M. le président. Je suis saisi, par Mme Borvo, M. Bret, Mme Mathon et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 37, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale aux termes de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, après déclaration d'urgence (n° 182, 2002-2003). »
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Nicole Borvo, auteur de la motion.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen proposent au Sénat le rejet de ce texte, et ce pour des raisons de fond.
Ce projet de loi est un véritable déni de démocratie, imposé sans débat par le Gouvernement au mépris de la représentation populaire de l'Assemblée nationale et, si l'on suivait la majorité de notre commission des lois, au mépris du droit le plus élémentaire du Parlement, celui d'amender.
Ici, la majorité UMP veut aller vite en besogne.
Comme l'écrit M. Gélard, sans détour, dans son rapport, ce texte a été adopté « sans véritable débat » à l'Assemblée nationale.
La commission des lois du Sénat propose le vote conforme, c'est-à-dire sans adoption d'amendement; elle n'en a d'ailleurs déposé aucun, vous l'aurez constaté.
Le droit d'amendement du Parlement est donc mis sérieusement à mal, alors que, chacun le sait, le Gouvernement a fait adopter trente-huit amendements, à la sauvette, sans débat, à l'Assemblée nationale.
Le « tout-UMP » commence à produire un effet curieux, inattendu, dirais-je même : le bicaméralisme, l'existence de deux chambres, l'utilité du Sénat, qui vous est chère autant qu'à nous, trouveront-ils longtemps une justification si un texte adopté par l'une des chambres doit être systématiquement voté conforme par l'autre ?
Mais venons-en au texte lui-même.
Comme l'indique M. Gélard dans son rapport : « Ce projet de loi semble ainsi favoriser une bipolarisation. »
Votre aveu, monsieur Gélard, a le mérite de la franchise. On ne peut en dire autant en ce qui concerne les auteurs de l'exposé des motifs du projet de loi, M. le Premier ministre et M. le ministre de l'intérieur : « Le but poursuivi par le Gouvernement est [...] de redonner autant que faire se peut » - la nuance apparaît en effet nécessaire - « de la clarté à l'expression des suffrages en améliorant les conditions dans lesquelles celui-ci permet la représentation équitable des sensibilités politiques et des territoires. »
Ce gouvernement, qui dispose d'un réel talent, celui d'afficher une volonté et de faire le contraire, ne va-t-il pas finir par lasser nos concitoyens ?
Ce projet de loi organise en réalité la non-représentation d'une partie de notre peuple. En effet, les voix d'un nombre important d'électeurs, voire d'une majorité d'entre eux, pourront se perdre dans les urnes sans aucune reconnaissance politique.
Ainsi, le mode de scrutin régional que vous nous proposez vise à empêcher la présence au second tour des listes n'ayant pas atteint 10 % des inscrits, cela a été abondamment dit. Etant donné le faible niveau de participation - et rien ne peut indiquer, au contraire, que le mode de scrutin que vous proposez va l'augmenter -, des listes ne recueillant pas 20 % à 23 % des exprimés seront écartées. J'ajoute que, selon les régions, ce sont les non-exprimés qui seront déterminants, au nom de la représentation des suffrages exprimés, et ce de façon variable d'un endroit à un autre.
Il s'agit là d'un véritable détournement de l'esprit du mode de scrutin proportionnel. Ce dernier a pour objectif - et c'est pourquoi nous y sommes favorables - de permettre une juste et équitable représentation des opinions exprimées.
Dans son long plaidoyer pour l'UMP, paru dans la presse, M. Perben voit dans la conjugaison de la décentralisation, de la bipolarisation et d'un parti unique à droite - je pensais qu'il y en avait un autre ! - l'annonce d'une effervescence du débat d'idées ! Méthode Coué sans aucun doute !
D'abord, priver les citoyens d'une juste représentation, c'est les priver d'un véritable débat d'idées. Vous voulez des majorités dans les régions ? Mais qu'est-ce à dire si une majorité de nos concitoyens est privée de représentation ?
