COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
vice-président
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
FIN DE MISSION D'UN SÉNATEUR
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre une lettre lui annonçant la fin, le 31 mai 2003, de la mission temporaire confiée à M. Bernard Seillier, sénateur de l'Aveyron, auprès de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, dans le cadre des dispositions de l'article LO 297 du code électoral.
Acte est donné de cette communication.
RÉFORME DE LA POLITIQUE
AGRICOLE COMMUNE
Discussion d'une question orale avec débat
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 16.
M. Gérard César appelle l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales sur le projet de réforme de la politique agricole commune, la PAC, publié en janvier 2003. La commission des affaires économiques du Sénat a récemment exprimé sa position sur ce projet en adoptant le rapport de la mission d'information sur la réforme de la PAC. Il n'apparaît pas urgent de procéder aujourd'hui à une réforme d'envergure, dès lors que la PAC dispose d'un cadre fixé jusqu'en 2006, voire jusqu'en 2013, compte tenu de l'accord de Bruxelles d'octobre 2002.
Le découplage total des aides, proposition centrale du projet de réforme, comporte des risques importants : distorsions de concurrence, déstabilisation des marchés, polarisation des productions sur le territoire, voire réduction globale de l'activité agricole. La baisse des prix européens des céréales et du lait en vue de les rapprocher des prix mondiaux relève, quant à elle, d'une dangereuse illusion. L'absence de propositions tendant à relancer les productions oléoprotéagineuses et à corriger la faiblesse de certaines organisations communes de marché est également regrettable.
Il serait en revanche opportun de profiter du rendez-vous à mi-parcours pour prolonger les quotas laitiers au-delà de 2008, simplifier le système d'aides directes au secteur bovin et renforcer le deuxième pilier. Il conviendrait également de préciser la notion de découplage partiel, autour de laquelle un consensus semble vouloir se dessiner...
Aussi, il souhaiterait connaître l'appréciation du Gouvernement sur la position exprimée dans ce rapport et ses intentions concernant le déroulement ultérieur des négociations.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de donner la parole à M. Gérard César, permettez-moi de rappeler que cette question orale avec débat a été inscrite à l'ordre du jour par la conférence des présidents à la demande de la commission des affaires économiques.
Le débat qui va s'engager prolonge en effet les travaux de la mission d'information conduite par nos collègues Gérard César et Marcel Deneux. Mise en place en février 2002, cette mission, à l'issue d'investigations très approfondies, a tracé des perspectives d'avenir pour préserver et consolider la politique agricole commune dans une Europe élargie.
Avec ce rapport et le débat qui s'ouvre aujourd'hui, le Sénat apporte une fois de plus la preuve de sa force d'analyse et de proposition sur un grand enjeu économique et territorial.
La parole est à M. Gérard César, auteur de la question.
M. Gérard César. Monsieur le ministre, j'ai souhaité attirer votre attention sur l'avenir de la politique agricole commune et susciter le débat, notamment, sur la position que vous adopterez sur le très médiatisé « plan Fischler », en raison de l'attente et des inquiétudes de l'ensemble des professionnels de l'agriculture et, plus généralement, de nombreux responsables politiques.
Ecartelé entre différents niveaux de discussion - niveaux national, européen et mondial -, le débat souffre aujourd'hui d'une extrême confusion et d'un manque de visibilité à court terme.
Je rappelle rapidement le contexte dans lequel intervient ce projet de révision.
La réforme de l'Agenda 2000, décidée à Berlin en mars 1999 pour la période 2000-2006, prévoyait une évaluation budgétaire de la PAC à mi-parcours ainsi que des rendez-vous techniques sectoriels. C'est dans ce cadre que la Commission européenne a présenté au Conseil et au Parlement européen, le 12 juillet 2002, une communication qui s'est concrétisée par la publication, le 22 janvier 2003, de projets de règlements tendant à une réorientation profonde de la PAC.
Ce projet de réforme fait aujourd'hui l'objet d'un très vif débat en raison de l'entêtement du commissaire Fischler et de son orientation extrêmement libérale, en rupture avec la philosophie régulatrice qui avait jusqu'à présent fait le succès de la PAC. Le débat oppose, d'un côté, la très grande majorité des Etats membres, foncièrement hostiles à une réforme dont ils ne perçoivent que les inconvénients, et, de l'autre, la Commission et quelques pays qui, telles l'Angleterre et la Suède, souhaitent que cette même réforme soit mise en oeuvre aussi rapidement que possible.
Depuis le changement de gouvernement, il y a un an, la France fait résolument partie du premier groupe, dont elle a d'ailleurs très tôt pris la tête en affirmant haut et fort son hostilité aux propositions de M. Fischler. Vous-même, monsieur le ministre, avez contribué avec pragmatisme et détermination - et je vous en remercie - à définir et à défendre la position résolue de notre pays sur cette question.
Cette position, que j'appuie naturellement avec force puisqu'elle s'inscrit dans la droite ligne des conclusions de la mission d'information sénatoriale sur l'avenir de la PAC dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur, n'est pas une position d'intérêt ou de circonstance. Elle a recueilli le plein accord du président de la mission, mon ami Marcel Deneux, et des sénateurs membres de cette dernière, et exprime une opinion éclairée par le bon sens et par l'analyse minutieuse des modalités et des effets désastreux que pourrait entraîner la réforme Fischler sur l'équilibre du secteur agricole non seulement en France, mais également à l'échelle de l'Union européenne.
