SEANCE DU 26 NOVEMBRE 2002
M. le président.
Mes chers collègues, ce débat sur les recettes des collectivités locales est
extrêmement important, surtout pour nous, sénateurs, qui avons pour vocation de
veiller aux légitimes intérêts des collectivités territoriales.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le ministre,
mes chers collègues, ce débat sur les recettes des collectivités locales dans
le cadre de la discussion de la première partie du projet de loi de finances a
lieu conformément au souhait exprimé voilà cinq ans déjà par M. le président
Christian Poncelet.
M. le président.
Je vous remercie, monsieur le président de la commission des finances, de le
rappeler ; j'y suis sensible.
M. Jean Arthuis,
président de la commission.
Rendons à César ce qui est à César !
(Sourires.)
Tenir ce débat apporte beaucoup à la lisibilité de nos travaux, et ce pour
deux raisons principales.
D'abord, à l'image du prélèvement européen, les concours financiers de l'Etat
aux collectivités locales sont pour les deux tiers des prélèvements sur les
recettes de l'Etat.
Ensuite, c'est dans le cadre de la première partie du projet de loi de
finances que sont discutées les dispositions affectant la part « déterminante »
des recettes des collectivités locales, les recettes fiscales.
Concours financiers de l'Etat, recettes fiscales : le débat d'aujourd'hui est
l'occasion d'évoquer de manière globale les relations financières entre l'Etat
et les collectivités locales ainsi que le système de financement des
collectivités locales.
S'agissant des concours financiers de l'Etat aux collectivités locales,
lorsque, le 3 décembre prochain, le Sénat examinera en séance publique les
crédits de la décentralisation inscrits au budget du ministère de l'intérieur,
le vote qu'il exprimera alors ne portera que sur environ 15 % du total des
concours de l'Etat aux collectivités inscrits dans le projet de loi de
finances, soit 1,8 milliard d'euros.
Nous l'oublions trop souvent, le fascicule budgétaire sur lequel est inscrit
le montant le plus élevé de concours financiers aux collectivités locales n'est
pas celui du ministère de l'intérieur, mais celui des charges communes, qui
comprend les crédits destinés à la prise en charge des dégrèvements d'impôts
locaux, soit environ 10 milliards d'euros, ainsi que, sans raison apparente, la
dotation de l'Etat au Fonds national de péréquation.
Mais on trouve aussi des concours de l'Etat aux collectivités locales au sein
du budget du budget du ministère de la culture et de la communication, et
d'autres au sein du ministère des affaires sociales, du travail et de la
solidarité.
Bien que ce point relève plutôt de la deuxième partie du projet de loi de
finances, je profite de l'occasion, monsieur le ministre, pour vous indiquer
qu'il serait souhaitable qu'à l'avenir les crédits de la DGD « culture » et de
la DGD « formation professionnelle » soient regroupés au sein de la DGD de
droit commun du ministère de l'intérieur, afin de donner une vue globale des
sommes consacrées par l'Etat au financement des compétences transférées aux
collectivités locales.
La singularité de notre système de concours financiers aux collectivités
locales, c'est qu'en passant en revue les fascicules budgétaires les uns après
les autres, mes chers collègues, vous ne trouverez qu'environ le tiers des
sommes en cause. Nous nous prononçons sur le montant des deux autres tiers
souvent sans le savoir, lorsque nous adoptons l'article d'équilibre, qui fixe
le montant des prélèvements sur les recettes de l'Etat en faveur des
collectivités locales : 36,3 milliards d'euros dans le projet de loi de
finances pour 2003.
Dans ces 36,3 milliards d'euros, se trouve le principal concours de l'Etat aux
collectivités locales, la dotation globale de fonctionnement, pour environ 18
milliards d'euros. Les principales compensations d'exonérations d'impôts locaux
y figurent également, en particulier la compensation de la suppression de la
part « salaires » de la taxe professionnelle qui jouera pleinement en 2003, et
ce pour 9 milliards d'euros.
La technique des prélèvements sur les recettes de l'Etat, souvent contestée
par le passé, car considérée comme une affectation de recettes contraire au
principe d'universalité budgétaire, a été consacrée par l'article 6 de la loi
organique du 1er août 2001, qui a par ailleurs précisé quel type de concours
financiers de l'Etat aux collectivités locales devait être inscrit en
prélèvements sur recettes.
La loi distingue deux grands types de concours : les compensations
d'exonérations fiscales, d'une part, et les concours destinés à couvrir des
charges incombant aux collectivités locales, d'autre part.
Si l'on examine la répartition actuelle des concours de l'Etat aux
collectivités locales entre dotations budgétaires et prélèvements sur recettes,
monsieur le ministre, on constate qu'il y a encore du chemin à faire avant que
la réalité ne soit conforme à la voie tracée par la loi organique.
Dès l'année prochaine, nous commencerons à décliner les nouvelles dispositions
constitutionnelles en lois organiques et en lois ordinaires. Je souhaiterais
qu'à cette occasion nous n'omettions pas de remettre à plat la structure des
concours financiers aux collectivités locales.
Je souhaiterais aussi, pour l'avenir, que nous examinions notre système de
relations financières entre l'Etat et les collectivités locales, non seulement
en nous demandant si les crédits sont en hausse ou en baisse, mais aussi en
nous interrogeant sur les critères qui pourraient nous permettre de juger de
l'efficacité de cette dépense publique et de ces relations qui portent sur 58
milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2003, soit le deuxième
poste de dépense après l'éducation nationale.
Lorsqu'il nous a présenté les crédits des collectivités locales en commission,
notre rapporteur spécial M. Michel Mercier a procédé ainsi, en examinant notre
système de relations financières à la lumière de trois objectifs identifiés par
la Cour des comptes en réponse à une question de notre rapporteur général :
premièrement, un objectif de visibilité par la programmation pluriannuelle de
l'évolution des dotations ; deuxièmement, un objectif de compensation - je cite
la Cour des comptes - « des mesures législatives affectant les ressources et
les charges des collectivités territoriales » ; troisièmement, un objectif de
péréquation entre collectivités territoriales.
Sur ces trois points, et malgré les quelques avancées qui pourraient résulter
de la révision de la Constitution, le système actuel reste pour le moins - nous
en conviendrons - perfectible.
Avant de conclure, et en quelque sorte en guise de préambule, je voudrais
m'arrêter un instant sur les articles et les amendements que nous aurons à
examiner tout à l'heure.
Que constatons-nous, tant dans les dispositions résultant du projet initial
que dans les apports adoptés par l'Assemblée nationale ou, à l'heure où nous
parlons, ceux qui sont suggérés par le Sénat ? Hormis la réforme de la
fiscalité locale de France Télécom, qui est une grande réforme de fond -
attendue -, la plupart des dispositions sont destinées, soit à corriger les
conséquences imprévues des précédentes réformes, soit à colmater les brèches
d'un système qui ne cesse de prendre l'eau et qu'il est de plus en plus
difficile de réparer, compte tenu de sa complexité croissante.
Au passage, je voudrais indiquer que, contrairement à une idée reçue, cette
complexité n'est due que pour une petite partie aux initiatives parlementaires.
Elle résulte pour la partie principale de la volonté des gouvernements
successifs de procéder à des aménagements à la marge, plutôt que de se lancer
dans des réformes de fond. Voilà comment nous avons généré une complexité
inextricable.
Au-delà du fait que nous ne pourrons plus tenir longtemps avec un système qui
fonctionne par addition de bricolages, nous nous heurtons, en matière de
fiscalité locale et de concours financiers, à un véritable problème de
lisibilité et d'intelligibilité de la norme juridique. Une part croissante des
budgets locaux sert à rémunérer des cabinets de consultants, qui sont
quelquefois constitués par de hauts fonctionnaires heureusement reconvertis,
car les collectivités locales seules n'arrivent plus à s'y retrouver.
Au fil des années, les services de l'Etat dans les départements, qu'il
s'agisse des services préfectoraux ou des trésoreries générales, ont cessé
d'être en mesure d'expliquer et de conseiller. Autrement dit, l'Etat, par ses
représentants, ne comprend plus les règles qu'il édicte et se condamne à s'en
remettre à des tiers.
Cette situation est étrange, inquiétante, ubuesque. La loi organique du 1er
août 2001 sur les lois de finances constitue, monsieur le ministre, un
magnifique outil de clarification. A cet égard, les travaux que conduit le
comité de normalisation comptable, présidé par M. Michel Prada, a notamment
pour mission de formaliser les états financiers de l'Etat, états de synthèse
qui seront lisibles et compréhensibles, au-delà de la représentation nationale,
pour tous les Français. J'ai bon espoir que M. Michel Prada et son comité de
normalisation nous aideront à y voir clair.
Je ne doute pas que les préconisations que le comité formulera répondront
pleinement à notre impatience.
Tout à l'heure, lors de la discussion des articles, je doute, en revanche, que
nous parvenions à tenir des débats totalement limpides pour les non-initiés,
mais nous ferons de notre mieux. Geageons que, sur ce point également, la
réforme des finances locales permettra de faire des progrès.
Monsieur le ministre, le chantier qui nous attend est gigantesque. Vous pouvez
compter sur le Sénat et sur sa commission des finances pour donner à la
démocratie de proximité les moyens de ses ambitions, la transparence et la
lisibilité, afin que les acteurs locaux puissent rendre compte de leur gestion.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, ce débat sur la partie « collectivités locales »
du projet de loi de finances intervient pour 2003 dans un contexte bien
particulier, compte tenu de notre récent vote du projet de loi
constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République. Nous
devons donc nous projeter intellectuellement dans le nouveau système.
S'il est vrai que la réforme de la fiscalité locale et des dotations de l'Etat
aux collectivités locales ne peut pas être le préalable de la décentralisation,
il n'en demeure pas moins vrai que les deux vont de pair et que la plupart des
élus locaux que nous sommes ne pourront assimiler que très difficilement les
nouvelles notions issues de la décentralisation si nous ne connaissons pas les
nouveaux concepts de financement et les nouvelles règles du jeu, car, quel que
soit le niveau de nos responsabilités, il est inconcevable de dissocier
l'attribution de compétences supplémentaires et les ressources
correspondantes.
C'est bien ce que nous avons voulu dire en mettant en avant la notion
d'autonomie fiscale, le caractère prédominant des ressources fiscales dans les
ressources totales des collectivités territoriales et la compensation des
charges nouvelles par des ressources nouvelles.
Comme l'a rappelé très opportunément M. le président de la commission des
finances, les concours financiers de l'Etat aux collectivités locales
connaissent, en 2003, une hausse substantielle de 3,7 % à structure constante
par rapport à 2002, puisqu'ils s'élèvent à 58 milliards d'euros dans le présent
projet de loi de finances.
Toutefois, il convient de distinguer, au sein de cette masse considérable, ce
qui est imputable aux compensations d'exonérations fiscales et ce qui est lié
aux autres concours financiers de l'Etat.
Depuis 1999, la part liée à l'évolution des compensations d'exonérations
fiscales aura représenté 11 milliards d'euros sur les 12,5 milliards d'euros
supplémentaires pour les concours financiers de l'Etat.
Du point de vue de l'Etat, il convient, bien évidemment, d'appréhender ces
sommes sous l'angle de leur progression globale mais, du point de vue d'une
collectivité locale, pour un budget communal, intercommunal, départemental ou
régional, ce qui compte c'est l'équilibre entre les dépenses et les ressources.
Si l'évolution des dépenses est toujours préoccupante, celle des dépenses
obligatoires l'est encore davantage. Nous qui pouvons faire le lien entre
considérations locales et considérations nationales sommes bien placés pour
savoir que la clé de l'équilibre, c'est d'abord la maîtrise de la dépense.
Nous acceptons bien entendu - c'est toute la noblesse de notre rôle - d'être
tenus pour responsables de ce que nous maîtrisons, mais, lorsque des
composantes importantes de nos dépenses nous sont imposées et que nous n'avons
pas de marge de manoeuvre pour modifier le rythme d'évolution d'une grande
partie de nos budgets, nous ne pouvons en tant qu'élus locaux que manifester
des insatisfactions.
Or en 2002, plus encore qu'en 2001, les dépenses des collectivités
territoriales - il faut en avoir conscience - ont globalement progressé plus
vite que leurs recettes. Cela vaut plus particulièrement pour les départements.
Chacun sait que l'allocation personnalisée d'autonomie, les dépenses liées à la
prise en charge des services départementaux d'incendie et de secours, les SDIS,
sont des éléments de discontinuité des budgets départementaux. Pour l'ensemble
des collectivités territoriales, le passage aux 35 heures, les revalorisations
du point « fonction publique » et les conditions dans lesquelles il est
nécessaire de préparer la fin du dispositif des emplois-jeunes grèvent le
rythme des dépenses et posent de réels problèmes aux gestionnaires locaux.
Les réflexions actuellement en cours à la suite du vote par le Sénat du projet
de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la
République nous conduisent à mettre en avant un certain nombre de
considérations.
Mes chers collègues, si nous voulons progresser dans le sens de l'autonomie
fiscale, rester dans la ligne définie il n'y a pas si longtemps dans la
proposition de loi constitutionnelle du président, Christian Poncelet, et
véritablement assumer une telle orientation, il nous faut renforcer la
fiscalité locale par de nouvelles ressources fiscales.
M. le président.
Très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il faudra non seulement moderniser la fiscalité
locale existante, mais aussi trouver d'autres supports fiscaux, et c'est bien
là que réside la difficulté de l'exercice !
Le renforcement de la part des nouvelles recettes fiscales dans les ressources
des collectivités locales est la résultante tout à fait normale et naturelle de
la révision constitutionnelle en cours. C'est un échange gagnant-gagnant que
celui qui consiste à substituer des ressources fiscales aux dotations de
l'Etat, puisqu'il permet aux collectivités d'être plus autonomes et à l'Etat de
gagner en souplesse dans son budget. Plus les dotations sont élevées, plus le
budget de l'Etat est rigide et plus l'autonomie des collectivités locales est
faible. Là est le noeud de la réforme et ce sera en quelque sorte l'épreuve de
vérité.
Quelles ressources fiscales nouvelles sont concevables ? Nous avons, les uns
et les autres, pris connaissance des idées qui ont commencé à naître soit au
cours des assises des libertés locales, soit dans nos régions.
Qu'il s'agisse de la taxe intérieure sur les produits pétroliers ou de la taxe
générale sur les activités polluantes, cherchons, s'il est possible, notamment
au regard du droit communautaire, de moduler les taux - je pense en particulier
à la TIPP - et de faire en sorte qu'ils puissent être définis par chaque
collectivité attributaire dans les conditions fixées par la loi afin que ces
ressources fiscales deviennent autonomes. C'est une question absolument vitale
pour concrétiser cette nouvelle phase de la décentralisation, en tout cas sur
les plans financier, budgétaire et fiscal. Ce sera l'occasion, assurément, d'un
grand débat, notamment au sein de cette assemblée.