Le 21 avril, nos concitoyens n'ont placé aucun candidat au-dessus de 20 % : quel mécontentement, en effet, à l'égard des politiques ! Mais croyez-vous sincèrement qu'ils ont sanctionné un trop-plein de débats d'idées ? Je crois franchement que c'est le contraire !
Que sera notre vie politique réduite à deux partis, comme aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne ? Nous voyons bien que, dans ces deux pays, le bipartisme gangrène la démocratie et aggrave l'abstention. Eloigner durablement les classes populaires du débat démocratique, est-ce ce à quoi vous voulez parvenir ? Vous ne changez pas seulement de modes de scrutin, monsieur le secrétaire d'Etat, vous nous préparez, que vous le vouliez ou non, de nouveaux 21 avril, de plus en plus inquiétants.
Mais que craignez-vous pour faire taire ainsi la pluralité des opinions ? Les systèmes faits d'uniformité, d'unicité, de parti unique ou de deux partis dominants n'ont jamais permis des avancées de civilisation, que je sache. J'ajoute que de tels systèmes heurtent profondément nos traditions démocratiques.
Mon groupe s'était opposé, en première lecture, au projet de loi de 1999, qui réformait le mode de scrutin régional.
Nous regrettions l'abandon du scrutin à un tour et de la circonscription départementale et nous critiquions fortement, déjà, l'instauration de seuils trop élevés pour l'accès au second tour et à la fusion. C'est l'abaissement de ces seuils et la conviction qu'il fallait empêcher à l'avenir les renouvellements d'alliance entre le Front national et la droite parlementaire qui a suscité un vote favorable de notre part.
Car c'est bien la droite qui a fait ou tenté de faire alliance avec le Front national en Bourgogne, en Picardie ou en Rhône-Alpes. C'est, bien sûr, en Languedoc-Roussillon que ces alliances honteuses ont eu lieu en 1998.
Monsieur le secrétaire d'Etat, c'est bien à droite qu'il faut s'interroger sur les alliances avec le Front national.(Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Patrick Courtois. Qui a créé le Front national ?
Mme Nicole Borvo. De plus, et je crois que le fond est là, ce n'est pas par le mode de scrutin que l'on diminuera l'influence du Front national, c'est par le contenu d'une politique. L'affichage sécuritaire, comme il se doit, fera long feu. Le réel reprend le dessus avec les premiers résultats désastreux de l'offensive libérale à laquelle s'est livré le Gouvernement derrière les gesticulations oratoires ou les opérations de « communication ».
Les plans sociaux déferlent, la précarité explose et le chômage des jeunes grimpe. Croyez-vous un instant, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous dispersez le terreau sur lequel prolifère le Front national ? Bien au contraire ! Vous le savez bien, vous le fertilisez.
Ce qui fait reculer l'extrême droite, c'est la démocratie, le progrès social, la coopération entre les peuples.
M. Roland du Luart. Vous avez exercé le pouvoir pendant cinq ans !
Mme Nicole Borvo. Vous n'y travaillez pas, et, hélas ! l'extrême droite n'a pas besoin d'être présente dans l'hémicycle pour que ses idées soient recyclées.
En fait, cette réforme des modes de scrutin n'est qu'un trompe-l'oeil. La région et l'Europe sont au coeur de votre stratégie de remodelage de la société ; ce ne sont donc pas seulement les circonstances qui vous poussent à imposer votre loi. En réalité, cette réforme n'a pas d'autre objet que de faire entrer de force les citoyennes et les citoyens dans un cadre qui ne leur convient pas et qu'ils n'ont pas choisi.
Notre culture politique est celle du pluralisme, lequel est enraciné dans notre histoire de longue date. Il faut, à notre sens, le considérer comme une chance pour la vitalité de notre démocratie. Le pluralisme est le fondement même de notre République. Il puise son impérieuse nécessité dans le principe de liberté qui ne souffre aucune restriction. Car la France est multiple, alors même qu'elle est une. Et c'est à la fois parce qu'elle est une et multiple qu'elle appartient en propre à chaque citoyen. C'est justement à cela que vous voulez mettre fin. Seule une démocratie altérée pourrait se satisfaire d'une résolution des contradictions et des diversités par l'élimination et le prisme de filtres déformants.