Je retracerai les grandes lignes du projet de réforme dont nous discutons et la position qu'a adoptée la mission d'information.
Tout d'abord, l'opportunité de l'adoption dès cette année d'une nouvelle PAC ne nous apparaît absolument pas fondée. Bien au contraire, plusieurs éléments militent dans le sens inverse et conduisent à estimer qu'une telle réforme serait totalement prématurée.
En premier lieu, elle n'a aucune justification budgétaire, puisque le cadre budgétaire de la PAC actuelle, tel qu'il a été défini à Berlin en 1999, vaut jusqu'en 2006. Pour la période postérieure, le Conseil européen de Bruxelles d'octobre 2002 a décidé, à la suite de l'accord entre le Président de la République et le Chancelier Schröder, de plafonner les dépenses du premier pilier à leur niveau de 2006 afin d'éviter toute dérive budgétaire après l'élargissement.
Aucun impératif budgétaire n'appelle donc de réforme : comme l'indique justement le titre de notre rapport, « précipitation n'est pas raison »...
En deuxième lieu, le déroulement en septembre, au Mexique, d'un nouveau round de négociations à l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, ne constitue pas davantage une raison valable. Pourquoi, en effet, offrir d'entrée de jeu des concessions à nos partenaires, notamment à ceux du groupe de Cairns, que pilotent les Etats-Unis, alors que ces derniers ont adopté récemment une loi agricole, le FSRIA, ou Farm Security and Rural Investisment Act, qui vise à augmenter de 80 millions de dollars en dix ans les subventions accordées à leurs « farmers » ?
En troisième et dernier lieu, l'adoption d'une nouvelle PAC trois ans seulement après celle de la précédente bouleverserait les repères des agriculteurs. Or les exploitants, notamment les futurs jeunes agriculteurs, ont besoin de stabilité et de perspectives d'avenir claires pour organiser leur activité, au point de vue tant des installations que des possibilités d'emprunter.
Ensuite, s'il est « urgent d'attendre » avant de réformer la PAC, c'est aussi parce que les propositions contenues dans le plan Fischler vont dans le mauvais sens. Ainsi, le découplage total des aides est extrêmement dangereux : il pourrait entraîner des distorsions de concurrence au sein d'un même secteur, déstabiliser les marchés, favoriser la délocalisation des productions vers les zones les plus rentables, ou encore réduire la production agricole globale ainsi que le nombre des exploitants.
De la même façon, la proposition visant à procéder à de nouvelles baisses des prix pour les aligner à terme sur les prix mondiaux paraît vouée à l'échec, compte tenu des pressions à la baisse que ceux-ci subissent naturellement. Le démantèlement des instruments de gestion, indispensables pour réguler ponctuellement des marchés par essence très volatils, est également fort contestable.
Par ailleurs, le projet Fischler présente à nos yeux des lacunes évidentes. Ainsi, il ne prévoit rien pour de nombreux secteurs, tels que la filière fruits et légumes ou la culture des oléagineux, dans lesquels l'attente est grande.
Tous ces travers du projet de réforme nous ont amenés à définir certaines orientations que nous souhaitons voir défendues. D'une façon générale, nous réaffirmons le choix d'un modèle agricole fondé sur des exploitations moyennes et dont la PAC serait le garant. Nous défendons par ailleurs le rôle structurant du premier pilier, pierre angulaire de la PAC, ce qui nous conduit à refuser les baisses de prix proposées, à exiger le maintien des instruments de régulation conjoncturelle du marché et à préserver les mécanismes de maîtrise de l'offre. A cet égard, nous pensons que le maintien des quotas laitiers jusqu'en 2013 doit être décidé dès maintenant.
De plus, monsieur le ministre, les agriculteurs ne veulent pas donner deux fois : une première fois àM. Fischler en juin 2003, une seconde fois à l'OMC en septembre 2003.
Si nous sommes attachés au maintien d'aides spécifiques à la production, nous estimons nécessaire de simplifier le système en vigueur dans le secteur de la viande bovine en unifiant les différentes primes à l'animal et en instaurant une seule aide directe qui serait liée à la surface en herbe tout en tenant compte des taux de chargement et de l'emploi sur l'exploitation.
S'agissant du deuxième pilier, nous serions favorables à son renforcement, modéré par un mécanisme de modulation et par un élargissement du champ des actions susceptibles d'être financées par les fonds consacrés au développement rural. Nous souhaiterions également que soit simplifié son fonctionnement et que soit réduit le cofinancement exigé des Etats membres, qui représente un sérieux frein à la mise en place des actions.
En revanche, nous nous opposons au prélèvement sur le premier pilier de crédits destinés à financer le démantèlement ultérieur d'organisations communes de marché, telles que celles du lait ou du sucre.
Par ailleurs, nous plaidons pour un positionnement différent de l'Union européenne sur les marchés mondiaux. Loin d'être favorables au libre-échangisme intégral, nous demandons que soit restaurée la préférence communautaire. Ce rétablissement doit se traduire par une ouverture « raisonnable » aux importations, dans le cadre de l'OMC. Il passe également par la correction des distorsions existant, notamment, dans le domaine douanier. Il suppose enfin que nous développions notre propre production d'oléoprotéagineux, au besoin en nous affranchissant des accords de Blair House. Je signale pour mémoire que l'Europe importe 75 % des protéines qu'elle consomme, alors qu'elle pourrait en produire bien davantage - ce serait d'ailleurs très intéressant pour sa balance commerciale.
