients et, depuis plusieurs années, ils ont su réduire considérablement l'usage des engrais chimiques, sans pour autant voir leur production diminuer.
Comment pourrait-on assurer un développement rural sans agriculteurs ? Il y a là un non-sens auquel je ne peux me résoudre.
Le rapport de la mission d'information sénatoriale, établi sous la houlette de nos collègues Marcel Deneux et Gérard César, suggère un certain nombre d'orientations nouvelles pour la politique agricole commune. Sans être nécessairement révolutionnaires, ces propositions esquissent plusieurs pistes de nature à mobiliser les agriculteurs pour atteindre de nouveaux objectifs.
L'agriculture est un atout pour l'Europe, auquel celle-ci ne saurait renoncer sans s'affaiblir. Par conséquent, nous disons « oui » à une réforme de la PAC qui permettrait de mieux valoriser ces atouts, mais « non » à une réforme sans ambition qui s'assimilerait à un abandon !
Nous savons pouvoir compter sur vous, monsieur le ministre, pour faire passer ce message à la Commission européenne, et nous sommes à votre disposition pour vous y aider. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Louis Le Pensec.
M. Louis Le Pensec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il se vérifie, une fois encore, que les questions de politique agricole ne sont pas des questions sectorielles. La PAC, grande et ancienne politique commune, a des dimensions diplomatiques importantes. Elle est au coeur des débats sur l'avenir de l'Europe, au coeur de l'élargissement et, on peut le dire, au coeur de l'OMC.
« La PAC, c'est un sujet compliqué. Il y a une part de gesticulation liée à la procédure de négociations ». Cette déclaration est signée Hervé Gaymard ; vous conviendrez, monsieur le ministre, que j'ai de bonnes lectures ! (Sourires.)
Si le travail de cette matinée permettait de mieux distinguer ce qui est gesticulation de ce qui est le fond du dossier, nous aurions, je crois, avancé.
Je donne acte à la mission d'information qu'un important travail a été accompli et que son rapport est une très utile contribution au débat. J'ai noté le souci pédagogique qui l'a inspiré. Je comprends toutefois qu'il n'ait pas recueilli l'unanimité des suffrages.
M. Gérard César. Il s'agissait d'abstentions positives !
M. Louis Le Pensec. Nous n'allons pas rouvrir le débat pour savoir ce que ce vote signifie. En tout cas, pour ma part, j'aurais trouvé des motifs de m'abstenir, si j'avais fait partie de cette mission.
Monsieur le ministre, vous êtes un ministre de l'agriculture et de la pêche heureux.
Les professionnels comptent sur vous. Même si les résultats des négociations ne répondaient pas à leurs attentes, au nom d'une solidarité politique garantie, ils mettraient des bémols à leur expression.
M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. C'est à voir ! (Sourires.)
M. Louis Le Pensec. Ne les a-t-on pas vus plier banderoles et calicots sur-le-champ, après avoir déclenché en décembre un mouvement censé être durable et massif ? Un froncement de sourcils de Matignon a suffi !
Et le Parlement !
A l'Assemblée nationale, vous êtes assuré d'un soutien inconditionnel. Au Sénat, à quelques exceptions près, c'est le règne de la pensée unique agricole. Je ne saurais trop encourager la commission des affaires économiques à se doter des outils d'une réflexion autonome.
Quelle matinée sereine vous passerez parmi nous !
Quant à l'opposition parlementaire, dans toutes les grandes négociations déterminantes pour l'avenir, elle a un comportement républicain exemplaire. Pour ne gêner en rien votre action, elle retient son souffle, elle vous reconnaît comme l'expression légitime de la France. On l'a vu lors des négociations sur l'« Europe bleue ».
Tout irait donc pour le mieux s'il n'y avait ce fichu calendrier. Tout irait pour le mieux s'il n'y avait ce sacré commissaire Franz Fischler. Et, j'allais l'oublier, tout irait bien si, dans cette Europe, il n'y avait pas d'autres Etats membres que la France.
Vous semblez jouir d'une liberté de manoeuvre dans la négociation. Je me demande même si vous avez un mandat de négociation. Dans l'affirmative, la Haute Assemblée apprécierait sûrement de le connaître. Le Premier ministre, le Président de la République ont été bien discrets sur l'enjeu de cette négociation. Tout ne serait-il pas avouable ? Vous ne manquerez sans doute pas de nous faire part - je reprends à mon compte le souhait des intervenants qui m'ont précédé - des conclusions de cette « non-réunion » de l'Elysée.
J'attends d'être convaincu qu'en choisissant d'entrée de jeu le rejet en bloc des propositions de la Commission, le Gouvernement s'est donné des marges de manoeuvre. La pression de l'agenda et des Etats membres impose de faire mouvement, et ce mouvement sera visible.
Oui, l'agenda est contraignant. Il cumule les courses d'obstacles, et chaque passage de haie doit être pensé en fonction de l'ensemble de ce chemin critique : G8, OMC, élargissement.
La position française à l'ouverture de la négociation, qui était de dissocier la révision à mi-parcours de la PAC par rapport aux négociations de l'OMC, ne pouvait être tenue sur la durée. Partait-elle d'une juste appréciation du rapport des forces ?
Pour la quasi-totalité de nos partenaires, il faut aller à Cancùn, en septembre, avec des marges de manoeuvre et, pour cela, définir une position européenne sur la PAC en juillet. A défaut d'accord sous présidence grecque, on peut espérer que la présidence italienne bouclera la négociation en juillet.
Nous serons attentifs à ce que vous pourrez nous dire sur la rencontre de Corfou, la plus récente des rencontres entre les ministres de l'agriculture des Quinze, ces rencontres qui, pour être informelles, ne sont jamais neutres.
Je voudrais maintenant évoquer quelques points sur lesquels la mission d'information s'est justement attardée.
J'ai noté avec intérêt l'affirmation de son rapporteur à propos de la modulation. Comme nous avons eu, par le passé, des discussions à ce sujet dans cette même enceinte, je lui adresse tous mes encouragements pour faire mouvement dans cette direction.
Je souscris par ailleurs aux propositions de la mission d'information de sauvegarder des moyens de régulation conjoncturelle ainsi qu'à celles visant la restauration de la préférence communautaire.
L'une des principales innovations des propositions de la Commission européenne par rapport aux orientations de juillet 2002 concerne le secteur, stratégique à mes yeux, du lait.
Les produits laitiers, on le sait, ne faisaient l'objet que d'un papier d'option. La Commission propose un scénario de réforme du secteur qui, il faut le reconnaître, anticipe et prolonge celui qui avait été décidé à Berlin en 1999 : anticipation à 2004 de la baisse des prix décidée à Berlin pour 2005, suivie d'une baisse ultérieure.
Pour la Commission, ce système doit permettre de préserver les quotas laitiers jusqu'en 2014 en évitant la minorité de blocage des membres du club de Londres - Danemark, Suède, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni. On sait ces Etat hostiles aux quotas laitiers. Ils bénéficieraient d'un statu quo ; sauf décision contraire, les quotas laitiers expireront en 2008, aux termes de l'accord de Berlin, sans aides compensatoires.
La Commission ne manque pas de moyens d'intéresser l'Italie par ses propositions en matière de blé dur, créant ainsi les conditions pour la nécessaire préservation des quotas jusqu'en 2014. Nous attendons tous avec impatience ce que vous pourrez nous dire sur ce secteur.
Au coeur des propositions de la Commission européenne figure le découplage des aides par rapport à la production.
La Commission reste fidèle à sa volonté de découpler totalement en vue des négociations au sein de l'OMC. Cette proposition maximaliste laisse présager un compromis final sur la base d'un découplage partiel et progressif, ce qui est a priori compatible avec la position que l'on pourrait adopter à l'issue des négociations agricoles au sein de l'OMC.
Vous avez exprimé votre opposition résolue à ce découplage total.
Le découplage méritait-il autant d'indignation de la part des professionnels et, en écho, du ministre ? Il est vrai que se dire contre le découplage total n'interdit pas d'être pour le découplage partiel. La presse laisse entendre que la France ferait mouvement dans cette direction. Nous avons tous lu qu'un compromis s'esquisserait, circulerait sous le manteau, et que le découplage partiel serait accepté par la France. Je serais tenté de dire que c'était prévisible !
Tout se passe comme si la France prenait conscience, un peu tard selon moi, qu'il est préférable de se préparer à un compromis où le découplage serait bien cerné entre quinze plutôt que de laisser ce dernier à des arbitrages aléatoires à vingt-cinq.
La mission d'information souligne à juste titre que le découplage n'est pas une totale innovation, puisqu'il existe pour les céréales et pour les oléoprotéagineux. Bien entendu, et vous en êtes conscient, monsieur le ministre, il faudra mesurer les effets du découplage dans divers domaines, notamment sur les échanges de terres et sur le prix du foncier. La Commission doit, à votre demande, conduire les évaluations qui s'imposent.
La France s'est trouvée isolée par ses positions sur le découplage, qui font qu'elle ne retrouvera plus de minorité de blocage. Elle ne retrouvera plus non plus, sauf si vous nous assurez du contraire, le soutien de l'Allemagne, qui fut si précieux lors du Conseil européen de Bruxelles en 2002. L'Allemagne veut, par exemple, faire du découplage en élevage. A ce propos, le sommet franco-allemand de juin tombe opportunément pour opérer les ajustements qui s'avéreront nécessaires.
Reconnaissons que ces considérations diplomatiques sont bien pesantes dans ces discussions. Pour ne parler que des relations transatlantiques, convenons qu'entre la France et les Etats-Unis les questions agricoles furent souvent objet de polémiques, voire de contentieux. On pourrait en dire de même de l'Europe et des Etats-Unis.
A l'OMC, les Etats-Unis plaideront dans un premier temps, brutalement comme à l'accoutumée, avec le groupe de Cairns, pour désarmer les protections. Mais ils sauront, au milieu du gué, chercher des complicités pour sauvegarder ce qui peut l'être de leur farm bill ; peut-être à ce moment-là se retrouveront-ils avec l'Europe.
J'ai dit depuis longtemps que l'avenir de l'agriculture française et de l'agriculture européenne en général ne passait pas prioritairement par une production de masse pour le marché mondial à coups de restitutions. On connaît les effets d'une telle politique sur les agricultures des pays en voie de développement. On se souvient combien à Johannesburg la PAC fit l'objet d'une vive contestation. Cette dernière ne saurait être balayée d'un revers de main. On voit bien que la critique avait quelques fondements quand on constate avec quelle application la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, la FNSEA, l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, l'APCA, et le ministre ont allumé un contre-feu.
Présents à Johannesburg, Marcel Deneux et moi avons entendu et apprécié les engagements pris par Jacques Chirac en faveur du développement durable.
J'ai considéré également comme une avancée - mieux vaut tard que jamais ! - les déclarations faites par le Président de la République lors du sommet franco-africain du mois de février. En proposant, dans le cadre des négociations de l'OMC, un moratoire sur les aides accordées aux produits agricoles exportés vers l'Afrique, il rompait avec une pratique dénoncée par tous ceux qui ont à coeur de doter les pays en voie de développement des moyens d'assurer leur souveraineté alimentaire, de jouir de leur droit à se nourrir eux-mêmes en développant leur propre agriculture. Jacques Chirac a aussi demandé que soient rouverts les dossiers des matières premières - coton, café, cacao - en vue d'un nécessaire soutien des prix.