La crise de la politique ne sera pas résolue par des aménagements à contresens de l'histoire. Le 5 mai dernier, la majorité des électrices et des électeurs a fait le choix de la démocratie. Soyons certains que cette majorité serait fort déçue qu'elle leur soit confisquée par ceux-là mêmes qui s'en prétendaient le rempart.
Le 21 avril nous appelle au débat contradictoire, aux confrontations d'idées.
Le 21 avril nous appelle à l'audace d'une démocratie vraie et renouvelée, qui donne à chacune et à chacun toute sa place dans le débat comme dans la représentation politique. Avec cette réforme des modes des scrutins, vous tournez le dos à ce défi !
La bipolarisation constitue votre objectif essentiel, car c'est le moyen d'imposer la politique libérale que vous affectionnez.
Ecarter le peuple des choix politiques en favorisant l'abstention ne vous gêne pas, car cela permet de décider « en famille ». Et ne me parlez pas de procès d'intention. Toutes les études démontrent que la bipolarisation débouche sur une cassure entre le fait politique et la grande masse de la population, c'est-à-dire exactement le contraire des priorités affichées par M. le Premier ministre et son désormais célèbre tableau - que je ne partage pas - de « la France d'en haut et la France d'en bas ».
Cette réforme va effectivement de pair, comme le dit M. Perben, avec la révision constitutionnelle sur l'organisation décentralisée de la République. C'est ce que vous constatez, monsieur Gélard, dans votre rapport écrit.
Le schéma que l'on impose aux Françaises et aux Français - ils n'ont en effet pas été consultés sur une modification essentielle de l'architecture institutionnelle de notre pays -, c'est un remodelage à l'échelle européenne.
Les grandes décisions se prennent et se prendront en haut, à Bruxelles, siège de la Commission, ou à Francfort, siège de la Banque centrale européenne, et les régions seront progressivement chargées de la gestion de ces décisions, le cadre national du débat et du pacte social étant, petit à petit, évacué.
M. Emmanuel Hamel. Hélas !
Mme Nicole Borvo. M. Raffarin, dès 1998, affichait clairement ses options lors du débat sur la précédente réforme du mode de scrutin régional en disant : « Si l'on veut procéder à la transformation de nos assemblées régionales en assemblées politiques, je me pose la question de l'utilité d'un débat régional. »
M. le Premier ministre n'aime-t-il pas les assemblées qui font de la politique ? Préfère-t-il les chambres d'enregistrement de décisions qui sont prises ailleurs, en dehors de tout contrôle démocratique ? Ce n'est pas notre choix.
La bipolarisation ou la mise en cause du débat pluraliste constituent un outil formidable pour ceux qui souhaitent écarter le contrôle populaire.
Cette volonté est confirmée par la proposition de réforme du mode de scrutin des élections européennes. Au nom d'un hypothétique rapprochement des candidats de leurs électeurs - ce qui est tout de même curieux ! -, ces élections se dérouleront dans le cadre de « super-régions » créées de toutes pièces. Le mode de scrutin tel qu'il nous est proposé réduira, voire écartera les partis minoritaires de toute représentation.
Par ailleurs, le choix d'abandonner le cadre national est loin d'être anodin : c'est l'abandon de l'idée d'une représentation au Parlement européen de la nation dans son ensemble.
Cette analyse est partagée par les plus fervents partisans de l'Europe actuelle. M. Bayrou déclarait par exemple, le 15 février dernier : « L'Europe n'est pas une fédération de régions. Elle est une fédération de nations. C'est au nom de cette conviction, pour moi ancienne, que j'ai toujours refusé de soutenir ceux de nos amis qui réclamaient une régionalisation du scrutin. » Il faut d'ailleurs noter que le député de l'UDF, à l'époque, qui présentait une telle proposition s'appelait Charles Millon.
Nous sommes défavorables à cette remise en cause du cadre national de l'élection européenne, aujourd'hui comme hier - nous faisons preuve d'une certaine cohérence ! Lorsque Lionel Jospin, alors Premier ministre, avait lui aussi proposé une telle réforme, nous n'y étions pas favorables.
