M. le président. « Art. 11. - Le chapitre Ier du titre Ier du livre V du code pénal est ainsi modifié :
« 1° L'article 511-3 est ainsi rédigé :
« Art. 511-3. - Le fait de prélever un organe sur une personne vivante majeure, y compris dans une finalité thérapeutique, sans que le consentement de celle-ci ait été recueilli dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article L. 1231-1 du code de la santé publique ou sans que l'autorisation prévue aux deuxième et cinquième alinéas du même article ait été délivrée est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 EUR d'amende.
« Est puni des mêmes peines le fait de prélever un organe, un tissu ou des cellules ou de collecter un produit en vue de don sur une personne vivante mineure ou sur une personne vivante majeure faisant l'objet d'une mesure de protection légale, hormis les cas prévus aux articles L. 1241-3 et L. 1241-4 du code de la santé publique. » ;
« 2° L'article 511-5 est ainsi rédigé :
« Art. 511-5. - Le fait de prélever un tissu ou des cellules ou de collecter un produit sur une personne vivante majeure sans qu'elle ait exprimé son consentement dans les conditions prévues aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 1241-1 du code de la santé publique est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 EUR d'amende.
« Le fait de prélever sur une personne vivante mineure ou sur une personne vivante majeure faisant l'objet d'une mesure de protection légale des cellules de la moelle hématopoïétique sans avoir respecté les conditions prévues, selon le cas, aux articles L. 1241-3 ou L. 1241-4 du code de la santé publique est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 EUR d'amende. » ;
« 3° Sont insérés deux articles 511-5-1 et 511-5-2 ainsi rédigés :
« Art. 511-5-1. - Le fait de procéder à des prélèvements à des fins scientifiques sur une personne décédée sans avoir transmis le protocole prévu à l'article L. 1232-3 du code de la santé publique est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 EUR d'amende.
« Est puni des mêmes peines le fait de mettre en oeuvre un protocole suspendu ou interdit par le ministre chargé de la recherche.
« Art. 511-5-2. - I. - Est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 EUR d'amende le fait de conserver et transformer à des fins scientifiques, y compris à des fins de recherche génétique, des organes, des tissus, des cellules ou du sang, ses composants et ses produits dérivés :
« 1° Sans en avoir fait la déclaration préalable prévue à l'article L. 1243-3 du code de la santé publique ;
« 2° Alors que le ministre chargé de la recherche s'est opposé à l'exercice de ces activités ou les a suspendues ou interdites.
« II. - Est puni des mêmes peines le fait de conserver et transformer, en vue de leur cession pour un usage scientifique, y compris à des fins de recherche génétique, des organes, des tissus, des cellules ou du sang, ses composants et ses produits dérivés, sans avoir préalablement obtenu l'autorisation prévue à l'article L. 1243-4 du code de la santé publique ou alors que cette autorisation est suspendue ou retirée. » ;
« 4° L'article 511-7 est ainsi rédigé :
« Art. 511-7. - Le fait de procéder à des prélèvements d'organes ou des greffes d'organes, à des prélèvements de tissus ou de cellules, à des greffes de tissus ou à des administrations de préparations de thérapie cellulaire, à la conservation ou à la transformation de tissus ou de préparations de thérapie cellulaire dans un établissement n'ayant pas obtenu l'autorisation prévue par les articles L. 1233-1, L. 1234-2, L. 1242-1, L. 1243-2 ou L. 1243-6 du code de la santé publique, ou après le retrait ou la suspension de cette autorisation, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 EUR d'amende. » ;
« 5° L'article 511-8 est ainsi rédigé :
« Art. 511-8. - Le fait de procéder à la distribution ou à la cession d'organes, de tissus, de produits cellulaires à finalité thérapeutique ou de produits humains en vue d'un don sans qu'aient été respectées les règles de sécurité sanitaire exigées en application des dispositions de l'article L. 1211-6 du code de la santé publique est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 EUR d'amende. » ;
« 6° L'article 511-8-1 est ainsi rédigé :
« Art. 511-8-1. - Le fait de procéder à la distribution ou à la cession en vue d'un usage thérapeutique de tissus ou de préparations de thérapie cellulaire en violation des dispositions de l'article L. 1243-5 du code de la santé publique est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 EUR d'amende. » ;
« 7° L'article 511-8-2 est ainsi rédigé :
« Art. 511-8-2. - Le fait d'importer ou d'exporter des organes, tissus, cellules et produits cellulaires à finalité thérapeutique, en violation des dispositions prises pour l'application des articles L. 1235-1 et L. 1245-5 du code de la santé publique, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 EUR d'amende. » ;
« 8° A l'article 511-26, après la référence : "511-5,", sont insérées les références : "511-5-1, 511-5-2,". » -(Adopté.)
Article 12
M. le président. « Art. 12. - Au chapitre II du titre VII du livre II de la première partie du code de la santé publique, sont insérés deux articles L. 1272-4-1 et L. 1272-4-2 ainsi rédigés :
« Art. L. 1272-4-1. - Comme il est dit à l'article 511-5-1 du code pénal ci-après reproduit :
« Art. 511-5-1. - Le fait de procéder à des prélèvements à des fins scientifiques sur une personne décédée sans avoir transmis le protocole prévu à l'article L. 1232-3 du code de la santé publique est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 EUR d'amende.
« Est puni des mêmes peines le fait de mettre en oeuvre un protocole suspendu ou interdit par le ministre chargé de la recherche. »
« Art. L. 1272-4-2. - Comme il est dit à l'article 511-5-2 du code pénal ci-après reproduit :
« Art. 511-5-2. - I. - Est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 EUR d'amende le fait de conserver et transformer à des fins scientifiques, y compris à des fins de recherche génétique, des organes, des tissus, des cellules ou du sang, ses composants et ses produits dérivés :
« 1° Sans en avoir fait la déclaration préalable prévue à l'article L. 1243-3 du code de la santé publique ;
« 2° Alors que le ministre chargé de la recherche s'est opposé à l'exercice de ces activités ou les a suspendues ou interdites.
« II. - Est puni des mêmes peines le fait de conserver et transformer, en vue de leur cession pour un usage scientifique, y compris à des fins de recherche génétique, des organes, des tissus, des cellules ou du sang, ses composants et ses produits dérivés, sans avoir préalablement obtenu l'autorisation prévue à l'article L. 1243-4 du code de la santé publique ou alors que cette autorisation est suspendue ou retirée. » - (Adopté.)
Article additionnel après l'article 12
M. le président. L'amendement n° 195 rectifié, présenté par MM. Vasselle et Leclerc, Mme Desmarescaux et M. Gournac, est ainsi libellé :
« Après l'article 12, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans un délai d'un an à compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les mesures prises au niveau international, tant sur le plan organisationnel que législatif en matière de prévention, de lutte et de répression du trafic d'organes ainsi que sur les initiatives qu'il compte développer auprès des instances appropriées afin de contribuer, tant au niveau européen qu'international, à l'élaboration d'une législation harmonisée réprimant ce type de trafic. »
La parole est à M. Alain Vasselle.
M. Alain Vasselle. La pénurie d'organes à transplanter dans les pays développés, l'extrême pauvreté des populations dans certains pays, la criminalité organisée guidée par l'esprit de lucre : trois conditions pour que se crée et prospère le trafic d'organes. Ses filières multiples, qui emploient les moyens du commerce électronique et couvrent la Chine, l'Inde, la Moldavie, l'Afrique du Sud, le Nigeria, le Togo, le Mozambique, le Brésil et une bonne partie de l'Amérique latine, doivent être démantelées. Or cela ne pourra se faire sans une volonté commune et la mise en oeuvre, sur le terrain, d'une coopération internationale étroite.
C'est pourquoi, avec plusieurs de mes collègues, j'ai déposé le présent amendement visant à demander au Gouvernement le dépôt d'un rapport qui ferait le point sur la situation actuelle et sur les dispositifs internationaux en vigueur, et présenterait les initiatives que notre pays compte prendre afin de contribuer, sur le plan européen et mondial, à l'adoption de mesures communes pour prévenir et réprimer le trafic d'organes et favoriser l'instauration d'une véritable coopération sans laquelle lesdites mesures ne sauraient se montrer véritablement efficaces.