Que le ministre et la mission d'information, qui ne me semblent pas suffisamment sensibles au principe du développement durable, veillent à ne pas être démentis par le Président de la République si, du moins, celui-ci reste fidèle à ses engagements de Johannesburg !
Sur le thème de la mondialisation des échanges agricoles et des pays en voie de développement, la Commission européenne a émis de nombreuses propositions en matière d'accès sans droit de douane ni contingentement des pays les moins avancés aux marchés des pays développés. Nous attendons aussi que le premier pays agricole de l'Union avance ses idées et entraîne les autres Etats membres.
En la matière, je ne cède pas à un angélisme qui serait dans l'air du temps et qu'inspireraient le groupe de Cairns et les Etats-Unis, lesquels, en ce domaine, bernent le bon peuple. Là aussi, il y a à balayer devant certaines cours !
Par ailleurs, j'ai apprécié ce qu'a indiqué notre collègue Jean Bizet quant à la détermination du commissaire Pascal Lamy. Ayant eu, moi aussi, un échange avec ce dernier, je crois pouvoir témoigner de sa volonté de faire en sorte que l'agriculture ne soit pas, comme cela a pu être dit ici ou là, une variable d'ajustement dans les négociations.
Quoi qu'il en soit, dans le sens du comportement républicain que j'évoquais tout à l'heure, notre groupe n'entend pas vous compliquer la tâche, monsieur le ministre, dans une passe à haut risque pour l'agriculture française.
L'expérience nous autorise à dire que votre mission est éminemment difficile. Le monde agricole et, plus largement, la société attendent des prochaines négociations bien des réponses. Ne leur a-t-on pas trop suggéré qu'ils pouvaient en espérer beaucoup ?
Si la PAC a permis, pendant un temps, de garantir un tissu rural vivant et entretenu, il faut reconnaître qu'elle n'est plus en mesure de répondre à cet objectif. Elle a contribué à renforcer le phénomène d'agrandissement des exploitations, mais elle a aussi accentué la course au productivisme et les dérives environnementales qui en découlent.
La PAC attendue doit refonder la contractualisation entre l'agriculture, la société et les pouvoirs publics. L'affirmation du concept de multifonctionnalité agricole et rurale, auquel la Haute Assemblée et M. le ministre se sont montrés un peu plus favorables, doit être au coeur du contrat pour que les fonctions essentielles assumées par l'agriculture et par l'espace rural soient reconnues.
Monsieur le ministre, au terme de mon intervention, vous comprendrez combien vos réponses sont attendues avec grand intérêt tant par le monde agricole que par notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Mortemousque.
M. Dominique Mortemousque. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier notre collègue Gérard César d'avoir pris l'initiative de cette question orale avec débat sur la politique agricole commune.
Ce sujet, à mon sens, ne peut se résumer à de simples données chiffrées : 600 000 exploitations agricoles et 1,3 million d'agriculteurs.
L'agriculture française présente une spécificité particulière qui englobe les notions d'aménagement du territoire, de foncier, d'agroalimentaire.
L'agriculture française, deuxième exportatrice agroalimentaire mondiale, accomplit, depuis près d'un demi-siècle, un parcours intéressant, alliant performance, solidarité territoriale et solidarité humaine.
Or voilà que ce système équilibré, qui permet de disposer d'un territoire attractif, dont l'intérêt est reconnu à l'échelon européen, est remis en cause par les nouvelles orientations de la politique agricole commune.
En effet, le commissaire européen à l'agriculture, M. Fischler, a prévu que soient réduites jusqu'à 19 % d'ici à 2012 les aides directes perçues par les exploitants agricoles et que l'on procède au découpage par rapport au niveau de production.
Comment le secteur agricole du département de la Dordogne pourrait-il résister à une telle baisse des aides directes, conjuguée à celle des prix de soutien ?
Une telle perspective n'est pas acceptable puisqu'elle condamnerait les exploitants de la Dordogne et ceux de tous les départements ruraux à un déclin inéluctable, alors que l'activité économique et la présence humaine doivent être stimulées dans ces départements.
Monsieur le ministre, je suis parfaitement conscient du combat que vous menez pour que la crédibilité de la France reste à un rang élevé au sein de l'Europe agricole. Les 27 et 28 janvier dernier, lors d'un conseil agricole, vous avez clairement indiqué que la dégressivité des aides directes proposées par M. Fischler ne pouvait pas être acceptée par la France.
Je souhaiterais donc qu'à l'occasion de ce débat vous nous teniez informés de l'état d'avancement des négociations en cours avec la Commission européenne depuis votre intervention de janvier, dans laquelle vous défendiez courageusement les intérêts des agriculteurs français. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons tous, l'agriculture a connu en un peu plus d'un demi-siècle des évolutions, dont le rythme tend à s'accélérer depuis quelques années.
Etre agriculteur, c'est vivre des combats permanents, toujours inachevés. Je dirai qu'ils sont encore plus permanents et encore plus inachevés en zone de montagne.
Mais ce qui est réconfortant, c'est que, malgré ses épreuves répétées, l'agriculture française est restée debout. Elle a été capable de s'adapter en restant fidèle à sa vocation initiale de production, à sa mission de nourrir le monde, voire, aujourd'hui, de bien le nourrir en prenant en compte l'indispensable sécurité alimentaire, mais aussi à sa mission environnementale, car ce sont les agriculteurs qui façonnent le paysage, répondant ainsi à nos aspirations.
Au début de l'année, la Commission européenne, notamment M. Fischler, a relancé la bataille sur l'avenir de la politique agricole commune, suscitant ainsi des inquiétudes propres à dissuader certains de continuer à exercer ce beau métier que certains parmi nous exercent ou ont exercé, celui d'agriculteur. Relancer cette bataille, c'est provoquer un découragement, un malaise, en dépouillant l'agriculteur de sa vocation initiale, en l'empêchant de vivre de la vente de ses productions et en le plongeant dans une relative incertitude. C'est en fait dénaturer un métier qui a su préserver des valeurs fondamentales, indispensables à notre société.
Vous le savez, monsieur le ministre, notre agriculture de montagne est spécifique ; elle doit le demeurer. Il convient de compenser ses handicaps et de convaincre nos concitoyens que cette compensation n'est pas un privilège, mais qu'elle répond à une exigence de parité. C'est la raison pour laquelle des aides compensatoires ne doivent pas entrer en compte dans le calcul du plafond des aides ; elles doivent être dissociées.
Comment évoquer les zones de montagne sans demander avec insistance que les plafonds subventionnables, en ce qui concerne les bâtiments d'élevage, soient revus à la hausse ? En effet, à 1 000 mètres d'altitude, ces bâtiments, ne peuvent être conçus de la même manière qu'à 100 mètres. Les exigences ne sont pas les mêmes, car les conditions climatiques ont toujours le dernier mot : rappelons-nous combien de fermes de montagne ont été emportées par l'ouragan de 1999 ! Il en est de même pour la collecte du lait : en zone de montagne, compte tenu d'une topographie très tourmentée et de risques de circulation indiscutablement aggravés, une aide doit être « légalisée ».
S'il est certes nécessaire d'adapter et d'améliorer la PAC, il n'y a pas urgence à la réformer. Il semblerait d'ailleurs que le vent de la sagesse et du bons sens souffle sur Bruxelles puisque ne serait pas envisagé le découplage total proposé par la Commission européenne.
Je voudrais, cependant, monsieur le ministre, vous poser une question, me faisant là modestement le porte-parole de nombreux agriculteurs : qu'entend-on exactement par « découplage partiel » ? Y aura-t-il une référence fixe et une référence mobile ?
Si nous reculons sur ce principe, comment pourrons-nous organiser et maîtriser nos filières de production ? Plus que jamais, les productions doivent être aménagées, réfléchies et orientées. Il faut étaler les réformes dans le temps et ne rien précipiter. C'est au aussi une des condiditions pour assurer la sécurité sanitaire et alimentaire.
En outre, peut-on honnêtement prétendre que, pour simplifier les règles, il faille passer par le découplage ? Il existe d'autres chemins que ceux qui mènent au découragement, qui conduisent à transformer une agriculture de production en une agriculture d'imagination, de sous-production, de désordre.
Ne bouleversons pas constamment les perspectives agricoles ! Pour qu'un agriculteur garde confiance, il doit regarder devant lui et avoir une vision rassurante de l'avenir.
Monsieur le ministre, pensez-vous suivre, aux côtés des agriculteurs, cette démarche de fermeté et de bon sens ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Hilaire Flandre.
M. Hilaire Flandre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le commissaire européen chargé des questions agricoles, M. Fischler, propose - une fois de plus, serais-je tenté de dire - de modifier les règles de fonctionnement de la politique agricole commune. Cette volonté constante, qui confine à l'entêtement, de proposer à des réformes dont rien ne justifie ni l'urgence ni l'ampleur crée un désarroi profond au sein de la profession agricole et décourage les candidatures à l'installation, pourtant déjà trop peu nombreuses.
Cette situation, dont on ne mesurera qu'avec le temps les conséquences néfastes, et bien souvent irréversibles, mérite que l'on s'y attarde quelque peu, et je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir accepté ce débat, comme je remercie la commission des affaires économiques de l'avoir suscité.
Certes, ce n'est pas la première fois que la politique agricole commune, pour laquelle notre pays s'est toujours fortement engagé et qui a été un puissant facteur d'intégration européenne et d'adhésion à l'idée de l'Europe, connaît des modifications.
Dès 1968, M. Sicco Mansholt, dans un plan resté célèbre, proposait de changer ce qui avait fait l'objet d'accords quelques années auparavant et qui s'appuyait sur trois principes : l'unité de marché, la préférence communautaire, la solidarité financière.
Sans remettre en cause ces principes, M. Mansholt souhaitait engager et encourager la modernisation des exploitations agricoles, concrétisée, à l'époque, par la mise en place des plans de développement.
Plus près de nous, en 1992, une nouvelle réforme est intervenue. Il s'est agi, alors, d'un véritable bouleversement, marqué par une importante baisse des prix des produits agricoles, accompagnée de versements compensatoires partiels calculés sur les rendements historiques de la région agricole ou du département considérés et l'obligation des jachères.
Avec plus de dix ans de recul, on peut mieux mesurer les effets de cette réforme. On pourrait la résumer d'une phrase : faire supporter au contribuable et non plus au consommateur le coût de l'alimentation.
Les effets néfastes se sont fait rapidement sentir. Il n'est pas inutile d'en rappeler quelques-uns, même si la plupart d'entre nous les connaissent parfaitement, car nous allons de nouveau les subir, mais sous une forme aggravée, avec la nouvelle réforme qui se profile.
La première conséquence de la réforme de 1992 fut la chute du nombre d'installations de jeunes agriculteurs. Malgré les plans de relance et les mesures incitatives, il n'y a plus aujourd'hui que 6 000 jeunes agriculteurs qui s'installent chaque année. Si ce mouvement se poursuit, au terme d'une génération, moins de 200 000 exploitations agricoles devront entretenir l'ensemble du territoire, c'est-à-dire dix fois moins qu'il y a quinze ou vingt ans. Certes, les agriculteurs ne représentent pas tout le monde rural, mais peut-on sérieusement imaginer un monde rural accueillant sans la présence d'un minimum d'agriculteurs actifs ?