Pour ce qui concerne les effets de la PAC sur les pays en voie de développement, nous envisageons la réduction progressive des restitutions à l'exportation en raison de leurs effets économiques déstabilisants pour ces pays. Nous soutenons en revanche l'idée de préférences commerciales spécifiques, dans le domaine agricole, en faveur des pays les plus pauvres.
Enfin, nous insistons sur l'enjeu que constitue pour l'agriculture européenne l'adhésion dans moins de douze mois de dix nouveaux Etats membres. Cet élargissement va en effet accroître de façon substantielle l'hétérogénéité des agricultures au sein de l'Union européenne. A ce titre, nous pensons qu'il est indispensable d'oeuvrer en faveur d'une mise à niveau des nouveaux adhérents, notamment par des aides et des prêts, mais surtout par la transmission de nos savoir-faire. Ainsi serait renforcée la coopération déjà existante.
Telles sont, monsieur le ministre, les principales observations et propositions que nous avons défendues dans notre rapport et sur lesquelles nous aimerions connaître votre point de vue.
Nous souhaiterions par ailleurs que vous nous apportiez quelques éclaircissements sur les réunions qui se sont tenues au plus haut niveau de l'Etat au début de la semaine dernière et dont la presse s'est fait l'écho en annonçant que le gouvernement français était « prêt à assouplir sa position sur la PAC ». Cela n'a pas manqué de susciter notre perplexité et nos inquiétudes !
Certes, le calendrier se fait pressant. Pour que les Quinze trouvent une position commune avant l'été et puissent aborder unis les négociations de l'OMC prévues en septembre à Cancun, un vrai rapprochement - mais vous l'avez amorcé, monsieur le ministre - doit se dessiner dès le prochain conseil des ministres de l'agriculture, qui se tiendra dans quelques jours.
Pour autant, nous ne voudrions pas qu'au nom de la restauration d'une hypothétique marge de manoeuvre dans nos relations avec nos partenaires internationaux soit passé un compromis boiteux qui ne satisferait personne et qui ouvrirait la voie à une remise en cause profonde de la PAC. Je ne veux absolument pas me prononcer sur le découplage partiel, qui ne signifie rien tant que les simulations par production ne seront pas réalisées sérieusement.
En conclusion, et avant de laisser place au débat, je rappellerai, monsieur le ministre, les propos que vous avez très justement tenus voilà quelque dix-huit mois, avant votre arrivée au gouvernement Raffarin, devant la 57e conférence d'Oxford sur la ruralité : « L'agriculture est à la source des sociétés humaines. (...) (Elle) est devenue, au cours des siècles, un des éléments essentiels du patrimoine culturel de nos pays. C'est (particulièrement) vrai pour la France, (qui) reste encore aujourd'hui attachée à ses valeurs agricoles et à la ruralité. »
C'est pour que perdurent ces valeurs, mais aussi pour que soit conservé l'équilibre entre la liberté de produire et la nécessaire régulation d'un secteur particulièrement sensible que nous souhaitons, monsieur le ministre, défendre les acquis d'une politique commune dont la réforme ne serait douce qu'aux sirènes d'un révisionnisme destructeur. Une politique agricole forte ne défend pas le seul intérêt de la France : elle sert également l'idéal d'une Union européenne puissante et indépendante.
La Haute Assemblée attend de votre part, monsieur le ministre, comme vous l'avez toujours fait, des engagements rassurants pour nos agriculteurs et une grande fermeté à l'égard du commissaire Franz Fischler et lors des futures négociations de l'OMC à Cancu`n.
La Commission propose, le Conseil des ministres dispose...
Monsieur le ministre, je vous fais confiance pour défendre l'intérêt du monde agricole, qui veut rester le pilier de l'aménagement du territoire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 52 minutes ;
Groupe socialiste, 28 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 13 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 10 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, née en janvier 1962, la politique agricole commune n'a jamais trouvé grâce aux yeux des communistes, qui pressentaient déjà, à l'époque, les effets dévastateurs de cette politique, qu'il s'agisse des revenus agricoles, de la disparition massive d'exploitations agricoles, de la course au gigantisme ou de la mainmise des grandes firmes capitalistes sur l'agriculture et l'agrobusiness.
La PAC est fondée sur trois piliers : le marché unique, la préférence communautaire et la solidarité financière. Or force est de constater que la préférence communautaire, tout particulièrement, a été mise à mal par la pression des Etats-Unis, dans le cadre des accords du GATT, mais également par le comportement peu coopératif et déloyal de pays comme le Royaume-Uni.
L'article 39 du traité de Rome énonçait cinq objectifs essentiels à la PAC.
Le premier objectif était d'accroître la productivité de l'agriculture, ce qui était indispensable, dans un premier temps, pour satisfaire les approvisionnements. Cet accroissement est rapidement devenu une course effrénée pour compenser la baisse des prix agricoles, phénomène accentué par l'augmentation du coût des aliments du bétail, de l'outillage et des infrastructures.
Le deuxième objectif était d'assurer un niveau de vie équitable à la population agricole par le relèvement du revenu individuel. A cet égard, les disparités en France sont énormes et ne cessent de s'accroître. Les exploitants agricoles sont particulièrement concernés par les nouvelles formes de pauvreté qui se développent aujourd'hui.