J'ajoute que, en commission, M. le rapporteur s'est interrogé sur la vérification des affirmations qui figuraient dans l'exposé des motifs de cet amendement.
Cet après-midi, monsieur le président Hoeffel, vous avez salué la présence dans nos tribunes d'une délégation du Mexique, conduite par le président du Sénat mexicain. A midi, j'ai participé au déjeuner que M. le président Poncelet a donné en l'honneur du président du Sénat du Mexique. Alors que je m'inquiétais au sujet du trafic d'organes en Amérique latine, des sénateurs du Mexique m'ont confirmé l'existence, au Guatemala, de preuves irréfutables du trafic d'organes. On peut donc trouver aujourd'hui, dans le monde, des témoignages qui confirment les préoccupations et les craintes que j'exprime à travers cet amendement. Celles-ci nécessitent, selon moi, que le Gouvernement français ne reste pas inactif et devienne leader sur le plan européen et mondial pour demander que la lumière soit faite sur cette situation et pour que des mesures internationales soient prises afin que ce type de comportement ne perdure pas.
Voilà les raisons qui ont motivé le dépôt de cet amendement. Je sais, monsieur le ministre, mes chers collègues, que vous ne demeurerez pas insensibles devant la nécessité d'agir.
M. André Lardeux. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Francis Giraud, rapporteur. La commission a entendu avec beaucoup d'intérêt M. Vasselle. La question qu'il soulève est pertinente, mais la réponse qu'il y apporte - le dépôt d'un rapport dans un délai d'un an à compter de la publication de la présente loi - suscite certaines interrogations. L'Agence de la biomédecine, qui regroupera les activités de l'APEGH et de l'Etablissement français des greffes, ne serait-elle pas mieux à même de répondre à cette question ? Il revient donc au Gouvernement de nous faire part des informations dont il dispose, et c'est la raison pour laquelle la commission sollicite son avis.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-François Mattei, ministre. La préoccupation exprimée par M. Vasselle ne peut nous laisser indifférents. Aussi, j'émets un avis favorable. Cependant, il conviendra, lors de la deuxième lecture, d'améliorer la rédaction proposée par cet amendement. En effet, comme vient de le dire M. le rapporteur, on ne peut pas multiplier les rapports. On pourrait préciser que le rapport de l'Agence de la biomédecine sur la transplantation d'organes comportera un chapitre destiné à faire le point sur les trafics éventuels d'organes et sur la situation telle qu'on peut l'identifier. (Très bien ! au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Le problème qui est soulevé par notre collègue Vasselle est d'une cruelle actualité. Mais s'il faut dénoncer, poursuivre et sanctionner les trafiquants d'organes de par le monde, il faut aussi s'interroger sur les causes des trafics d'organes. Force de constater que de plus en plus souvent, notamment au Guatemala, en Afrique du Sud ou en Palestine, ces trafics sont dus à la misère. C'est un élément qui doit être pris en compte. Récemment, j'ai appris qu'en Palestine les trafics d'organes représenteraient 30 % du PIB. Cela m'a fortement surpris.
Pour avoir voyagé de par le monde, nous savons que le trafic de cornée ou d'un certain nombre d'organes qui peuvent être prélevés assez facilement sans que cela entraîne la mort repose avant tout sur la grande misère vécue par la majeure partie du peuple. Quand on connaît la très grande misère, on est acculé à des réalités que nous ne soupçonnions pas et qui semblent devoir se développer.
Pour ma part, je souscris à la proposition de M. Vasselle, mais je crois que M. le ministre pourrait contribuer à nous éclairer sur l'élément que je viens d'évoquer et qui semble bien être à l'origine des trafics d'organes. C'est un débat différent, que l'on pourrait transposer, notamment, sur la prostitution.
M. Jean-François Mattei, ministre. Ou sur l'adoption !
M. Guy Fischer. L'adoption, par exemple, des enfants bulgares, à l'heure actuelle !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 195 rectifié.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 12
M. le président. « Art. 12 bis. - Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, ne peut constituer une invention brevetable. »
La parole est à M. Gilbert Chabroux, sur l'article.
M. Gilbert Chabroux Nous abordons un sujet particulièrement important : la brevetabilité ou la non-brevetabilité du vivant.
Pour l'amendement n° 95, vous allez nous proposer, monsieur le ministre, de supprimer l'article 12 bis, qui a été voté à l'unanimité à l'Assemblée nationale et qui affirme le principe de la non-brevetabilité du vivant, et plus particulièrement de la séquence ou de la séquence partielle d'un gène. Si nous avons bien compris, vous allez, à peu de chose près, vous aligner sur la directive européenne 98/44/CE, qui pose exactement le contraire.
Si tel est bien le cas - et nous avons toutes les raisons de le penser -, c'est un retournement de situation. Vous aviez voté, à l'Assemblée nationale, l'amendement présenté par M. Jean-Claude Lefort et qui est devenu l'article 12 bis. Vous aviez mené campagne sur Internet contre la directive européenne et son article 5. Vous proclamiez alors que le génome humain est un patrimoine commun de l'humanité. Au Palais-Bourbon, vous avez déclaré : « il faut s'insurger contre le fonctionnement de l'Office européen des brevets », qui applique la directive européenne. Vous avez même dit : « notre conception humaniste française ne peut accepter les conditions dans lesquelles les brevets ont été accordés ». Et vous avez rappelé hier encore que c'est sur votre insistance qu'en 1994 le code de la propriété intellectuelle a été modifié pour qu'il y soit précisé que « le corps humain, ses éléments et ses produits, ainsi que la connaissance de la structure totale ou partielle d'un gène humain ne peuvent, en tant que tels, faire l'objet de brevets ».
Aussi, nous nous interrogeons. Aujourd'hui, en effet, vous nous expliquez, dans l'exposé des motifs de l'amendement que vous présentez, que vous ne pouvez « laisser subsister cette disposition » - l'article 12 bis - « contraire à la directive ». Et vous ajoutez : « Les conditions selon lesquelles un élément du corps humain peut toutefois être l'objet d'une protection par brevet sont dorénavant strictement encadrées par l'article L. 611-18 nouveau » - c'est le texte que vous nous proposez - « et s'inspirent largement de l'arrêt délivré par la Cour de justice des Communautés européennes le 9 octobre 2001 à propos de la directive 98/44 ».
Il s'agit donc bien d'un alignement sur cette directive, qui constituerait un point de divergence très fort par rapport à la position unanime adoptée par l'Assemblée nationale en janvier 2002.
Nous souhaiterions, pour notre part, que nous puissions tous nous arc-bouter sur l'article 12 bis et demander la renégociation de l'article 5 de la directive européenne.
Lors de son audition par la commission, Axel Kahn affirmait ceci : « L'idée selon laquelle cette directive n'est pas bonne me semble gagner du terrain. Tout travail législatif laissant ouverte la possibilité de préciser la signification ou de réviser la directive me semble extrêmement bénéfique. »
Seulement quatre Etats membres ont transposé cette directive. En France, un projet de transposition a été élaboré et déposé par le précédent gouvernement sur le bureau du Sénat ; ce projet ne comporte pas l'article 5.
Nous attendions de connaître la position du gouvernement actuel. Elle nous semble maintenant établie et exprimée. Néanmoins, nous souhaiterions vous entendre d'une façon plus précise, monsieur le ministre.
Vous avez tendance, monsieur le ministre, à toujours faire porter les responsabilités sur le précédent gouvernement. Je viens de rappeler ce que celui-ci a fait. Que pensez-vous faire par rapport à cette directive 98/44/CE ? Le gouvernement précédent avait saisi, à plusieurs reprises, le président de la Commission européenne pour lui faire part...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela n'a rien changé !
M. Gilbert Chabroux. Il l'avait saisi ! Nous attendons de savoir ce que fera le nouveau gouvernement. Le gouvernement précédent avait en tout cas fait part de ses remarques sur l'ambiguïté de l'article 5, qui comprend deux alinéas a priori contradictoires.
