SEANCE DU 11 DECEMBRE 2002


M. le président. « Art. 7. - Après l'article 72 de la Constitution, sont insérés deux articles 72-3 et 72-4 ainsi rédigés :
« Art. 72-3 . - La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d'outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité.
« La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint-Pierre et Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française sont régis par l'article 73 pour les départements et les régions d'outre mer, et pour les collectivités territoriales créées en application du dernier alinéa de l'article 73, et par l'article 74 pour les autres collectivités.
« Le statut de la Nouvelle-Calédonie est régi par le titre XIII.
« La loi détermine le régime législatif et l'organisation particulière des Terres australes et antarctiques françaises.
« Art. 72-4 . - Aucun changement, pour tout ou partie de l'une des collectivités mentionnées au deuxième alinéa de l'article 72-3, de l'un vers l'autre des régimes prévus par les articles 73 et 74, ne peut intervenir sans que le consentement des électeurs de la collectivité ou de la partie de collectivité intéressée ait été préalablement recueilli dans les conditions prévues à l'alinéa suivant. Ce changement de régime est décidé par une loi organique.
« Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel , peut décider de consulter les électeurs d'une collectivité territoriale située outre-mer sur une question relative à son organisation, à ses compétences ou à son régime législatif. Lorsque la consultation porte sur un changement prévu à l'alinéa précédent et est organisée sur proposition du Gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d'un débat. »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 35 est présenté par MM. Lise, Peyronnet, Bel et Courteau, Mme Durrieu, MM. Dreyfus-Schmidt, Dauge, Frimat, Frécon, Lagauche, Marc, Mauroy, Raoul, Sueur et les membres du groupe socialiste et rattachée.
L'amendement n° 88 est présenté par M. Bret, Mmes Borvo et Mathon.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
« Supprimer le premier alinéa du texte proposé par cet article pour insérer un article 72-3 dans la Constitution. »
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 35.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le premier signataire de cet amendement est notre ami Claude Lise.
Cet amendement vise à supprimer la notion de « populations d'outre-mer » dans la Constitution.
On ne peut en effet que s'interroger sur les raisons pour lesquelles il apparaît nécessaire de caractériser les seuls citoyens d'outre-mer par une appellation collective particulière.
S'il s'agit de reconnaître la réalité de leurs différences, ce n'est certainement pas le terme de « population » qui convient, mais celui de « peuple » que la Constitution de 1946 avait retenu dans son préambule. Selon les termes de cette Constitution, la République française voulait d'ailleurs éventuellement les conduire à l'indépendance.
S'il s'agit d'une démarche contraire, celle-ci ne peut que heurter profondément la conscience identitaire qui existe dans la plupart des communautés humaine concernées.
Ces communautés humaines se sont constituées chacune dans des zones géographiques et des conditions historiques particulières, et elles sont dotées de patrimoines culturels et linguistiques propres qui fondent leur cohésion respective.
Un mot ne peut, même inscrit dans la Constitution, permettre de ruser avec les réalités. Il peut, en revanche, être générateur de frustrations et de tensions qu'il vaudrait mieux éviter, notamment aux Antilles et en Guyane.
Nous avons tous compris que les positions des parlementaires de la Réunion ne sont pas les mêmes que celles des élus de l'ensemble des départements et territoires d'outre-mer. Vous avez d'ailleurs été remerciés, cet après-midi même, avec beaucoup d'éloquence, par M. Virapoullé. Il est donc tout à fait dangereux de faire une pétition de principe, d'autant plus qu'elle ne veut rien dire en bon français. Reconnaître des populations... dans un idéal, cela ne signifie rien ! On peut tout au plus reconnaître un idéal commun !...
Comme l'ensemble de votre réforme, ce texte est, de plus, mal écrit. C'est une raison supplémentaire pour ne pas accepter cet ajout qui vaut d'ailleurs pour toutes les populations et dont on se demande pourquoi vous le réservez aux seules populations d'outre-mer.