En 2000, l'INSEE estimait que 22 % des agriculteurs étaient des travailleurs pauvres ; 40 % des exploitations dégagent un revenu par actif familial à temps complet inférieur au SMIC. Ce sont surtout les petites exploitations qui entrent dans cette catégorie. Excessivement endettées pour tenter de répondre aux normes de productivité imposées, elles sont les premières sacrifiées par la dérive productiviste et la course à la baisse des coûts. Elles sont pourtant essentielles pour lutter contre la désertification rurale et jouent un rôle fondamental dans l'aménagement de notre territoire. Elles risquent de disparaître demain, faute de pouvoir dégager un revenu convenable.
Or, d'après une étude de l'Institut national de la recherche agronomique, l'un des facteurs explicatifs de cette pauvreté agricole résulte de la faible capacité des petits exploitants à bénéficier des aides publiques et des subventions européennes.
La modernisation de notre agriculture, qui a permis l'augmentation remarquable des performances et des gains de productivité, n'a pas eu, monsieur le ministre, sa traduction en termes d'accroissement des revenus, comme juste reconnaissance de l'augmentation des qualifications. Et que dire si l'on s'aligne sur les prix mondiaux en renonçant à la préférence communautaire ?
Le troisième objectif visait à stabiliser les marchés. Les prix à la production n'ont jamais été aussi bas. Depuis 1990, ils ont baissé de 15 %. Les chutes des cours sont de plus en plus fréquentes et longues. Les importations abusives, la non-utilisation de la clause de sauvegarde, les crises sanitaires et la pression de la grande distribution sur les produits contribuent à la déstabilisation des marchés.
Le quatrième objectif consistait à garantir la sécurité des approvisionnements, objectif partiellement atteint pour ce qui concerne les pays du nord de l'Europe, hormis les protéines dont nous sommes dépendants à 75 % de nos besoins. Pendant ce temps, le sacrifice des cultures vivrières des pays du Sud et des pays en voie de développement au profit des grandes cultures destinées à l'exportation a conduit à une situation dans laquelle deux milliards d'êtres humains souffrent de carences alimentaires et 830 millions de personnes subissent la faim quotidiennement.
Enfin, le dernier objectif était d'assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs. Depuis 1990, les prix alimentaires ont augmenté de 11 % pendant que ceux à la production baissaient de 15 %. La part prélevée par la distribution est croissante. En dix ans, depuis 1992, avec la mise en oeuvre de la PAC réformée, les sociétés agroalimentaires et les grandes et moyennes surfaces ont augmenté leurs profits de 120 milliards d'euros, les agriculteurs ont perdu 103 milliards d'euros et les contribuables subissent un coût supplémentaire de 22 milliards d'euros.
Mes chers collègues, la PAC est loin de posséder toutes les vertus qu'on lui prête parfois. Il est vrai que le pire est peut-être pour demain. Doit-on pour autant se contenter de cette politique, qui peut s'aggraver encore par la réforme « Fischler » ?
En Europe, une ferme disparaît toutes les trois minutes et, en France, ce sont 25 000 exploitants et 30 000 emplois qui ne sont pas remplacés chaque année.
Depuis quarante ans, on a assisté, sous la pression des politiques européennes, à une concentration très forte des fermes donnant aux 10 % des plus grosses exploitations un peu plus de 67 % des revenus produits en Europe. Dans le même temps, la moitié des plus petites exploitations n'en réalisent que 5 %.
Venons-en désormais à la réforme verte ultralibérale proposée par M. Franz Fischler, commissaire européen à l'agriculture. Comme je viens de le dire, le statu quo ne nous convient pas et encore moins la réforme annoncée. La réforme de la PAC de 1992 et l'Agenda 2000 adopté à Berlin ont entraîné une insécurité au niveau non seulement du monde agricole, mais également des consommateurs et de l'environnement.
L'abandon des principes fondateurs de la PAC, et tout particulièrement de la préférence communautaire, a conduit à une course à la productivité et à la compétitivité par la baisse des prix à la production, tout en favorisant la concurrence sauvage et l'alignement sur les prix mondiaux, qui ne sont en réalité que les prix d'écoulement des excédents américains.
La mesure phare de la réforme, à savoir le découplage des aides à la production et l'attribution d'une rente par exploitation sur référence historique, ne peut conduire qu'à l'accentuation des disparités : c'est le « pauvre tu es, pauvre tu resteras ! ». De surcroît, cette mesure ne peut que désorganiser les filières et la maîtrise de la production quand elle existe : c'est la porte ouverte à toutes les opportunités, toutes les dérégulations, toutes les spéculations et tous les effets d'aubaine qui se présenteront.
Prenons garde, avec le découplage partiel, qui semble ne pas déplaire à la majorité gouvernementale - mais M. César m'a quelque peu rassuré tout à l'heure -...
M. Gérard César. Ah !
M. Gérard Le Cam. ... à ne pas engager l'Europe et la PAC dans la demi-mesure, en prélude à la mesure totale qui suivra et que, pourtant, tout le monde rejette aujourd'hui. Il faut, dès à présent, tordre le cou au découplage partiel.
Force est de constater que ce programme de découplage des aides à la production s'inscrit dans la droite ligne des actuelles propositions sur les modalités agricoles présentées lors de la conférence de Doha dans le cadre des négociations de l'OMC, projet qui signe le véritable arrêt de mort de la PAC.