Je répète que, dans le projet de loi tel qu'il a été adopté par le précédent conseil des ministres, la directive a été approuvée sauf son article 5, précisément par référence à la loi de 1994 interdisant la brevetabilité du vivant. Cette mesure avait pour objet de rouvrir la négociation au niveau de la Commission. Désormais, après l'adoption de votre amendement - et il sera sans doute adopté -, je ne sais pas ce qu'il restera à négocier.
Monsieur le ministre, nous connaissons, ou plutôt nous imaginons les intérêts économiques qui sont en jeu. Nous imaginons les pressions qui sont exercées par les grands laboratoires, les firmes de biotechnologie, par l'association France Biotech. Mais on ne peut pas leur sacrifier les principes sur lesquels vous vous êtes pourtant battu, ce qui nous désole encore plus, en premier lieu le principe de non-marchandisation du vivant.
Lors de son audition par la commission, le professeur Laurent Degos affirmait : « Nous ne pouvons ni breveter, ni acheter, ni vendre un homme. Nous n'avons pas le droit de breveter, d'acheter ou de vendre un organe. Il est interdit de breveter, d'acheter ou de vendre du sang ou des cellules de sang. Nous pouvons aussi nous poser la question à propos du gène. Il faut suivre jusqu'au bout la trajectoire humaine en interdisant tout brevet pour tout ce qui touche l'homme jusqu'à ses gènes. »
Nous espérons, monsieur le ministre, que nos propos vous convaincront et que vous resterez sur les positions que vous aviez prises. Nous souhaiterions pouvoir, tous ensemble, mener le même combat contre l'article 5 de la directive européenne 98/44/CE. (M. François Autain applaudit.)
M. le président. La parole est à M. François Autain.
M. François Autain. Monsieur le ministre, vous me pardonnerez, mais j'avais besoin de mettre en perspective l'action foisonnante qui, depuis dix ans, vous a mobilisé sur la brevetabilité du gène afin de comprendre si votre présence au Gouvernement en était la continuité logique ou si, au contraire, elle marquait une contradiction. J'avoue que je n'ai pas de réponse. Mais peut-être pourrez-vous m'aider à satisfaire cette curiosité intellectuelle ?
Tout a commencé voilà une dizaine d'années. C'est en effet en 1993 que vous avez abordé pour la première fois le problème de la brevetabilité du vivant, question qui vous est chère. Vous ne faisiez en réalité que reprendre à votre compte la position française telle qu'elle avait pu être exprimée à l'époque par l'Académie des sciences : « Le brevet sur un gène en tant que tel n'est pas acceptable en tant que les gènes font partie du programme commun de l'humanité. »
En mars 1995, le Parlement européen répondait « non » en bloc à la question qui agitait tous les experts depuis de nombreuses années : peut-on breveter la matière vivante ? Ainsi, il soulevait un tollé parmi les industriels européens qui craignaient un transfert des productions de biotechnologies vers les Etats-Unis.
Alors partie prenante de la majorité au pouvoir, l'éthique de conviction du savant que vous êtes s'était éclipsée derrière l'éthique de responsabilité du politique que vous étiez alors, et que vous êtes toujours.
Vous souhaitiez alors écarter « l'idée d'une Europe définitivement hostile aux biotechnologies » tout en réitérant « l'obligation de protéger l'être humain dans sa dignité à l'égard d'applications des biotechnologies ».
Au prix d'une cohérence incertaine, l'honneur était sauf. Imperturbablement, la logique néolibérale n'en continuait pas moins son oeuvre puisque, en 1997, un millier de gènes associés à des maladies étaient déjà brevetés dans le monde. Vous ne pouviez alors que faire une amère constatation : « La Commission européenne ne semble toujours pas avoir pris la mesure des exigences éthiques particulières qu'impose la brevetabilité de la matière vivante humaine .»
La même année, l'UNESCO adoptait sa déclaration universelle sur le génome humain et la convention d'Oviedo était signée.
Tout à coup en 2000, sans que l'on sache très bien pour quelle raison, la machine s'emballe. Vous vous radicalisez. Avec votre collègue allemand, député européen, Wolfgang Wodarg, qui, il n'est pas inutile de le rappeler, était membre du parti social-démocrate allemand, le SPD, vous lancez, le 12 avril, sur Internet, une pétition européenne intitulée « SOS Humanogénome », réclamant un moratoire sur la transposition de cette directive européenne qui autorise en fait - je schématise - le dépôt de brevets sur le génome humain.
Cette pétition recueille très rapidement 3 000 signatures parmi lesquelles on trouve pêle-mêle : Greenpeace, José Bové et la Confédération paysanne, le professeur Axel Kahn, les prix Nobel Jean Dausset et François Jacob, l'avocat Jean-Marc Varaut, l'ancien ministre Jean Foyer, Jacques Testard, le professeur François Gros, les Mutuelles de France, l'Ordre national des médecins, la Ligue des droits de l'homme, 60 Millions de consommateurs, UFC-Que Choisir, etc. Sous cette apparente hétérogénéité se retrouvent tous ceux qui ont peut-être du mal aujourd'hui à vous reconnaître dans vos nouveaux habits de ministre.
On ne peut, bien sûr, qu'approuver une telle initiative. Elle rencontre d'ailleurs un rapide succès et, très vite, 10 000 signatures sont réunies.
Vous déclarez alors : « Je souhaite, par ce message, attirer l'attention de la communauté internationale et plus particulièrement de l'Union européenne sur la question de la brevetabilité des gènes humains. Considérant que le génome humain est un patrimoine commun de l'humanité, je refuse l'appropriation des séquences géniques qu'induit la logique des brevets. » C'est clair, c'est sans ambiguïté, courageux et en phase avec l'opinion.
Grâce à cette initiative, la question brûlante de l'autorisation du dépôt de brevet concernant les êtres vivants est enfin sortie du cénacle savant pour faire irruption dans la vie politique communautaire.
Jacques Chirac, qui assure la présidence de l'Union en septembre, ne demande pas la modification de la directive. Il se borne à rappeler qu'il est fermement opposé à toute forme de commercialistion du corps humain.
Les entreprises françaises de biotechnologie et leurs partenaires financiers, réunis au sein de l'association France-Biotech, ne comprennent absolument pas votre démarche alors qu'ils seraient plutôt, par principe, bien disposés à votre égard. Ils sont consternés de vous voir prendre des positions si contraires à leurs intérêts, au moment où la France assure la présidence de l'Union.
Comme si la situation n'était pas assez compliquée, le Conseil de l'Europe, en juillet 2000, se prononce contre la brevetabilité du génome humain et demande la renégociation de la directive,...
M. Jean-François Mattei, ministre. Sur mon initiative !
M. François Autain. ... appliquée depuis le 1er juillet 2000.
En remettant, le 8 novembre 2000, au Président Jacques Chirac votre pétition, qui a recueilli 10 000 signatures émanant de tous les horizons géographiques, sociaux et politiques, vous trouvez, à cette occasion, des accents très « bovésiens », que la Confédération paysanne ne renierait pas.
N'avez-vous pas en effet déclaré : « Le corps humain, et donc ses gènes, n'est pas une marchandise » ? On se croirait à Millau, où, pourtant, je ne pense pas que vous soyez allé très souvent, en tout cas pour manifester !
En juillet 2001,...
M. le président. Cher collègue, veuillez conclure !
M. François Autain. Monsieur le président, j'abrège !
M. Jean-François Mattei, ministre. C'est intéressant ! Vous me préparez le terrain !
M. François Autain. C'est pour cela que j'interviens ; c'est pour vous rendre service, monsieur le ministre ! (Sourires.)
M. Jean-François Mattei, ministre. Je vous en remercie.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Quelle alliance objective ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. Poursuivez, mon cher collègue, mais cheminez vers la conclusion !
M. François Autain. En juillet 2001, disais-je, vous avez enflammé le débat sans grand risque parce que vous êtes toujours - encore pour quelque temps - dans l'opposition, situation malgré tout confortable, qui vous protège encore et n'entame en rien votre crédit.