La deuxième conséquence fut la baisse du revenu agricole. Cela est quelquefois contesté, car l'évolution du revenu global de l'agriculture, divisé par le nombre des agriculteurs, en diminution rapide comme nous l'avons vu, a pu donner l'illusion d'un maintien, voire d'une progression du revenu de ceux qui sont restés. Mais, vous en conviendrez, monsieur le ministre, les agriculteurs qui partent les premiers sont ceux qui gagnent le moins, quand ils ne perdent pas en fait de l'argent, et leur départ n'améliore en rien la situation de ceux qui restent.
M. Gérard Le Cam. Ça, c'est vrai !
M. Hilaire Flandre. Pour préciser les choses, j'ai repris les chiffres exacts de ma propre exploitation, de 1988 à 1997. Avec 128 hectares de polyculture, notre GAEC, ou groupement agricole d'exploitation en commun, constitué de deux ménages, a dégagé de 1988 à 1991, soit les quatre années précédant la réforme, un revenu agricole de 541 363 francs. En 1992, première année de la réforme, ce revenu est passé à 365 000 francs, soit une chute de près de 200 000 francs. En 1993, il est tombé à 288 000 francs et, en 1994, année la plus sombre, à 218 000 francs, soit 40 % seulement du revenu pris pour référence.
Ce n'est qu'à partir de 1995, 1996 et 1997 que le revenu a commencé à remonter pour retrouver son niveau antérieur. Mais cela s'explique par le fait qu'aucun investissement n'a été réalisé : me trouvant à la fin de ma vie professionnelle, j'ai « fait durer » autant qu'il m'était possible les installations et le matériel.
Bien entendu, au cours de la même période, pour la grande majorité des agriculteurs, la seule issue se trouvait dans l'agrandissement, et c'est la troisième conséquence de cette première réforme : la fuite en avant, la course aux hectares, qui a elle-même induit une élévation du coût des reprises ; d'où, par ailleurs, une difficulté supplémentaire pour les jeunes qui veulent s'installer.
Ainsi, la spirale d'une désertification accrue est en marche.
Quatrième conséquence : les mesures compensatoires accompagnant la baisse massive des prix des produits agricoles se font sur la base d'un rendement historique de la région agricole considérée et au vu des déclarations des agriculteurs, soumis par ailleurs à l'obligation de geler une partie de leur exploitation, en mettant certains champs en jachère.
Je formulerai deux remarques à ce sujet.
Premièrement, les exploitants situés dans les régions favorables bénéficient des compensations les plus importantes, ce qui est compréhensible et même justifié au début de la réforme, mais qui pose, à plus long terme, un problème d'équité.
Deuxièmement, les déclarations des agriculteurs entraînant le versement d'argent public, pour des montants parfois importants, elles sont naturellement soumises à des contrôles. Il n'y a là rien à redire, sinon que ces contrôles, souvent suspicieux, voire maladroits, provoquent un climat de tension détestable. A cet égard, je salue les efforts réalisés par votre administration, monsieur le ministre, pour simplifier les choses et éviter que les agriculteurs passent plus de temps à remplir des formulaires et ensuite à les justifier plutôt que de s'occuper de leurs champs ou de leur élevage.
La cinquième conséquence de cette réforme a été l'abandon de certaines productions et l'absence de véritable orientation.
La politique agricole commune mise en place dans les années soixante pouvait orienter les productions en fixant les prix, fort justement appelés « prix d'orientation ». La réforme de 1992, en faisant dépendre le revenu essentiellement des primes compensatoires, a rompu avec cette logique, et certaines productions pourtant nécessaires - je pense aux protéagineux et aux pois, en particulier - ont vu leur part régresser dans les assolements, faute d'avoir été correctement soutenues. Cela fait sans doute le bonheur des pays exportateurs de soja, mais accroît encore notre dépendance dans ce secteur qui, comme cela a été rappelé par plusieurs intervenants, s'élève à 75 % de nos besoins.
Vous le voyez, mes chers collègues, l'appréciation que je porte sur la réforme de 1992 est plutôt négative. Je ne lui reconnais que deux effets bénéfiques.
Elle a, d'abord, permis la reconquête du marché de l'alimentation animale par nos céréales. A l'heure actuelle, ce marché représente 6,5 millions de tonnes de blé, c'est-à-dire plus que la consommation humaine, qui s'élève à 4,8 millions de tonnes.
Elle a, ensuite, abouti à un certain rééquilibrage des revenus entre productions végétales et productions animales, en faveur de ces dernières.
Alors, me direz-vous, si la PAC mise en place depuis dix ans a tant d'inconvénients, pourquoi ne pas soutenir une nouvelle réforme ? Tout simplement parce que le projet de M. Fischler apparaît à la fois inopportun et inapproprié.
M. Fischler propose en effet de procéder, dans le secteur des végétaux, à une nouvelle baisse des prix, partiellement compensée par un réajustement des aides, et de globaliser celles-ci par exploitation, en fonction des aides reçues par le passé, indépendamment des productions de demain comme des besoins du marché.
Il étaie son projet par quatre arguments : la PAC coûte cher ; les aides européennes étant, selon lui, incompatibles avec les règles de l'OMC, il convient de rapprocher nos prix intérieurs du prix mondial et de pratiquer ce qu'il est convenu d'appeler le « découplage » ; les pays développés doivent non pas concurrencer l'agriculture du tiers monde mais, au contraire, faciliter son développement ; il convient de simplifier les formalités administratives des agriculteurs.
En résumé, M. Fischler veut poursuivre, en l'aggravant, l'orientation prise il y a dix ans et dont j'ai décrit les effets néfastes. Or rien ne justifie la précipitation.
Le Conseil européen, sur l'initiative de la France, a arrêté les mesures destinées à assurer le financement de la PAC pour les prochaines années, tout en l'encadrant afin d'éviter les dérives.
Alors que des négociations sur le commerce international vont s'ouvrir dans quelques mois, il est maladroit, me semble-t-il, de baisser la garde au moment où d'autres pays renforcent leur soutien à leur propre agriculture, comme l'a rappelé M. César.
J'ajoute que l'Union européenne est le premier importateur de produits agricoles en provenance des pays en voie de développement, lesquels ne sont d'ailleurs pas concurrents de nos propres produits ; il faut constamment le rappeler et mettre fin à cette accusation mensongère émanant de pays beaucoup moins vertueux, relayée benoîtement par des organisations non gouvernementales dont la bonne foi a pu être abusée.
M. Jean Bizet. Très juste !
M. Hilaire Flandre. Il ne faut pas craindre d'affirmer que le développement des pays les moins avancés résultera de l'essor de leurs propres agricultures vivrières. Pour cela, il convient de les inciter à mettre en place des organisations de marché commun par grands ensembles géographiques, le cas échéant en les y aidant.
Mais il faut surtout sortir du mythe du prix mondial, qui ne correspond qu'à une partie résiduelle du marché et ne saurait être représentatif de l'ensemble de celui-ci, c'est-à-dire de la confrontation de toute l'offre à toute la demande. Viendrait-il à l'esprit de quelqu'un de réclamer l'institution d'un salaire mondial et, ensuite, de l'appliquer aux conventions collectives ? Ce serait évidemment stupide. C'est tout aussi stupide pour les produits agricoles.
Quant au découplage des aides, ses effets seraient redoutables et il en résulterait une désorganisation totale des marchés agricoles.
L'absence de lien entre les soutiens à la production conduirait inexorablement à l'abandon de la production dans les terroirs les moins propices. Il s'ensuivrait une concentration de la production dans les zones les plus fertiles et une diminution globale de cette production. Or les besoins alimentaires mondiaux sont loin d'être assurés dans l'avenir ; j'y reviendrai dans un instant.
Ce mouvement de délocalisation s'accompagnerait d'une désorganisation des marchés, je l'ai dit, et de distorsions de concurrence tout à fait insupportables. Ce serait le cas, par exemple, si un céréalier, dont les aides seraient garanties et découplées, décidait de se lancer dans la production de légumes de plein champ, concurrençant ainsi des maraîchers qui, de leur côté, ne bénéficieraient d'aucune aide.
Ce simple exemple - mais on pourrait en citer beaucoup d'autres - montre que la réforme envisagée n'est pas la bonne et que la « copie » doit être revue pour permettre à l'agriculture de relever les défis qui l'attendent et de répondre encore mieux aux attentes de nos concitoyens : satisfaire les besoins alimentaires, aménager et entretenir le territoire, protéger l'environnement.
S'agissant tout d'abord de la satisfaction des besoins alimentaires, les progrès réalisés depuis cinquante ans par l'agriculture de notre pays sont tels que nos concitoyens peuvent penser que la ressource est inépuisable et que le seul problème de notre agriculture réside dans l'écoulement des surplus.
Il est vrai qu'en cinquante ans la France, qui était importatrice de blé, est devenue exportatrice de 54 % de sa production. Elle est parvenue au deuxième rang des exportations mondiales de produits agricoles et alimentaires et dégage un solde positif de 9 milliards d'euros par an, soit l'équivalent de l'exportation de 2 500 Twingo par jour.
En 1960, chaque agriculteur de notre pays nourrissait quinze personnes, lesquelles consacraient 35 % de leurs revenus à leurs besoins alimentaires. En 2002, chaque agriculteur de notre pays nourrit soixante personnes, et les ménages ne consacrent plus que 15 % de leur budget à l'alimentation. A titre de comparaison, les dépenses des ménages pour les loisirs et les services sont passées dans le même temps de 34 % à 48 % de leurs revenus.
Cette situation favorable des pays développés ne doit pas dissimuler la fragilité de l'approvisionnement mondial en céréales, particulièrement en blé. En 1990, le stock mondial de blé assurait quatre mois de consommation ; en 2002, la planète dispose de stocks représentant moins de trois mois de consommation.
Parallèlement, la population mondiale, qui est passée de 3 milliards d'individus en 1960 à 6 milliards aujourd'hui, devrait atteindre 9 milliards vers 2050. Ces simples chiffres indiquent l'importance de l'enjeu alimentaire et soulignent la nécessité d'accomplir encore des progrès.
Deuxième attente de nos concitoyens : l'occupation du territoire et l'entretien des espaces.
Dans notre pays, l'agriculture occupe 28 millions d'hectares, c'est-à-dire un peu plus de la moitié de l'ensemble de la surface nationale. On lui doit l'harmonie des paysages, l'entretien des chemins, des haies et des rivières. D'où l'importance de maintenir partout cette activité car, si la nature sauvage peut avoir ses charmes, elle se montre plus souvent agressive qu'accueillante.
Troisième attente : la protection de l'environnement.
Selon une idée très largement répandue et colportée complaisamment par certains, l'agriculture aujourd'hui serait polluante et dispendieuse de ressources, notamment d'eau, nécessaire à l'irrigation.
En quelques mots, je voudrais rétablir certaines vérités.
Tout d'abord, les plantes - nous l'avons tous appris en classe - captent le gaz carbonique de l'air et fixent le carbone dans le sol. Le stock de carbone fixé dans le sol agricole français est estimé à 3 milliards de tonnes et pourrait augmenter de 2 millions à 7 millions de tonnes par an grâce à l'application de pratiques culturales raisonnées.