Accentuant plus encore le caractère bureaucratique et non démocratique des décisions concernant l'avenir du secteur agricole, il n'est pas acceptable que la Commission européenne puisse outrepasser le mandat que lui avaient fixé les Conseils européens de Berlin de mars 1999 et de Bruxelles d'octobre 2002, en prônant aujourd'hui une telle réforme de la PAC, qui affaiblit fortement sa capacité de négociation au sein de l'OMC.
Il convient également de dénoncer dans ce débat la grande manipulation orchestrée par les Américains.
Parce que leur agriculture est fondée sur les mêmes principes, les Etats-Unis se sont faits les défenseurs de la réduction des subventions agricoles, mais selon une stratégie plus élaborée et beaucoup plus perverse.
Le premier acte de cette manipulation a eu lieu lors des précédentes négociations de l'OMC. Arguant des distorsions du marché, ils ont rendu les subventions agricoles plus visibles et plus comptables, plus insupportables aussi pour les opinions publiques européennes, en profitant des divergences d'intérêts entre les pays de l'Union européenne.
Le deuxième acte de la bataille contre l'Europe sur les marchés agricoles mondiaux s'est traduit par le revirement actuel du farm bill, qui double les subventions agricoles américaines. On aurait tort de confondre cela avec un simple épisode électoral destiné à soutenir les Etats agricoles « républicains ».
Faisant en effet le pari que l'Europe, sensibilisée pendant les années précédentes de négociations de l'OMC, a atteint le plafond économique, ou plutôt médiatique et politique, des aides qu'elle pouvait accorder à l'agriculture, les Américains espèrent que leur coup de butoir, s'il est soutenu pendant quelques années, pourra, à l'instar de la course à l'armement déclenchée dans les années quatre-vingt contre l'URSS, anéantir la volonté exportatrice de l'Europe et donner enfin aux Etats-Unis le monopole planétaire de l'alimentation globale.
Le troisième acte vient d'être accompli pour détourner les critiques envers les subventions du farm bill : les subventions américaines seraient « saines », car elles joueraient sur la production intérieure ; les subventions européennes seraient « malsaines », car elles favoriseraient les exportations, et seraient donc particulièrement nuisibles aux pays en développement. Et voilà, la boucle est bouclée !
La politique agricole commune, monsieur le ministre, devrait pouvoir faire l'objet d'un véritable débat démocratique, tant les produits de l'agriculture ne peuvent être considérés comme des marchandises semblables aux autres.
Essentiel à la vie humaine, le secteur agricole est traversé de multiples dimensions - sociales, environnementales, culturelles, territoriales - autant de dimensions qui sont évidemment exclues des réelles préoccupations de l'OMC.
Ces dimensions sont indispensables à la préservation de notre agriculture dans sa diversité, ainsi qu'au maintien des petites et moyennes exploitations, garants d'une population active agricole essentielle à la survie de nos campagnes.
Nous sommes convaincus, monsieur le ministre, que l'agriculture devrait être exclue des négociations de l'OMC, au risque a contrario de voir disparaître ou se réduire comme peau de chagrin notre secteur agricole. Car au bénéfice de qui négocie-t-on à l'OMC ?
Nous savons bien que les multinationales de l'agroalimentaire et de la grande distribution ont intérêt à ce que le marché européen se dissolve dans le marché mondial afin de pouvoir s'approvisionner aux plus bas coûts. L'engagement sur cette voie condamnerait, à n'en pas douter, la PAC et soumettrait notre alimentation aux aléas d'une régulation purement marchande, avec tous les risques que comporte un tel choix.
A défaut d'un retrait de l'agriculture de l'OMC, nous souhaiterions que l'Union européenne, notamment la France, obtienne un gel des négociations sur les questions agricoles.
Notre choix de société, pour nous communistes, c'est une ruralité vivante, un aménagement du territoire dynamique avec de nombreux actifs agricoles, ce qui est à l'opposé d'une agriculture industrielle. La qualité et la diversité des produits ne peuvent venir que d'un réseau dense d'exploitations familiales, dont le travail doit être convenablement rémunéré.
Il faut sortir de la dérive libérale de la PAC à laquelle nous assistons depuis plusieurs années. La PAC devrait se fixer plusieurs objectifs : premièrement, sortir d'une logique productiviste pour s'orienter vers une agriculture qui fournisse des productions gustatives, nutritionnelles et sanitaires de qualité ; deuxièmement, promouvoir une agriculture qui occupe pleinement l'espace, aménage les territoires et soit respectueuse de l'environnement ; troisièmement, rétablir pleinement la préférence communautaire par un mécanisme incitatif proportionnel au volume des échanges infracommunautaires pour tous les pays européens ; enfin, quatrièmement, instaurer un « plan protéine » visant à reconvertir les jachères et les cultures céréalières excédentaires en cultures protéïques, dont nous sommes déficitaires pour 75 % de nos besoins.
Cela suppose de rendre caduques les accords de Blair House conclus avec les Etats-Unis sur la limitation des cultures oléagineuses et protéagineuses, cultures dont le déficit est colossal en Europe : 36 millions de tonnes équivalent en tourteau importé, ce qui représente une superficie cultivée de 10 millions d'hectares. En relançant ces productions, l'Union européenne conforterait notre souveraineté alimentaire et permettrait le développement de bonnes pratiques agronomiques.
Nous proposons également de refuser le monopole des semences génétiquement modifiées, monopole exercé notamment par quelques groupes multinationaux nord-américains, qui priverait ainsi les pays de leur indépendance alimentaire. Cela ne signifie pas qu'il faut arrêter toute recherche sur le sujet, mais un contrôle doit être assuré par les laboratoires publics.