C'est pourquoi, quelques mois après, dans une interview, vous en remettez une couche plutôt bienvenue. Je vous cite : « Il est anormal qu'un laboratoire américain, Myriad Genetics, se soit approprié la séquence du gène prédisposant au cancer du sein chez la femme et veuille assurer l'exclusivité de toutes les analyses de dépistage de la planète à partir de la méthode qu'il a mise au point ».
Vous citez l'exemple de l'Institut Curie à Paris et de l'Institut Paoli-Calmette, à Marseille, que vous connaissez bien et qui ont mis au point des analyses plus fiables et trois fois moins coûteuses. D'ailleurs, vous êtes revenu hier sur ce sujet sans qu'on sache vraiment si, maintenant que vous êtes ministre de la santé, vous pouvez relever le défi ; peut-être pourrez-vous me répondre sur ce point.
Tout ce qu'on peut dire en tout cas, sans crainte de se tromper, c'est que la directive européenne sur le brevetage du vivant divise les Quinze.
La France n'a pas encore adopté la réglementation de Bruxelles et on peut parler, en matière de brevet sur le vivant, d'une exception française sur le modèle de l'exception culturelle, ce qui n'est pas fait pour me déplaire, pas plus qu'à mes amis du groupe CRC ou du groupe socialiste, ni à tous ceux qui, en janvier dernier, à l'Assemblée nationale, se sont prononcés dans ce sens.
M. le président. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il faut en finir !
M. François Autain. J'ai pratiquement terminé.
Mais une inconnue de taille subsiste : qu'allez-vous faire ? Que proposez-vous ? Car les débats en commission ne nous ont été d'aucun secours, pas plus que l'arrivée tardive des amendements que vous proposez. Nous attendons vos explications. Jusqu'à présent, vous avez émis des regrets mais ce n'est pas avec des regrets que l'on gouverne !
La seule information que vous avez distillée est que cette transposition va nous poser énormément de problèmes. Figurez-vous que nous étions quelques-uns à nous en être aperçus !
J'ai le sentiment que l'exercice de vos nouvelles responsabilités, sans qu'elles soient encore pour vous un chemin de croix - ce que je ne vous souhaite pas, d'ailleurs - risque de vous obliger à vous livrer à des contorsions intellectuelles, dont les deux amendements que nous allons discuter maintenant vont donner en quelque sorte un avant-goût.
Malheureusement, vous courez le risque de jeter la suspicion sur votre engagement passé (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste), dont je ne répèterai jamais assez le bien que nous en pensions.
Désormais, tout le problème est de savoir comment vous allez effectuer votre atterrissage, en espérant que vous saurez éviter le crash.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Autain.
M. Francis Giraud, rapporteur. Oui, cela suffit !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela devient un peu long !
M. François Autain. Il est vrai que vous vous accordez un délai de trois ans pour négocier. Ce délai sera-t-il suffisant pour apporter une réponse à la question suivante : peut-on, tout en réaffirmant la non-brevetabilité des gènes, amender la directive européenne sans la rendre incohérente et, par conséquent, inapplicable ?
M. le président. Monsieur Autain, votre temps de parole est épuisé. Veuillez conclure, je vous prie.
M. François Autain. Ma conviction est que cet exercice est aléatoire et qu'il serait préférable de rester sur les positions de l'Assemblée nationale sortante, qui avait émis un vote unanime.
Je vous remercie, monsieur le président, de m'avoir laissé le temps de terminer.
M. le président. Monsieur Autain, vous qui avez été membre du bureau du Sénat,...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais il a changé depuis !
M. le président. ... vous savez que le règlement est fait pour permettre à chacun d'intervenir dans des conditions d'équité.
Vous avez pu aller au terme de vos propos. Mais un tel débordement ne saurait se répéter.
La parole est à M. Jean-Louis Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Avant tout, je tiens à réagir au discours empreint de contradictions et de condescendance que vient de tenir M. Autain. Nous venons d'assister à une véritable revue de presse ad hominem. L'esprit de dérision qui a baigné ces propos nous fait nous demander si nous sommes bien au Sénat !
J'en viens à l'article 12 bis.
Nous vivons une période de l'histoire de l'humanité au cours de laquelle, en un demi-siècle, biotechnologie et médecine ont plus progressé que depuis leurs début.
Ces progrès de la santé et de la qualité de vie portent, en eux, de nouvelles responsabilités. Le choix des techniques utilisées exige l'affirmation de certains principes éthiques et la mise en place de limites en adéquation avec les valeurs de notre société.
Ainsi, le respect de la dignité humaine exclut que tout ou partie du corps humain puisse faire l'objet d'un commerce quel qu'il soit. Tout don ne peut être que gratuit, librement consenti et respectant l'anonymat.
Après avoir mené des tractations pendant plusieurs années, le Parlement européen a accepté en 1998 que la matière vivante humaine soit brevetée, notamment des parties du génome humain non encore connues, à condition qu'elles fassent l'objet d'une exploitation industrielle.
Or chaque découverte du vivant ne peut devenir tributaire du droit du brevet.
Il faut d'abord faire la différence entre un produit ou un procédé innovant, qui est brevetable, et une séquence constitutive de la structure et des fonctions du génome humain, qui relève de la découverte et qui ne devrait pouvoir être brevetée en l'état.
Ensuite, il faut s'interroger sur le fait de savoir si la législation ne porte pas préjudice à la recherche, en permettant à certains de s'approprier ce qui est ni plus ni moins qu'une donnée de la nature.
Monsieur le ministre, vous avez pris des initiatives à l'égard de cette législation européenne ; vous avez préconisé la renégociation de la directive européenne, au même titre que le Comité consultatif national d'éthique. Vous avez exposé en détail, hier, les différents événements qui se sont succédé ces deux dernières années, notamment la décision négative de la Cour de justice des Communautés européennes.
Dans ce contexte, si l'article 12 bis était maintenu, la France s'exposerait à des sanctions de la part de la juridiction européenne.
Vous nous proposez, me semble-t-il, une solution originale, qui permet de concilier notre conception de l'homme, qui ne peut être aliéné, en tout ou partie, avec les intérêts économiques du secteur de la recherche, dont les inventions requièrent une protection juridique nécessaire à la rentabilité économique et à l'investissement, facteur de la progression de recherche.
Soyez assuré, monsieur le ministre, de notre soutien dans cette démarche.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-François Mattei, ministre. Disposant d'un peu de temps, je vais pouvoir remettre les pendules à l'heure auprès de ceux qui ressemblent plutôt aujourd'hui à des arroseurs arrosés et qui font preuve d'un cynisme indécent.
Monsieur Autain, vous n'étiez pas là hier soir pour entendre mes explications, ce qui me donne une bonne excuse pour recommencer.
Vous avez tenté de refaire l'histoire avec beaucoup de justesse, certes, mais aussi beaucoup de lacunes.
L'histoire a commencé en 1988, mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque, pour la première fois, le Parlement européen a été saisi d'un projet de directive relative aux biotechnologies. Le Parlement européen a rejeté le texte au motif qu'il comportait des dispositions conduisant à breveter le vivant.
En 1993, je fus effectivement chargé de préparer les lois de bioéthique et, en 1994, j'ai fait introduire dans le texte une proposition qui, à ma connaissance, existe toujours, ce qui, par parenthèse, ne justifiait pas le dépôt de l'amendement de mon collègue et ami M. Lefort. Il y a donc redondance ; mais pourquoi ne pas affirmer deux fois une réalité à laquelle on croit très fort ?
Que disait le texte de 1994 ?
« Art. 7. - Les deux premiers alinéas de l'article L. 611-17 du code de la propriété intellectuelle sont ainsi rédigés :
« Ne sont pas brevetables :
« a) Les inventions dont la publication ou la mise en oeuvre serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs, la mise en oeuvre d'une telle invention ne pouvant être considérée comme telle du fait qu'elle est interdite par une disposition législative ou réglementaire ; à ce titre, le corps humain, ses éléments et ses produits ainsi que la connaissance de la structure totale ou partielle d'un gène humain ne peuvent, en tant que tels, faire l'objet de brevets. »
M. Nicolas About, président de la commission. Très bien !
M. Jean-François Mattei, ministre. En 1995, le Parlement européen est saisi pour la seconde fois - sept ans après - d'un nouveau projet de directive. Les technocrates étant toujours les mêmes, le texte n'a pratiquement pas changé, et le Parlement, dans sa sagesse, repousse cette seconde version. Ce que voyant, la délégation européenne de l'Assemblée nationale me demande de rédiger un rapport sur la brevetabilité du vivant et de rechercher une solution à la française.