Comme pour les régionales, le choix de la réforme du mode de scrutin européen a pour but d'éloigner encore les citoyens, les peuples, des choix, des centres de décision, alors que, plus que jamais, je crois, nous avons besoin de l'implication des citoyens dans la construction européenne.
La complexité des systèmes retenus - personne ici ne l'a niée -, l'arbitraire de l'élaboration des circonscriptions - je pense aux super-régions - rendent plus complexe encore le mode de scrutin. Pour les régionales, cette complexité confine à l'inintelligibilité. Il faut être « pince-sans-rire » pour affirmer, comme M. Brignon, rapporteur devant l'Assemblée nationale, que ce projet vise « à redonner de la clarté à l'expression du suffrage ». Franchement ! ...
J'ajoute que l'attitude de la majorité sénatoriale, en particulier, à l'égard du mode de scrutin régional ces dernières années a de quoi nous surprendre ! La lecture du rapport de MM. Lucien Lanier et Paul Girod de mai 1996 - je l'ai déjà cité, car je l'ai lu attentivement - est édifiante :
« Le groupe de travail a été unanime à considérer qu'un mode de scrutin quel qu'il soit ne saurait être modifié en fonction de préoccupations purement politiciennes. On ne peut changer un mode de scrutin qu'en présence d'impérieuses nécessités. Est-il certain que le corps électoral aspire réellement à une modification du mode de scrutin régional ?
« Le groupe de travail partage pleinement le souci de ne pas surcharger le mode de scrutin régional de règles complexes dont les électeurs et même parfois les candidats auront du mal à saisir la justification. »
Pour être bien accepté, un mode de scrutin doit être simple, transparent et lisible.
Monsieur Gélard, avez-vous auditionné MM. Lanier et Girod dans le cadre de l'élaboration de votre rapport ?
Je l'ai déjà dit : il faut un consensus. Nous en sommes loin !
Le pouvoir rend amnésique, dit-on. Malheureusement, cela semble être le cas puisque ce rapport avait, à l'époque, été adopté à l'unanimité, tous groupes confondus, du RPR au groupe communiste.
Le projet de loi que vous nous soumettez, monsieur le ministre, est dangereux pour la démocratie. Tout le monde le sait, il résulte d'un véritable « oukase » - le mot n'est pas de moi, mais de M. François Bayrou - de l'UMP !
M. Joël Bourdin. Ah !
Mme Nicole Borvo. Le coup de force va si loin que le Gouvernement n'a même pas présenté au Conseil d'Etat la modification - qui a fait couler tant d'encre - relative au pourcentage d'inscrits nécessaire pour le maintien au second tour.
La volonté de passer en force est telle que le Premier ministre a utilisé le 49-3, comme vous le savez, pour valider un texte repoussé au préalable par toutes les formations à l'exception de la seule UMP. Présenter ce texte au débat était de ce fait inacceptable.
Comment ne pas rappeler les propos du Premier ministre le 3 juillet dernier devant les députés : « Si je me réjouis de la qualité et de l'ampleur de la représentation de la majorité présidentielle, je souhaite aussi que nous progressions dans la pratique des relations républicaines avec l'opposition. La politique est une affaire de vérité, mais celle-ci n'est pas à sens unique ».
C'est justement cela, me semble-t-il, que nos concitoyens ne supportent plus : ces paroles d'hémicycle, ces discours enrobés et lénifiants qui sont oubliés aussitôt prononcés. Je regrette que le dialogue ne soit que du vent, qu'il n'ait que l'apparence de la communication.
L'enjeu était en effet de taille : faire avaliser la domination de l'UMP sur l'Etat et sur nos institutions avant que le peuple ne se réveille, meurtri par la politique antisociale du Gouvernement.
Avec les sénatrices et les sénateurs du groupe CRC, avec les démocrates qui refusent ce coup de force, nous vous appelons à rejeter ce déni de démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, contre la motion.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet qui nous est aujourd'hui soumis est un texte important.