Nous soumettons à la réflexion les propositions suivantes : une véritable politique de prix rémunérateurs en harmonie avec le niveau de vie des pays et un contrôle rigoureux des marges de la grande distribution, politique qui permettrait de supporter l'exportation des excédents et d'aider les pays en voie de développement ; un rééquilibrage des subventions du premier vers le deuxième pilier et une répartition modulée des aides, afin de soutenir les agriculteurs dans leur diversité et l'aménagement du territoire ; une politique favorisant le maintien d'exploitations à dimension humaine et familiale sur tout le territoire accompagnée d'un dispositif de sortie progressive de l'intégration ; une réelle volonté d'installation des jeunes et de suivi technique et administratif où diplômés pourront s'installer et réussir.
La situation actuelle nous montre que l'on peut toujours trouver plus libéral que soi et plus désireux de détruire.
Vous le voyez, mes chers collègues, il nous faut une politique agricole européenne novatrice et offensive, une politique où l'homme est au coeur du dispositif, qu'il soit producteur ou consommateur. J'ose espérer, monsieur le ministre, que nos propositions humanistes et de bon sens économique seront utiles au débat et à l'avenir de l'agriculture et des agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les différents aspects des propositions de réforme de la PAC à mi-parcours, qui nous réunit aujourd'hui, ont été largement évoqués par M. Gérard César. Il a très bien montré les dangers du découplage total des aides, proposition centrale de la réforme Fischler. S'il était appliqué en l'état, ce découplage non seulement contribuerait à déstabiliser les marchés mais entraînerait immanquablement une réduction globale de l'activité agricole. N'a-t-on pas entendu parler de réduction globale, pour le prix du lait, de 28 % du prix indicatif sur cinq ans ? Et je ne parle pas ici du prix des céréales.
Les conséquences seront sans doute lamentables s'il y a découplage des aides. Quant au laxisme, à l'opposé de ce qui a été l'objectif des agriculteurs jusqu'alors - pas d'obligation de production, excepté pour les cultures pérennes, mais seulement obligation de la mise en oeuvre de la protection des sols et des bonnes pratiques agricoles pour l'obtention des primes -, ne provoquerait-il pas une désorganisation des filières et parfois même un réel problème d'approvisionnement de nos entreprises de l'agroalimentaire ?
Pourquoi vouloir appliquer en Europe une politique agricole abandonnée par les Etats-Unis ? Pourquoi plier devant le diktat américain alors que les Etats-Unis subventionnent davantage leur agriculture et leurs agriculteurs que ne le fait l'Union européenne ? Non, monsieur le ministre, nous ne pouvons accepter éventuellement qu'un découplage très partiel et à condition qu'il repose sur des propositions précises, que nous aimerions bien connaître.
Je voudrais, pour ma part, en tant que rapporteur de la mission d'information sur l'avenir de l'élevage qui a rendu ses conclusions en novembre dernier, souligner quelques problèmes spécifiques à ce secteur et rappeler les solutions que nous avions proposées. Je parle aussi au nom de mon collègue Jean-Paul Emorine, président de cette mission, qui regrette de ne pouvoir intervenir ce matin. Nous avons fait ensemble de nombreux déplacements sur le terrain, dans un certain nombre de départements très divers comme la Lozère, l'Ille-et-Vilaine, la Saône-et-Loire, les Ardennes ou le Jura, mais aussi en Autriche et en Pologne.
Je ne m'attarderai pas longuement sur le constat ; vous savez comme moi, monsieur le ministre, que le secteur de l'élevage est dans une situation très préoccupante : déstabilisés par la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'ESB, étouffés par le poids des charges, soumis à de multiples contraintes réglementaires, les éleveurs français doutent de leur métier. Les conséquences de cette situation sont faciles à constater : les cessations d'activité se multiplient, y compris chez les agriculteurs de quarante ou quarante-cinq ans ; les jeunes hésitent de plus en plus à s'installer, ce qui est compréhensible.
Je citerai quelques chiffres. En 2001, dans mon département, pour les producteurs de lait ou de viande, soit les plus belles exploitations, le revenu moyen publié par le centre de comptabilité s'établit à 13 100 euros, soit moins de 86 000 francs par an, c'est-à-dire 7 160 francs par mois, et ce pour un très grand nombre d'heures de travail, parfois la nuit et le week-end. En 2002, ce revenu sera sans doute encore inférieur !
A terme, cette situation menace des pans entiers de notre économie et risque d'entraîner la disparition de nombreux services de proximité dans les zones rurales. C'est donc un enjeu territorial déterminant pour la cohésion spatiale du pays qu'il importe de prendre en compte.
Nous formulions donc différentes propositions : la création d'un prêt de carrière bonifié à longue échéance, pour aider les jeunes, la facilitation du recours aux groupements d'employeurs et aux services de remplacement, l'allégement de la taxe sur le foncier non bâti pesant sur les terres agricoles, qui ont souvent un caractère très environnemental, la réduction des formalités administratives, etc.
Mais, pour rester dans le cadre de la PAC, je voudrais insister sur la simplification nécessaire des aides en vigueur dans les organisations communes de marchés, notamment celle de la viande bovine.