J'ai élaboré ce rapport ; il a été adopté à l'unanimité de la délégation européenne, à tel point que, avec l'accord de l'ensemble de ses membres, nous avons soumis au vote de l'Assemblée nationale une proposition de résolution visant à interdire de breveter les gênes humains et de breveter l'ensemble du vivant.
Cette proposition de résolution a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale. Il est vrai, monsieur Autain, monsieur Chabroux, que j'ai eu un tort, en 1996, après le vote de cette proposition de résolution : j'ai pensé que la France s'en tiendrait à cette position.
En 1997, s'est produit un changement de majorité et, en 1998, le gouvernement en place a défendu le projet de directive. Or, en son article 5, deuxième alinéa, cette dernière dispose : « Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, peut constituer une invention brevetable, même si la structure de cet élément est identique à celle d'un élément naturel. »
Voilà ce que la majorité de l'époque, ce que le gouvernement de l'époque ont soutenu. S'il y a eu une faille dans la position française quant à son opposition déclarée à la brevetabilité du vivant, c'est cette décision du gouvernement Jospin qui en est responsable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.) A ce moment-là, je suis entré en rébellion - vous avez raison, monsieur le sénateur -, et on peut voir dans l'action de la Confédération paysanne ce que peut faire la rébellion !
Je l'ai dit hier soir, mais je le répète : j'ai demandé un rendez-vous au Premier ministre, je n'ai jamais été reçu ; j'ai rencontré le ministre de la recherche de l'époque, je n'ai pas été entendu.
J'ai lancé une pétition sur Internet qui a eu un succès étonnant.
M. Bernard Seillier. Je l'ai signée !
M. Jean-François Mattei, ministre. Les communistes l'ont signée. Un grand nombre de parlementaires de l'opposition de l'époque l'ont signée. Quelques socialistes l'ont signée également, mais ensuite, consigne leur a été donnée de ne pas venir à l'appui d'une démarche à connotation politicienne.
J'ai longuement discuté avec M. le rapporteur Claeys, qui me disait : « Que veux-tu obtenir ? On ne peut pas revenir sur une directive européenne. C'est ainsi. »
Je suis allé à Bruxelles. J'ai rencontré le commissaire M. Busquin. Je me suis heurté à une opposition frontale.
Entre 1998 et 1999, si le gouvernement Jospin avait bel et bien réalisé qu'il avait fait une grossière erreur, il aurait pu, lui, et lui seul, intervenir auprès de la Commission européenne. Il ne l'a pas fait. Il aurait pu tout de suite proposer des solutions de remplacement, de compromis, proposer une transposition amputée de l'article 5 de ladite directive. Il n'en a rien été.
Ce n'est que devant mes assauts répétés, appuyés par l'opinion publique, par un certain nombre de parlementaires, que les choses ont bougé, c'est-à-dire que le projet initial visant à inclure dans le projet de loi relatif à la bioéthique la directive sur les biotechnologies a été repoussé. Il est vrai que M. Schwartzenberg, alors ministre de la recherche, a commencé à travailler sur un projet de transposition amputé de l'article 5.
Je trouve tout de même curieux qu'après avoir pris conscience de cette erreur le gouvernement Jospin n'ait pas introduit un recours. Les Pays-Bas en ont introduit un, l'Italie aussi, mais pas la France.
En réalité, la France était très heureuse, car c'était l'époque où l'on pensait qu'il ne pourrait pas y avoir de développement des biotechnologies sans prise de brevet sur les gènes. C'est en partie contre cette dérive scientifique que je me suis élevé. Je le répète : personne ne peut s'approprier les gènes humains. Ils constituent notre patrimoine commun, et je ne renie rien de ce que j'ai dit. C'est l'objet de mon combat permanent.
Depuis que j'ai pris mes fonctions, j'ai fait le tour des capitales européennes.
Les Italiens ne souhaitent pas transposer la directive en l'état. Les Allemands hésitent sur un texte, car ils sont divisés. Les Danois ont procédé à la transposition, mais le monde de la recherche est en train de considérer que c'est une bêtise. Les Finlandais ont transposé par discipline européenne, mais ils ont voté en même temps un texte donnant une autre interprétation. La Grande-Bretagne, elle, a transposé en toute connaissance de cause. Les autres pays attendent.
Il y a quelques jours, le Parlement du Luxembourg a refusé de transposer. La réponse de la Commission est arrivée sous vingt-quatre heures : « C'est la responsabilité du Luxembourg. De toute façon, le droit national est subsidiaire au droit européen et c'est le droit communautaire qui s'impose. »
Monsieur Autain, monsieur Chabroux, vous devriez avoir honte de ce que vous avez fait et surtout de vouloir faire croire que j'ai changé d'avis, tandis que vous vous pareriez de toutes les vertus de l'innocence. C'est invraisemblable et c'est indécent !
Que faut-il faire aujourd'hui, compte tenu de la prééminence du droit européen ?
Nous devons continuer à convaincre. C'est pourquoi je vous propose un amendement visant à insérer un article L. 611-19 dans le code de la propriété industrielle disposant que ne sont notamment pas brevetables : les procédés de clonage des êtres humains, les procédés de modification de l'identité génétique de l'être humain, les utilisations d'embryons, ainsi que les séquences totales ou partielles d'un gène prises en tant que telles. Vous trouverez dans cet amendement ce que j'ai toujours affirmé et, si vous êtes honnêtes, vous serez obligés de l'admettre.
Ce que je propose aujourd'hui et que je vais plaider devant la Commission, c'est que, s'agissant de la biotechnologie, si on ne peut pas breveter le « bio », on peut breveter la technologie. Je propose que l'on brevette une méthode, y compris lorsqu'elle inclut un gène, pour autant que ce gène demeure accessible à qui veut y accéder pour mettre au point une autre méthode plus compétitive, plus efficace, et que le brevet de méthode ne permette pas l'appropriation du gène.
Voilà ce que je vous propose aujourd'hui afin de permettre le développement des biotechnologies, afin de faire en sorte que nous allions de l'avant, afin que nous ne soyons pas condamnés, mais aussi afin de montrer que nous tenons par-dessus tout à la non-brevabilité du vivant sous toutes ses formes, y compris les gènes.
Vous lirez dans le détail le texte proposé pour l'article L. 611-18 : « Ne peuvent constituer des inventions brevetables, le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d'un de ses éléments, y compris la séquence ou séquence partielle d'un gène. »
Il n'y a donc pas d'ambiguïté sur ma position, et permettez-moi à cet égard de reprendre un argument médical que j'ai utilisé hier : oui, je veux développer le dépistage du cancer génétique du sein, mais non, je ne veux pas passer sous les fourches de Myriad Genetics. Je refuse que le gène soit breveté et si d'autres, comme l'Institut Curie, comme l'Institut Paoli-Calmette ou comme l'Institut Gustave-Roussy, mettent au point des méthodes plus compétitives, plus fiables, plus économiques, plus complètes, il faudra utiliser ces dernières en refusant de se soumettre au diktat de ceux qui veulent breveter le vivant.
Je vous propose aujourd'hui un pas vers les biotechnologies, mais en affranchissant le brevet de ses exigences commerciales.
Par ailleurs, j'accompagne cet amendement de deux autres dispositions créant des licences d'office et des licences obligatoires pour le cas où nous rencontrerions des difficultés devant les tribunaux internationaux car, s'il est vrai que nous pouvons essayer de convaincre l'Europe, on peut se demander si nous allons convaincre l'Organisation mondiale du commerce de la valeur de notre droit national.