« Ce qu'il y a de plus choquant, c'est que vous nous imposez l'urgence. Or ce débat ne nécessitait pas une telle procédure. Se profilent, derrière tout cela, des suspicions de manoeuvres, et c'est dommage. »
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Charles Pasqua !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Les mots que je viens de prononcer, qui sont au demeurant assez justes, ne sont pas de moi. Ils sont de l'actuel Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, alors sénateur de la Vienne, le 20 octobre 1998, ici-même. Le constat que notre ancien collègue faisait alors, à l'occasion de l'examen de la loi portant réforme des élections régionales, est toujours d'actualité. Si les gouvernements changent, les pratiques, malheureusement, ne varient pas.
En effet, aujourd'hui comme hier, le Gouvernement impose l'urgence au Parlement ; mais, aujourd'hui comme hier, le projet de loi portant réforme des modes de scrutin est un texte capital, un texte qui touche au coeur de la démocratie. Et c'est parce qu'il s'agit d'un texte capital qu'il doit impérativement être débattu ici, et ce en dépit de l'urgence et des manoeuvres politiciennes.
Mme Nicole Borvo. Il n'y a pas de débat !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le secrétaire d'Etat, il nous appartient de conjuguer nos forces pour que le débat sur la réforme des modes de scrutin ne devienne pas l'arlésienne de cette législature.
Contre le bon sens républicain, certains voudraient encore tuer la discussion, tuer l'échange. Nous nous y opposons, car chacun sent bien, au fond de lui-même, qu'il est fondamental que ce débat ait lieu, qu'il y va de notre responsabilité et de notre honneur.
A l'heure où la France porte dans le monde le drapeau de la démocratie, quelle image notre pays donnerait-il de lui si la représentation nationale était à ce point méprisée qu'elle n'aurait pas son mot à dire sur une réforme électorale majeure, donc une réforme qui s'adresse directement à l'ensemble des citoyens ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous donnez aujourd'hui une chance au débat. (Mme Nicole Borvo s'exclame.) Saisissons-la au vol ! Détourné au Conseil d'Etat, tronqué et amputé à l'Assemblée nationale, ce débat doit maintenant avoir lieu au Sénat.
Il y a également une autre raison, tout aussi importante, pour laquelle le débat doit se tenir entre ces murs : il n'est pas d'assemblée plus concernée que la nôtre par cette réforme du scrutin régional. La loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République, qui sera vraisemblablement votée le 17 mars prochain par le Parlement réuni en Congrès, renforcera le rôle de la région, qui deviendra une collectivité locale de rang constitutionnel. Le 28 février dernier à Rouen, le Premier ministre a exposé les choix du Gouvernement de transférer à l'échelon régional de nouvelles compétences. Par la réforme constitutionnelle, le Sénat verra consacrer son rôle de représentant des collectivités locales. Il ne peut donc escamoter le débat sur un texte qui a trait aux régions.
Madame Borvo, mon groupe parlementaire mène le même combat que M. François Bayrou à l'Assemblée nationale, mais dans la majorité, et c'est pourquoi il a déposé un certain nombre d'amendements.
M. Jean-Pierre Sueur. Eh oui !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Ces amendements forment un ensemble cohérent. Ils visent non pas à combattre le projet gouvernemental, monsieur le secrétaire d'Etat, mais simplement à participer à son élaboration.
Nous n'avons laissé aucune place à l'obstruction ou à la fantaisie. Nous entendons non pas nous cantonner à une opposition aveugle et stérile, mais contribuer au perfectionnement du projet de loi qui nous est soumis.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est pathétique !
Mme Nicole Borvo. On est hors de la réalité !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Parce que nous considérons que gagner du temps au Sénat reviendrait à en faire perdre à la démocratie, notre attitude sera celle de partenaires attentifs et responsables.
Puisque l'UMP a déjà clairement affirmé son soutien inconditionnel au Gouvernement et annoncé qu'elle voterait conforme le texte, nous en appelons, monsieur le secrétaire d'Etat, à votre sens du dialogue - vous êtes chargé, après tout, des relations avec le Parlement - lequel doit vous amener à écouter les arguments de l'autre voix de la majorité ;...