Par ailleurs, sait-on qu'un hectare de maïs produit plus d'oxygène qu'un hectare de forêt ? Sait-on qu'un hectare de blé ou de betteraves destiné à la production d'éthanol permet d'économiser 3 tonnes de carbone fossile ?
L'utilisation d'engrais et d'herbicides, souvent mise en accusation, a constamment diminué depuis dix ou vingt ans. Ainsi, en dix ans, la quantité d'engrais globalement utilisée dans notre pays est passée de 6 millions à 4,8 millions de tonnes, soit une baisse de 20 %. Si l'on compare les quantités utilisées aux quantités produites, la baisse est encore beaucoup plus sensible. En azote - nous savons que les nitrates sont régulièrement pointés du doigt -, la diminution est de 2 % par an et par quintal de céréales produit et de 3 % par an et par tonne de sucre de betterave produite.
Dans ma région, des actions collectives de fumure raisonnée - je pense aux opérations « Fertimieux » - ont conduit à une diminution des fumures azotées de trente kilos par hectare de céréales, et de quarante à quarante-cinq kilos par hectare dans les systèmes de production animale.
En matière d'herbicides, la maîtrise est encore plus importante et les quantités ont été divisées par huit en vingt ans : elles sont passées de 2 500 grammes de matières actives par hectare dans les années quatre-vingt à 300 grammes de matière active par hectare aujourd'hui. Cela représente 30 milligrammes par mètre carré !
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le voyez, aujourd'hui, loin d'être une activité ringarde, une activité du passé, comme pourraient le laisser croire des clichés trop faciles, l'agriculture est au contraire une activité performante, une activité d'avenir. Sa contribution à l'économie et à la protection de l'environnement mérite mieux qu'une réforme précipitée, qui ne ferait qu'accroître son désarroi.
Mais nous savons pouvoir compter sur votre détermination et votre ténacité, monsieur le ministre, pour lui ouvrir de vraies perspectives et amener les jeunes à s'y engager résolument. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Murat.
M. Bernard Murat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de sa création en 1961, la PAC s'appuyait sur des fondements solides : diminuer la dépendance par rapport à l'extérieur, encourager la production agricole par des prix garantis et des barrières à l'entrée, protéger le consommateur par des prix stables et assurer un niveau de vie équitable à la population agricole.
Les réformes successives, en particulier celles de 1992 et de 2000, nous ont progressivement éloignés de ces principes fondateurs : la préférence communautaire est régulièrement bafouée, entraînant les prix dans un mouvement de spirale à la baisse, compensée par des aides.
A l'intérieur de l'Union européenne apparaissent des divergences importantes sur le budget agricole. Chaque pays souhaite un retour financier équivalent à sa contribution et, afin de diminuer l'enveloppe consacrée à l'agriculture, une stagnation du budget agricole, certains pays allant même jusqu'à remettre en cause l'intérêt de la PAC.
C'est dans ce contexte que la Commission européenne a transmis les propositions réglementaires de ce qu'elle appelait la « revue à mi-parcours » et qu'elle appelle désormais à la réforme de la PAC.
Or elle va bien au-delà du mandat qui lui a été imparti en proposant une nouvelle réforme radicale de la politique agricole. Il faut le souligner, la seule réforme qui s'impose est celle qui a été décidée à Berlin, en 1999, dans le cadre de l'Agenda 2000, et qui doit s'appliquer jusqu'en 2006.
Comme Gérard César, notre excellent rapporteur de la mission d'information du Sénat sur la réforme de la politique agricole commune, nous ne pouvons aujourd'hui que contester l'urgence qu'il y aurait à procéder à une réforme d'envergure. L'adoption d'une nouvelle PAC trois ans seulement après l'entrée en vigueur de la précédente bouleverserait une fois de plus les repères des agriculteurs et risquerait de rendre ce secteur encore moins attractif auprès des jeunes, qui ont besoin d'un minimum de visibilité pour l'avenir.
Or, il ne faut pas s'y tromper, le projet de réforme de la PAC proposé par la Commission est réellement assimilable à une dérégulation et à un démantèlement des marchés tels qu'ils ont été mis en place depuis plus d'un demi-siècle par la France, puis par l'Europe.
En effet, le découpage total des aides par rapport à la production - proposition centrale de la réforme Fischler - pourrait engendrer des distorsions de concurrence, déstabiliser les marchés, accentuer la polarisation des productions sur le territoire, voire entraîner une réduction globale de l'activité agricole.
La mission d'information du Sénat estime que cette proposition est extrêmement risquée, monsieur le ministre. D'ailleurs, vous considérez vous-même que son instauration conduira à la privatisation de tout instrument de régulation des marchés, entraînant la dévitalisation de régions entières, notamment les plus fragiles, et à l'affaiblissement de la légitimité des aides.
Le monde agricole s'oppose fermement à sa mise en place, considérant que cette notion d'aide découplée mettrait en péril les politiques d'installation, le soutien étant octroyé non plus en fonction du travail mais en fonction de la propriété du foncier. De fait, la recherche de surfaces serait encore accrue et concurrencerait l'installation.
Le point le plus novateur de ce projet de réforme, à savoir le découplage total des aides, est unanimement contesté, et je ne dérogerai pas à cette unanimité.
Premièrement, le découplage risque de bouleverser les décisions de gestion des exploitants agricoles. Les productions les plus immédiatement rentables ou celles qui exigent le moins de travail pourraient être privilégiées. Il en découlerait une forte variabilité des prix et une déstabilisation des marchés. L'attribution d'une aide non conditionnée à l'obtention d'un volume minimal de production pourrait se traduire par une baisse des quantités produites chaque fois que le prix de vente ne couvre pas les charges directes, et donc par une diminution du nombre des exploitants.
Lorsqu'on connaît le phénomène, qui ne cesse de s'accentuer, de la diminution du nombre de producteurs et d'exploitations d'élevage, on ne peut que frémir. Le cas de la Corrèze est emblématique et, à terme, alors que ce mouvement se double désormais d'un accroissement de l'âge moyen des chefs d'exploitation, c'est le maintien d'une densité minimale de population qui est en cause dans certaines zones où l'activité agricole constitue le moteur de l'économie locale, ainsi que vous avez pu vous-même le constater, monsieur le ministre.
Deuxièmement, le dispositif peut parallèlement perturber les mécanismes profonds de la propriété foncière de transmission et d'installation en agriculture.
Enfin, il risque de toucher à l'image même du métier d'agriculteur et d'éleveur, tant dans le regard de la société que pour les exploitants eux-mêmes.
Concrètement, sur le terrain corrézien, l'idée du découplage total ou partiel fait bondir les éleveurs, eux dont les exploitations évoluent depuis 1992 au rythme de la PAC : ils estiment cette nouvelle mesure de la Commission dangereuse. Permettez-moi de les citer : « Le découplage est choquant. Pour les jeunes, il dévalorise le métier. Pour les futurs cédants, leur exploitation n'est pas mise en valeur. Pour tous, c'est la pérennité de l'agriculture qui est remise en cause. »
Face au rejet de ce nouveau dispositif, depuis quelques mois ont été émises des propositions relatives à la mise en place d'un découplage partiel. Comme vous le savez, aucune étude d'impact sur le découplage total - ni d'ailleurs sur le découplage partiel - des aides n'a été à ce jour fournie. Notre inquiétude est donc légitime.
Si l'on prend l'exemple de la filière bovine, qui se caractérise par une multiplicité d'aides, celle-ci gagnerait sûrement à être rationalisée ou simplifiée sans pour autant que l'on parle de découplage, terme issu - et là je vous cite, monsieur le ministre - du « jargon bureaucratique ». Tout comme vous, je déplore qu'un public d'initiés utilise ce concept sans considération pour le travail des femmes et des hommes concernés. Ah ! une agriculture sans agriculteur ! Voilà le rêve de bien des technocrates à Bruxelles !
Si la politique agricole commune n'a pas besoin d'être réformée dans l'immédiat, rien n'empêche en revanche d'apporter les améliorations nécessaires à son bon fonctionnement et de poursuivre le débat sur son avenir à plus long terme.
L'avenir de notre agriculture, c'est avant tout celui de nos agriculteurs, acteurs incontournables de l'aménagement durable de notre territoire. C'est d'abord pour eux que l'on doit réussir cette réforme !
Comme je le disais, une simplification dans le secteur de la viande bovine serait souhaitable. Compte tenu de la complexité du système des primes à l'animal, il paraît pertinent de remplacer les différentes aides bovines par une seule aide directe basée sur la surface, mais dont le calcul tiendrait aussi compte de l'emploi et du taux de chargement de ladite surface.
Par ailleurs, il conviendrait de renforcer et, surtout, de simplifier le volet « développement rural » de la PAC. Les projets d'audit des exploitations, les mesures proposées pour améliorer la qualité et l'adaptation aux normes méritent notamment d'être examinés. Mais leur mise en oeuvre ne doit pas conduire à des mécanismes bureaucratiques qui en annuleraient les effets bénéfiques.
La même remarque vaut pour l'application de la conditionnalité des aides qui, telle qu'elle est proposée, me semble d'une grande complexité, à rebours de l'effort de simplification qui s'impose à l'échelon national comme à l'échelon communautaire.
Nos agriculteurs veulent vivre de leurs productions, participer au développement économique de nos territoires et non pas être transformés en technocrates chasseurs de primes.
L'Union européenne a implicitement décidé d'atteindre un très haut niveau de normes, tant pour ce qui concerne la protection de l'environnement que le bien-être animal ou la sécurité sanitaire et alimentaire. Ce choix - juste - a cependant un coût élevé et l'on constate que les agriculteurs sont peu aidés pour mettre aux normes leurs installations. Parallèlement, il est demandé à ces derniers d'ouvrir leurs marchés, ce qui conduit à accueillir des produits dont on ne connaît pas la qualité exacte.
Des contrôles aux frontières existent déjà, ainsi que des programmes de coopération bilatéraux en matière de traçabilité et de sécurité sanitaire. Encore faut-il les renforcer : l'Union européenne doit aujourd'hui financer les conséquences de ses décisions en matière de réglementation et de mise aux normes.
Une chance, une « réelle opportunité », comme le dit si justement notre rapporteur M. César, s'offre donc à la Commission, dans le cadre de cette révision à mi-parcours, de développer le deuxième pilier de la PAC, en particulier s'agissant des mesures de soutien aux agriculteurs souhaitant s'engager dans des démarches de qualité et d'identification des produits.
Il en faut pas oublier que les filières de qualité constituent des créneaux pouvant offrir des prix plus élevés aux producteurs.
Pour vivre au coeur d'une région dans laquelle la production de viande bovine joue un rôle essentiel pour l'économie et la vitalité de notre territoire, je peux affirmer par expérience qu'aujourd'hui rien n'est plus important pour l'avenir de cette filière que la qualité. De grandes races, des conditions spécifiques de production, des éleveurs passionnés, voilà tous les ingrédients pour assurer aux consommateurs une viande haut de gamme et, de fait, assurer la vitalité et la pérennité de la production bovine française.
Si les crises de confiance répétées des consommateurs ont profondément marqué le marché européen, les perspectives paraissent plus équilibrées aujourd'hui. L'image du produit « viande bovine française » auprès des consommateurs est synonyme de qualité et de sécurité alimentaire, grâce à la mise en place d'une politique d'identification des races à viande fondée sur la traçabilité.