Les impôts existants devront également être rénovés. Chacun se souvient des
discussions que nous avons eues à l'occasion de la révision des bases des
impôts directs locaux. Pourquoi ne pas envisager une révision qui serait, en
quelque sorte, modulable et dont les conditions de mise en oeuvre seraient,
dans une large mesure, laissées à l'appréciation des autorités locales ?
Pourquoi ne pas accorder aux maires, qui sont sans conteste les mieux à même
d'évaluer les transferts de matière imposable, de réviser les bases des impôts
locaux ? Toutes les réponses à ces questions sont encore en devenir.
Dans le schéma auquel nous réfléchissons, il est concevable que le produit des
quatre taxes directes locales soit exclusivement affecté aux communes et que
les ressources des départements et des régions soient issues d'autres
ressources fiscales, telles la TIPP, la TGAP, ou éventuellement abondées à
partir de l'assiette d'imposition nationale.
Ces pistes ne peuvent prétendre à l'exhaustivité ni surtout à l'unicité. Mais
n'est-ce pas l'essentiel du débat sur la réforme des finances locales qui devra
bien avoir lieu, notamment au sein de notre assemblée ?
Bien entendu, les dotations de l'Etat continueront à représenter une part
importante des ressources, même si l'on peut souhaiter que cette part diminue
progressivement sur le moyen et le long terme. Il faudra, en tout état de
cause, rendre le système des dotations plus lisible, plus juste et surtout plus
prévisible pour les collectivités locales. Cela impliquera une réforme de la
DGF, d'autant plus nécessaire que la compensation de la suppression de la part
« salaires » de la taxe professionnelle sera intégrée dans la DGF dès l'année
2004.
M. Arthuis le rappelait, il faut vraiment maîtriser le sujet pour décrypter
les différents éléments de ce complexe réseau, pour comprendre les conditions
de calcul et d'affectation des dotations dans les différents budgets locaux.
Nous ne pourrons parvenir à un système plus lisible et plus clair qu'à
condition d'être raisonnables et de ne pas rechercher une solution à la carte
en fonction des problèmes rencontrés par chaque collectivité !
Conclusion, plus de lisibilité pour le montant des concours financiers de
l'Etat et les dépenses obligatoires des collectivités locales, plus d'autonomie
fiscale, voilà ce que demandent les élus locaux pour l'avenir. L'Etat ne s'en
portera que mieux, en disposant de plus de marges de manoeuvre pour ajuster ses
dépenses à la conjoncture et pour faire face aux priorités qui sont les siennes
dans le cadre de la politique voulue par les Françaises et les Français.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 25 minutes ;
Groupe socialiste, 23 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 18 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 16 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 14 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 13 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Claude Haut.
M. Claude Haut.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collèges, depuis
quelques semaines, le Gouvernement a lancé une vaste opération de communication
sur la décentralisation, exercice qu'il affectionne particulièrement.
Toutefois, ce discours sur les collectivités locales ne s'accompagne pas
d'actions concrètes en leur faveur.
La révision constitutionnelle en cours n'est pour l'instant qu'une coquille
vide qui ne rencontre aucun écho parmi les Français, tant elle est peu claire
et sans contenu.
En revanche, le budget pour 2003 est quant à lui parfaitement clair : il est
très défavorable aux collectivités locales.
Je souhaite vous en donner quelques exemples.
Tout d'abord, le contrat de croissance et de solidarité est reconduit en 2003
dans les conditions prévues en 2002, soit une indexation des principales
dotations de l'Etat sur l'inflation et 33 % de la croissance. Alors que l'année
dernière vous jugiez, monsieur le rapporteur général, et vous-même, monsieur le
ministre, lorsque vous étiez président de la commission des finances, que ce
pourcentage de la croissance était très insuffisant - il me semble même me
rappeler que vous aviez soutenu un amendement pour le porter à 50 % -,
permettez-moi d'être surpris qu'aujourd'hui vous n'acceptiez pas de reprendre
vos propositions d'hier !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il n'y a plus d'argent !
M. Claude Haut.
A partir de ce constat, à quoi peut-on s'attendre pour les années futures ?
S'agit-il des prémices d'un retour au fameux pacte de stabilité de 1995-1997
?
Par ailleurs, en ce qui concerne les dotations de l'Etat, nous constatons, là
comme ailleurs, que ce qui est donné d'une main est immédiatement repris de
l'autre. Cela se constate en particulier pour les dotations de solidarité
urbaine et rurale : 73 % de diminution des abondements par rapport à 2002.
De même, la dotation globale de fonctionnement ne progressera que de 1,8 % en
2003 alors qu'elle avait connu une augmentation de 3,9 % en 2002. Une partie de
cet écart considérable, singulièrement pénalisant pour les collectivités
locales, est la conséquence directe de l'amputation des abondements de la DSU
et de la DSR. Or ces deux dotations sont essentielles aux collectivités
défavorisées, puisqu'elles constituent le fondement de la péréquation entre
communes.
Les choix budgétaires du Gouvernement sont d'autant plus regrettables qu'en
2003 la dotation forfaitaire des communes baissera en volume, sa progression
étant inférieure à l'inflation. Le danger est grand pour les nombreuses
communes dont la ressource principale est la dotation forfaitaire.
Dans le projet de loi de finances pour 2003, il est aussi prévu que la
régularisation de la DGF de l'année 2001 ne sera pas versée aux communes qui
devaient en bénéficier en application des dispositions du code général des
collectivités territoriales. En effet, le Gouvernement affecte ces 100 millions
d'euros à la DSU et à la DSR pour compenser les ressources que l'Etat ne leur
accordera pas en 2003. Concrètement, l'Etat demande aux communes de suppléer
ses propres carences.
De plus, le bénéfice de la régularisation de la DGF de l'année 2001 n'est
maintenu aux collectivités locales qu'en apparence, car l'Etat réduit d'autant
les majorations qu'il attribue aux dotations de solidarité communales.
Le projet de loi de finances pour 2003 remet aussi en cause la péréquation par
l'abandon de la modulation des baisses de la dotation de compensation de la
taxe professionnelle, la DCTP, en faveur des collectivités locales
défavorisées. Or la DCTP diminuera de 3 % en 2003. En effet, elle constitue
toujours la variable d'ajustement du contrat de croissance et de solidarité. La
reconduction en 2003 du mécanisme de modulation aurait pourtant permis aux
communes, aux départements et aux régions les plus pauvres de ne supporter
qu'une baisse de 1,5 % et non de 3 % de leur DCTP.
Mais, manifestement, et contrairement à ce que l'on entend, la péréquation ne
constitue plus une priorité pour ce gouvernement. La chute de 18 % des
ressources du Fonds national de péréquation inscrites dans le projet de loi de
finances en est une preuve supplémentaire. Le Gouvernement n'a pas jugé utile
de reconduire l'abondement traditionnel de l'Etat à ce fonds, soit 22,3
millions d'euros en 2002. Heureusement, un amendement voté par l'Assemblée
nationale a remédié de justesse à cette lacune. Pour autant, cela ne sera pas
suffisant pour faire face à l'accroissement des inégalités qui résultera
inévitablement des projets décentralisateurs du Gouvernement.
Enfin, le Gouvernement supprime en 2003 les droits sur les licences des débits
de boissons, sans compenser cette perte de recettes aux communes qui
percevaient ces droits. Monsieur le ministre, vous critiquiez hier la réduction
de l'autonomie fiscale des collectivités locales. Aujourd'hui aux
responsabilités, vous supprimez certaines recettes fiscales des collectivités
locales, et cela, sans même les compenser financièrement.
Ce budget n'est pas favorable aux collectivités locales en 2003 ; il ne le
sera certainement pas non plus dans les prochaines années.
Par ailleurs, monsieur le ministre, quelle est votre vision de la
décentralisation ?
L'opération de réduction des personnels de l'éducation nationale sur le budget
2003 n'anticipe-t-elle pas un transfert à moindre coût de cette compétence en
2004 : emplois de personnel ATOS, aides éducateurs, etc ? Une opération
identique peut d'ailleurs être soulignée au niveau du ministère de
l'équipement.
Ainsi, l'Etat transférerait aux collectivités locales la gestion des
établissements scolaires, mais pas les emplois suffisants à l'exercice de ces
compétences, puisqu'ils auront été supprimés par avance.
M. Gérard Delfau.
Eh oui !
M. Claude Haut.
Confrontés aux syndicats d'enseignants, aux parents d'élèves et même au
ministère de l'éducation nationale lui-même, les présidents de conseils
généraux et de conseils régionaux n'auront d'autre choix que de recruter des
fonctionnaires territoriaux supplémentaires pour exercer ces missions. Pour les
rémunérer, ils devront inévitablement augmenter les impôts locaux.
A l'évidence le Gouvernement cherche à transférer le déficit de l'Etat aux
collectivités locales, ainsi que l'impopularité liée à l'impôt.
La décentralisation sera-t-elle le moyen pour le Gouvernement de tenir ses
promesses en matière de baisses d'impôts ? Les spécialistes des finances
locales anticipent tous avec lucidité une explosion de la pression fiscale
locale, parallèlement à la baisse des impôts de l'Etat.
Nous avions proposé une mesure de solidarité en faveur du financement de
l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA, en déposant l'amendement n° I-93
visant à supprimer la baisse de 1 % de l'impôt sur le revenu en 2003 pour que
l'Etat puisse financièrement respecter ses engagements en partageant, à parité
avec les départements, le surcoût de l'allocation personnalisée d'autonomie.
Cela a été refusé. La solidarité en faveur de nos anciens n'est pas une
priorité gouvernementale : vous avez fait le choix de la laisser à la charge
des départements, avec toutes les difficultés financières que cela
représente.
Dans ces conditions, le danger est grand que les départements et les personnes
âgées subissent les conséquences de vos cadeaux fiscaux accordés à ceux qui
n'en ont pas le plus besoin.
(Très bien ! sur les travées du groupe
socialiste.)
En réalité, les collectivités locales n'ont rien à espérer d'une
décentralisation libérale dont l'objectif est moins de renforcer les
collectivités locales que d'affaiblir l'Etat, qui peut encore réguler et être
un frein au marché. De plus, cette décentralisation portera nécessairement
atteinte à l'unité nationale en exacerbant la concurrence entre les
territoires.
Le Gouvernement paraît ainsi accorder un faux intérêt aux collectivités
locales. A l'aube d'un nouveau transfert de charges qui paraît inévitable,
aucune réforme des finances locales n'a été prévue, alors qu'elle était
prioritaire avant tout nouveau transfert.
Au cours des cinq dernières années, les collectivités locales ont connu un
assainissement important de leurs finances grâce à la bienveillance du
gouvernement de Lionel Jospin.
(Rires sur les travées de l'Union centriste
et des Républicains et Indépendants.)
Le dernier rapport de l'Observatoire
des finances locales soulignait d'ailleurs qu'elles s'étaient encore
désendettées de 1,3 milliard d'euros en 2001. Mais cet embellissement ne
résistera pas longtemps à un transfert massif de charges.
Les dotations de l'Etat doivent toutes gagner en simplicité et en lisibilité.
Leur évolution doit aussi être rendue plus prévisible grâce à une programmation
pluriannuelle, inspirée de celle qui a été mise en place de 1999 à 2001, dans
le cadre du contrat de croissance et de solidarité. Les abondements
exceptionnels devraient être intégrés dans les dotations auxquelles ils se
rapportent et plus aucune dotation ne devrait constituer le solde d'une autre
dotation.
Actuellement, cette mécanique infernale implique que la péréquation soit
traitée comme la dernière des priorités. Or, au contraire, la péréquation
devrait plus que jamais être un impératif. Les Français commencent à s'émouvoir
des différences qui existent d'un département à l'autre, par exemple, dans les
établissements scolaires.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Claude Haut.
En outre, les inégalités de richesses entre collectivités locales ne sont que
plus durement ressenties par les Français.
La fiscalité locale doit également être réformée, afin d'être socialement plus
juste et économiquement plus efficace. Dans le cas contraire, l'Etat
poursuivrait logiquement la substitution du contribuable national au
contribuable local au détriment de l'autonomie fiscale des collectivités
locales.
Ces chantiers sont colossaux. Ils nécessiteront une volonté sans faille pour
aboutir. Or le groupe socialiste ne peut accorder sa confiance au Gouvernement
pour mener une réforme des finances locales qui soit socialement juste pour les
Français, économiquement efficace et soucieuse de la vie locale.
(Très bien
! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur celles du
groupe CRC. - M. Gérard Delfau applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier.
Monsieur le président, monsieur le minstre, mes chers collègues. M. le
président de la commission des finances et M. le rapporteur général ont décrit,
mieux que je ne saurais le faire, la situation des finances locales de notre
pays et les relations qui unissent l'Etat et les collectivités locales. Je
n'entrerai donc pas dans le détail ; je limiterai mon propos à quelques
principes et quelques règles.
En nous soumettant, en première lecture, le projet de loi constitutionnelle
relatif à l'organisation décentralisée de la République, vous aurez engagé la
réforme de l'Etat, conformément à la mission que vous a confiée le peuple
français voilà quelques mois. C'est dans ce cadre que je placerai mon
intervention.
Il est probable que l'exercice auquel nous nous livrons soit le dernier d'un
cycle long, puisque l'année 2003 devrait être consacrée à la mise en oeuvre des
conséquences de la réforme constitutionnelle. Comme l'a rappelé excellemment M.
le rapporteur général, pour mettre en application cette réforme, il faudra
transférer aux collectivités locales des ressources fiscales nouvelles.
Au moment où le Gouvernement s'apprête à se lancer dans cet exercice, je dirai
deux ou trois choses simples pour essayer d'y voir plus clair, car la situation
s'est beaucoup compliquée ces dernières années. Il faut bien reconnaître que
nous-mêmes avons participé à cette complication puisque, chaque année, notre
assemblée a essayé d'apporter des améliorations, en allant plus dans le détail
et, par là même, elle a rendu le système un peu plus complexe ; en tout cas, il
est réservé aux seuls spécialistes.
Si vous voulez réformer l'Etat au travers de la décentralisation, il faut
avant tout qu'une grande confiance s'établisse entre l'Etat, les collectivités
locales et les élus locaux. C'est cette confiance que votre gouvernement doit
s'attacher à restaurer en 2003 pour pouvoir, dès 2004, mettre en oeuvre cet
acte II de la décentralisation, que nous attendons.