M. Guy Fischer. Ah ! Nous y sommes !
M. Jean-François Mattei, ministre. Je n'en suis pas absolument certain au regard des difficultés que nous rencontrons en raison des convictions des uns et des autres, des Britanniques notamment.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la France doit adopter une position ferme, mais ouverte. C'est ce que je vous propose, et je n'accepterai pas un seul instant que l'on puisse laisser dire que j'ai changé d'opinion sur une valeur aussi essentielle qui fait échapper le vivant au commerce et à la transaction.
Le Gouvernement va donc vous soumettre trois amendements que vous pouvez voter en conscience, car il n'y a là rien de différent par rapport à la pétition que vous avez pu signer les uns et les autres : je n'accepterai pas qu'un gène, dans sa séquence totale ou partielle, puisse un jour être l'objet d'une appropriation de quelqu'un qui aurait fait une découverte et non une invention. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Philippe Nogrix. Excellent !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 95, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
« Rédiger ainsi cet article :
« Le code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :
« I. - L'article L. 611-17 du code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :
« 1° Le deuxième alinéa a) de cet article est supprimé. En conséquence le b) et le c) deviennent respectivement le a) et le b).
« 2° Au début de cet article, il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Ne sont pas brevetables les inventions dont l'exploitation commerciale serait contraire à la dignité de la personne humaine, à l'ordre public ou aux bonnes moeurs, cette contrariété ne pouvant résulter du seul fait que cette exploitation est interdite par une disposition législative ou réglementaire. » ;
« II. - Il est inséré, après l'article L. 611-17 du même code, les articles L. 611-18 et L. 611-19 ainsi rédigés :
« Art. L. 611-18. - Ne peuvent constituer des inventions brevetables, le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d'un de ses éléments, y compris la séquence ou séquence partielle d'un gène.
« La protection par brevet d'une invention constituant l'application technique d'une fonction d'un élément du corps humain ne couvre cet élément qu'en tant qu'il permet cette application particulière, qui doit être concrètement et précisément exposée dans la demande de brevet.
« Art. L. 611-19. - Ne sont notamment pas brevetables :
« a) Les procédés de clonage des êtres humains ;
« b) Les procédés de modification de l'identité génétique de l'être humain ;
« c) Les utilisations d'embryons humains à des fins industrielles et commerciales ;
« d) Les séquences totales ou partielles d'un gène prises en tant que telles. »
« III. - Il est inséré, après l'article L. 613-2 du même code, un article L. 613-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 613-2-1. - La portée d'une revendication couvrant une séquence génique est limitée à la partie de cette séquence directement liée à la fonction spécifique concrètement exposée dans la description.
« Les droits créés par la délivrance d'un brevet incluant une séquence génique ne peuvent être invoqués à l'encontre d'une revendication ultérieure portant sur la même séquence si cette revendication satisfait elle-même aux conditions de l'article L. 611-18 du code de la propriété intellectuelle et qu'elle expose une autre application particulière de cette séquence. »
« IV. - Un rapport d'évaluation des conséquences juridiques, économiques, éthiques et de santé publique de l'application du présent article sera présenté au Parlement dans un délai de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi. »
L'amendement n° 177 rectifié, présenté par M. Fischer, Mme Demessine, M. Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit cet article :
« Ne peut constituer une invention brevetable le corps humain, toute matière biologique humaine, végétale ou animale, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, même isolée de son environnement naturel ou produite à l'aide d'un procédé technique lorsqu'elle préexistait à l'état naturel. »
L'amendement n° 95 vient d'être présenté par M. le ministre.
La parole est à M. Ivan Renar, pour présenter l'amendement n° 177 rectifié.
M. Ivan Renar. Il est urgent que la France renégocie la directive européenne 98/44/CE du 6 juillet 1998.
L'autorisation de brevetage, nous le répétons, ne peut concerner le génome humain, animal et végétal. Le vivant fait partie du patrimoine biologique inaliénable de l'humanité, et ce dernier ne peut en aucun cas être défini comme étant une invention ni une innovation ; par conséquent, il ne doit pas être soumis au brevetage.
Tel est le sens de notre amendement.
L'approche économique du vivant via le marché, sa marchandisation à travers les brevets comme régulateurs des profits n'est pas viable, parce qu'elle ne répond pas à l'épuisement des ressources et de la matière première.
La montée en puissance de la mondialisation de la finance depuis les années quatre-vingt contribue à exacerber une concurrence guerrière entre les groupes biotechniques supranationaux, à développer ce que David Rossi appelle une « biopiraterie » et un « biocolonialisme » des pays du Sud.
Il faut créer de nouvelles règles du jeu qui n'aboutissent pas à l'appropriation et à l'industrialisation du vivant par les industries biotechnologiques et à une marchandisation sauvage des connaissances.
La guerre dans laquelle nous entraîne l'idéologie d'un monde unipolaire, appliquée au domaine qui nous occupe, est en complète contradiction avec la notion de progrès social et humain, de prospérité même.
Cette idéologie entraîne toutes les sociétés de notre planète dans une spirale boulimique où la valeur d'usage de la biodiversité n'est pas préservée par ceux-là mêmes qui en tirent profit.
Or nous savons dorénavant que la civilisation humaine, telle qu'elle a été organisée jusqu'à présent, épuise les ressources naturelles et dénature le vivant si elle ne réussit pas à se donner des limites et des cadres législatifs et éthiques suffisants.
La bioéthique doit assigner des frontières imperméables aux postulats économiques de la finance mondialisée et de l'OMC. Elle n'est pas en contradiction avec le champ des sciences, de la recherche et du système des brevets, elle exige simplement des comportements responsables dans lesquels les intérêts économiques ne prévalent pas sur les valeurs morales.
Les principes du traité de Rome, en 1957, concernaient la promotion, entre autres, du développement harmonieux des activités économiques et une élévation croissante des niveaux de vie.
Le « tout économique » et ses théoriciens ont une faculté extraordinaire d'intégrer en système et en paramètres comptables les aspects les plus inattendus, les phénomènes les plus injustes, les valeurs les plus abstraites de la vie. Ainsi, le vivant acquiert le statut de « ressource tragique », pour reprendre l'expression de Calabresi et Bobbitt.
La terre, la mer, bientôt le ciel, sont privatisés, ont un prix, d'ailleurs injuste ; les pauvres entrent dans le marché de la main-d'oeuvre et leur pauvreté a même un coût ; la santé, l'éducation, que sais-je... L'argent même est marchandisé en bourse, le tout économique devient le « monsieur Propre » de nos cerveaux.
Et l'être humain, dans tout cela ?
Le tout économique répond : « Le corps humain est conçu, désormais, comme un condensé de ressources génétiques rares susceptibles d'être appropriées et échangées. L'homme devient ainsi à la fois sujet et objet des pratiques économiques. »
Souvenons-nous du cas de John Moore qui ne put, en 1976, s'opposer au brevetage des gènes qui lui avaient été prélevés et qui n'a pas non plus été associé financièrement et contractuellement à ce brevetage.
M. Jean-François Mattei, ministre. L'homme aux cellules d'or !
M. Ivan Renar. De quelle propriété intellectuelle parlons-nous quand il en va du corps d'un individu ? De quel libéralisme économique parlons-nous quand l'individu est annulé ? De quelle démocratie parlons-nous quand la manipulation et la désinformation enferment le citoyen dans l'impuissance ?
C'est pour préserver l'intégrité corporelle, mentale et morale de l'être humain, c'est pour sa dignité, c'est pour préserver le vivant sous toutes ses formes et la biodiversité planétaire que nous vous proposons d'adopter cet amendement, que nous trouvons meilleur, monsieur le ministre, que le vôtre.
M. Jean-François Mattei, ministre. A tort !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Francis Giraud, rapporteur. La commission a émis un avis très favorable sur l'amendement n° 95 du Gouvernement.
En revanche, elle est défavorable à l'amendement n° 177 rectifié, car il est incompatible avec le texte de la directive, qui l'emporte sur le droit national.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 177 rectifié ?