Mais tout cela a un coût. C'est pourquoi il serait judicieux d'augmenter les crédits consacrés aujourd'hui au deuxième pilier de la PAC.
En conclusion, alors que les négociations de l'OMC vont entrer dans une phase décisive, je crois nécessaire de poursuivre l'application de la PAC telle qu'elle a été définie pour la période prévue par les chefs d'Etat et de gouvernement.
Les réformes trop fréquentes fragilisent les exploitations : les agriculteurs ont en effet besoin de temps pour faire correctement leur métier, pour mieux comprendre leur production, pour mieux analyser les problèmes qu'ils peuvent rencontrer, pour faire en sorte que leur profession évolue dans un cadre réglementaire stable et pérenne.
L'actuelle PAC - pourquoi pas quelque peu améliorée ? - peut régir correctement l'Europe agricole jusqu'en 2006.
Monsieur le ministre, nous le savons tous, votre tâche n'est pas et ne sera pas facile. Mais vous avez su gagner la confiance du monde agricole français et nous n'ignorons pas que votre détermination est totale. C'est la raison pour laquelle vous pouvez compter sur l'entier soutien des sénateurs de l'UMP. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le président de la mission d'information, monsieur le rapporteur de la mission d'information, je voudrais tout d'abord vous remercier d'avoir pris ce matin l'initiative de cette question orale avec débat devant la Haute Assemblée. C'est une procédure qui, effectivement, nous permet de faire le point sur des sujets importants, comme celui-ci, qui mettent en jeu l'avenir de notre agriculture, de pays et, bien évidemment, celui de l'Union européenne.
Beaucoup de sujets ont été abordés ce matin. Je répondrai à toutes et à tous avec la plus grande précision possible. Mais, avant d'entrer dans le détail, je ferai quelques remarques d'ordre général.
Il est une question qu'il faut d'abord se poser : pourquoi des politiques agricoles ? Plus je me déplace en Europe et à travers le monde, plus je réalise que cette question, dont la réponse, pour nous, va de soi, est loin d'être évidente pour tous !
Nous pensons qu'il faut conduire des politiques agricoles actives, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la terre n'est pas un facteur de production comme un autre. Ensuite, c'est un secteur qui est soumis à des aléas climatiques ou économiques différents de ceux des autres secteurs. Enfin, l'agriculture, ce n'est pas seulement la production de produits alimentaires, c'est aussi l'entretien des terroirs, l'emploi, la diversité de nos paysages et une part importante de notre identité.
Pour autant, serions-nous les seuls, nous les Européens, à mener des politiques agricoles ? En réalité, si nous nous tournons vers l'histoire du siècle passé, il est intéressant de constater que ce sont les Etats-Unis qui ont, sous le président Roosevelt, inventé les politiques agricoles contemporaines avec le New Deal. Quelque trente ans après, pour mettre en place la politique agricole commune, les différents ministres de l'agriculture des Etats membres et les commissaires européens chargés de l'agriculture ont examiné avec beaucoup d'attention ce qui s'était fait outre-Atlantique après la grande dépression et ils se sont inspirés de nombreuses caractéristiques du New Deal.
Nous ne devons donc éprouver aucune honte à conduire une politique agricole commune. Nous n'avons aucune raison de raser les murs et nous devons assumer nos choix politiques en la matière.
S'agissant de la PAC, le débat est idéologiquement très lourd, parce que se posent notamment deux questions fondamentales, celle du libre-échange et celle du prix mondial, M. Hilaire Flandre vient d'y faire allusion.
Pour ce qui concerne le libre-échange, les libéraux que nous sommes considèrent que l'accroissement des échanges commerciaux dans le monde va dans le bon sens et suit l'évolution générale de notre société contemporaine. Il suffit pour s'en rendre compte d'examiner la situation du monde au cours des périodes autarciques que nous avons connues dans l'entre-deux-guerres, ou encore la situation de notre pays lorsqu'un de mes lointains prédécesseurs, Jules Méline, menait une politique protectionniste.
Mais, immédiatement, un bémol s'impose : cet accroissement ne doit pas être réalisé à n'importe quel prix. Nous pensons que ce que le jargon des économistes désigne comme la « clause de la nation la plus favorisée » avantage toujours les plus favorisés. Le libre-échange est donc un outil, un moyen, mais en aucun cas une fin en soi. Il ne procède d'aucune vérité immanente ou révélée qui justifierait qu'on l'applique de manière aveugle.
Un raisonnement similaire peut être suivi à propos du prix mondial. Comme vous le savez, 5 % à 8 % à peine des produits agricoles font l'objet d'échanges sur le marché mondial. Dès lors, au nom de quoi ferions-nous dépendre les revenus de 92 % ou 95 % des producteurs de la planète d'un prix mondial lui-même illusoire, théorique et tout à fait meurtrier ?
Si je n'hésite pas à prononcer le mot « meurtrier », c'est pour deux raisons. D'abord, s'agissant des productions tropicales, le prix mondial résulte le plus souvent d'achats et de ventes sur des marchés à terme, c'est-à-dire de spéculations. Quant au prix des autres productions, chacun sait bien qu'il est déterminé par des exploitations hyperintensives s'intégrant dans un système latifundiaire qui ne correspond pas à notre vision du monde.
Le prix mondial ne correspond donc ni à un équilibre économique, ni à un équilibre social, ni à un équilibre environnemental.
Disant cela, je le sais, je romps le concert de la pensée unique. Certes on peut lire exactement l'inverse dans moult rapports de l'OCDE, ou de la Banque mondiale ou dans la presse financière, notamment anglo-saxonne ; mais ce n'est pas parce qu'un mensonge est répété qu'il devient une vérité !
Nous devons tous fournir un énorme travail que je n'hésiterai pas à qualifier d'« idéologique », même si le mot peut paraître quelque peu décalé dans un débat sur les questions agricoles ; car c'est bien d'idéologie qu'il s'agit !
Au début des années soixante, l'Europe a fait le choix - non sans mal, d'ailleurs - d'une politique agricole commune ambitieuse. M. Gérard César a rappelé les heurs et malheurs de cette étape de la construction agricole européenne, et certains membres de la Haute Assemblée - M. Marcel Deneux, notamment -, qui y ont participé, savent de quoi je veux parler. Il faut, je crois, l'aborder avec une grande précision.
La politique agricole commune a eu sur l'agriculture européenne, et plus particulièrement sur l'agriculture française, de nombreux effets positifs, et M. Yves Détraigne a rappelé tout ce que nous lui devons. M. Gérard Le Cam, pour sa part, a davantage insisté sur certains aspects négatifs. Quant à moi, je crois sincèrement qu'il ne faut pas refuser ce choix de l'Europe agricole, car c'est lui qui a permis à notre continent et à notre pays d'accéder à l'autosuffisance alimentaire, et c'est encore lui qui a permis à la France de mener une politique agricole ambitieuse.
Tout ministre de l'agriculture français, qu'il soit passé, présent ou à venir, tient de Bruxelles environ les deux tiers de son budget, ce qui n'est pas négligeable. Cela étant, j'en ai un peu assez que notre pays soit systématiquement décrié et attaqué sur ce point. Oui, nous sommes un grand pays agricole ; nous sommes même le premier pays agricole européen, et nous n'avons pas à en rougir. Oui, nous obtenons des subventions importantes de Bruxelles. Mais il faut faire attention de ne pas se laisser intoxiquer, car ce qui compte, en réalité, c'est la globalité des relations budgétaires entre la France et l'Union européenne. Or voilà désormais bien des années que nous payons plus à l'Europe que nous n'en recevons ! Nos adversaires continuent de se plaire à stigmatiser les retours abusifs dont nous bénéficierions dans le domaine agricole. Pour notre part, nous ne critiquons jamais aucun pays nommément pour avoir abusivement reçu je ne sais quel chèque ou quelle ristourne au titre de tel aspect de la politique régionale européenne !
Nous sommes profondément européens. Pour autant, j'en conviens volontiers, la politique agricole commune n'est pas un monument indéboulonnable et, assurément, certaines réformes doivent être entreprises. Mais nous devons assumer avec beaucoup de sérénité et de conviction le choix d'une politique agricole commune ambitieuse, ce qui implique de répondre systématiquement aux critiques injustes dont la PAC fait l'objet.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Hervé Gaymard, ministre. Les trois critiques principales qui lui sont adressées sont le fruit d'une mauvaise foi consommée.
Première critique : la politique agricole commune coûterait trop cher. Peut-être cela a-t-il été le cas au cours des décennies précédentes, qui ont été marquées par une progression du budget de la PAC s'apparentant à une explosion continue. Mais, aujourd'hui, les enveloppes budgétaires telles qu'elles ont été définies lors des dernières rencontres, notamment à Berlin en 1999, sont respectées. J'observe par ailleurs que, avant même l'augmentation des subventions américaines liée au récent farm bill, le montant de l'aide par exploitation agricole était d'un tiers inférieur en Europe à ce qu'il est aux Etats-Unis. Il faut donc définitivement tordre le cou à cette idée que la PAC serait trop coûteuse.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Hervé Gaymard, ministre. Dans le même registre, on trouve scandaleux que les dépenses en faveur de la PAC représentent 45 % du budget de l'Union européenne. Il faut tout de même rappeler qu'elles en représentaient 80 % il y a vingt ans, et que tout cela s'explique par le fait qu'il n'existe pas aujourd'hui de politique commune plus intégrée ! Si tous les secteurs faisaient l'objet de politiques communes intégrées, la PAC ne représenterait que 1 % ou 2 % du budget de l'Union européenne, puisque tel est son poids réel si l'on tient compte à la fois du budget de l'Union européenne et de ceux des quinze Etats membres. Il faut le dire et le répéter : la PAC absorbe non pas 45 % des dépenses budgétaires européennes, mais de 1 % à 2 %.
Deuxième critique : la PAC serait par nature polluante. Sur ce point, pour reprendre une remarque de Mme Boyer, l'exemple de la Bretagne est assez éclairant.
La PAC serait à l'origine des problèmes de pollution que connaît la Bretagne, problèmes qui sont incontestables. Or, la carte représentant le niveau des aides reçues, par exploitation et par région, au titre de la PAC montre que la Bretagne - soit dit au passage, avec ma Savoie natale - est la région de France la moins aidée par Bruxelles, et ce pour une raison fort simple : deux de ses principales productions, le porc et la volaille, ne font pas l'objet d'aides communautaires.
M. Alain Vasselle. Très juste !
M. Hervé Gaymard, ministre. En réalité, les pratiques qui provoquent la pollution ne résultent pas des mécanismes de la PAC ; c'est au contraire l'absence d'organisation forte du marché qui conduit des zones entières à se placer dans une logique de production libérale obéissant aux seules lois du marché mondial. Sur ce sujet encore, il faut argumenter et argumenter sans cesse.
Il est une troisième critique dont la PAC fait l'objet : elle provoquerait la faim dans le monde. Ce n'est là, comme aurait dit Raymond Barre, que « billevesée », ce n'est que le fruit d'attaques concertées contre la politique agricole commune. Là non plus, il ne faut pas se laisser impressionner par cette désinformation. J'y reviendrai longuement lorsque j'évoquerai l'OMC, car ce sujet me paraît extrêmement important.