La situation est d'une grande complexité, on l'a souligné. Seuls quelques
spécialistes finissent par comprendre quelque chose aux relations entre l'Etat
et les collectivités locales, et ces spécialistes ne parlant qu'entre eux, cela
ne simplifie rien, bien au contraire !
Aujourd'hui, les sommes très importantes que l'Etat consacre au concours
financier qu'il accorde aux collectivités locales dépassent de loin le déficit
des finances publiques. Un tel système représente un réel danger. Mais ce
concours financier est lui-même extrêmement complexe.
Les dotations ne représentent que la moitié de ce concours, le reste étant
composé du remboursement d'impôts supprimés, atténués ou de dégrèvements.
Pour les élus locaux, cette complexité se double d'appréhension. Je citerai
trois domaines dans lesquels ces craintes sont justifiées et ne relèvent pas
d'une bonne qualité de relations entre l'Etat et les collectivités locales :
l'allocation personnalisée d'autonomie, les services départementaux d'incendie
et de secours, les SDIS, et les problèmes de personnels.
Aujourd'hui, les décisions relatives aux personnels échappent très largement
aux collectivités locales. La moitié de l'augmentation de la DGF est, en
quelque sorte, consommée par les décisions que l'Etat prend pour améliorer la
situation des fonctionnaires locaux.
S'agissant des services départementaux d'incendie et de secours, depuis 1996,
les dépenses qui leur sont consacrées ont augmenté de 1,7 milliard. Chaque
fois, nous l'avions souligné ici, l'Etat prend les décisions et ce sont les
collectivités locales qui doivent payer. Depuis 1996, une centaine de textes
régissent les services départementaux d'incendie et de sécurité.
Enfin, en ce qui concerne l'APA, je dirai simplement à notre collègue Claude
Haut qu'un minimum de modestie s'impose lorsqu'on a voté un texte qui nous
conduit à une telle impasse financière ! Ce n'est pas le moment, aujourd'hui,
de crier au loup ! La loi a, en effet, été votée de telle façon qu'elle
organise la dépense et ne prévoit pas la recette correspondante. La situation
que nous connaissons est normale : elle est la conséquence inéluctable d'un
texte qui annonce aux gens qu'on va leur distribuer de l'argent sans
conditions. On ne voit pas pourquoi ils refuseraient !
Monsieur le ministre, si vous voulez que la réforme relative à la
décentralisation, que vous présentez au pays comme le signe d'une volonté
profonde de changement, soit une réussite, il appartient au Gouvernement
d'ouvrir des voies dès aujourd'hui.
Je ne vous demanderai pas d'augmenter les dotations : l'Etat se trouve dans
une situation budgétaire que nous connaissons tous. D'ailleurs, les lois sont
strictement appliquées, les dotations ont été calculées, et le Gouvernement a
même maintenu l'indexation sur la croissance, alors que rien ne l'y obligeait.
Un signe a été donné pour les services départementaux d'incendie et de secours,
puisqu'un crédit nouveau de 45 millions d'euros a été mis en place afin d'aider
à leur financement.
Mais au-delà de ces problèmes de ressources, aujourd'hui, l'Etat a de plus en
plus tendance à décider des dépenses des collectivités locales. Sur ce point,
monsieur le ministre, le Gouvernement peut progresser. Nous comprenons que,
s'agissant des recettes, vous ne puissiez pas allouer des fonds dont vous ne
disposez pas. Mais il n'est plus possible que le Gouvernement impose aux
collectivités des dépenses qui risquent d'obérer la grande réforme de la
décentralisation. Je souhaite avancer quelques idées.
En ce qui concerne les problèmes de personnels, il serait normal que le
ministre chargé de la fonction publique, avant d'engager une négociation avec
des organisations représentatives des fonctionnaires, consulte les
représentants des collectivités locales et les associe à cette négociation.
Nous sommes les derniers employeurs à savoir quelles seront les conditions
d'emploi et nous en avons connaissance en lisant le journal le lendemain des
réunions entre le ministre et ces organisations. Cela ne coûterait rien à
l'Etat et ce serait une meilleure méthode de gestion ! En outre, cela
renforcerait probablement la position du ministre, qui représenterait alors
l'ensemble des parties lors de ces négociations.
Le Gouvernement ne doit pas continuer à prescrire un certain nombre de
dépenses aux collectivités locales. La confiance, c'est le respect, et le
respect implique l'autonomie. On peut penser que les collectivités locales
feront mieux que l'Etat, parce qu'elles seront plus proches des demandes et des
solutions à trouver. Il est un certain nombre de mesures que vous pouvez
prendre. Par exemple, le projet de loi constitutionnelle relatif à
l'organisation décentralisée de la République prévoit de donner aux maires de
nouvelles compétences très importantes en matière de base des impôts. On
imagine mal qu'en reconnaissant aux collectivités locales les compétences pour
modifier les bases, on ne les laisse pas libres de fixer les taux des
impôts.
Nous souhaitons que, sur ce point, vous puissiez aller plus loin que les
dispositions qui sont contenues dans le projet de budget et que vous
reconnaissiez véritablement la compétence des collectivités locales dans ce
domaine. C'est un problème de confiance !
Monsieur le ministre, l'année prochaine, la décentralisation fera l'objet
d'une loi organique relative au transfert d'un certain nombre de compétences.
Si vous voulez réformer l'Etat, vous pouvez transférer des compétences sans
aucun problème. Mais, de grâce, n'imposez pas aux collectivités locales les
modes de gestion de l'Etat ! Sinon, le résultat sera le même et vous ne
réformerez rien du tout !
Par conséquent, que l'Etat transfère des compétences aux collectivités
locales, mais qu'il laisse celles-ci libres de déterminer les modes de gestion
de ces compétences transférées ! Tel est, me semble-t-il, le signe essentiel de
la confiance qui liera la République et ses collectivités. C'est également le
seul moyen d'entamer dans ce pays les réformes profondes dont nous avons
besoin, que nous attendons, et pour lesquelles, monsieur le ministre, vous êtes
au Gouvernement.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les
dispositions contenues dans le présent projet de loi de finances nous apportent
un éclairage opportun sur les intentions du Gouvernement quant à la réforme des
finances locales qu'il envisage. Nous avons bien besoin d'un tel éclairage, car
le seul débat autour du projet de loi de réforme constitutionnelle n'a pu y
suffire.
Ce texte est flou, vague, plein de formules d'apparence généreuses, mais en
réalité bien creuses.
Votre majorité elle-même ne s'y retrouve pas, monsieur le ministre : elle
s'interroge sur vos intentions, comme elle nous l'a montré plusieurs fois tant
au Sénat qu'à l'Assemblée nationale.
A l'article 6 de ce projet de loi de réforme constitutionnelle, dans lequel il
est question de finances locales, vous nous parlez d'autonomie et de
péréquation. Regardons, pour y voir un peu plus clair, de quoi il s'agit dans
cette loi de finances.
Vous dites que l'artice 14 constitue une avancée importante en matière
d'autonomie. Or de quoi est-il question, sinon d'un léger assouplissement dans
la fixation des taux des impôts locaux, un simple assouplissement, alors que,
même avec une déliaison totale des taux - et nous vous la proposerons, bien sûr
-, force est de constater qu'on serait encore loin de l'autonomie financière,
pourtant indispensable, des collectivités territoriales ? J'ai bien dit
autonomie « financière » et pas seulement autonomie « fiscale ».
En effet, cette liberté laissée aux élus locaux est toute théorique, dans la
mesure où la richesse fiscale est très mal répartie, comme l'est d'ailleurs la
mixité sociale ; nous en avons déjà discuté.
Cela c'est d'autant plus vrai avec l'effet conjugué de l'émiettement des bases
de la taxe professionnelle et la montée en puissance de la taxe professionnelle
au taux unique, la TPU.
Les bases de la taxe professionnelle ont, en effet, été entamées de plus de 30
%, si bien que, aujourd'hui, c'est l'avenir même de cet impôt qui est en
jeu.
Ce recul de la contribution des entreprises dans les budgets locaux pose la
question de la justice fiscale et de l'efficacité économique. Il faut donc
revitaliser la taxe professionnelle, mais surtout procéder à une grande réforme
de la fiscalité, afin de rééquilibrer la contribution de chacun et la mettre en
rapport avec la vie économique d'aujourd'hui.
Dans ce sens, nous vous proposerons de nouveau la mise en place d'une taxe sur
les activités économiques. Il s'agira de taxer les actifs financiers des
entreprises pour les inciter à orienter leur argent vers les investissements
productifs et vers l'emploi. Selon notre dernier calcul, cette taxe permettrait
de dégager une ressource équivalant au triplement de la part « péréquée » de la
DGF, soit 12 milliards d'euros par an, avec un taux de seulement 0,3 % !
A cette meilleure prise en compte de la richesse des entreprises dans la
fiscalité locale doivent correspondre des allégements de la fiscalité qui pèse
sur les ménages modestes. Nous présenterons donc un certain nombre de mesures
qui peuvent être appliquées immédiatement.
D'autres dispositions auront leur place dans une réforme d'envergure de la
fiscalité, comme la révision des valeurs locatives qui servent au calcul des
impôts des ménages, mais aussi la réforme de la taxe d'enlèvement des ordures
ménagères. Ces mesures sont urgentes pour nos concitoyens.
Quant à la TPU, elle est loin d'être la panacée pour mutualiser les ressources
fiscales : la péréquation horizontale entre collectivités atteint vite ses
limites. Il ne peut s'agir que d'une péréquation à la marge.
En effet, certaines communes pauvres sont regroupées au sein d'EPCI pauvres,
qui ne perçoivent pas de TPU. Sur les 26 800 communes ainsi regroupées, moins
de 10 000 d'entre elles perçoivent la TPU. Il n'y a pas - ou peu - de recettes
de taxe professionnelle sur ces territoires. Ces EPCI ont donc besoin d'autres
moyens et c'est à l'Etat de prendre ses responsabilités pour les trouver. Or
confier au comité des finances locales le soin de partager la misère ne va pas
dans ce sens-là. C'est bien l'insuffisance globale des recettes qui doit faire
l'objet d'un examen efficace.
Il y a aussi des communes pauvres dans des EPCI riches, où la solidarité ne
s'exerce pas.
Les collectivités dont le territoire comporte les bases suffisantes pour tirer
les ressources indispensables à la satisfaction des besoins des populations
sont marginales.
Surtout, les territoires où ces besoins sont importants - les communes dont la
population est pauvre, les départements où la moyenne d'âge est élevée - sont,
pour la plupart, les moins bien lotis pour ce qui est de la richesse
fiscale.
Il faut donc renforcer la péréquation de l'Etat. Or, dans cette loi de
finances, on est loin du compte !
Certaines mesures annoncent un repli des crédits destinés à la péréquation ;
les collectivités défavorisées bénéficiaires de la dotation de solidarité
urbaine ou de la dotation de solidarité rurale vont voir doubler le taux de
leur perte de dotation de compensation de la taxe professionnelle, la DCTP, si
la loi de finances est adoptée dans les termes actuels.
Quant aux abondements exceptionnels en faveur des dotations de solidarité, non
seulement ils sont insuffisants, mais encore ils s'effectuent au détriment des
autres collectivités. Le précédent gouvernement avait dégagé des moyens sur ses
propres crédits.
Vous souhaitez, vous, affecter le produit de la régularisation positive de la
DGF de 2001 aux dotations de solidarité, ce qui correspond à une perte de 0,7 %
de DGF pour l'ensemble des collectivités.
Permettez-moi de vous dire que privilégier la péréquation, ce n'est pas
prendre aux uns pour donner aux autres, quand les moyens sont insuffisants pour
tous !
C'est d'ailleurs ce que vous disent les élus locaux, notamment les maires qui,
dans un récent sondage, se déclaraient, à près de 60 %, peu optimistes quant
aux perspectives financières de leurs collectivités. Elus de proximité, ils
connaissent les besoins et les attentes des populations, et ils s'efforcent d'y
répondre. Or la voie dans laquelle vous voulez nous entraîner leur rendra la
tâche de plus en plus difficile.
Vous voulez une société encore plus libérale dans laquelle les besoins et les
attentes tant des populations que des élus ne seraient plus pris en compte,
dans laquelle les habitants seraient seuls sollicités : ce n'est pas la vision
que j'ai du rôle des collectivités territoriales !
(Applaudissements sur les
travées du groupe CRC.)
M. le président.
La parole est à M. André Lardeux.
M. André Lardeux.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je
n'entonnerai pas le couplet facile de ceux qui affirment que les dotations de
l'Etat aux collectivités locales sont insuffisantes. Il est évident que les
élus, si on les consulte, répondront tous qu'ils n'en ont pas assez. Je crois
cependant que le problème des finances locales n'est pas tant celui des
recettes que celui des dépenses.
Je suis convaincu que les collectivités locales sont astreintes aux mêmes
efforts que celui qui est demandé à l'Etat, à savoir la maîtrise, voire la
réduction des dépenses publiques. Encore faut-il que l'on cesse d'imposer des
dépenses sans compensation. A ce jour, les régions et plus encore les
départements ont été mis à contribution, un peu moins les communes et les EPCI.
A cet égard, on peut citer, entre autres exemples bien connus, l'ARTT, les
dépenses des SDIS, l'APA, les transports scolaires.
Le système des dotations est devenu trop complexe. J'ai compté - mais mon
calcul est certainement approximatif - dix-sept lignes différentes avec, pour
ce qui est des compensations de pertes de recettes, au moins neuf lignes et,
pour la compensation concernant la part « salaires » de la taxe
professionnelle, sauf erreur de ma part, neuf lignes ! Un tel système est
forcément illisible et frôle le seuil de l'ubuesque.
Certaines compensations sont, d'ailleurs, des marchés de dupes. La suppression
de la vignette, que les départements ont apprise, à l'époque, par la presse,
entraîne, à taux constant, une perte de recettes pour eux. Dans le département
de Maine-et-Loire, dont je préside le conseil général, la perte est, au
minimum, de 1 million d'euros, encore une fois, à taux constant. Le manque à
gagner généré par la réforme de la taxe professionnelle est du même ordre. Les
régions et les communes peuvent dresser le même constat.
D'autres compensations sont encore plus contestables. La dotation d'équipement
des collèges, qui est ancienne, n'a plus aucun rapport avec la réalité. Pour le
Maine-et-Loire, elle ne représente que 10 % des sommes effectivement investies
dans les collèges. Les autres départements et les régions pourraient faire
l'objet de la même remarque.