Mme Nicole Borvo. Ce n'est pas le cas !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. ... qui nous paraissent fondés, de façon à améliorer le texte gouvernemental.
Le ministre de l'intérieur a répondu hier avec talent aux orateurs qui étaient intervenus dans la discussion générale, mais, malgré ce talent, il est loin d'avoir satisfait à toutes nos préoccupations. Des interrogations demeurent, dont deux m'apparaissent fondamentales : l'une concerne le seuil requis pour qu'une liste figure au second tour ; l'autre, qui a d'ailleurs également été évoquée par notre collègue Jean-Pierre Sueur, a trait à la tête de liste régionale.
Nous attendons donc, monsieur le secrétaire d'Etat, la prise en compte, par le Gouvernement, de nos propositions relatives au seuil requis pour la participation au second tour des élections régionales, mais aussi des éclaircissements sur certaines lacunes et obscurités du texte, qu'a soulignées tout à l'heure mon collègue Yves Détraigne.
Au nom du groupe de l'Union centriste, je demande donc au Sénat de rejeter la motion tendant à opposer la question préalable qui nous est présentée et dont l'adoption empêcherait le débat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. J'ai un moment hésité à voter la motion tendant à opposer la question préalable que vous avez présentée, madame Borvo (Rires sur les travées du groupe CRC.),...
Mme Nicole Borvo. Vu sa teneur, c'eût quand même été très curieux !
M. Patrice Gélard, rapporteur. ... mais pas du tout pour les motifs que vous avez indiqués tout à l'heure.
Il est vrai, mes chers collègues, que si nous votions maintenant cette motion, nous serions tranquilles demain, après-demain et la semaine prochaine ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Adrien Gouteyron. Ça, c'est une idée !
M. Robert Bret. Chiche !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Cependant, madame Borvo, je ne comprends pas très bien que vous souhaitiez opposer la question préalable à ce texte.
En effet, si l'on adoptait maintenant la motion, le débat serait terminé au Sénat...
M. Michel Mercier. La loi serait votée !
M. Patrice Gélard, rapporteur. ... et le projet de loi serait transmis à la commission mixte paritaire, où les rapporteurs du Sénat et de l'Assemblée nationale et les présidents des commissions des lois des deux chambres pourraient « tripatouiller » le texte comme ils l'entendraient, avec la bénédiction du Gouvernement. Or ce n'est pas ce que nous voulons : nous voulons un véritable débat. (Rires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Robert Bret. Comme à l'Assemblée nationale !
Mme Nicole Borvo. Il n'y a pas de débat, il y a un seul interlocuteur !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Ce débat, vous l'avez, vous vous êtes exprimés, ce n'est pas du tout comme à l'Assemblée nationale ! Ici, on vous écoute, on prend en compte vos idées, qui seront peut-être utilisées ultérieurement. (Rires sur les travées de l'UMP. - Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Dans l'immédiat, ce n'est pas le cas.
Afin que le débat puisse se poursuivre, je demande au Sénat de rejeter la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat. A la suite des propos qui ont été tenus par Mme Borvo, M. Vanlerenberghe et M. le rapporteur, je tiens à dire, au nom du Gouvernement, combien nous attachons de l'importance à la poursuite de ce débat.
M. Paul Loridant. Comme à l'Assemblée nationale !
M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat. Contrairement à ce que vous pensez, monsieur Loridant, l'« ambiance », si j'ose m'exprimer ainsi, de ce débat au Sénat, à la fois dense sur le fond et courtois sur la forme, mérite que l'on consacre tout le temps nécessaire à évoquer les grands enjeux du texte présenté par le Gouvernement.
Mme Nicole Borvo. On ne peut pas y croire, monsieur le secrétaire d'Etat !
M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat. L'objectif visé a été rappelé hier par M. le ministre de l'intérieur et cet après-midi par moi-même. A ce stade, il y a lieu de prendre le temps d'examiner le projet de loi article après article.
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion n° 37, tendant à opposer la question préalable.
La parole est à M. Henri Weber, pour explication de vote.