Quand nous sommes arrivés aux responsabilités, voilà maintenant un an, nous nous sommes trouvés confrontés, en matière agricole, à trois tâches majeures.
Il nous a d'abord fallu régler nombre de problèmes internes au sujet desquels m'ont été posées plusieurs questions que je ne voudrais pas laisser sans réponse. Nous avons également dû gérer un agenda européen et international très chargé qui incluait notamment la conférence de Johannesburg. Celle-ci, qui s'est tenue au mois d'août 2002, a vu s'illustrer la « diplomatie déclamatoire » en matière de développement durable, qui est née à Rio de Janeiro dix ans auparavant et que nous devrons suivre avec une grande attention.
Restent encore à assumer la revue à mi-parcours de la PAC, à l'échelon de l'Union européenne, et la négociation du volet agricole devant l'Organisation mondiale du commerce.
Le développement durable est un sujet sur lequel nous devons être extrêmement présents et offensifs. En particulier, il est exclu que nous soyons absents du débat. C'est la raison pour laquelle le Président de la République a participé au sommet de Johannesburg - auquel assistaient bien trop peu de chefs d'Etat et de gouvernement - et a prononcé un discours qui, tout le monde s'accorde à le reconnaître, a marqué les esprits.
L'Europe doit également participer à ce débat, car sa conception du développement agricole est tout à fait compatible avec la notion de développement durable. En réalité, alors que c'est le libéralisme échevelé qui va à l'encontre de la logique profonde du développement durable, les libéraux anglo-saxons utilisent aujourd'hui ce thème pour attaquer la politique agricole commune. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement mène une politique ambitieuse dans ce domaine.
Le développement durable, c'est bien évidemment, et on en parle à satiété, la promotion de pratiques agricoles respectueuses de l'environnement, donc des générations futures ; mais c'est aussi la pérennisation de la vie et de l'activité des hommes. Or, la meilleure façon de garantir cette « durabilité », c'est de maintenir la présence de paysans partout dans le monde, dans les pays en voie de développement comme dans les pays développés.
La deuxième échéance, c'est le cycle agricole de Doha. Comme vous le savez, pendant de longues décennies, les questions agricoles ne firent l'objet d'aucune négociation commerciale multilatérale. Elles commencèrent à poindre au sommet de Punta del Este de 1986, dans le cycle de l'Uruguay, pour trouver une conclusion avec les accords de Blair House en 1992, puis de Marrakech, qui, en 1994, aboutirent à la création de l'Organisation mondiale du commerce. Chacun se souvient des traumatismes que cette négociation, mal conduite par le gouvernement de l'époque, a laissés dans nos campagnes !
M. Alain Vasselle. Eh oui !
M. Hervé Gaymard, ministre. Le cycle actuel de négociations, dont l'un des temps forts sera la conférence ministérielle qui se tiendra à Cancún au mois de septembre prochain, s'appelle « cycle du développement ». Ce n'est pas un hasard ! Nous devrons donc remettre des propositions concrètes visant à améliorer la situation des pays en voie de développement.
Pour résumer, l'incantation au développement est-elle une hypocrisie de la part de pays riches qui veulent en réalité développer leurs exportations, ou bien le développement agricole des pays du Sud est-il une véritable préoccupation ? Nous, nous avons répondu. Nous disons : « chiche ! » Les pays en voie de développement ont des problèmes de développement agricole ? Eh bien, apportons-leur des réponses concrètes !
Telle est la raison pour laquelle les propositions formulées par M. le Président de la République lors du discours prononcé au mois de février dernier devant quarante chefs d'Etat et de gouvernement africains réunis à Paris ont été reprises à l'unanimité par l'Union européenne et sont depuis lors défendues dans les enceintes internationales. Je vous les rappelle.
La première concerne bien sûr le soutien aux exportations. Là aussi, nous disons : « chiche ! » Mettons en place un moratoire pour les pays pauvres et pour l'Afrique, à la condition cependant que tout le monde soit logé à la même enseigne et que les Etats-Unis démantèlent leurs marketing loans et leurs fausses aides alimentaires, puisque sur cette question des subventions à l'exportation aussi règne une grande hypocrisie.
Le deuxième proposition concerne l'accès aux marchés. Partant du principe, comme je l'indiquais tout à l'heure, que la clause de la nation la plus favorisée avantage les plus favorisés, il convient de prévoir un traitement spécifique et différencié pour les pays en voie de développement ; nous avons déjà formulé des propositions extrêmement précises.
Je soulignerai d'ailleurs que l'Europe s'est toujours montrée très novatrice en la matière et que nous fûmes les premiers à tracer la voie, en 1975, avec la convention de Lomé. Aujourd'hui, l'Europe importe quatre fois plus de produits alimentaires en provenance des pays du tiers monde que l'ensemble des pays du groupe de Cairns.
Alors, cessons de nous laisser diaboliser ! Ne rasons pas les murs ! Soyons fiers de ce que nous avons déjà accompli pour les pays en voie de développement et allons plus loin dans l'aide que nous leur apportons.
La troisième proposition concerne le prix des produits de base - café, coton, cacao -, dont la situation, chacun en conviendra, n'a rien à voir avec la politique agricole commune puisqu'elle résulte bien plutôt, pour le coton, de distorsions de marché liées à la politique américaine et, pour le café et le cacao, du caractère spéculatif de la fixation des cours. Sur cette question aussi nous avons avancé des propositions concrètes.
Dans le cadre de l'OMC, nous sommes fort normalement soumis, comme vous le savez, à une procédure très codifiée en vertu de laquelle l'Union européenne a fait parvenir au mois de mars à M. Stuart Harbinson, président du comité de négociations sur l'agriculture de l'OMC, un document élaboré sur la base du mandat que, à l'unanimité, elle avait donné en novembre 2000 au commissaire européen.
A la différence d'autres ensembles géopolitiques, l'Europe, a déjà réformé sa politique agricole voilà trois ans. Le document qu'elle a envoyé à M. Harbinson prend donc ce fait en compte, ce qui ne manque pas de sel au moment où les Américains ont adopté un farm bill prévoyant l'augmentation - excusez du peu ! - de 75 milliards de dollars du soutien aux fermiers américains. (M. Gérard César acquiesce.)
Le secrétariat de l'OMC a déjà publié deux documents que la Commission européenne et les Etats membres ont rejetés, estimant que la position du secrétariat était trop manifestement déséquilibrée en faveur des Etats-Unis. La prochaine étape, ce sera la négociation de Cancún. Comme l'a dit M. Louis Le Pensec, elle sera difficile. Ces négociations sont toujours complexes, ne serait-ce qu'en raison de la procédure ou de l'ambiance qui y règne. En tout cas, sachez-le, l'Europe est bien décidée à faire valoir la position qui est la sienne. Nous ne supporterons pas que l'agriculture européenne durable constitue la variable d'ajustement des intérêts des grandes puissances commerciales exportatrices.
Le troisième sujet concerne, bien évidemment, les évolutions de la politique agricole commune. Je tiens à remercier le président de la mission, M. Marcel Deneux, le rapporteur, M. Gérard César, et l'ensemble des sénatrices et des sénateurs qui ont participé à ce travail sur la réforme de la PAC d'avoir apporté cette très intéressante contribution.
Comme le rappelait à l'instant M. Louis Le Pensec, il s'agit effectivement de sujets très complexes, qui mêlent des notions ou des conceptions parfois obscures, avec des calendriers que nous ne maîtrisons pas nécessairement. C'est la raison pour laquelle ces négociations créent toujours de l'incertitude, donc de l'anxiété.
Pour tenter de répondre le plus méthodiquement possible aux questions que vous m'avez posées, je distinguerai trois points : la procédure, le calendrier et, enfin, ce qui est sûrement le plus important, le fond des choses.
Pour ce qui est de la procédure, plusieurs d'entre vous ont rappelé que les décisions de Berlin, en 1999, avaient prévu que, à partir de 2002, se déroulerait une revue à mi-parcours de la politique agricole commune, avec un ordre du jour précis M. Bernard Murat l'a mentionné tout à l'heure.
Voilà bientôt un an - le 10 juillet dernier -, la Commission européenne formulait, à l'issue de cette revue à mi-parcours, des propositions dans un document intéressant, certes, mais insolite : certains des points de l'ordre du jour de la revue à mi-parcours étaient abordés, mais des propositions, telles que le découplage total des aides, n'étaient pas du tout prévues. Quelques mois plus tard, en janvier dernier, lorsque la Commission a formulé ses propositions législatives, certaines mesures sur le lait - j'y reviendrai, puisque MM. Gérard Bailly et Louis Le Pensec m'ont interpellé sur ce sujet - n'étaient pas prévues sous cette forme-là dans la revue à mi-parcours.
Depuis le mois de juillet, nous avons travaillé. De nombreux conseils des ministres informels réunissant les ministres de l'agriculture ont eu lieu à Bruxelles, au Luxembourg, au Danemark - au mois de septembre dernier - et récemment en Grèce. Les deux tiers des Etats se sont prononcés contre la plupart des aspects de cette réforme ; j'y reviendrai en détail tout à l'heure. Aujourd'hui, la situation est toujours bloquée, et ce pour deux raisons.
Tout d'abord, l'année dernière - nous l'avons déjà oublié ! -, nous avions à faire face à une échéance très importante : l'élargissement de l'Europe et le volet agricole de ce dernier. Lorsque j'ai assisté à mes premiers conseils des ministres à Bruxelles ou à Luxembourg, il se disait dans les couloirs, que, de toute manière, il faudrait remettre en cause la politique agricole commune, car on ne pouvait pas à la fois la maintenir et élargir l'Europe. Et puisque la décision politique avait été prise d'élargir l'Europe à dix nouveaux Etats membres, il ne serait pas possible de conserver en l'état la politique agricole commune.
Eh bien ! je crois que nous sommes parvenus à donner tort à ces prophètes de malheur. En effet, grâce notamment à l'accord entre le Chancelier Gerhard Schröder et le Président de la République Jacques Chirac, le 15 octobre dernier, le Conseil européen a entériné des perspectives budgétaires à dix ans pour la politique agricole commune.
Je rappelle l'économie de cet accord. Il prévoit trois enveloppes : une enveloppe pour les Quinze, une enveloppe pour les dix nouveaux Etats membres et, le cas échéant, une enveloppe pour la Roumanie et pour la Bulgarie, si ces Etats rejoignent l'Union européenne dans les années à venir. Ces enveloppes seront chaque année augmentées de 1 % en euros constants. Je rappelle, par ailleurs, qu'elles sont fondées sur les plafonds de dépenses tels qu'ils avaient été déterminés à Berlin, et non pas sur les dépenses effectives. Comme ces dernières sont inférieures aux plafonds, nous avons de la marge et des perspectives budgétaires durables en matière de politique agricole commune pour les dix prochaines années. Il y a longtemps que nous n'avions pas eu une telle visibilité budgétaire dans le domaine agricole.
Pour résumer, le second semestre de l'année 2002 a été consacré plus à la négociation de l'élargissement qu'à la revue à mi-parcours. Mais nous avons quand même parlé de celle-ci, et c'est là le second facteur de blocage.