Le retour à la raison en matière de transfert de charges s'impose comme le
premier impératif. Les transferts doivent être compensés à l'euro. Il en est
ainsi pour les SDIS. Dans un premier temps, ce sont les communes et les EPCI
qui ont assumé l'essentiel de la charge ; aujourd'hui, ce sont les
départements. Il est indispensable que l'on mette fin à la folie normative. Par
exemple, en quoi est-il nécessaire que les ambulances soient capables de
résister à des pressions de 9 G ? S'agit-il de les envoyer sur la lune ? J'en
doute !
(Sourires.)
Si la sécurité n'a pas de prix, elle a un coût, et
nos concitoyens doivent en prendre conscience. Pour ce faire, il me semble
qu'il serait judicieux, à tout le moins, d'y consacrer une ligne spécifique sur
les feuilles d'impôts locaux. Nos concitoyens comprendraient peut-être alors
que, avec une augmentation de 163 % en cinq ans, ils ont de la chance que les
impôts n'augmentent pas davantage.
Le même raisonnement peut s'appliquer à l'ARTT ou à l'APA. Cette dernière,
d'ailleurs, ne pourra fonctionner que si l'on fait des économies sur son coût
actuel.
Cela a été rappelé par le président de la commission et par le rapporteur
général, l'instauration d'une relation de confiance entre l'Etat et les
collectivités locales est le deuxième impératif. Force est de constater que,
depuis vingt ans, cette relation s'est altérée par manque de visibilité et de
sincérité.
L'Etat a un rôle péréquateur. Cependant, la péréquation est encore
insuffisante, puisqu'elle ne concerne qu'un septième des dotations en cause.
Des rééquilibrages sont nécessaires, notamment au bénéfice des communes et des
EPCI. Les écarts entre communes urbaines et rurales sont encore trop élevés.
M. Yves Fréville.
Eh oui !
M. André Lardeux.
Troisième impératif, la réforme de la fiscalité locale, vieux serpent de mer
dont on parle depuis trente ans. J'ai le souvenir d'avoir participé aux
commissions pour la révision des valeurs locatives : le travail est resté sans
suite. On conçoit aisément que, devant l'ampleur de la tâche et les réactions
prévisibles, aucun gouvernement ne se soit résolu à passer à l'acte.
La conclusion qui s'impose est que, dans son cadre actuel, la fiscalité locale
est impossible à réformer. En effet, une répartition différente ne serait pas
forcément plus juste et n'entraînerait pas l'adhésion de ceux qui auraient
moins à payer, tandis que ceux qui auraient plus à payer seraient, à juste
titre, fort mécontents.
Nous devons donc, à mon sens, explorer parallèlement deux pistes.
Premièrement, il s'agit de maintenir des impôts locaux simplifiés et allégés,
payés par tous ou presque - il y va du sentiment d'appartenance civique. Tous
les contribuables attendent, en effet, d'une éventuelle réforme de la fiscalité
locale un allégement de leur imposition. Toute autre solution me paraît vouée à
l'échec.
Deuxièmement, il s'agit, en compensation, d'attribuer aux collectivités
locales une part de fiscalité nationale, ce que la décentralisation doit
permettre, mais avec une réelle péréquation, pour éviter les distorsions entre
collectivités pauvres et collectivités plus riches.
Donc, globalement, ce volet du budget pour 2003 est une étape transitoire, en
attendant de profondes réformes que le Gouvernement a, je le sais, la volonté
de mener et qu'il est capable de réussir.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne
joindrai pas ma voix à ceux qui constatent - malheureusement, c'est l'évidence
et ce n'est pas la peine d'y revenir sans cesse - les difficultés financières
actuelles des collectivités territoriales, même si, comme d'autres, je n'ai pas
le sentiment que les années qui viennent de s'écouler les aient spécialement
amoindries ; j'ai même plutôt le sentiment inverse, et je pense que ces
difficultés ont été aggravées depuis quelques années, au fil des décisions
prises à l'échelon national.
M. Jean Arthuis,
président de la commission.
Depuis cinq ans !
M. Paul Girod.
Ce n'est pas un hasard !
Il est vrai que les dépenses locales explosent. Il est vrai que nous avons des
difficultés au niveau des recettes locales. Cependant, la réflexion que nous
avons à mener collectivement en cet instant et pour les années qui viennent
réside dans le mot « locales » qu'il s'agit de décliner au mieux.
On ne peut, en effet, retrouver de gestion convenable que dans la mesure où, à
une dépense vraiment locale, on peut rattacher un système de financement dans
lequel les références locales soient majoritaires. Sinon, on aboutit à
l'allocation personnalisée d'autonomie, c'est-à-dire à un risque lié à la
démographie, au vieillissement de la population, soit une réalité qui n'est pas
du tout localisée, mais dont on fait supporter le poids à l'impôt local, comble
de l'aberration !
Quelles sont les ressources locales censées financer les dépenses locales ?
Imaginons, par hypothèse, que ne sont laissées à la charge des collectivités
territoriales que les dépenses effectivement localisables sur le territoire
qu'elles ont à administrer. Ce n'est qu'une hypothèse, mais peut-être y
arriverons-nous un jour !
Actuellement, les collectivités ont deux types de ressources : la dotation et
la fiscalité. J'ai un peu de scrupule à parler de ces domaines devant le
président du Comité des finances locales qui, d'année en année, essaie de faire
entrer un peu de bon sens dans l'application des décisions, et avec,
quelquefois, plus de difficultés qu'il n'y siérait !
(Sourires.)
La grande réforme, celle sur laquelle nous avons planché dans cette enceinte
voilà plus de vingt ans, concernait la mise en place de la DGF. Il s'agissait
d'affecter une part du produit d'un impôt national, en l'occurrence la TVA, aux
collectivités locales pour permettre d'assurer librement leur fonctionnement.
C'est d'ailleurs ce que j'entends réclamer de nouveau aujourd'hui. Quelle
constance ! Mais le résultat, à l'époque, a été spectaculaire : de décisions
autoritaires en oukases, de petits coups de pouce à la DSU en coups de ciseaux
à la DCTP, sans parler de l'intercommunalité, la complexité est aujourd'hui
telle et l'opacité si intense que personne ne comprend plus rien, personne
n'est capable de trouver une logique dans le résultat signifié chaque année à
telle collectivité territoriale.
A cet égard, monsieur le ministre, permettez-moi une suggestion : j'aimerais
qu'une étude soit menée à partir de quelques critères simples tels que la
population, la richesse fiscale moyenne, la surface, les charges, afin que l'on
sache comment est
in fine
répartie la DGF. Je suis persuadé que, compte
tenu de la complexification croissante des dispositifs arrêtés à l'échelon
national, on pourrait arriver au même résultat, mais de manière plus simple et
plus lisible. Cette étude n'a jamais été faite, mais ne manquerait pas
d'intérêt.
M. le président.
En tenant compte de la fiscalité, mon cher collègue !
M. Paul Girod.
Bien sûr, monsieur le président, le tout est que l'on sache, à partir de
critères simples, quel est le résultat actuel de la répartition de la DGF. Je
suis persuadé que l'on devrait pouvoir trouver des formules de simplification
fort pertinentes.
La fiscalité, par définition, doit avoir une attache locale. Or j'entends
parler, à juste titre, d'ailleurs, de l'obsolescence de nos « quatre vieilles
». Pourquoi cette obsolescence ? Elle vient d'abord du fait que les bases n'ont
jamais été revues de manière moderne et que tout le monde a « calé » devant la
tâche. C'est vrai pour le foncier bâti ; bizarrement, c'est également vrai pour
le foncier non bâti, où l'on travaille sur des données qui sont parfaitement
fictives dans 80 % des cas, ou, en tout cas, fort anciennes et radicalement
détachées de la réalité de ce qu'a été l'évolution de l'activité agricole.
Ne parlons pas des exonérations, dégrèvements et autres interventions de
l'Etat dans le calcul des bases et dans le calcul de la contribution : personne
n'y comprend rien non plus !
Nous aurions bien besoin d'un tableau simplifié permettant à chacun de s'y
retrouver. Car, en définitive, c'est souvent celui qui demande le plus à la
collectivité locale qui est le moins concerné, sinon sur le plan du résultat
financier, du moins par la perception qu'il peut avoir de l'impôt local.
Quant à la taxe professionnelle, c'est devenu l'horreur. Pardonnez-moi,
monsieur le président, je suis ravi pour nos activités économiques que l'on ait
supprimé la part « salaires », mais où est passé le coté local, dans cette
affaire ?
Non seulement cette part « salaires » a été remplacée par une dotation, fort
difficile à calculer et même à interpréter - neuf lignes - mais, par-dessus le
marché, la dotation n'est absolument pas adaptée à l'évolution des
implantations d'industries : les nuisances se créent là où la ressource
n'existe plus et n'existera jamais, puisqu'il n'y a pas de référence avant la
suppression de la part « salaires » ; en revanche, la ressource continue à
exister, mal indexée et mal calculée, là où il y avait quelque chose avant la
réforme. Résultat ? L'activité économique ne peut plus être localisée sur le
plan fiscal par les collectivités qui la supportent !
Là aussi, nous avons besoin de reprendre conscience de la réalité des choses.
Et si la solution au problème doit être recherchée dans l'octroi d'une part de
fiscalité nationale, encore faut-il bien comprendre que, comme cette fiscalité
n'est, par définition, pas localisable, elle ne peut se faire que par une
distribution à l'échelon de collectivités d'assez grande dimension, voire de
très grande dimension. Autrement dit, on voit mal comment choisir un autre
échelon que l'échelon régional, ce qui aboutit inévitablement au déclassement
vers le bas de toute une série de taxes dites de « proximité » qui, elles, sont
effectivement adaptées à la réalité locale.
Tout cela exige un effort de réflexion qui, monsieur le ministre, me semble
être la base des travaux qui devront permettre un jour à la décentralisation de
réussir sans provoquer d'explosion fiscale.
Il ne faut pas se leurrer : dès qu'il y aura dépense publique, il y aura
ressource publique. D'où la nécessité d'une rationalisation de la méthode de la
dépense, et ce aussi bien pour l'Etat que pour certaines collectivités
territoriales. Il faut, en même temps, qu'il y ait adaptation de la nature de
la recette à la réalité du terrain. Monsieur le ministre, si l'on veut réussir
la décentralisation sans pour autant brouiller les esprits, c'est à cet effort
de clarification qu'il faut s'attacher le plus vite possible.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi de finances s'inscrit dans la perspective de la relance de la
décentralisation portée par le Président de la République et par le Premier
ministre, dont le Sénat a examiné la première étape constitutionnelle.
Plusieurs mesures favorables aux collectivités locales nous sont soumises, par
exemple, la mise en conformité de France Télécom avec le droit commun de la
fiscalité locale, prévue à l'article 13.
Cette mesure permettra aux collectivités de recouvrer un montant important de
taxe professionnelle et de bénéficier intégralement de la taxe foncière, tout
en étant neutre pour l'entreprise. Elle était souhaitée depuis longtemps par le
Sénat mais s'est fait longtemps attendre, faute d'une véritable volonté
politique. Il faut donc saluer l'initiative prise par le Gouvernement.
Mais c'est surtout l'assouplissement des règles de liens entre les taux des
impôts locaux qui retient l'attention. Il traduit, sans aucun doute, l'état
d'esprit du nouveau gouvernement.
De 1997 à 2002, les collectivités locales ont dû faire face à une
recentralisation rampante. Les atteintes à leur autonomie locale se sont
multipliées, particulièrement en matière financière. La suppression de la
vignette - sans concertation, sans tenir compte des efforts faits par les
départements qui avaient pourtant réduit son taux -, la suppression de la part
régionale de la taxe d'habitation, et leur remplacement par des dotations
budgétaires ont considérablement réduit les marges de manoeuvre des
collectivités locales.
Les lois sur l'aménagement du territoire et sur la solidarité et le
renouvellement urbains ont eu pour résultat de resserrer encore le carcan
administratif et réglementaire, au point d'entraver les initiatives. Des élus
de tous horizons en témoignent aujourd'hui.
A cela s'ajoute la multiplication des transferts de charges, qui ont mis à mal
l'équilibre des finances locales. Je pense, en particulier, à l'application des
35 heures dans la fonction publique territoriale, sans aide de l'Etat, au
financement des services départementaux d'incendie et de secours et à l'APA.
Pendant cinq ans, les élus locaux n'ont pas été associés à la politique de
l'Etat. Ils n'ont fait que la subir.
M. Roland du Luart.
Très bien !
M. Alain Fouché.
Le gouvernement de Jean-PierreRaffarin propose une tout autre démarche, un
nouveau contrat de confiance fondé sur la liberté et la responsabilité
locales.
En adoptant le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation
décentralisée de la République, le Sénat a consacré l'autonomie financière des
collectivités territoriales.
La déliaison des taux inscrite à l'article 14 traduit ce principe de manière
concrète. Elle met fin au climat de suspicion à l'égard des élus locaux. Elle
les place devant leurs responsabilités, en augmentant leurs marges de manoeuvre
et en renforçant leur pouvoir de décision.
Mais il ne s'agit que d'une première étape. La réforme des finances locales
reste à faire.
L'enjeu est fondamental pour l'avenir de la décentralisation : il n'y aura pas
de transfert de compétences réussi sans ressources adaptées.
Plusieurs pistes de rénovation du système fiscal local sont généralement
évoquées : augmenter les marges de manoeuvre des collectivités locales en
matière de taux au-delà de ce que prévoit le projet de loi de finances pour
2003 ; offrir aux collectivités locales la possibilité de procéder à des
révisions locales des bases d'imposition dans un cadre fixé par la loi ;
envisager la création de fiscalités locales nouvelles, ou encore partager les
recettes d'un impôt national, tel que la taxe intérieure sur les produits
pétroliers, les collectivités locales pouvant être autorisées à voter un taux
additionnel.
Monsieur le ministre, nous devons examiner ces pistes avec soin, sans
a
priori,
mais avec prudence, c'est-à-dire en veillant à bien mesurer leur
impact sur le terrain.
L'expérience montre en effet que certaines réformes ont eu, ou peuvent avoir,
des effets pervers.
C'est, par exemple, le cas de la suppression de la part salariale de la taxe
professionnelle qui a entraîné des changements dans les politiques fiscales et
foncières des collectivités locales.
C'est aussi le cas de la révision des valeurs locatives que chacun appelle de
ses voeux, tout en redoutant ses effets.
Nous devrons enfin veiller à ce que plus de liberté n'entraîne pas plus
d'inégalité territoriale.
(Oui ! sur les travées du groupe socialiste.)