M. Jean-François Mattei, ministre. Monsieur le président, même si je remercie M. Renar de ses propos, je suis défavorable à l'amendement n° 177 rectifié, pour deux raisons.
D'abord, l'amendement n° 95 du Gouvernement est beaucoup plus complet : il décline l'ensemble des problèmes, alors que l'amendement n° 177 rectifié me paraît quand même un peu succinct.
Ensuite, même si je ne suis pas loin de partager vos convictions à bien des égards, monsieur Renar, je considère qu'il n'y a pas lieu d'évoquer dans une loi de bioéthique le domaine végétal ou animal.
Je suis prêt, si vous le souhaitez, à évoquer ici un jour la biopiraterie, l'appropriation indécente par certains de matières premières appartenant au patrimoine d'un pays - je pense notamment aux pays en développement - et je ne suis pas sûr que nos positions soient très éloignées dans ce domaine. Cependant, dans le cas présent, ni l'animal ni le végétal n'ont leur place dans un projet de loi sur la bioéthique et la santé publique.
Mais nous sommes d'accord sur la non-brevetabilité du génome humain, et l'amendement du Gouvernement devrait donc vous satisfaire à cet égard.
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar, pour explication de vote sur l'amendement n° 95.
M. Ivan Renar. J'ai bien entendu votre plaidoyer passionné et tonique, monsieur le ministre. Notre collègue François Autain a d'ailleurs été tout aussi tonique et il n'avait pas la volonté, vous le savez, de vous offenser. Mais, comme vous aimez le dire, « quand on me cherche on me trouve » ! (Sourires.)
L'amendement déposé par le Gouvernement pourrait paraître plus précis que l'article L. 611-17 du code de la propriété intellectuelle, mais il porte en lui un parfum, très attendu, de directive européenne et il flirte un peu avec l'esprit de l'OMC.
En effet, les notions de découverte concernant le vivant et d'invention concernant l'intervention technique sur le vivant ne sont pas suffisamment clairement différenciées.
Par ailleurs, en prévoyant que « ne sont pas brevetables les inventions dont l'exploitation commerciale serait contraire à la dignité de la personne humaine », vous n'envisagez que l'exploitation commerciale, alors qu'il doit s'agir de l'utilisation, de toute utilisation du vivant.
Quant à l'alinéa selon lequel « la protection par brevet d'une invention constituant l'application technique d'une fonction d'un élément du corps humain ne couvre cet élément qu'en tant qu'il permet cette application particulière », il rappelle étrangement la directive européenne, dont vous me permettrez de citer quelques considérants.
« Considérant que ni le droit national ni le droit européen des brevets - convention de Munich - ne comportent, en principe, d'interdiction ou d'exclusion frappant la brevetabilité de la matière biologique... »
« Considérant qu'une invention qui porte sur un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, et qui est susceptible d'application industrielle, n'est pas exclue de la brevetabilité... »
Brevetage du vivant, industries pharmaceutiques, recherche pliée aux intérêts du marché, biotechnologies, découvertes et inventions amalgamées : ces formulations, en voulant favoriser le développement du marché des brevets, ouvrent la voie au commerce du vivant.
A notre avis, il ne peut être question, ici, de compromis : nous parlons de l'évolution de l'espèce humaine et du vivant, de la biodiversité, de l'avenir du genre humain et de la planète Terre, nous parlons de choix de civilisation et de démocratie.
La France doit, là encore, s'affirmer dans une formidable exception scientifique et éthique. La philosophie des sciences et la bioéthique sont un formidable domaine de recherche. La compétitivité de la France réside non pas dans sa participation à une guerre économique mondiale, mais bien dans sa participation à une politique de la recherche au large spectre dans le fondamental et à des applications concertées.
Monsieur le ministre, exigeons ensemble un remaniement sérieux de la directive européenne : il ne peut être question d'un quelconque brevetage du vivant, humain, animal ou végétal.
J'ai entendu votre discours enflammé. Si vous faites encore un effort, monsieur le ministre, nous pourrons être d'accord. (M. le président de la commission rit.) Mais notre amendement nous semble préférable, je le répète. Voilà pourquoi nous émettrons un vote négatif sur l'amendement n° 95. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Bernard Cazeau, pour explication de vote.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le ministre, j'ai entendu, moi aussi, votre plaidoyer. Nous ne mettons aucunement en cause votre action passée en tant que médecin, que nous connaissons. Nous ne mettons aucunement en cause non plus l'action que vous avez menée sur ce dossier ces dernières années en tant que responsable politique de l'opposition... et même de la majorité en 1994.
Cela étant, il est classique d'invoquer l'héritage, dans un sens comme dans l'autre. Lorsqu'on interroge ses propres amis - je l'ai fait parce que j'aime aussi, parfois, connaître leur vérité -, on n'entend pas tout à fait le même son de cloche. Admettons que certains hommes éprouvent une certaine faiblesse devant la vérité !
Quoi qu'il en soit, vous avez aujourd'hui la responsabilité de ce dossier, et vous pouvez - c'est la voie que vous avez choisie - essayer, avec une relative astuce, de trouver une porte de sortie tout en respectant l'esprit de la directive. Mais, tout à l'heure, vous n'êtes pas allé au bout de votre commentaire de l'article L. 611-18 ; et, si je suis tout à fait d'accord avec vous s'agissant du premier alinéa, le second me paraît plus gênant, car il n'est pas suffisamment clair.
Aujourd'hui, il faut véritablement se battre. Il ne faut pas essayer de trouver une échappatoire, il ne faut pas chercher de porte de sortie : il faut se battre pour une renégociation de la directive, et c'est ce que nous voulons avec vous. Il ne s'agit pas pour nous de vous importuner, nous voulons que vous vous battiez pour une renégociation.
C'est pour cette raison que nous ne pourrons pas voter votre amendement, monsieur le ministre, même s'il est très détaillé, même s'il est astucieux, car nous estimons que l'amendement n° 177 rectifié que vient de défendre M. Renar est meilleur.
M. le président. La parole est à M. André Lardeux, pour explication de vote.
M. André Lardeux. J'ai écouté avec attention toutes les explications qui viennent d'être apportées.
Les interventions de MM. Chabroux et Autain auront au moins eu le mérite de nous obliger à relire de très près les textes qui nous sont proposés ! La directive est effectivement exécrable - tout le monde s'accorde sur ce point - parce qu'a triomphé à Bruxelles la mentalité utilitariste que, les uns et les autres, nous dénonçons depuis de nombreuses années et qui est présente par tradition philosophique dans certains pays.
Cela étant, monsieur le ministre, je tiens à vous rassurer : ce n'est pas vous qui avez changé ! Je vous ai en effet entendu, il y a quelques années, dans le Maine-et-Loire, à l'occasion des brillantes conférences que vous aviez données sur ces thèmes qui vous passionnent depuis longtemps. Ceux qui vous reprochent d'avoir changé sont ceux-là mêmes qui viennent de changer : en 1998, n'ont-ils pas soutenu sans scrupule le gouvernement de l'époque quand il a signé et approuvé cette directive que nous devons aujourd'hui transposer ?
Quoi qu'il en soit, comparant l'article 12 bis tel qu'il a été voté par l'Assemblée nationale et la rédaction de l'amendement n° 95, je trouve que ce dernier est meilleur et bien plus précis, car la version initiale laissait, à mon sens, la porte ouverte à beaucoup de dérives, par manque de précautions comme d'encadrement.
Nous sommes tous d'accord, il faut essayer d'obtenir la révision de cette directive européenne. Pour cela, il nous faut absolument peser de tout notre poids, et non nous diviser en nous rappelant aux uns et aux autres un certain nombre de choses plus ou moins agréables. Soyons tournés vers l'avenir !
Enfin, je ne voterai pas l'amendement n° 177 rectifié, malgré la sympathie que j'ai pour la démarche qui en est à l'origine, parce qu'il ne faut pas confondre humain, animal et végétal. Le végétal est breveté - certains, peut-être, le déploreront - depuis de nombreuses années. En France, il existait ainsi un office à cette fin, et, au niveau européen, l'Office communautaire des variétés végétales, dont le siège se trouve à Angers, a pour vocation de breveter le végétal et ses applications dans l'agriculture. Certes, il faut éviter que l'octroi de brevets en la matière n'entraîne des applications alimentaires pour certains pays ou pour certaines catégories de gens, mais ce brevetage demeure un peu différent du brevetage de produits humains, et c'est pour cette raison qu'il ne faut pas le mettre sur le même plan.
