SEANCE DU 30 NOVEMBRE 2002
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David.
Monsieur le ministre, j'ai bien entendu vos propos relatifs au sport au
féminin, et j'ai pris note de votre volonté de lui consacrer 4,7 millions
d'euros. Je regrette que la structure que vous avez évoquée soit une structure
anglo-saxonne, mais je prends acte de son accueil par la France.
Soyez certain que je serai attentive à votre action en faveur du sport
féminin.
La ligne spécifique « sport et femmes » est supprimée de votre motif au motif
que « les dotations globalisées doivent répondre aux besoins exprimés ». Cela
signifie assurément que la parité dans le sport est acquise, en particulier que
le développement du sport féminin a atteint celui du sport masculin, que les
inégalités et discriminations sont réduites, que l'enseignement mixte du sport
dès le jeune âge a produit ses effets...
Permettez-moi pourtant d'en douter !
Cette ligne spécifique avait été ouverte en 1999 dans le cadre de conventions
d'objectifs passées entre le ministère de la jeunesse et des sports et les
fédérations sportives.
« Elle conduit le mouvement sportif à proposer des actions destinées à
promouvoir la pratique féminine dans toutes les disciplines sportives, à
assurer une équité des moyens afférents à l'organisation des compétitions
féminines et masculines, à favoriser la prise de responsabilités dans les
instances dirigeantes », précisait à l'époque le ministère.
En effet, le monde sportif est finalement le simple reflet de la société
d'aujourd'hui.
Les sportives veulent prendre toute leur place ; pour l'instant, c'est au prix
d'une réussite obligée pour que l'on parle d'elles, pour qu'on leur propose des
responsabilités, pour qu'on les reconnaisse dans leur fonction.
Une action volontariste est nécessaire pour soutenir les femmes, pour les
aider à résoudre les difficultés matérielles et contribuer ainsi au changement
des mentalités.
Les filles et les femmes désireuses de faire du sport se heurtent, en effet, à
de nombreux obstacles.
Il y a d'abord des obstacles culturels réels.
En 1896, les jeux Olympiques ne furent-ils pas interdits aux femmes ? Et
Pierre de Coubertin, homme de son époque, ne s'exclamait-il pas : « Une
olympiade de femelles est impensable, elle est impraticable, inesthétique et
incorrecte. Le véritable héros olympique, c'est l'adulte mâle » !
M. Philippe Nogrix.
Nous sommes en 2002, madame !
Mme Annie David.
En 1920, la femme est considérée comme étant de faible constitution et il lui
est préconisé l'éducation physique pour renforcer les muscles nécessaires à la
procréation !
Dans les années cinquante, il lui est interdit de jouer au football, au rugby,
de faire du cyclisme de compétition ou des sports de combat... !
Nous trouverons encore aujourd'hui des pratiques hors la loi de la parité
justifiées par de solides préjugés. Je pense que vous vous souvenez, monsieur
Murat, de l'exemple que j'ai donné en commission de cette équipe féminine de
rugby qui s'est vue tout simplement exclue du club à cause de difficultés
financières.
Mme Hélène Luc.
Absolument !
Mme Annie David.
Dans le domaine du sport, le principal problème réside donc, d'abord, dans la
représentation du corps féminin et de la maternité.
Longtemps exclues du droit de vote obtenu en 1945, juridiquement traitées
comme des mineures sous la tutelle de leur mari jusqu'en 1938, les femmes
possédaient un itinéraire de vie tout tracé, de fillette à mère en passant par
femme au foyer.
Les femmes prennent aujourd'hui possession d'elles-mêmes, corps et âme ; elles
appréhendent leur corps du dedans comme du dehors et se heurtent constamment à
l'image véhiculée par les médias et la publicité.
La liberté d'expression des corps et l'évolution des critères de féminité sont
nouvelles et complexes.
Le deuxième obstacle à la pratique sportive des femmes, qui persiste encore de
nos jours, est la gestion difficile du temps et de l'équilibre entre famille,
travail et loisirs.
Toutes les études montrent que les femmes continuent de consacrer trois fois
plus de temps que les hommes aux enfants et au travail de la maison.
La répartition des tâches au sein de la famille et de la société a changé, la
notion de loisirs et d'activités culturelles est entrée dans les moeurs, et la
femme, aujourd'hui, qu'elle travaille à l'extérieur du foyer ou pas, a
développé un champ privé et tend à vouloir l'exploiter.
Un troisième obstacle est le peu de place que consacrent les médias, tous
supports confondus, à la pratique du sport au féminin.
Les médias, de par la place qu'ils occupent dans la société contemporaine,
façonnent les mentalités, construisent les représentations. Les compétitions
féminines sont moins médiatisées et peuvent donc apparaître comme moins
fréquentes.
Par ailleurs, moins vues à la télévision, les sportives intéressent moins les
sponsors et disposent donc de moins d'argent.
Pourtant, nous avons pu voir des campagnes de publicité, sociologiquement
intéressantes, utilisant l'image de certaines championnes pour promouvoir des
lignes de vêtements de sport. En tout état de cause, le sport se définit dans
les médias surtout comme une réalité masculine.
La ligne budgétaire « sport et femmes », que vous supprimez, monsieur le
ministre, affichait la volonté politique de résoudre concrètement les
difficultés répertoriées lors des Assises pour le sport féminin du mois de mai
1999 et dont voici l'énumération :
Comment développer la pratique des jeunes filles et des femmes par le biais de
l'école, de l'université et de l'entreprise ?
Comment améliorer la place et le rôle des femmes dans le mouvement sportif
?
Quels sont ceux qui s'opposent à la diffusion du sport féminin dans les médias
?
Quels dispositifs proposer pour permettre la promotion des femmes à tous les
niveaux dans les instances sportives ?
Existe-t-il une spécificité liée à la pratique sportive féminine de haut
niveau ?
Y a-t-il des problèmes spécifiques pour la réinsertion professionnelle des
sportives ?
Quel rôle peut jouer la France pour favoriser l'expression des sportives au
niveau international ?
M. le président.
Veuillez conclure, madame David.
Mme Annie David.
Depuis le milieu des années soixante-dix, la question de la réduction des
inégalités entre les hommes et les femmes est explicitement présente dans le
débat politique français et la réponse qui lui est donnée, aujourd'hui, en
attendant mieux, est la parité dans toutes les sphères sociales.
Il est donc préoccupant, monsieur le ministre, de voir l'impulsion donnée par
le précédent gouvernement et considérée dans une large partie de l'opinion
comme un facteur de modernisation de la vie publique, par les femmes
elles-mêmes comme un facteur de développement personnel, brutalement
interrompue par votre décision de ne pas soutenir de façon spécifique le
développement de la parité dans le sport.
M. le président.
Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.
(Ces crédits sont adoptés.)
M. le président.
« Titre IV : 4 104 981 euros. »