M. Henri Weber. Pour ce qui nous concerne, nous voterons évidemment cette motion tendant à opposer la question préalable, défendue brillamment par notre collègue Nicole Borvo. C'est, pour nous, une occasion supplémentaire de marquer notre hostilité à ce projet de loi.
Nous considérons que la loi Jospin de 1999, aujourd'hui en vigueur mais non encore appliquée - ce qui est dommage, car on aurait pu en mesurer toute l'efficacité,...
M. Patrice Gélard, rapporteur. Et tous les effets pervers !
M. Henri Weber. ... est bonne et mérite d'être maintenue en l'etat.
En effet, elle pourrait permettre de surmonter une difficulté que nous avons tous constatée, à savoir l'ingouvernabilité de certaines assemblées territoriales liée à l'ancien mode de scrutin.
Elle pourrait également permettre de ne pas exclure de la représentation politique dans ces assemblées territoriales des familles politiques entières, car c'est bien de cela dont il s'agit.
Nous avons dans ce pays des traditions de pluralisme. Nous ne sommes pas un pays anglo-saxon ou d'Europe du Nord, nous avons une autre culture politique : nous sommes un pays d'Europe latine où règne, depuis la Révolution française, c'est-à-dire depuis deux siècles, un grand pluralisme des familles politiques. Celles-ci méritent d'être représentées et entendues, même si elles n'arrivent pas à rassembler 20 % des suffrages exprimés.
Derrière cela se profile une question très importante : deux conceptions de la démocratie sont en présence.
Pour notre part, nous prônons une démocratie active, citoyenne, participative. Or, si nous voulons que la société se mobilise, il faut que toutes les familles politiques puissent être véritablement représentées à tous les niveaux de la démocratie nationale et locale. Sinon, on fait le lit de l'abstention et l'on incite les gens à s'exprimer par d'autres moyens que le bulletin de vote.
Pour votre part, conformément d'ailleurs à une tradition suivie par toute une partie de la droite française, vous défendez en réalité une autre conception de la démocratie. Ce projet de loi l'illustre magnifiquement : vous êtes pour une citoyenneté passive, c'est-à-dire que, dans votre conception de la démocratie représentative, la délégation de pouvoir équivaut à un abandon de pouvoir.
Le peuple, invité à désigner tous les cinq ou six ans ses représentants et ses gouvernants, est ensuite renvoyé vaquer à ses occupations, l'exercice du pouvoir étant laissé aux spécialistes.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Mais c'est la Constitution !
M. Henri Weber. Tel est exactement l'objet de ce texte. Encore une fois, si vous ne permettez pas à des familles politiques, même minoritaires, voire émergentes - aujourd'hui, de nouvelles formations apparaissent sur la scène politique -, d'être pleinement représentées, vous nourrirez la passivité citoyenne et vous démobiliserez notre démocratie.
Démocratie active et démocratie passive sont deux conceptions qui se sont affrontées tout au long des xixe et xxe siècles. L'illustration fournie par ce projet de loi méritera d'être popularisée et commentée, car elle est tout à fait emblématique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Sueur. C'est très convaincant !
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon, pour explication de vote.
Mme Josiane Mathon. Je souhaite souligner de nouveau le caractère profondément antidémocratique de ce projet de loi.
Ma collègue et amie Nicole Borvo a dénoncé avec vigueur cette marche forcée vers la bipolarisation imposée par le Gouvernement.
Elle a démontré la versatilité de la majorité qui, voilà sept ans, était favorable au maintien du mode de scrutin d'alors, à savoir la représentation proportionnelle dans le cadre de la circonscription régionale. Je tiens d'ailleurs à souligner que M. Raffarin lui-même défendait avec ferveur, en 1998, ce mode de scrutin.
Aujourd'hui, toutes ces considérations, qui parfois pouvaient être fondées, puisque notre groupe avait adopté, en 1996, avec le Sénat unanime, le rapport de MM. Lanier et Girod, sont rejetées pour permettre d'atteindre un objectif politique précis : mettre en adéquation des institutions et la politique libérale de la France.
La bipolarisation, la remise en cause du pluralisme répondent à cet objectif.