C'est tout l'enjeu de l'avenir de la péréquation à laquelle nous venons de
donner une valeur constitutionnelle.
M. Gérard Delfau.
A peine !
M. Alain Fouché.
Plus d'autonomie, plus de responsabilité, mais aussi plus de solidarité, tels
sont les objectifs de la relance de la décentralisation !
Les débats au Sénat sur la réforme constitutionnelle montrent que ces
objectifs ne seront pas facilement conciliables.
Les tensions existant parfois entre l'Etat et les collectivités locales et
entre échelons territoriaux ne disparaîtront pas en un jour, tant sont ancrées
les attitudes et tant sont anciens les contentieux.
Le processus de réforme engagé par le Gouvernement a le mérite de faire bouger
les choses, d'insuffler de l'air dans des finances locales devenues
étouffantes.
En ouvrant le chantier de la décentralisation, le Gouvernement ouvre une ère
nouvelle. A nous de faire en sorte qu'elle se traduise par des résultats
concrets, dans l'intérêts de nos concitoyens.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. Roland du Luart.
Il faut faire comprendre cela à M. Debré !
M. le président.
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Mon propos, très bref, portera sur un point singulier qui a déjà été évoqué,
mais qui est majeur et quasi obsessionnel pour nombre de présidents de conseils
généraux.
Il n'est pas trop tard, monsieur le ministre, pour trouver une solution au
financement de l'APA. C'est une urgence, voire une question de survie pour
nombre de départements. Il ne faudrait pas qu'après nous avoir assurés de sa
volonté de maintenir les différents niveaux de collectivités territoriales le
Gouvernement, par inaction calculée, provoque la mort de l'une d'elles,
littéralement asphyxiée par la montée en charge extraordinaire des
bénéficiaires. Il ne faudrait pas que, faisant fi de la continuité républicaine
de l'Etat, le Gouvernement se désintéresse du financement de ce qui est, à
l'évidence, une grande cause nationale, celle des personnes âgées
dépendantes.
On dit tellement de choses inexactes que je voudrais recaler le discours.
Premièrement, l'APA est une grande réforme. Nous la revendiquons dans la
plénitude de ses objectifs et dans l'essentiel de ses modalités. Si elle monte
si vite en puissance, si elle dépasse les prévisions les plus extrêmes, c'est
bien qu'elle répond à une nécessité. Nous sommes fiers d'avoir mis sur pied
cette grande nouveauté d'un droit universel, ouvert à tous, sans conditions de
ressources. C'est une grande mesure de justice sociale et de solidarité.
M. Paul Girod.
Ce n'est pas une dépense locale ! Il fallait la financer !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Attendez !
Deuxièmement, il faut cesser de se lancer des slogans sur ce sujet d'un camp à
l'autre, car le gouvernement de Lionel Jospin n'a pas été isolé dans cette
affaire. Tout le monde a sa part de responsabilité.
Souvenons-nous : à l'origine, se trouve une promesse de Jacques Chirac en
1995, celle de l'allocation d'autonomie, qui prévoyait un financement d'Etat.
Devant l'incapacité du gouvernement de l'époque à la financer, certains
sénateurs, présidents de conseils généraux, ont inventé la PSD, dont le but
avoué était d'afficher la satisfaction du besoin tout en ménageant les finances
de l'Etat et des départements ! Résultat : on a compté 150 000 bénéficiaires au
lieu des quelque 600 000 attendus.
Troisièmement, souvenons-nous encore, tout le monde ou presque a été d'accord
pour confier aux départements, qui d'ailleurs la réclamaient, la gestion du
dispositif...
M. Paul Girod.
Eh oui !
M. Jean-Claude Peyronnet.
... et, en partie, son financement. Dans les débats sur le « cinquième risque
», la qualité des réseaux gérontologiques déjà mis en place dans beaucoup de
départements est apparu comme une garantie d'efficacité. Et puis, disons-le
clairement, la sécurité sociale n'était pas plus hier qu'elle ne l'est
aujourd'hui capable de financer seule un tel dispositif.
Quatrièmement, souvenons-nous des débats sur la récupération sur succession.
On sait bien que le noeud du problème est là que c'est cette suppression qui
fait filer la dépense autant que l'élévation du niveau des seuils et des
allocations. Or cette disposition a été votée par les deux assemblées.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est exact !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Le Sénat l'a adoptée, à une très faible majorité, certes, mais comme la gauche
n'était pas majoritaire - cela se saurait, et ce n'est pas encore pour
aujourd'hui - il a bien fallu un apport important de voix de droite. Quant à
l'Assemblée nationale, elle l'a votée à l'unanimité, et la gauche n'était pas
hégémonique au point d'être seule à voter. Les responsabilités sont donc
partagées ! Au demeurant, le Gouvernement, qui dispose au Parlement d'une
majorité des deux tiers dans chaque assemblée, peut revenir quand il le veut
sur cette disposition. Bref, on connaît l'ampleur du succès qui a suivi.
Monsieur le ministre, je sais, pour avoir participé avec l'Assemblée des
départements de France à une première réunion autour de MM. Fillon et Falco,
que le Gouvernement se préoccupe de trouver des solutions de maîtrise de la
dépense. Mais tout ce qui est envisagé sur le plan des modalités aura un effet
retard important et ne réglera pas les difficultés immédiates.
Le problème financier reste entier pour 2003. Il manque 1,2 milliard d'euros
et, si on en reste à l'esprit du dispositif, il manque 600 millions d'euros en
provenance de l'Etat. Si le Gouvernement ne fait pas un geste significatif, les
départements vont augmenter leur fiscalité de façon très lourde et, pour
certains - et paradoxalement les plus pauvres -, de façon insupportable.
Vous me direz que ces 600 millions d'euros viendront de toute façon des
contribuables.
Certes, mais que l'impôt soit local ou national n'est pas indifférent.
D'abord, cette façon désinvolte de refuser toute participation est inquiétante
pour les expérimentations et les transferts à venir, justifiant ainsi nos
craintes ! Ensuite, obliger à augmenter d'une façon considérable le poids de la
fiscalité locale en annonçant pourtant sa réforme prochaine est assez
incohérent. Et puis, ce n'est pas la même chose d'augmenter la CSG, qui pèse
sur tous les revenus, et la taxe d'habitation, qui pèse massivement sur les
salariés, malgré les exonérations sociales.
Les départements vont être amenés à augmenter les taux de taxe professionnelle
parce que, grâce au mécanisme d'écrêtement par la valeur ajoutée, ils feront
payer tout de même l'Etat, mais au détriment des petites entreprises. C'est
franchement anti-économique.
Monsieur le ministre, il faut aider les départements. C'est d'ailleurs une
promesse du président Chirac qui écrivait, dans un courrier du 25 avril 2002 :
« L'Etat ne saurait reporter sur d'autres que lui le financement de sa
politique sociale. L'urgence sera donc d'adosser l'aide aux personnes âgées à
des financements stables ». A cette date, nous sommes entre les deux tours de
l'élection présidentielle. J'ai voté pour le Président alors candidat, mais
j'avoue que ce n'était pas essentillement pour cette déclaration.
(Murmures sur plusieurs travées.)
Or 600 millions d'euros, ce n'est pas si élevé. Si vous ne voulez pas
augmenter les prélèvements nationaux, évitez au moins de réduire les recettes
les plus justes, évitez donc de baisser d'un point l'impôt sur le revenu, cela
fait à peu près le compte. Il est vrai qu'il s'agit d'une autre promesse du
Président, mais si vous lui expliquez bien les choses, entre l'accroissement
des charges sur les ménages, et surtout sur les entreprises, et la baisse de
l'impôt sur le revenu, il comprendra ce qui est le plus juste et, de surcroît,
ce qui est efficace sur le plan économique ; ce n'est pas, à coup sûr, la
baisse de l'impôt sur le revenu.
Monsieur le ministre, je sais que je vous ai convaincu, je suis certain que
vous allez être convaincant.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
(M. Bernard Angels remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. BERNARD ANGELS
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Yves Fréville.
M. Yves Fréville.
Quel contraste ! Hier, nous adoptions de grands principes constitutionnels sur
l'autonomie fiscale locale, sur la péréquation ; aujourd'hui, nous entérinons
une politique ancienne : étatisation et fragilisation de la taxe
professionnelle, impuissance de la péréquation. Il nous faut, monsieur le
ministre, une nouvelle donne.
Je me bornerai à vous poser deux questions, en faisant référence aux dépenses
cachées, aux subventions implicites aux collectivités locales qui se
dissimulent dans le budget des charges communes sous forme de dégrèvements
d'impôts locaux : existe-t-il un avenir pour la taxe professionnelle rabougrie
d'aujourd'hui ? Quel est l'avenir d'une péréquation aujourd'hui exsangue ?
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Yves Fréville.
Quel est l'avenir de la taxe professionnelle après la suppression quadriennale
de la part « salaires » des bases que nous avons connue ?
La taxe professionnelle marchait sur deux jambes : l'imposition du facteur de
production travail - c'est-à-dire les hommes - et l'imposition du facteur de
production capital - c'est-à-dire les machines. On lui a coupé la première
jambe. Le coût pour les finances de l'Etat a été de 10 milliards d'euros et la
perte un peu supérieure pour les collectivités locales dont les ressources ne
sont pas compensées totalement. Cette situation me paraît très grave puisque
nous coupons le lien qui existait entre l'impôt local et les hommes qui
profitent de l'impôt.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Absolument !
M. Yves Fréville.
En outre, il ne faut pas oublier qu'à l'heure actuelle ce sont les hommes, et
non pas les outillages, qui sont localisés dans les villes. Et nous allons
priver les villes, dont on connaît les besoins, d'une ressource dynamique.
Mais je voulais essentiellement insister sur le devenir d'un impôt assis
seulement sur le second facteur, le capital. Aujourd'hui, ce qui reste de la
taxe professionnelle est gangrené.
L'impôt que nous croyons voter et qui figure dans les budgets des
collectivités locales ne correspond pas à ce que payent les entreprises. Le
montant des dégrèvements de taxe professionnelle s'élève aujoud'hui à 7
milliards d'euros. Voilà la vérité !
Je me demande ce que signifie un impôt local qui n'est pas payé par les
entreprises au niveau que fixent les collectivités locales. Actuellement, 16
000 entreprises - les plus grandes - paient la taxe professionnelle en fonction
d'une assiette qui est nationale - la valeur ajoutée - et en fonction d'un taux
national qui est fixé par l'Etat, c'est-à-dire finalement par le Parlement.
Mes chers collègues, un pareil impôt peut-il continuer à fonctionner ? C'est
la question que je me permets de poser à M. le ministre délégué au budget.
Cette question est d'autant plus grave que nous avons réalisé une bonne
réforme au cours de la dernière législature, celle de l'intercommunalité. Nous
l'avons fondée sur un impôt, la taxe professionnelle unique, qui a au moins le
mérite de réduire les disparités de taux à l'intérieur des intercommunalités.
Dans mon département, couvert en quasi-totalité, par la taxe professionnelle
unique, le taux varie désormais entre 9 % et 15 %. Telle est la vérité.
Or nous avons fragilisé la taxe professionnelle en supprimant la part «
salaires » et je ne vois pas bien comment nous pourrons conduire une politique
efficace en matière d'intercommunalité si elle repose sur un impôt
fragilisé.
M. Adrien Gouteyron.
Très bien !
M. Yves Fréville.
Monsieur le ministre, je dis cela parce que j'ai eu l'impression, au cours de
la dernière législature, que les finances locales relevaient de deux
ministères. Il y avait, d'une part, le ministère des impôts, Bercy, qui
cherchait uniquement à réduire les impôts locaux. Il y avait, d'autre part, le
ministère de l'intérieur, le ministère des dotations, avec la direction
générale des collectivités locales, qui s'évertuait, en bricolant, à réparer
les conséquences des erreurs commises par Bercy.
Je souhaite avant tout que vous définissiez une politique cohérente entre la
fiscalité et les dotations. Vous ne pourrez la mettre en place que si vous
déterminez précisément la réforme de la taxe professionnelle. C'est ma première
question.
Ma seconde question concerne l'avenir de la péréquation que je qualifie
d'exsangue.
Je n'évoquerai ni la DSU ni la DSR, nous savons tous ce qu'il en est. Au sein
de la dotation d'aménagement, le gonflement de la dotation d'intercommunalité a
« ratatiné » la part de la DSU et de la DSR, c'est-à-dire la partie vivante de
la péréquation. Nous savons bien que la croissance de la dotation d'aménagement
est assurée chaque année - nous en verrons tout à l'heure des exemples - par
quantité d'expédients. On abonde, on ajoute par exemple 23 millions d'euros
récupérés sur la suppression de la taxe sur les boissons. Le Sénat y
contribuera parce qu'il faut le faire.
Mais le problème n'est pas là. Il s'agit plutôt de définir les mécanismes
d'une réforme de la dotation forfaitaire, qui représente 90 % des recettes des
communes. Il faut également s'interroger sur le caractère pernicieux de la
contrepéréquation induite par les dégrèvements de taxe d'habitation.
En ce qui concerne la dotation forfaitaire, la réforme qu'il faudra faire
devra d'abord tenir compte, comme l'évoquait Paul Girod, de critères
simples.
Pour moi, la population reste le critère le plus simple. Or nous avons inventé
un système extraordinaire ! Nous n'avons pas su réformer la dotation
forfaitaire lors du dernier recensement puisque nous n'avons fait bénéficier
les communes que de la moitié de l'accroissement de population auquel elles
avaient droit.
Dans mon département, la population de la commune de Bruz est passée de 8 000
à 13 000 habitants, soit une augmentation de 60 % en neuf ans. Royalement, sa
DGF a été majorée de 30 % ! Etudiez, comme le souhaite Paul Girod, la variation
de la dotation forfaitaire en fonction d'autres critères et vous verrez que,
plus la commune croît - et donc ses besoins - et moins elle perçoit de dotation
forfaitaire.
M. Gérard Delfau.
Eh oui !
M. Yves Fréville.
Il faut rétablir ce genre de principes simples. Il faut calculer la dotation
forfaitaire à partir de critères clairs : le revenu par habitant - parce qu'il
ne dépend pas des modes de calcul des assiettes fiscales -, la population, le
taux de croissance de cette dernière.
Si nous allons dans cette direction, nous irons dans le bon sens. Mais nous
irons certainement dans le mauvais sens si nous procédons au contraire de façon
non transparente, c'est-à-dire par la procédure des dégrèvements de taxe
d'habitation.