Le système actuel, très complexe, fait intervenir au minimum cinq aides directes à l'animal : prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes, prime spéciale au bovin mâle, prime à l'abattage, surprime pour les femelles non velées, prime complémentaire à l'extensification. Ces aides sont fondées sur des plafonds et des critères de chargement différents. A ces primes s'ajoutent deux aides perçues au titre du développement rural : la prime herbagère agri-environnementale et, pour les éleveurs installés en zone difficile, l'indemnité compensatoire de handicaps naturels.
Ces primes, nombreuses, ont parfois aussi des effets pervers.
Ainsi, l'abaissement des seuils de chargements a entraîné une course à l'agrandissement, qui pèse, dans certaines régions, sur le prix du foncier et freine les installations.
L'activité d'engraissement dans les zones traditionnelles d'élevage allaitant a été délaissée parce qu'elle entraîne un dépassement des plafonds de chargements à respecter pour bénéficier des aides. Cela explique la division géographique des fonctions de l'élevage bovin : production de jeunes bovins maigres dans un grand bassin allaitant, finition intensive en Europe du Sud et dans les zones laitières. Plusieurs régions prennent conscience aujourd'hui des fragilités auxquelles cette situation les expose.
Par ailleurs, les éleveurs ont adopté des comportements d'optimisation. Les primes orientent les choix de production dans un sens qui ne correspond pas toujours aux attentes du marché.
Il y a aussi la lourdeur des démarches administratives que je viens d'évoquer : chaque éleveur est tenu de déposer chaque année auprès de la direction départementale de l'agriculture et de la forêt, une dizaine de formulaires spécifiques, sans compter la double déclaration de surfaces indiquant la localisation des parcelles fourragères mais aussi les autres déclarations presque similaires à envoyer à la mutualité sociale agricole.
Je plaide donc, à l'instar de mon collègue Gérard César, pour le remplacement de l'ensemble des aides bovines à l'animal par une aide simplifiée destinée à soutenir l'élevage bovin allaitant. Elle serait liée à la surface en herbe et prendrait également en compte le nombre d'unités de travail annuel, les UTA, présentes sur l'exploitation et les taux de chargement variables selon les caractéristiques des régions naturelles. Ainsi, trois paramètres interviendraient : l'unité de main-d'oeuvre, le nombre d'animaux et la surface.
Cette aide devrait être conditionnée à une contrainte minimale de chargement afin de ne pas risquer de subventionner des terres laissées à l'état de friches. A l'inverse, il serait souhaitable d'instaurer un plafonnement afin de ne pas inciter à une course à l'agrandissement.
Cette prime devrait être reconnue à l'échelon européen et financée à ce titre par le budget communautaire. Une telle réforme serait bénéfique à la France, compte tenu de l'importance de ses espaces en herbe et de ses pratiques d'élevage qui sont plus extensives que dans les autres Etats membres. Une telle aide marquerait la reconnaissance du rôle joué par l'élevage herbager dans l'entretien de l'espace rural et l'occupation du territoire. De plus, elle aurait des chances d'être bien acceptée par l'Organisation mondiale du commerce dès lors que l'aide versée ne serait pas proportionnelle au nombre d'animaux détenus.
J'en viens maintenant au maintien des mécanismes de régulation.
Dans mon rapport, j'avais souligné le risque que faisait courir au secteur de la viande bovine le démantèlement de l'intervention publique. Les crises récentes qui ont affecté le secteur ont démontré l'importance des instruments de gestion du marché prévus dans le cadre de l'organisation commune des marchés de la viande bovine. Durant l'année 2001, le recours à ces différents instruments a permis de dégager une partie des excédents qui pesaient sur le marché en conséquence de la baisse de la consommation.
Or, en application de la réforme de la politique agricole commune de 1999, le dispositif d'intervention publique, qui permet l'achat et le stockage de carcasses bovines en cas de déséquilibre du marché, a été supprimé le 1er juillet 2002 au profit d'un dispositif allégé d'intervention, le « filet de sécurité », lequel fonctionne uniquement par adjudication et seulement lorsque le prix du marché est inférieur pendant deux semaines au prix extrêmement bas de 1 560 euros par tonne. Seul demeure désormais le régime de stockage privé qui reporte sur la filière le retrait d'éventuels excédents, sur la base d'un prix nettement inférieur à l'intervention.
Ce démantèlement des instruments de régulation est très inquiétant, car les instruments qui subsistent sont bien trop légers pour faire face à des crises de grande ampleur, comme celle de 2001.
Je souhaite donc ardemment le rétablissement de ces mécanismes. De plus, il ne serait pas inutile d'instaurer également des mécanismes de régulation dans les secteurs très touchés du porc et de la volaille, dont les marchés connaissent des crises de plus en plus fréquentes liées à des prix trop bas.
Nous devons également être très vigilants sur les conditions du bien-être animal et prendre garde aux règlements trop stricts. N'oublions pas que nous sommes exportateurs de bovins d'élevage et de bovins reproducteurs vers l'Afrique, l'Amérique, les pays de l'Est. Si les pays situés hors de la Communauté n'appliquent pas les mêmes règles que nous, il pourra y avoir distorsions de concurrence.
J'évoquerai maintenant la maîtrise de la production et les quotas laitiers.
Une meilleure organisation des marchés passe aussi par une maîtrise de la production qui, cependant, ne doit pas conduire à une réduction de l'espace agricole dévolu à l'élevage bovin, en particulier dans les régions où il constitue une activité traditionnelle difficilement remplaçable. Cette maîtrise doit peser sur les cheptels allaitants et laitiers.