En effet, malgré ce qu'ont dit les différents Etats membres dans moult tours de table, la position de la Commission n'a pas varié d'un pouce : lorsqu'elle a formulé ses propositions législatives, notamment à la fin du mois de janvier, elle n'a tenu aucun compte des conclusions orales ou écrites que nous avions remises au conseil des ministres de l'agriculture. C'est pourquoi nous sommes toujours dans une situation de blocage.
Je voudrais dire quelques mots de la position française. Contrairement à ce que j'entends parfois, la France n'est pas seule, et cela s'entend de deux façons différentes.
La première signification, c'est que la France n'est pas isolée. J'ai pris l'initiative, avec sept autres de mes collègues, de publier un article - c'est une première ! - dans vingt quotidiens européens, le même jour, au mois de septembre, pour défendre le modèle agricole européen qui est le nôtre. Aujourd'hui, dix pays plus un, à savoir l'Allemagne, s'opposent, par exemple, au découplage total des aides ; nous aurons l'occasion d'en reparler. La France n'est donc pas isolée.
Mais quand je dis que la France n'est pas seule, c'est aussi - chacun le sait bien ici - parce qu'elle n'est pas seule à décider. Au conseil des ministres de l'agriculture, nous sommes quinze à voter ; l'année prochaine, nous serons vingt-cinq. Il y a un système de minorité de blocage et un système de majorité qualifiée. Toutefois, comme je l'ai dit au congrès de la FNSEA, voilà quelques semaines, à Rodez, avoir raison tout seul, revient, finalement, à avoir tort, puisque ce sont les autres qui décident sans vous. C'est la raison pour laquelle, depuis ma prise de fonction, j'ai toujours dit que, dans cette négociation, je serai ferme, mais pas fermé. Et ce n'est pas seulement une question de rhétorique : cette position est fidèle à notre ligne politique en la matière.
Avant d'en venir au fond des choses, je souhaite dire quelques mots du calendrier. Ces dernières semaines, j'ai lu des articles dans la presse...
M. Gérard César. Nous aussi !
M. Hervé Gaymard, ministre. ... selon lesquels il faudrait absolument négocier avant le 30 juin. Personnellement, je ne sais pas ce qu'il y a le 30 juin, si ce n'est que l'Union européenne aura un nouveau président et que l'on changera de semestre.
Ce dont il faut être bien conscient, c'est que, depuis le 15 octobre dernier, c'est-à-dire depuis l'accord budgétaire 2003-2013, aucune date contraignante ne s'impose à nous s'agissant de la réforme de la PAC : même pas 2006 ! Nous nous trouvons donc dans une configuration complètement différente de celle dans laquelle nous étions, par exemple, lors de la négociation sur la pêche l'année dernière : une date butoir était prévue, le 31 décembre. Autrement dit, si nous n'avions pas conclu d'accord le 31 décembre, il n'y avait plus de politique commune de la pêche.
Cette fois-ci, nous sommes dans une tout autre situation. En effet, un seul butoir était prévu en 2006 : le butoir budgétaire. Celui-ci a disparu puisqu'il a été reporté en 2013. Nous n'avons donc pas de date limite, et je suis très à l'aise en ce qui concerne le calendrier : pour moi, la bonne date sera tout simplement celle qui sera bonne pour les paysans français. Je n'ai pas le fétichisme du calendrier.
Par ailleurs, j'observe que l'Europe a déjà élaboré un papier ambitieux pour les négociations avec l'OMC et que le lien PAC-OMC n'est pas aussi étroit que certains veulent bien le dire. Je rappellerai du reste, pour tordre le cou à une rumeur, que le découplage total n'est aucunement exigé dans le cadre des négociations avec l'OMC, puisque, dans les deux papiers de M. Harbinson, à aucun moment le découplage total ne figure comme l'un des éléments clés pour le succès de l'OMC. Et l'on comprend bien pourquoi : les Américains ont mis en place, en 1995, un découplage total des aides et, maintenant, ils y renoncent. Donc, pas de tyrannie du calendrier !
J'en arrive au fond des choses.
J'ai toujours dit que le papier de la Commission comportait des points inacceptables, d'autres qui allaient dans le bon sens et, surtout, qu'il faisait l'impasse sur un certain nombre de choses très importantes pour l'avenir de l'agriculture française et européenne.
Parmi les points inacceptables figure, bien évidemment, le découplage total des aides. Je me suis d'ailleurs exprimé à de très nombreuses reprises sur ce sujet.
Le découplage total est une mauvaise idée née à l'OCDE et s'inspirant de ce qu'ont fait les Etats-Unis en 1995. Il ne figurait pas dans les premiers papiers de la Commission européenne et a été ajouté au dernier moment. C'est une mauvaise idée pour plusieurs raisons.
Premièrement, le découplage total romprait tout lien avec la production. Par conséquent, cela poserait un véritable problème, sur le plan éthique, par rapport au rôle de l'agriculteur dans la société.
Deuxièmement, nous nous priverions des moyens de régler les crises de marché.
Troisièmement, cela créerait des distorsions de concurrence entre diverses productions végétales ; chacun voit à quoi je fais allusion.
Quatrièmement, cela engendrerait une pression sur le foncier s'agissant de l'évaluation des exploitations agricoles pour les successions.
Enfin, cinquièmement, on entrerait dans un système d'échange de ces droits découplés qui, à bien des égards, pourrait ressembler à celui des assignats sous la Révolution française.
Je pense donc vraiment que le découplage total n'est pas une bonne idée. Une fois que l'on a dit cela - je rappelle que dix pays plus un l'affirment aujourd'hui officiellement à l'occasion des tours de table au conseil des ministres de l'agriculture -, va-t-on s'orienter vers des formules de découplage partiel ?
Comme l'ont dit MM. César, Soulage, Bailly et Demilly, ainsi que Mme Boyer, cette question du découplage partiel laisse substituer bien des ambiguïtés.
Aujourd'hui, on compte plusieurs propositions : une proposition espagnole, une proposition du Parlement européen, une proposition allemande, qui prend essentiellement comme référence des critères superficiels, et bien d'autres propositions. A l'évidence, il est légitime que de nombreuses idées différentes soient exprimées.
Du reste, j'observe qu'il existe, notamment dans le secteur céréalier, des formules de découplage partiel. Ce n'est donc pas complètement nouveau.
Par ailleurs, comme l'ont dit MM. Gérard Bailly et Bernard Murat, on constate une aspiration à une simplification des aides en matière animale. Chacun en convient, me semble-t-il.
Par conséquent, sur cette question du découplage partiel, les idées foisonnent.
Dès le mois de novembre dernier, j'ai demandé à la Commission européenne d'assortir toutes ces propositions de simulations et d'études d'impact. En effet, si je suis très prudent et très méticuleux dans cette négociation, c'est parce que - et c'est là l'un des défauts du processus de décision communautaire, comme M. Louis Le Pensec, pour l'avoir vécu lui-même, le sait bien - l'on a des positions extrêmement polarisées compte tenu du mécanisme de négociation et, par conséquent, la tentation d'en finir en signant, parfois à la sauvette, des compromis. Mais n'oublions pas que ces décisions concernent des hommes et des femmes. Il nous faut donc au minimum avoir une claire conscience des incidences des décisions que nous prenons parfois entre deux et trois heures du matin, dans un couloir mal éclairé du bâtiment de la Commission de Bruxelles.
C'est la raison pour laquelle j'attends toujours ces études alternatives et complémentaires. Et, là, je rejoins les propos qui ont été tenus par Gérard César : dire aujourd'hui que l'on est pour ou contre le découplage partiel n'a guère de sens, car cette notion recouvre quantité de choses différentes.
Pour être extrêmement précis et concret, je ne sais pas, sur ce sujet comme sur les autres, ce qui va se passer dans les semaines et dans les mois à venir. Si la Commission nous propose un compromis sur ce sujet en particulier, relayée ou non par la présidence grecque actuelle, bien évidemment, le Gouvernement étudiera cette proposition en liaison avec la représentation nationale et avec les organisations professionnelles agricoles pour déterminer la position de la France.
Mais, comme vous le savez, le mécanisme de la négociation communautaire est tel que c'est la Commission qui a le monopole de la proposition et ce sont les Etats membres qui disposent. Pour l'instant, nous ne disposons pas, car nous sommes contre les propositions de la Commission et nous en attendons donc de nouvelles pour nous prononcer.
Par conséquent, aujourd'hui, nous refusons le découplage total des aides.
Nous refusons également la baisse du prix d'intervention du lait et des céréales, car nous estimons que rien ne la justifie aujourd'hui compte tenu de la situation du marché.
S'agissant du lait en particulier, je souhaite entrer dans le détail. A cet effet, je vous livre les propositions de la Commission du mois de janvier dernier : prolongation d'un régime de quotas laitiers réformé jusqu'en 2014 - cela, on le dit haut et fort - mais avec une baisse - là, c'est écrit en tout petit - de 10 % de plus du prix du lait, c'est-à-dire 25 % au lieu des 15 % qui avaient été décidés à Berlin, et avec une augmentation des références laitières.
En réalité, derrière ces propositions anodines, on retrouve tout le débat sur les quotas laitiers. Comme l'a rappelé M. Louis Le Pensec, le Club de Londres est contre les quotas laitiers. Il pourrait actuellement constituer une minorité de blocage pour empêcher leur prolongation au-delà de 2008. J'utilise, bien évidemment, une grande partie de mon énergie à convaincre mes collègues européens du bien-fondé de ces quotas laitiers.
En effet, il existe, en Europe, trois catégories de pays qui s'opposent sur ce sujet.
Il y a d'abord ceux qui sont contre les quotas laitiers et contre les outils de maîtrise de production pour des raisons idéologiques : le Danemark, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l'Italie. J'espère que, de ce point de vue, cela va commencer à changer.
Puis il y a la France, seule dans sa catégorie, qui a utilisé les quotas laitiers pour réguler sa production en amont.
Enfin, il y a tous ceux qui, sans être opposés à ce principe, se demandent, comme les quotas laitiers se situent dans le haut de bilan de leurs entreprises industrielles - c'est notamment le cas en Allemagne et même en Espagne -, si ce système est vraiment le plus pertinent pour maîtriser la production. J'insiste sur ce point parce que MM. Gérard Bailly et Louis Le Pensec m'ont interrogé sur la question centrale du lait pour l'équilibre de nos territoires. Nous avons un combat très dur à mener pour maintenir les quotas laitiers et empêcher la baisse des prix.
Par ailleurs, la dégressivité des aides, dont M. Dominique Mortemousque a parlé, est, à nos yeux, inacceptable. Le projet Fischler vise à mettre en place - et c'est très intéressant - une dégressivité des aides, non pas pour financer le développement rural, mais pour compenser la baisse des prix du lait et des céréales. Parce que nous sommes cohérents dans notre raisonnement, nous ne voulons pas une baisse du prix d'intervention ni, par conséquent, une augmentation des aides directes au lait et aux céréales. Nous refusons la dégressivité des aides pour financer ces baisses de prix.
J'en viens aux dispositions plutôt acceptables : les mesures de simplification relevant du deuxième pilier. Je rejoins les propos tenus par Yves Détraigne, qui est un peu maoïste puisqu'il dit qu'il faut « marcher sur les deux jambes », les premier et deuxième piliers. (Sourires.) Il me paraît en effet stupide de vouloir opposer ces deux piliers. Il faut de tout pour faire l'agriculture : un premier pilier fort, mais également un deuxième pilier renforcé. Cela signifie que le fonctionnement de ce dernier doit être simplifié, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, et qu'il faut réduire le taux de cofinancement national, point sur lequel de nombreux pays s'accordent. Comme je l'ai toujours dit, et à la condition que le niveau soit raisonnable pour que cette mesure puisse profiter à l'agriculture française, une modulation n'est pas non plus à exclure en la matière.