Permettez-moi, mes chers collègues, en tant que rapporteur du budget des
charges communes, d'insister sur ces dégrèvements de taxe d'habitation qui sont
plus importants que la totalité des dotations de solidarité urbaine, rurale et
d'intercommunalité. Pourtant, personne ne s'en occupe et personne ne connaît
leur répartition !
L'étude au niveau communal fait apparaître des résultats extraordinairement
décapants ! Le montant des dégrèvements varie en moyenne de un à sept selon les
départements : un dans la Lozère, sept dans l'Hérault.
Pour ce qui est des communes, les résultats sont encore plus étonnants. Le
mécanisme avantage en effet non pas les communes les plus pauvres mais les
communes les plus dépensières. Cela n'a rien d'étonnant, me direz-vous, dans la
mesure où le dégrèvement de taxe d'habitation est accordé aux habitants dont la
cotisation est supérieure à 4,3 % de leurs revenus ; ce sont donc les communes
qui imposent le plus qui font bénéficier leur population de ces dégrèvements.
Par ailleurs, ce sont naturellement les villes, notamment les plus grandes
d'entre elles, qui profitent le plus de ce genre de subvention implicite.
M. Gérard Delfau.
Comme d'habitude !
M. Yves Fréville.
Je n'ai pas d'idée préconçue sur ce sujet. Je veux bien que les villes et les
grandes villes qui ont des charges de centralité évidentes soient
subventionnées, mais il faut que nous le fassions de manière parfaitement
claire, devant le Parlement. Si les villes ont besoin de ressources
importantes, donnons-leur les dotations correspondantes.
Je suis simplement opposé aux systèmes qui déresponsabilisent les élus locaux
en les incitant à engager des dépenses importantes et à augmenter leurs taux
d'imposition au motif que leurs concitoyens feront l'objet de dégrèvements
issus de mécanismes incertains.
Ayons, mes chers collègues, une politique lisible en matière de subvention aux
villes. J'habite une ville, je suis conscient des dépenses des villes, mais ne
recourons pas à des mécanismes qui aboutissent à déresponsabiliser les élus,
avec pour résultat, dans certains départements, une prise en charge à 60 % de
la taxe d'habitation par l'Etat !
Monsieur le ministre, nous sommes confrontés à des problèmes d'ensemble qui
exigent une réforme de structure. Il faut une nouvelle donne et je suis certain
qu'après ce budget de transition c'est cette nouvelle donne que vous nous
présenterez.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR,
des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Adrien Gouteyron.
Très bien !
M. Gérard Delfau.
J'espère que vous serez écouté !
M. le président.
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Mme Beaufils
a déjà rappelé, au nom de notre groupe, quelques éléments importants du débat
sur les recettes des collectivités locales. Il faut comprendre que nous sommes
face à un choix de société. C'est en ces termes que doit être appréhendée la
réforme de la décentralisation.
L'enjeu devrait être la démocratie, mais nous en sommes loin, puisque vous
refusez d'ouvrir les débats aujourd'hui nécessaires. Nous participerons
néanmoins à tous les débats sur le sujet, nous le ferons malgré les idées
préconçues et, bien sûr, nous formulerons des propositions.
L'enjeu devrait être l'amélioration des services publics ; or le libéralisme
que vous mettez en oeuvre ne peut que les détériorer et mettre fin à toute
mutualisation des coûts. C'est déjà le cas dans le domaine de l'eau, ou encore
dans celui du traitement des ordures ménagères, et pour quels résultats ?
Aujourd'hui, on ne parle plus d'usagers, mais uniquement de clients, et leurs
factures se sont alourdies dans des proportions insupportables. Je pense, par
exemple, à la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, la TEOM, dont le produit
a augmenté de 120 % en dix ans. Ces tarifs sont par ailleurs marqués par des
disparités énormes entre collectivités.
En outre, les citoyens font parfois les frais d'une réduction du service
rendu.
L'enjeu ne peut donc être cette « proximité » que votre
marketing
met à
toutes les sauces, et j'y reviendrai.
Au contraire, la perspective que vous proposez, c'est celle d'une société qui
s'avance encore plus vers le libéralisme. Or la société libérale considère
qu'il faut, coûte que coûte, diminuer les dépenses publiques.
C'est le choix que vous avez toujours fait et qui vous inspire encore, et il
se traduit de différentes manières : un cantonnement de l'effort en faveur des
collectivités, des baisses drastiques de certains crédits, un désengagement de
l'Etat, qui contraint les échelons locaux à prendre le relais, mais sans moyens
suffisants.
Vous ne faites aucune proposition allant dans un autre sens, et ce n'est pas
l'enveloppe normée, cette invention du gouvernement Juppé, qui illustre de
façon très parlante votre politique, qui nous rassurera.
M. Jean Arthuis,
président de la commission.
Ce n'était pas si mal quand même !
M. Thierry Foucaud.
Certes, cette année, dans les termes plus favorables du contrat de croissance
et de solidarité, la croissance est prise en compte. Heureusement, mais pour
combien de temps ?
Réformer d'accord, mais pas au détriment des collectivités. Or, si nous avons
bien compris, le but est d'imposer aux collectivités l'abaissement des dépenses
publiques. M. Marini nous l'a assez répété l'année dernière, le pacte de
stabilité mis en place en 1996 a en effet été conçu pour limiter les concours
de l'Etat aux collectivités locales, et je dois reconnaître qu'il y est parvenu
! Au titre de la seule DCTP, ce sont 13 milliards de francs que les
collectivités ont perdus sous le pacte de stabilité. On l'a donc déjà vu à
l'oeuvre, monsieur le rapporteur général.
Ni le bon sens, ni la justice, ni même les besoins des populations ne
justifient ces dispositifs. C'est encore moins la logique, car, avec
l'enveloppe normée, il s'agit de regrouper les crédits les plus divers : des
crédits destinés à compenser des charges transférées, d'autres à soutenir les
dépenses d'investissement, d'autres encore à compenser la TVA, voire à
compenser des suppressions d'impôts, et que sais-je encore...
Cette enveloppe hétéroclite a été instituée au nom de l'idéologie libérale,
idéologie selon laquelle, je le répète, il faut abaisser les dépenses
publiques.
Nous vous demanderons au contraire de sortir de ce cadre en vous proposant des
amendements visant à permettre aux différentes dotations de connaître des
évolutions en rapport avec leur raison d'être.
On pourrait s'entendre sur une indexation de l'enveloppe normée à 50 % de la
croissance. Vous l'aviez, mes chers collègues, demandée au précédent
gouvernement...
Aujourd'hui comme hier, il est juste que les collectivités bénéficient d'une
part plus importante de la croissance. Elles réalisent, en effet, les trois
quarts des investissements publics. Elles créent de la croissance, mais,
malheureusement, elles commencent à s'essouffler. Ne pas augmenter les moyens
des collectivités, c'est freiner la croissance.
Aujourd'hui plus qu'hier, les charges des collectivités sont sans commune
mesure avec les besoins.
Les mesures que vous annoncez, ainsi que certaines dispositions déjà votées,
les contraindront à aller encore plus loin, car le désengagement de l'Etat
s'accélère. J'en veux pour preuve la politique relative au parc immobilier de
la justice, de la police et de la gendarmerie menée depuis le vote de la loi de
programmation cet été : aux collectivités locales de payer si elles veulent ces
services sur leur territoire !
Dans le même sens, la réforme de la décentralisation donnerait lieu à des
transferts de ressources d'un montant équivalent au montant que l'Etat
consacrait à ces mêmes compétences. C'est tout à fait dérisoire et inadapté.
Le bon sens recommande plutôt de procéder à un état des lieux, d'évaluer avec
précision les besoins en tenant compte de leurs évolutions possibles.
C'est ce que les nombreux élus locaux qui font procéder à des audits veulent
vous faire entendre. Forts de l'expérience de ces vingt dernières années, ils
savent pertinemment que des transferts de compétences opérés dans ces
conditions auront pour effet d'enserrer un peu plus leurs budgets, de générer à
la fois à une baisse des services et une augmentation des impôts.
Cette réforme fait donc craindre une explosion de la fiscalité locale. Quoi
d'étonnant à cela, puisque les transferts de compétences que vous envisagez
visent précisément à pallier le désengagement de l'Etat !
Cela concernerait les routes, les hôpitaux, mais aussi le fonctionnement de
certains services. Je pense, par exemple, à la suppression de postes de
personnels de l'éducation nationale.
Est également évoquée la politique du logement, qui sort déjà très affaiblie
de votre court bilan. Dans le projet de loi de finances, on constate encore des
baisses de crédits dans ce ministère, et il en va de même en matière de
politique de la ville.
Votre politique du logement, c'est aussi l'abandon du principe de mixité
sociale et de solidarité que prônait la loi SRU.
Routes, hôpitaux, éducation, logement, avec ces seuls exemples, on mesure
l'ampleur du désengagement de l'Etat. Quel est notre avenir si aucun progrès
n'est fait dans ces secteurs ?
Là est bien le risque, dans la mesure où, en l'état actuel de leurs finances,
les collectivités ne sont pas capables d'assumer les nouvelles charges
correspondantes.
Il faut prendre la pleine mesure des charges qui pèsent déjà sur leurs
budgets.
A l'échelon des départements, il y a l'APA, à propos de laquelle vous avez,
par deux fois, refusé nos solutions. Dans le cadre du projet de loi de
financement de la sécurité sociale, nous vous avons ainsi proposé la création
d'un cinquième risque pour prendre en charge cette prestation, et, dans le
cadre du présent débat budgétaire, nous vous avons soumis une mesure de repli
visant à sauver cette prestation, tout en redonnant des marges de manoeuvre aux
départements, à savoir l'affectation d'un impôt d'Etat au fonds de financement
de l'APA. Vous avez refusé, car vous voulez faire reculer la solidarité dans la
mise en oeuvre de l'APA.
Il y a encore le financement des SDIS, pour lequel nous proposerons une
solution durable : une ressource destinée à la lutte contre les risques.
Il y a aussi toutes ces dépenses imprévues que les échelons de proximité
assument trop souvent seuls. Les collectivités l'ont encore montré dans le sud
de la France face aux intempéries qui se sont abattues sur leurs territoires :
écoles et infrastructures à reconstruire, logements d'urgence à assurer,
soutien aux populations...
Une vraie solidarité, dans laquelle l'Etat prendrait sa part au lieu de
compter ses « sous », manque quand de tels dommages atteignent les
populations.
Il y aussi toutes ces situations particulières : les communes accueillant des
entreprises classées Seveso, dont le développement est gelé ; les communes qui,
chaque année, subissent des inondations ; les communes dont la population est
en grande détresse, qui doivent, plus que les autres, développer des services
de proximité.
Les collectivités ont également la charge de tels services, et c'est
précisément pour cela que le modèle auquel tend votre projet est abusivement
qualifié de « république des proximités ».
Les services publics de proximité, en péril pour cause d'étranglement
financier des collectivités, sont ceux qui répondent aux besoins de tous les
jours : c'est l'accueil périscolaire, pour faire avancer l'égalité des chances,
ce sont les centres de loisirs et les crèches, pour aider les familles... Alors
que cette loi de finances tend à fournir une aide supplémentaire à ceux qui
peuvent employer du personnel à domicile, rien n'est prévu pour soutenir les
structures collectives financées par les collectivités !
Ces services, c'est aussi tout ce qui anime la vie locale, cette part de
bonheur et de solidarité qui crée du lien, le soutien aux associations, les
bibliothèques, les équipements sportifs. A cet égard, la faiblesse des crédits
destinés aux dépenses de fonctionnement de la politique de la ville est
également de mauvais augure.
Avec le dispositif emploi-jeune, le précédent gouvernement a aidé les
collectivités à développer la mise en place de ces services, tout en facilitant
l'insertion professionnelle des jeunes. La question de leur avenir, en même
temps que celle de la pérennité des services qu'ils rendent, car il sera
impossible pour les collectivités d'en assumer seules le coût, est donc
posée.
C'est une réalité qu'il faut prendre en compte, car, si nous assurions la
pérennisation des emplois-jeunes, ce serait pour les collectivités un début de
réforme, une réforme allant dans le sens de la modernité comme dans le sens de
l'emploi et de la satisfaction des besoins.
Vous l'aurez compris, la question, au-delà des pouvoirs des collectivités, est
avant tout celle des moyens nécessaires pour satisfaire les besoins.
(Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président.
La parole est M. Louis de Broissia.
M. Louis de Broissia.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général,
mes chers collègues, qu'il me soit permis, d'abord, de remercier mon groupe de
me donner l'occasion d'exprimer le sentiment d'un sénateur de la République,
également président d'une collectivité départementale, un sentiment, monsieur
le ministre, de grande inquiétude devant les difficultés qui attendent les
collectivités locales.
A cette inquiétude répond, pour partie, votre gouvernement, gouvernement que
l'opinion, tout comme moi, soutient et qui a pris la mesure de la nécessité
d'instaurer un climat de confiance entre les collectivités locales et
l'Etat.
Nous l'avons dit au Premier ministre lors des assises des conseillers généraux
qui se sont tenues à Strasbourg le 3 septembre, nous l'avons répété la semaine
dernière à l'occasion du congrès des maires de France.
Le projet de budget démontre l'intérêt fort qui est porté aux collectivités
locales, l'augmentation de 3,7 % des concours financiers de l'Etat traduisant,
et je m'en félicite, un soutien accru à ces collectivités qui assument
l'essentiel de la République sur le plan local.
Mais, monsieur le ministre, vous le savez mieux que quiconque, dans le cadre
de la réforme de la décentralisation et de la refonte de la fiscalité, le
Président de la République et le Gouvernement ont décidé, avec raison, de
baisser la fiscalité pesant sur les ménages et sur les entreprises.
Les impôts baisseront donc, c'est un engagement.
Les communes elles-mêmes resteront impliquées par les facilités qui leur ont
été accordées par diverses lois, comme je l'ai dit lors du congrès des maires
de France.
Un effort important a été réalisé, y compris par les gouvernements précédents,
pour comprimer le contingent social, pour le supprimer au bénéfice des
départements et faire en sorte que le contingent « incendie » soit de plus en
plus affecté à ces derniers. Pour les collèges, il n'y a plus d'affectation des
ressources communales au département. Il est vrai que la DGF a « plafonné »,
mais, dans le même temps, ces contingents ont fortement explosé.
Les régions disent régulièrement qu'elles veulent rester des collectivités de
mission dans le cadre de la réforme de la décentralisation, laissant aux
communes et aux départements le rôle de collectivités de gestion.