Comme mon collègue Gérard César, je souscris totalement au maintien des quotas laitiers qui, en contenant l'effectif du cheptel laitier, limitent les quantités de viande issues des femelles de réforme. Ce dispositif mis en place en 1984 présente, en outre, l'avantage de fixer l'élevage laitier sur l'ensemble du territoire, y compris dans les zones difficiles. La suppression des quotas entraînerait très certainement des déplacements de production entre régions. Les zones herbagères à forte contrainte naturelle auraient sans doute à en souffrir.
Je ne peux que souhaiter la prolongation des quotas jusqu'en 2013. N'attendons pas 2005 pour la décider, car on sait que, parmi les nouveaux Etats membres, certains, dont la Hongrie et la République tchèque, sont défavorables aux quotas.
Je suis également assez favorable à la proposition de la mission d'information d'attribuer des quotas supplémentaires en fonction de la demande des marchés et à condition de bien maîtriser les importations, de manière à éviter une déstabilisation du marché intérieur.
Des alliances seraient même souhaitables avec les pays du Sud et les pays d'Europe centrale et orientale, les PECO, en les convainquant du rôle prépondérant des quotas laitiers européens dans la stabilité des marchés et, donc, dans la stabilisation du revenu.
J'en viens à l'aménagement du territoire et à la montagne.
Je terminerai en évoquant quelques aspects de la politique de la montagne qui devraient être mieux pris en compte dans le cadre d'une politique européenne. Notre collègue Jean-Paul Amoudry, rapporteur de la mission d'information sur l'avenir de la montagne, dont j'étais membre également, a dressé un bilan remarquable des contraintes particulières qui pèsent sur les massifs et des moyens à mettre en oeuvre pour favoriser leur développement.
Je reviendrai sur l'importance de la pérennisation de l'activité agricole en montagne, qui dépend autant de l'évolution de la PAC que de la préservation des terres agricoles. La montagne ne sera plus la montagne s'il n'y a plus d'élevage, et vous le savez mieux que quiconque, monsieur le ministre. Je viens déjà d'évoquer la nécessité du maintien des quotas laitiers : c'est particulièrement crucial et indispensable pour les zones de montagne qui ont souvent de faibles possibilités de reconversion vers d'autres productions et qui peuvent ainsi défendre des produits de qualité n'entrant pas dans les excédents et vendus à des prix plus élevés.
Il est particulièrement important, monsieur le ministre, que le Gouvernement soutienne vigoureusement toutes les démarches qui seront faites au niveau européen en faveur d'une stratégie spécifique aux zones de montagne.
Notre mission d'information, en se rendant à Bruxelles, avait déjà bien insisté sur la nécessité d'un rééquilibrage en faveur de l'agriculture de montagne. Fondée sur un système herbager extensif et sur la qualité de ses produits, sa logique de fonctionnement lui donne une place particulière dans la politique agricole commune. Alors que les impératifs de santé, d'environnement et de qualité des produits sont plus que jamais mis en avant, il n'est vraiment pas normal que les agriculteurs de montagne qui répondent le plus à ces préoccupations aient les revenus les plus faibles - inférieurs de 20 à 30 % à la moyenne - et les aides les moins élevées à l'hectare.
Suivons donc l'exemple de nos amis et voisins suisses qui ont toujours reconnu et valorisé leurs productions de montagne et qui acceptent de les payer plus cher !
A propos de cette politique de qualité, il est évident que nos agriculteurs doivent être aidés dans leurs investissements de mise aux normes des exploitations, sinon le renforcement de « l'écoconditionnalité » des aides sera pour eux un handicap.
Monsieur le ministre, les agriculteurs ont contribué à faire de notre pays le champion du monde de la gastronomie. Ils sont prêts encore à faire des efforts dans la qualité, la diversité, l'ancrage des produits du terroir, la traçabilité pour la sécurité alimentaire, mais ils veulent pouvoir vivre de ces efforts. Aucune réforme de la PAC ne peut être acceptée si elle ne prend pas en compte l'obligation de ces objectifs pour les producteurs, avec, en contrepartie, une rémunération juste de leur travail grâce à des prix réhabilités.
En vous réaffirmant que j'approuve les positions du rapporteur de la mission d'information relative à la révision de la PAC, mon collègue M. Gérard César, je vous félicite, monsieur le ministre, de votre fermeté dans ces négociations - je pense notamment à votre opposition déterminée au découplage total. Il est vrai que nos agriculteurs ont plus que jamais besoin d'un cadre réglementaire stable et ne souhaitent pas, dans un environnement déjà si difficile, particulièrement pour les jeunes, voir leurs repères bouleversés.
L'avenir de la PAC doit être sauvegardé. Malgré les critiques dont elle a pu faire l'objet, n'oublions pas que la mise en oeuvre d'une politique économique commune dans un secteur aussi complexe que l'agriculture est tout de même ce qui a permis d'améliorer l'autosuffisance alimentaire de la majorité de nos partenaires européens et de garder une répartition de l'activité agricole sur l'ensemble du territoire.
Soyez attentif à ce que l'agriculture ne soit pas sacrifiée dans les prochaines discussions sur les échanges mondiaux au bénéfice du secteur des services, qui pèse peut-être plus lourd dans le PIB français, mais ce sacrifice sonnerait le glas de nombreux secteurs ruraux et de la qualité environnementale de nos territoires.
Je vous fais entièrement confiance, monsieur le ministre, pour défendre les objectifs que je viens d'exposer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)