Le texte que le Gouvernement nous propose me paraît la sagesse même. Je lui apporterai mon soutien et je crois que tous mes collègues de la majorité ne pourront que l'approuver. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François Autain, pour explication de vote.
M. François Autain. Je prends acte, monsieur le ministre, de votre déclaration et de vos engagements. Je souhaite que l'avenir nous permette de vérifier que vous avez les moyens de mettre en oeuvre vos convictions sur la non-brevetabilité du vivant.
Tout à l'heure, intervenant sur l'article 12 bis, je vous demandais si votre présence au Gouvernement procédait d'une logique qui était la vôtre, que vous aviez manifestée à travers vos convictions sur la non-brevatabilité du vivant ou, au contraire, si elle était en contradiction avec votre action passée. J'ai très bien compris que tel n'était pas le cas et que, même si vous rencontrerez de nombreuses difficultés, il n'empêche que vous avez de la volonté et que vous voulez y arriver.
Malheureusement, ce ne sera pas suffisant pour que je vote votre amendement, et je voterai bien entendu celui de mes collègues du groupe CRC.
Je souhaite également faire une observation. Je ne ferai pas, comme vous, car c'est trop facile, le procès des gouvernements que je n'ai pas soutenus en me persuadant, par commodité de langage, qu'ils sont les seuls responsables des difficultés récurrentes soulevées par la transposition des directives. La directive relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques n'est pas la seule dans ce cas, il y en a eu de nombreuses autres.
La droite a eu des problèmes, je n'insiste pas. La gauche en a eu aussi. Et la droite comme la gauche en auront encore. Donc, ne nous renvoyons pas la balle.
Vous avez dit que si le gouvernement de Lionel Jospin n'avait pas validé la directive européenne, vous vous seriez fait fort de tout changer. Pourquoi pas ? Mais vous n'en avez pas administré une preuve irréfutable, et je reste donc un peu sceptique.
Selon moi, il faut peut-être réfléchir sur les conditions dans lesquelles ces directives sont élaborées au niveau européen.
La France, qui a été, dès 1988, à l'origine de cette directive qui pose problème, a toujours défendu ce texte, comme elle a défendu maintes fois de nombreuses autres directives. Quand je dis la France, j'entends la France de gauche et la France de droite.
M. Philippe Nogrix. Il n'y en a qu'une !
M. François Autain. Absolument, il n'y en a qu'une. Je suis d'accord avec vous. Je voulais qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur ce point.
Elle est confrontée à la même situation paradoxale dans nombre de domaines où elle est amenée à proposer, à adopter, à défendre des directives européennes qui se révèlent, au moment de leur transposition, incompatibles avec son droit et son éthique.
Il ne s'agit pas, par ce biais, de faire le procès de l'Union européenne ou de son fonctionnement technocratique. Il s'agit seulement de dire qu'on n'efface pas impunément le génie d'un peuple, les traditions et l'histoire d'une nation.
Comme il y a une exception culturelle, il peut y avoir une exception éthique. Manifestement, on est en train d'en administrer la preuve aujourd'hui. Il y en a d'ailleurs beaucoup d'autres : les mois et les années qui viennent nous réservent sans doute sur ce point de nombreuses surprises.
C'est en ce sens, monsieur le ministre - et ici j'essaie de me racheter après les propos quelque peu vifs que j'ai tenus tout à l'heure - que votre initiative consistant à lancer cette pétition est exemplaire car elle a su réveiller en chacun ce refus d'une France, mais aussi d'un monde, où le commerce, « le doux commerce » - pour reprendre une expression d'Adam Smith - devient le tombeau de toutes les valeurs qui fondent notre société.
C'est pourquoi les Etats et les parlements doivent intervenir beaucoup plus activement dans la définition de la norme, pour assurer le pluralisme des cultures.
Mais cette définition du bien commun suppose l'intervention des collectifs de citoyens, ne serait-ce que pour faire contrepoids à la pression de l'industrie pharmaceutique ou biotechnologique sur les gouvernements.
Votre démarche, quand vous étiez dans l'opposition, montre bien que vous l'avez compris. Reste à poursuivre cette action maintenant que vous êtes membre du Gouvernement.
En Europe, la mobilisation autour des brevets Myriad Genetics évoqués précédemment est du même ordre.
A l'échelle mondiale, des pays du Nord s'interrogent sur la légitimité de ces brevets et leur impact sur les systèmes de santé. Les pays du Sud sont aussi hostiles au brevetage des ressources génétiques, même s'ils se heurtent encore aux accords de l'OMC sur la propriété intellectuelle et n'ont pas de moyens d'action suffisants pour faire valoir des exemptions au brevet. Il est vrai que la déclaration universelle de l'UNESCO sur le génome humain ne les aide pas pour réorienter les pratiques d'appropriation.
Entre les pays du Nord et ceux du Sud, des convergences sont possibles, et il faut les favoriser. C'est pourquoi il ne faut pas dissocier les discussions sur le statut du génome humain des négociations en cours au sein de l'Organisation mondiale du commerce. Mais vous l'avez rappelé tout à l'heure, et je vous en donne acte.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Bernard Seillier, pour explication de vote.
M. Bernard Seillier. Je crois que nous sommes tous en cet instant hostiles à la directive européenne.
Certains, dont je suis, ont suivi très attentivement depuis des années votre combat, monsieur le ministre, contre cette directive et, d'une manière générale, contre la brevetabilité du vivant. Certains ont toujours eu cette position hostile, alors que d'autres se rendent compte seulement aujourd'hui que des ministres qu'ils ont soutenus il y a quelque temps ont failli dans ce combat à certains moments. Toutefois, dès lors qu'ils reconnaissent leur erreur, ils peuvent tout à fait nous rejoindre.
La question, aujourd'hui, est de savoir comment être efficace.
Je n'ai jamais été et je ne suis toujours pas un adepte des méthodes européennes ; je suis néanmoins obligé de constater que la directive est en vigueur depuis si longtemps que les recours ne sont plus possibles. Le Gouvernement n'a pas exercé ce droit de recours en son temps, et la question est donc de savoir comment être efficace aujourd'hui.
La solution proposée par l'amendement n° 177 rectifié est sympathique : elle consiste à affirmer de manière péremptoire que l'on est contre la directive. Mais juridiquement - car il y a une jurisprudence en matière de contestation des directives européennes, comme M. le ministre l'a rappelé -, elle ne mène nulle part.
Il y a une autre méthode, celle que prévoit l'amendement n° 95 et qui correspond bien à la capacité imaginative de M. le ministre, que j'ai vantée dans la discussion générale hier : elle consiste à pratiquer une forme d'interprétation de la directive, c'est-à-dire finalement à tenter une sorte de « transgénèse » dans la directive européenne. Le but est de feindre d'être d'accord pour arriver à changer l'un des éléments de la directive européenne, afin d'en faire une déclaration interprétative qui l'oriente et rende possible demain sa modification en tenant compte de la dissociation du biologique et de la technologie, ainsi que l'a très bien dit M. le ministre.
Autrement dit, il faut faire en sorte que, demain, la directive puisse être modifiée par une interprétation selon laquelle est brevetable la méthode, mais pas le gène et tout ce qui constitue le vivant.
Je pense que si les deux amendements ont le même objectif, l'un est inefficace - c'est l'amendement n° 117 rectifié - tandis que l'autre - je veux parler de l'amendement n° 95 - a une chance d'aboutir car, même si le parcours est délicat, son dispositif est intelligent et l'opération mérite d'être tentée.
Il est donc indispensable de voter l'amendement n° 95 et, pour que ce soit vraiment efficace, de le faire à l'unanimité.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 95.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 12 bis est ainsi rédigé et l'amendement n° 177 rectifié n'a plus d'objet.