Cependant, les 102 collectivités à statut départemental, collectivités de base
que je connais bien et qui ont, bien sûr, voix au chapitre, ont confirmé leur
rôle incontournable aux côtés des intercommunalités, et, monsieur le ministre,
qu'il me soit permis de dire, même si je le répète après d'autres, que les
départements supportent en ce moment le plein choc de mesures qui ont été
prises par les gouvernements précédents - c'est la continuité de la République
-, à commencer par le choc de la réduction du temps de travail.
L'aménagement, nous savions faire, mais la réduction, imposée à des
collectivités qui emploient des personnels nombreux, a été extrêmement
coûteuse. De même, la réforme des SDIS, qui n'a pas été financée, pèsera
lourdement sur les départements jusqu'en 2006. Enfin, l'imprévision en matière
de dépenses qui a caractérisé la mise en place de l'allocation personnalisée
d'autonomie a été telle que les budgets des départements explosent
littéralement, sans qu'aucune compensation ne soit prévue.
Je fais partie de ceux, monsieur le ministre, qui regrettent que nous
laissions les collectivités départementales s'enfoncer inexorablement sous le
poids de la fiscalité, alors même que le Gouvernement veut comprimer l'impôt
local.
Pour les intercommunalités, il n'en va pas tout à fait de même, mais elles
n'en assument pas moins, aux côtés des départements, des régions et des
communes, les charges nouvelles qu'a évoquées l'orateur précédent, notre
collègue Thierry Foucaud : le périscolaire, la petite enfance,
l'assainissement, l'eau, les déchets, etc. Toutes ces charges extrêmement
lourdes, qui pèseront très fortement sur la fiscalité locale, ont une influence
sur la répartition territoriale de l'impôt.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, est-il nécessaire d'attirer votre
attention sur le fait que la décentralisation ne sera pas une réussite pour ces
deux échelons qui sont au plus près des réalités locales et jouent un rôle
essentiel dans la cohésion territoriale si, d'une part, moins d'impôts sont
demandés à nos concitoyens par l'Etat ou par la région, laquelle aura davantage
de moyens, et si, d'autre part, il y a d'importantes hausses des impôts perçus
par les départements et les nouvelles intercommunalités ?
Monsieur le ministre, nous sommes aujourd'hui la majorité nationale et nous
l'avions dit lorsque nous étions encore dans l'opposition, le précédent
gouvernement a laissé des bombes à retardement dans tous les domaines : bombe à
retardement des retraites, bombe à retardement des 35 heures, bombe à
retardement de l'insécurité, bombe à retardement de l'opposition entre
territoires urbains et territoires ruraux, bombe à retardement du
vieillissement, qui est une bombe à retardement d'ordre démographique.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
On ne peut tout de même pas imputer le vieillissement
au précédent gouvernement...
M. Louis de Broissia.
Le Gouvernement aidera-t-il, dans le projet de loi de finances pour 2003, les
collectivités qui sont menacées d'être montrées du doigt parce qu'elles devront
augmenter les impôts locaux pour assumer des missions qui ne sont pas financées
et qui n'ont d'ailleurs jamais été transférées ?
Vous le savez bien, c'est la clef d'une décentralisation réussie et c'est un
mouvement que le Sénat appuie : des tâches séparées, certes, mais aussi des
ressources affectées !
Je termine, parce que je sais qu'il nous écoute, par un appel au Gouvernement.
Nous avons soutenu le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation
décentralisée de la République, qui assure aux départements, aux régions, aux
communes une reconnaissance constitutionnelle tout en leur affectant des
ressources propres.
Nous demandons simplement que le pacte de confiance qui lie la majorité
parlementaire et le Gouvernement soit conforté par un pacte de confiance que le
Gouvernement conclura avec les collectivités territoriales, notamment avec les
départements, pour lesquels 2003 sera une année particulièrement difficile.
Ainsi, un débat d'orientation budgétaire s'est tenu hier au sein du conseil
général que je préside : pour la deuxième année consécutive, je me vois
contraint et forcé d'augmenter les impôts locaux de plus de 10 %, pour des
raisons indépendantes de la volonté des élus locaux, tenant au fait que
certains transferts de charges n'ont pas été compensés. Je ne veux pas,
monsieur le ministre, être seul à porter la responsabilité de cette décision
devant nos concitoyens. Le Gouvernement, à qui je fais confiance, doit, en
retour, aider les élus locaux à expliquer la situation.
Certains présidents de conseil général, et non des moindres, ont d'ailleurs
imaginé de présenter un budget hors contraintes nationales, sans prévoir le
financement de l'APA, du SDIS, de l'application de la RTT, en laissant au
préfet le soin d'équilibrer ensuite le budget départemental. Il s'agit pour eux
de montrer que ce dernier comporte une part de dépenses décidées localement,
qu'ils assument, et une part de dépenses relevant d'une volonté nationale, sur
laquelle ils n'ont pas de prise.
Je ne suis pas de leur nombre ; je ne suis pas non plus, mes chers collègues,
de ceux qui pratiquent l'amnésie. Certains d'entre nous qui ont voté, voilà
quelque temps, des lois dont la mise en oeuvre n'était pas financée viennent en
effet aujourd'hui se plaindre de cette absence de financement et demandent au
gouvernement actuel de supporter l'impopularité qui en résulte.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très juste !
M. Louis de Broissia.
Cependant, monsieur le ministre, l'excuse de l'amnésie ne nous suffira pas.
Soyez à nos côtés, en 2003, soit pour trouver des accents de sincérité afin
d'expliquer aux contribuables locaux qu'ils paieront la facture des erreurs
passées, soit pour dégager des ressources nouvelles. Je vous fais confiance !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. Gérard Braun.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le
cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2003, nous abordons l'étude
du chapitre relatif aux recettes fiscales des communes. Je veux préciser
d'emblée que je traiterai le sujet pris au sens le plus large : les ressources
financières des collectivités pour faire face aux besoins de la population, en
incluant les dotations d'Etat et le revenu de l'impôt local, seront incluses
dans sa définition. J'évoquerai en outre une fois de plus devant le Sénat le
sort des villages, des bourgs et des petites villes, qui sont les grands
perdants de la redistribution de la richesse nationale depuis une quinzaine
d'années.
A l'heure où le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, a
fait de la décentralisation un axe majeur de sa politique, je veux décrire sans
fard et très concrètement la grande misère financière de ces communes, pour peu
qu'elles n'aient pas la chance d'avoir accueilli sur leur territoire une grande
surface, une centrale nucléaire, un poste d'EDF ou de France Télécom. Le récent
congrès de l'Association des maires de France, consacré à l'« égalité
territoriale », a montré les craintes instinctives que suscitent les
orientations retenues par le Gouvernement.
En effet, les maires redoutent qu'un nouveau transfert de compétences de
l'Etat vers les régions et les départements ne se traduise, en bout de chaîne,
par un prélèvement fiscal aggravé pour leurs administrés, ainsi que par une
baisse des subventions destinées à financer leurs dépenses d'investissement ou
de fonctionnement. Ils veulent bien un approfondissement de la
décentralisation, mais à condition que cette réforme s'accompagne de l'octroi
de moyens financiers supplémentaires, et non, à l'inverse, d'un nouvel
affaiblissement de leurs maigres ressources. Fondamentalement, quelle que soit
leur origine ou leur étiquette politique, ils voudraient que le Gouvernement
s'attache, en priorité, à réduire l'inégalité choquante des richesses entre
collectivités, caractéristique qui distingue malheureusement la France au sein
de l'Union européenne.
Cette situation ancienne a été aggravée par une série de décisions récentes
prises à l'échelon national. Elle entraîne des conséquences, que je vais
décrire, pour le mode de vie des citoyens, à une époque où la mobilité et
l'information uniformisent la demande et les besoins, quel que soit le lieu
d'habitation. Or, suivant que l'on réside dans une grande ville ou dans un
autre type de commune, suivant que l'on vit en Ile-de-France, en Rhône-Alpes,
en Limousin ou dans le Languedoc-Roussillon - ce ne sont que des exemples -, la
gamme des services publics, au sens large de l'expression, s'étend ou se
restreint, parfois, dans ce dernier cas, jusqu'au minimum de prestations. En
zone rurale, il faut même parfois payer pour un service qui est offert aux
citadins.
A cet égard, La Poste constitue l'exemple caractéristique et caricatural. Le
petit village sans ressources qui veut conserver son bureau ou son agence devra
financer le local et prendre en charge une partie du salaire - une partie
seulement pour l'instant ! - du guichetier. Au même moment, les établissements
bancaires, privés ou mutualistes, se retirent et se concentrent dans les zones
de chalandise ou dans les centres-villes, délaissant une clientèle âgée et peu
mobile, pour laquelle l'accès aux services financiers de base passe désormais
presque exclusivement par l'entreprise publique. Pour combien de temps celle-ci
est-elle encore présente, d'ailleurs ? En tout cas, est-ce cela, l'égalité des
territoires ?
Mais élargissons le constat à partir d'autres services perçus comme
indispensables. Ainsi, la crèche halte-garderie est devenue le complément
naturel de l'école maternelle et primaire pour toute une population mobile sur
le plan professionnel, pour des familles où les deux parents exercent un
métier. Financer un tel investissement exige un budget communal important,
compte tenu de la nécessité de respecter les normes et exigences imposées par
les autorités de tutelle. En assumer le coût de fonctionnement demeure un
exercice difficile, même pour une petite ville de 4 000 à 5 000 habitants.
Est-ce normal ?
La même réflexion s'applique à la construction d'une médiathèque. Pourtant,
l'accès aux livres, à l'audiovisuel ou à l'Internet est-il plus ou moins
important pour les enfants et pour les adolescents selon qu'ils vivent dans une
zone rurale ou péri-urbaine ou dans une grande ville ? Une telle
discrimination, dans une nation aussi riche que la nôtre, est inacceptable !
Entrons plus avant encore dans le quotidien. Chaque commune est désormais
sollicitée pour créer, puis pour étoffer, un centre communal d'action sanitaire
et sociale, en vue d'en faire un lieu d'accueil permanent, complémentaire du
service assuré par les assistantes sociales au titre du conseil général. Il
arrive même que l'agent municipal doive compenser les défaillances du service
départemental. De plus, il incombe désormais à chaque collectivité locale
d'encadrer et de former les très nombreux RMistes qui s'acquittent d'une tâche
au sein de ses services ou auprès des petites associations. Ainsi se développe
naturellement, nécessairement, un service social de proximité que les bourgs et
les petites villes, à partir de 3 000 habitants, assurent pour leur propre
population et pour celle des villages environnants, remplissant une fonction de
« centralité » qui ne donne lieu à aucune compensation.
Pour peu que les élus d'une commune aient conscience qu'ils ont le devoir
d'offrir aux adolescents des structures d'information, d'intégration ou de
prévention, les voilà confrontés à une tâche délicate et peu populaire, qui
suppose un grand professionnalisme des personnels qui y seront affectés. Or
seuls les quatre cents à cinq cents quartiers urbains dits « sensibles »
peuvent bénéficier d'une intervention financière de l'Etat dans le cadre de la
politique de la ville. Cette dernière exclut depuis toujours les zones
périurbaines et rurales, où se développent pourtant les mêmes symptômes de
désocialisation des jeunes qu'en ville. La commune qui veut faire vivre un club
d'adolescents ou un contrat local de sécurité, après avoir tenu à bout de bras
un conseil intercommunal de prévention de la délinquance, est livrée à ses
seules forces : ni l'Etat ni, généralement, le conseil général ou le conseil
régional ne lui viennent en aide. En 2003, le budget de la nation consacrera
des moyens considérables au renforcement des mesures de répression ; rien n'est
prévu pour soutenir les actions de prévention là où apparaissent les attitudes
de rupture. Quel contresens !
Que dire, précisément, de l'aspiration de nos concitoyens à la sécurité
publique ? Dans ces mêmes communes, la gendarmerie est aujourd'hui, mes chers
collègues, en sous-effectif chronique, en raison des décisions prises, à juste
titre, à l'automne de 2001, afin d'améliorer le sort des personnels. En outre,
si la commune est située en zone de croissance démographique, le déficit en
moyens humains se creuse encore. Désormais, obtenir, la nuit, l'intervention
d'une brigade de gendarmerie est aléatoire. En cas d'intervention, celle-ci est
tellement décalée dans le temps qu'elle perd de son efficacité. Devant cette
situation, la population se tourne vers la municipalité et demande avec
insistance la création de postes de gardien de police municipale. Cela est
impossible, au vu du budget, sauf à sacrifier le personnel administratif et
technique qui assume les missions de base. La frustration est immense, avivée
depuis peu, il faut bien le dire, par le zèle médiatique du ministre de
l'intérieur. Il va falloir, sur ce sujet, que l'Etat abatte ses cartes, cesse
d'étendre, projet de loi après projet de loi, les compétences de la police
municipale et dise clairement quel rôle il souhaite lui voir jouer et quel
financement lui est attribué. Sinon, les villes riches continueront à se doter
de contingents nombreux de gardiens municipaux, tandis que le reste du
territoire se sentira abandonné par la puissance publique. C'est le maire qui,
à chaque coup dur, subira les reproches et, parfois, le discrédit.
Tel est le constat. Il est loin d'être exhaustif. Je prendrai un dernier
exemple, celui d'un maire d'une commune des hauts cantons de l'Hérault, qui me
disait récemment : « Ma commune subit une forte spéculation foncière. Il me
faudrait engager une réflexion collective en vue d'établir un plan local
d'urbanisme. Mais j'hésite, compte tenu du coût que représentent les études. »
Est-ce acceptable du point de vue de l'égalité territoriale ? Est-ce rationnel
eu égard à la fragilité de cette zone de montagne que fréquentent de plus en
plus de touristes ?
C'est cette situation qui explique la tiédeur - et souvent la méfiance - des
maires vis-à-vis du grand chantier de la décentralisation. Ils attendent du
Gouvernement que cette orientation soit accompagnée de son corollaire
indispensable : une politique volontariste de péréquation des ressources, et
pas seulement à l'échelon local ou régional ; sinon, dans les bassins d'emploi
pauvres, on ne fait que répartir la pénurie. Je reviendrai, à une autre
occasion, sur la nécessité d'une telle péréquation, ardemment souhaitée par nos
contitoyens, qui est pratiquée en Allemagne et qui a été décidée ici-même en
1995, par le biais de l'adoption de l'article 20 de la loi d'orientation pour
l'aménagement et le développement du territoire. Souvenez-vous de notre
enthousiasme d'alors, mes chers collègues ! Depuis, trois gouvernements se sont
succédé, et les décrets d'application n'ont jamais été pris...