Nous tenons à attirer votre attention sur le danger qu'il y a, madame le ministre, vous le savez d'ailleurs mieux que quiconque, à essayer de mettre tout le monde « dans le même sac », alors qu'il existe des situations profondément différentes.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo, pour défendre l'amendement n° 88.
Mme Nicole Borvo. Cet amendement a le même objet que le précédent. Très franchement, cet alinéa n'est pas acceptable, même si je crois en comprendre la raison.
Cette phrase est d'inspiration colonialiste, elle est condescendante et choquante pour les populations concernées.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec, rapporteur. La disposition incriminée tend à contrer la décision du Conseil constitutionnel du 9 mai 1991 relative à la Corse, qui distinguait les peuples français des peuples d'outre-mer. Elle vise donc à sauvegarder l'unité de la République et ne fait que rappeler que les habitants de l'outre-mer font partie du peuple français, ce qui est incontestable.
La commission est défavorable à ces amendements.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est défavorable à ces amendements.
Je rappelle que l'amendement présenté par le député de la Réunion, M. René-Paul Victoria, avec l'accord du Gouvernement, était particulièrement bienvenu puisqu'il consacrait l'existence, au sein du peuple français, des populations d'outre-mer. Il mettait ainsi fin à une interprétation discutable du Préambule de la Constitution, qui distinguait, depuis la décision du Conseil constitutionnel du 9 mai 1991, les « peuples d'outre-mer » du peuple français, alors même que la consécration constitutionnelle de l'existence et de l'unicité du peuple français était un apport particulièrement fort de cette décision.
Le premier alinéa nouveau de l'article 72-3 a donc pour conséquence de rendre caduque cette jurisprudence. Le peuple français est ainsi constitutionnellement réunifié.
Ce texte, adopté par l'Assemblée nationale, unifie juridiquement le peuple français, tout en reconnaissant l'existence, outre-mer, de « populations » soumises à des règles particulières qui leur garantissent, notamment, des droits accrus à s'administrer librement dans le cadre d'un statut librement choisi et dans le cadre plus général de la République une et indivisible qui garantit l'égalité des droits entre tous les citoyens.
Dans la Constitution, le terme de « peuple » a un sens juridique précis, le Conseil constitutionnel l'a rappelé à propos de la Corse.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
Mme Brigitte Girardin, ministre. L'Assemblée nationale a souhaité donner son plein effet à la notion de « peuple français ». Mais cela n'interdit pas pour autant, dans le langage courant, d'utiliser le terme « peuple » pour désigner telle ou telle population. Seulement, monsieur le sénateur, je précise que le pouvoir constituant fait du droit, et non de la rhétorique !
Je relève que tous les gouvernements se sont toujours opposés, par le dépôt de réserves expresses, lors de la ratification d'engagements internationaux qui comportaient la mention de minorités ethniques ou de peuples minoritaires, à une telle reconnaissance de « composantes du peuple français ». Le premier alinéa de l'article 72-3 de la Constitution s'inscrit dans cette démarche constante de la République.
Je rappelle enfin que le terme même de « populations », que vous semblez contester, figure dans l'article 77 de la Constitution, issu de la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
Mme Brigitte Girardin, ministre. A l'époque, vous ne semblez pas vous être ému de son utilisation !
Je conclurai en disant que ces amendements me laissent pour le moins perplexe car je constate, visiblement, sur les travées de cette assemblée, une opposition à l'ancrage constitutionnel de l'outre-mer à notre République. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Qu'on ne se méprenne pas, nous n'avons pas dit que nous désirions qu'il en soit autrement. Mais ce n'est pas notre avis qui importe en la matière !
Je voudrais dire aussi que ce n'est pas la peine de tourner autour du pot. Quelle est l'origine du terme « population » ? Il vient de « populus » , qui signifie « peuple ».
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n°s 35 et 88.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 7.

(L'article 7 est adopté.)

Article 8