Telles sont, parmi les propositions Fischler, celles qui sont acceptables, même si, dans le détail, elles peuvent encore être améliorées.
Enfin, des éléments font défaut dans le projet Fischler. Initialement, l'exercice que nous conduisons devait correspondre à une revue technique à mi-parcours. Le commissaire Fischler l'a transformé en quasi-réforme de la PAC en inscrivant la question centrale du découplage total au coeur de ses propositions.
On est passé, imperceptiblement, d'une revue à mi-parcours à une réforme de la PAC qui n'en est pas vraiment une parce qu'elle fait complètement l'impasse sur des sujets qui nous paraissent très importants. J'en citerai au moins quatre.
Tout d'abord, le premier point concerne les oléoprotéagineux. Dans ce domaine, les propositions de la Commission sont en retrait par rapport à la situation passée, et nous devons être plus ambitieux.
Par ailleurs, il me semblerait normal qu'un dispositif européen pour favoriser l'installation des jeunes agriculteurs soit adopté.
Ensuite, il est extrêmement important que l'Europe prenne en charge le coût des mises aux normes imposées en matière d'environnement, de bien-être animal et de sécurité sanitaire et alimentaire.
Nous avons certes les standards les plus élevés au monde, mais que l'on aide nos paysans à supporter le coût de ces mises aux normes qui les désavantage en termes de compétitivité par rapport à d'autres pays, y compris les Etats-Unis et le Canada qui n'ont pas ces standards !
Enfin, je citerai la gestion des filières en cas de crise. Nous avons connu depuis dix ans un démantèlement des outils de marché non seulement pour les productions qui font l'objet d'une forte organisation commune de marché, comme le lait, la viande, les céréales, mais également pour les fruits et légumes, le porc et la volaille, qui n'ont pas ces organisations communes de marché efficaces pour la gestion des crises. Dans ce domaine aussi, il nous faut avancer.
Telles sont les quelques réflexions que je voulais faire sur ces sujets européens, qui sont au coeur de nos préoccupations.
Avant de conclure, je répondrai brièvement aux points plus strictement d'ordre national, même si, en matière d'agriculture, il n'y a rien de national puisque tout a une dimension communautaire.
Tout d'abord, je répondrai à la question de Mme Yolande Boyer relative à la filière avicole, qui nous pose beaucoup de problèmes.
Lorsque nous sommes arrivés au Gouvernement, nous avons constaté un détournement de procédure en matière de tarifications douanières. En conséquence, l'Europe était envahie de volailles saumurées à vil prix provenant, notamment, du Brésil. Il nous a fallu six mois pour résoudre ce problème, mais nous sommes finalement parvenus à faire respecter la préférence communautaire. Depuis le début de l'année 2003, nous avons enregistré une chute d'environ un tiers de ces importations, et il faut s'en féliciter.
Vous avez ensuite évoqué, madame la sénatrice, le sujet de l'étiquetage. En effet, nous travaillons avec la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, pour que figure sur l'étiquette l'ensemble du cycle de production, et non pas seulement la mention « produit préparé en France », qui ne permet pas de savoir d'où vient la volaille. Il faut un étiquetage plus précis, qui permette de retracer l'origine de la volaille et le lieu où elle a été tuée, préparée et conditionnée, ce qui est très important, notamment s'agissant de plats cuisinés.
J'en viens maintenant à la question de l'organisation de la filière en amont. J'ai annoncé au mois de novembre dernier qu'une somme de 6 millions d'euros serait consacrée à la mise en place d'un plan de restructuration, le versement de cette somme étant conditionné par l'élaboration d'un tableau « entrées-sorties ». En effet, il y a quelques années, un plan de restructuration avait déjà été engagé : des centaines de milliers de mètres carrés avaient certes été détruits, mais d'autres bâtiments ayant été reconstruits ailleurs, il n'y a pas eu, en réalité, de maîtrise de la production.
J'ai donc proposé aux professionnels ce plan de restructuration. Je dois dire, et c'est malheureusement le symptôme d'une crise profonde, que les réponses qu'ils m'ont adressées, via les directions départementales de l'agriculture, ont été plus nombreuses que je ne l'imaginais au mois de novembre de l'année dernière, lorsque j'ai fait ces propositions. Avec les professionnels, nous allons désormais nous attacher à mettre en oeuvre ce plan.
S'agissant de la question de la filière « aval », madame la sénatrice, je sais que votre département et votre ville sont particulièrement touchés, surtout en ce moment. J'ai annoncé le versement par l'Etat de 3 millions d'euros à cette filière. Les régions et départements concernés m'ont déjà fait part de leur intention d'apporter leur contribution à ce plan global.
Comme vous l'avez dit, madame, ce plan ne doit pas être uniquement destiné à gérer les conséquences sociales, qui sont très importantes. C'est la raison pour laquelle François Fillon et moi-même avons saisi sur ce point la mission interministérielle pour disposer d'un véritable plan de requalification économique.
Sur ce sujet-là, comme sur d'autres, il faut des interprofessions qui fonctionnent bien, face, notamment, à la grande distribution. Le Sénat a d'ailleurs adopté un amendement en ce sens, lors de la discussion du projet de loi pour l'initiative économique. A cet égard, le secteur de la volaille - « des volailles », devrais-je dire, tant les productions sont différentes - était assez peu organisé, et chacun a bien pris conscience désormais de la nécessité de renforcer les interprofessions.
S'agissant ensuite des contrats territoriaux d'exploitation, ou CTE, et de la modulation des aides, je voudrais faire un bref rappel, sans esprit partisan.
A mon arrivée au ministère, la ligne budgétaire affectée aux CTE, s'élevait à 76 millions d'euros. Faute d'être plafonné, le dispositif n'était pas piloté : ainsi le montant moyen des CTE était-il à l'époque de 44 000 euros, loin de l'objectif initial qui avait été fixé à 24 000 euros. En outre, contrairement aux premières intentions, c'est dans les départements les plus « favorisés » en matière agricole, à la fois par les conditions climatiques et par les aides communautaires, que le montant moyen des CTE était le plus élevé.
Pour toutes ces raisons, j'ai décidé de recadrer le dispositif en le plafonnant et en le recentrant sur les mesures agro-environnementales utiles.
Les nouveaux contrats d'agriculture durables, ou CAD, ont non seulement un volet « environnement », mais également un volet « investissement », et leur montant est désormais plafonné à 27 000 euros. En 2003, il a été prévu de consacrer 490 millions d'euros au financement des CTE qui ont été signés et des nouveaux CAD qui le seront, montant à comparer aux 76 millions d'euros prévus en 2002.
S'agissant de la modulation, c'est une somme de 215 millions d'euros qui a été modulée. Le produit de la modulation des années 2000 et 2001 n'a pas été utilisé pour financer les CTE puisqu'il est toujours bloqué à Bruxelles. Je me bats d'ailleurs pour débloquer ces fonds dont nous avons besoin puisque la progression des dotations budgétaires pour les CTE et les CAD, l'augmentation de 70 % de la prime herbagère agro-environnementale et l'accroissement des indemnités compensatoires de handicaps naturels, les ICHN, nous permettent désormais de mobiliser l'ensemble des retours communautaires sur lesquels nous pouvons compter au titre du deuxième pilier. Ce n'était pas le cas à notre arrivée : je vous rappelle en effet qu'en 2001 la France a dû acquitter 31 millions d'euros d'amende à Bruxelles pour non-consommation des crédits du deuxième pilier.
Ma troisième observation s'adresse tout particulièrement à MM. Jean Boyer, Gérard Bailly et Bernard Murat, qui ont évoqué l'important problème de la montagne. Sachez que l'augmentation des ICHN, de la prime à l'herbe, ainsi que la majoration de 16 %, en 2003, des crédits affectés aux bâtiments d'élevage traduisent aussi concrètement les priorités du Gouvernement en faveur de la montagne.
Par ailleurs, j'ai demandé à Bruxelles que quelque chose soit fait pour la collecte du lait, et nous veillerons bien évidemment à ce que l'ensemble des zones aujourd'hui peu concernées par la PAC, c'est-à-dire la montagne, les zones intermédiaires et les zones de marais, soient mieux prises en compte dans le cadre des nouvelles orientations de la politique agricole commune.
Je conclurai mon propos en soulignant que, par son intervention, M. Hilaire Flandre, qui a cité des chiffres précis relatifs à sa propre exploitation, a bien rappelé ce qu'ont vécu les paysans français depuis maintenant une dizaine d'années, plus précisément depuis les accords du GATT et la réforme de la PAC qui est intervenue au début des années quatre-vingt-dix.
Il est vrai que la politique agricole commune de la fin des années quatre-vingt devait être réformée. Il y avait des surproductions et des surcoûts budgétaires. Sans doute eût-il mieux valu engager des réformes au moment opportun, mais c'est toujours plus facile à dire après coup.
Cela dit, chacun peut aujourd'hui le constater, au début des années quatre-vingt-dix, la préférence a été donnée, implicitement ou explicitement, aux prix bas et à une dérégulation toujours plus grande des organisations communes de marchés. Il est inutile de nous raconter des histoires : nous ne retrouverons pas, en 2003 ou dans les années qui viennent, la PAC mythique d'avant 1992. Cela étant, nous avons le devoir de construire une nouvelle politique agricole commune qui, à l'opposé de la vision ultralibérale qui prévaut trop souvent, permette de mettre en oeuvre ce modèle agricole européen qui nous est cher.
Comme je l'ai dit au début de mon propos, ce débat, avant d'être technique, est politique et même idéologique. Sachez que nous sommes résolus à le mener à bien, même s'il s'agit d'un combat extrêmement difficile eu égard à tous les renoncements que l'on a pu déplorer au cours des vingt années écoulées. En tout état de cause, ne doutez pas de ma résolution.
Je pourrais résumer l'attitude que j'adopterai dans ces négociations par trois idées fortes : tout d'abord, défendre les intérêts des paysans de notre pays ; ensuite, faire preuve de pragmatisme, parce que je ne suis pas un idéologue et qu'il ne faut pas avoir une approche idéologique des choses ; enfin, et c'est peut-être le plus important, redonner des perspectives aux agriculteurs. On ne peut pas continuellement réformer. Nous avons, l'année dernière, pour la première fois depuis plusieurs décennies, réintroduit, à Bruxelles, des perspectives budgétaires sur dix ans. Il nous reste maintenant à définir de nouvelles perspectives pour la politique agricole commune.
Voilà les quelques réflexions que je voulais formuler en remerciant encore M. le président de la commission des affaires économiques et l'auteur de la question d'avoir organisé cette matinée au Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir répondu de manière aussi précise aux orateurs et d'avoir ainsi contribué à donner à ce débat une qualité réellement exceptionnelle. Nul doute que M. le président de la commission des affaires économiques ainsi que M. le président et M. le rapporteur de la mission d'information sur la réforme de la PAC se réjouissent de l'avoir ouvert.
En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Serge Vinçon.)