Je ne reviendrai pas sur les mesures concrètes présentées, mais tous les observateurs, ou presque, comme l'ensemble des formations politiques, à l'exception de l'UMP, ont souligné l'attaque frontale contre notre système démocratique.
Pour le moment, je le répète, ni le Conseil d'Etat ni l'Assemblée nationale n'ont pu examiner le projet de loi dans sa dernière rédaction.
Si l'on suivait la majorité sénatoriale, le texte ne serait pas débattu non plus ici, puisque le vote conforme est demandé. A ce propos, je voudrais dire à mon collègue de l'Union centriste, M. Vanlerenberghe, de ne pas se faire d'illusions : aucun amendement ne sera accepté !
Mme Nicole Borvo. Notre collègue est dans le virtuel !
Mme Josiane Mathon. C'est regrettable !
Cette démarche est d'autant plus curieuse que, de toute évidence, le texte amendé brutalement par le Gouvernement, par le biais de l'article 49-3, est imparfait et souvent difficilement compréhensible.
La majorité sénatoriale mutile la capacité de réflexion et d'analyse de la Haute Assemblée pour servir les intérêts du parti dominant, terme récusé, d'ailleurs, par M. Gélard ce matin en commission. Pourtant, monsieur le rapporteur, l'UMP n'est-elle pas en position dominante et n'abuse-t-elle pas de cette situation ?
En effet, une UMP surpuissante dans chacune des assemblées fait finalement « clonage » ! Ces deux « supermajorités » amplifiées à l'extrême par des modes de scrutin injustes ne se complètent pas, elles se répètent.
Cette manière de travailler, M. Raffarin la dénonçait sous une forme beaucoup plus atténuée en 1998 : « Ce qu'il y a de plus choquant, c'est que vous nous imposez l'urgence. Or ce débat ne nécessitait pas une telle mesure. »
Cette fois, M. Raffarin, oubliant son attachement à l'approfondissement du débat parlementaire, ajoute le recours à l'article 49-3 à la déclaration d'urgence et incite au vote conforme du Sénat.
Cela fait beaucoup et met en évidence la volonté d'aller vite pour dissimuler aux citoyens les objectifs antidémocratiques que j'évoquais précédemment.
De plus, cette hâte s'explique, il ne faut pas l'oublier, par la volonté de ne pas enfreindre la tradition républicaine, respectée pendant vingt ans, qui proscrit la modification d'un mode de scrutin dans l'année précédant l'élection.
Rappelons-nous que, si le calendrier est respecté, c'est à la mi-mars 2004 que les élections régionales devraient se tenir. On comprend mieux, dès lors, la diligence gouvernementale.
Nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable parce que nous sommes attachés au pluralisme, aux valeurs républicaines et à la diversité des opinions démocratiques. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Nogrix, pour explication de vote.
M. Philippe Nogrix. Vous l'aurez compris, mes chers collègues, le groupe de l'Union centriste n'approuve pas le texte dans sa rédaction actuelle.
En revanche, nous avons pris note, monsieur le secrétaire d'Etat, que, comme M. le rapporteur, vous acceptez le débat. Nous allons donc défendre pied à pied les amendements que nous avons déposés, afin d'essayer de vous convaincre par nos arguments.
Mme Nicole Borvo. Vous allez voir comment ça se passe !
M. Philippe Nogrix. En effet, notre rôle, notre devoir est d'enrichir le projet de loi.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est pathétique !
M. Philippe Nogrix. La loi doit être lisible, et les citoyens ont besoin de simplicité. Le Président de la République le rappelle d'ailleurs sans cesse dans ses discours et le Premier ministre le répète à ses fonctionnaires, auxquels il demande d'employer un langage que tout le monde puisse comprendre.
La moindre des choses sera donc de faire en sorte que nos débats permettent une clarification du texte initial.
M. Jean-Pierre Sueur. Eh oui !
M. Philippe Nogrix. Nous vous remercions de votre attitude d'ouverture, monsieur le secrétaire d'Etat. Sachez que vous pouvez compter sur nous pour argumenter. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 37, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public, émanant, l'une, de la commission et, l'autre, du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
95319314158109205