Je conclurai mon intervention en indiquant que, s'agissant de ce projet de loi
de finances, je soutiendrai quelques amendements dont l'adoption atténuerait,
fût-ce à la marge, l'inégalité entre les communes. J'espère qu'ils recevront un
accueil positif de la part du Gouvernement et de la majorité du Sénat. Ce
serait un signe encourageant pour ceux qui, comme moi, sont favorables à une
nouvelle étape de la décentralisation, à condition qu'elle s'accompagne d'une
progression vers l'égalité des territoires.
(Applaudissements sur certaines
travées de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Bernard Murat.
M. Bernard Murat.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, me faisant
l'écho de l'inquiétude grandissante des élus au regard de la situation
financière des collectivités territoriales, j'ai souvent réclamé, notamment
l'an dernier à cette tribune, comme l'avait fait Louis de Brossia, une réforme
complète de la fiscalité locale, laquelle transforme les élus locaux en simples
agents répartiteurs.
Devenue aujourd'hui opaque, injuste et inefficace, la fiscalité locale met en
péril l'esprit même de la décentralisation et doit, nous le savons tous, être
réformée.
La décentralisation annoncée par le Président de la République et proposée par
le Premier ministre et son gouvernement est le début de la réponse à
l'obligation de la réforme de l'Etat. La réussite de cette décentralisation
dépendra de la capacité à transformer, à l'euro près, les moyens appropriés en
investissements et en fonctionnement.
Il me semble, ce soir, que le projet de loi de finances pour 2003 présenté par
le Gouvernement, bien qu'il ne soit pas encore celui de la décentralisation,
tend à amplifier la liberté fiscale des collectivités locales et de leurs élus.
Il va dans le bon sens, celui du travail engagé pour donner un plus grand rôle
aux collectivités locales dans la vie du pays.
Il me semble même, et j'espère ne pas pécher par excès d'optimisme, que ce
projet de loi offre les prémices de cette grande réforme de la fiscalité locale
tant attendue.
Nous pouvons en remercier le Gouvernement, en particulier notre ancien
collègue Alain Lambert, qui n'a eu de cesse, avec notre excellent rapporteur
général, au cours de la précédente législature, de réclamer cette réforme et de
dénoncer les mesures de démantèlement progressif de la fiscalité locale prises
par le précédent gouvernement.
En effet, les finances locales font, depuis plusieurs années, l'objet de
nombreuses réformes intervenues à travers des lois de finances ou des lois
spécifiques qui ont eu pour conséquences majeures de recentrer les ressources
locales et, de fait, de réduire l'autonomie financière des collectivités.
Les suppressions, notamment, de la fraction de l'assiette de la taxe
professionnelle assise sur les salaires, de la part régionale de la taxe
d'habitation et de la vignette, ainsi que la réforme des droits de mutation,
ont conduit à une réduction de la part de la fiscalité locale dans les
ressources globales hors emprunts, qui s'établit à moins de 37 % pour les
régions, à 43 % pour les départements et à 48 % pour les communes.
Le poids des compensations versées aux collectivités par l'Etat a été, quant à
lui, multiplié par treize depuis 1983. En trois ans, l'autonomie fiscale des
collectivités locales a été vidée de 20 % de sa substance.
Plus concrètement, si l'on prend l'exemple de la communauté d'agglomération de
Brive, 32 % des recettes de fonctionnement de celle-ci proviennent des aides de
l'Etat.
Cette situation, monsieur le ministre, n'est pas acceptable, et nous, élus
locaux, ne l'acceptons plus. En réalité, c'est notre capacité de gouvernance
qui est réduite. La précédente législature, en accélérant le dépérissement de
la fiscalité locale, cherchait à nous transformer en simples distributeurs de
dotations octroyées par l'Etat et à distendre les liens entre collectivités
territoriales et administrés.
J'ajoute que certaines options partisanes, comme la mise en oeuvre des 35
heures dans nos collectivités, nous ont été imposées sans que des moyens soient
transférés, avec toutes les conséquences désastreuses que cet état de fait a
eues pour le service fourni au public.
L'apport essentiel de la gestion de proximité, en termes d'efficience de
l'action publique, réside justement dans la recherche, par les élus locaux, de
la meilleure allocation possible des recettes issues de l'impôt local.
Le projet de loi constitutionnelle adopté voilà quelques semaines au Sénat a
posé le principe de l'autonomie financière des collectivités territoriales, en
particulier des communes, mettant en exergue l'idée de l'existence d'une
responsabilité fiscale des élus, corollaire de leur responsabilité
démocratique. Aujourd'hui, la France est trop administrée et pas assez
gouvernée ; il faut inverser la tendance.
Afin de construire de manière substantielle une nouvelle étape de la
décentralisation, une réforme fiscale est nécessaire. Je crois pouvoir
affirmer, mais M. Alain Lambert nous le confirmera, que le Gouvernement nous a
écoutés et entendus, car il a pris l'engagement de nous présenter dès le début
de l'année 2003 des textes comportant des dispositions visant à modifier la
fiscalité.
Nous pouvons d'ailleurs constater dès à présent que nous sommes sur la bonne
voie.
Contrairement aux années précédentes, le projet de loi de finances pour 2003
présente quelques dispositions participant des objectifs de décentralisation et
rompt avec la politique du « toujours plus de grignotage » de l'autonomie
fiscale des collectivités locales.
Ainsi, le Gouvernement a accordé davantage de liberté fiscale aux élus, par la
« déliaison » des impôts locaux, c'est-à-dire la possibilité de majorer le taux
de la taxe professionnelle dans une proportion supérieure à l'augmentation de
la taxe d'habitation. Il s'agit là d'une avancée déterminante en direction
d'une plus grande liberté et d'une plus grande responsabilité des élus. Cet
assouplissement est certes encadré, mais il va permettre de sortir en douceur
d'un système contraignant et de mieux tenir compte de la diversité des
territoires. Disons le clairement, les citoyens demandent plus de proximité et
plus de lisibilité dans la politique des collectivités locales, mais ils ne
sont pas prêts à accepter un alourdissement de la fiscalité correspondante.
Le Gouvernement a trouvé là un juste équilibre entre la rigidité passée et les
excès que pourrait engendrer une liberté trop soudaine, en attendant la «
déliaison » totale, qui pourrait intervenir, pourquoi pas ? dès le début de
l'année 2003.
En ce qui concerne le renforcement de la libre administration des
collectivités locales, le projet de budget prévoit aussi d'assujettir France
Télécom aux impôts directs locaux dans les conditions du droit commun.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Enfin !
M. Bernard Murat.
Les collectivités locales bénéficieront donc d'une nouvelle assiette fiscale
et seront libres de voter les taux qui seront appliqués.
Il s'agit là, pour les finances locales, d'une avancée qui était demandée
depuis des années par la commission des finances du Sénat.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Absolument ! Nous avons enfin été entendus !
M. Bernard Murat.
Autre point positif pour les finances locales : malgré l'élaboration de ce
budget dans un contexte tendu, le Gouvernement s'est abstenu de rogner sur la
masse financière des collectivités locales. Comme nous l'a si bien démontré
dans son exposé notre excellent rapporteur général,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Merci !
M. Bernard Murat.
... il était indispensable, dans l'attente d'une réforme globale de la
fiscalité locale et des dotations de l'Etat aux collectivités locales, de
reconduire le système existant des concours de l'Etat aux collectivités
territoriales. Nous souhaitons seulement que ce soit pour la dernière fois,
avec l'avènement d'une véritable autonomie locale, dans un rapport «
gagnant-gagnant » entre l'Etat et les collectivités territoriales, ainsi que
l'a demandé M. Philippe Marini.
En conclusion, il est donc urgent de mettre un terme à une transformation des
ressources fiscales en dotations budgétaires et d'assurer la prééminence des
recettes fiscales dans les budgets locaux. Il est urgent de simplifier les
règles et de mieux cibler les bénéficiaires des dotations de l'Etat, en
particulier de la dotation globale de fonctionnement. Il est urgent de se
pencher sur le problème de la péréquation des ressources entre les
collectivités territoriales, en rappelant encore une fois, que nos concitoyens
ne comprendraient pas que la décentralisation génère une augmentation des
impôts locaux. En bref, il est urgent de réformer la fiscalité locale, et vous
pouvez compter sur nous, monsieur le ministre, pour soutenir toute démarche
allant dans ce sens.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union
centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Lambert,
ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, je constate, une fois encore,
combien on s'instruit en écoutant le Sénat sur les relations financières entre
l'Etat et les collectivités locales.
Nous avons essayé, avec Patrick Devedjian, dont je vous prie de bien vouloir
excuser l'absence puisqu'il est retenu à l'Assemblée nationale en cet instant,
de concilier à la fois notre souci de vous présenter un dispositif favorable
aux collectivités locales et aussi d'être respectueux de la contrainte
budgétaire forte, que votre commission des finances a su vous présenter mieux
que personne. Le contexte est en effet celui de la réforme en profondeur des
finances locales. Je vais essayer de vous donner un certain nombre
d'indications sur l'état actuel de ma pensée.
Le président de la commission des finances et le rapporteur général n'ont pas
marqué une impatience - la délicatesse de leur verbe est en effet bien connue
-, ils ont exprimé le souhait que nous progressions dans ce domaine. J'indique
à la Haute Assemblée que le budget est élaboré en juillet, que les élections
législatives se sont tenues en juin et que nous n'avons donc eu que quelques
semaines pour vous proposer le budget dont nous discutons actuellement. Vous
comprendrez qu'en quelques semaines il était difficile de vous préparer une
vraie révolution des relations financières entre l'Etat et les collectivités
locales.
M. Jean Arthuis,
président de la commission.
Nous le comprenons !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vous êtes arrivé trop tard dans un monde trop vieux
!
(Sourires.)
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Mais nous allons rattraper le retard, monsieur le
rapporteur général !
M. le président.
Monsieur le rapporteur général, je vous en prie, M. le ministre a seul la
parole.
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Merci de me protéger, monsieur le président !
Je vais essayer, dans la transparence et en toute sincérité, de vous livrer
l'état de nos réflexions, tout en reconnaissant qu'elles ne sont pas abouties
et qu'elles méritent d'être approfondies avec vous.
Le Gouvernement s'est engagé à proposer, lors de l'année 2003, une réforme des
finances locales et il tiendra son engagement. Cette réforme aura trois
composantes principales : l'autonomie financière, la péréquation et la
contrepartie financière des transferts de compétence. Je limiterai mon propos à
la question de l'autonomie financière et à celle du financement des transferts
de compétence. En effet, la question de la péréquation relève plus directement
de mon collègue Patrick Devedjian, et vous aurez l'occasion de l'aborder lors
du débat sur les crédits du ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure
et des libertés locales.
M. Gérard Delfau.
Cela ne nous rassure pas !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il faut faire confiance.
M. Gérard Delfau.
Absolument pas !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Je le précise pour la bonne organisation des débats.
Comment améliorer l'autonomie financière des collectivités territoriales ? Le
rapporteur général a longuement évoqué ce point, de même que le président
Arthuis, M. Michel Mercier, en sa qualité de rapporteur spécial, M. Bernard
Murat et beaucoup d'autres orateurs. Il convient d'accroître la part des
ressources propres au sein du total des ressources des collectivités
territoriales. Plus précisément, il convient d'accroître la part des ressources
fiscales relativement à la part des dotations reçues de l'Etat. Comment faire
?
M. Jean Arthuis,
président de la commission.
Augmenter les impôts !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Comme je le disais, la réflexion du Gouvernement n'est
pas achevée sur ce point, et je ne suis donc pas en mesure de vous livrer des
solutions définitives. Néanmoins, je souhaite profiter de ce débat pour
suggérer quelques principes sur lesquels le Gouvernement réfléchit et pour
tester auprès de vous, mesdames, messieurs les sénateurs, quelques pistes que
nous pourrions défricher ensemble.
S'agissant des principes, pour pouvoir être transféré aux collectivités
territoriales, un impôt devrait, selon moi, avoir dans l'idéal trois
caractéristiques principales.
Première caractéristique : ses bases devraient être réparties de manière
relativement harmonieuse sur le territoire national. Les impôts dont les bases
sont mal réparties se prêtent, à l'évidence, moins bien à un transfert, même si
la péréquation peut permettre de corriger des inégalités.
Deuxième caractéristique : le transfert doit être total. Certes, cela n'est
évidemment pas indispensable, l'assiette pouvant techniquement être partagée,
c'est d'ailleurs le cas pour les impôts locaux actuels. Il n'en demeure pas
moins que, dans l'idéal, il est préférable que l'impôt local le soit totalement
et que l'impôt national le soit aussi. Ce principe ne concerne d'ailleurs pas
seulement l'Etat et les collectivités territoriales ; j'ai appris, au Sénat,
qu'il devrait également concerner les relations avec la sécurité sociale.
M. Jean Arthuis,
président de la commission.
Oui !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Enfin, troisième et dernière caractéristique : les taux
de l'impôt transféré doivent pouvoir être modulés par les collectivités qui en
bénéficieront. A défaut, l'autonomie fiscale serait, certes améliorée, mais
dans des proportions insuffisantes.
Puisque nous sommes sur le plan des principes, je voudrais souligner que le
processus de réforme que nous allons engager devra être conçu de manière
neutre. Là encore, je vais être tout à fait franc et loyal avec vous.
En premier lieu, il devra être neutre pour le contribuable. En aucun cas il ne
devra se traduire par une aggravation des charges qu'il supporte. Nous sommes
d'ailleurs profondément convaincus que la décentralisation doit, au terme du
processus, être source d'amélioration de la situation des contribuables et des
citoyens, car, normalement, la gestion de proximité doit se traduire soit par
des prestations supplémentaires, soit par des économies.
En second lieu, ce processus de réforme devra être neutre pour l'Etat et pour
les collectivités territoriales. Il n'est pas question que la réforme se fasse
au détriment de ces dernières. D'ailleurs, la Constitution, en cours de
révision, l'interdit. Il n'est pas envisageable non plus, et je sais que vous
ne reprocherez pas à un ministre du budget de le dire, qu'elle s'opère au
détriment des finances de l'Etat. La situation budgétaire de l'Etat ne le
permet pas, vous le savez mieux que personne.
Il faudra donc que les transferts d'impôt s'accompagnent, pour l'Etat, d'une
économie équivalente, soit sur les charges en cas de transfert de compétence
accompagné d'un transfert de ressources fiscales, soit sur les dotations, soit
sur les dégrèvements actuels d'impôts locaux pris en charge par le budget de
l'Etat.
M. Michel Mercier.
Très bien !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
J'en viens aux pistes que nous pourrions explorer
ensemble. Au regard des principes que je viens d'évoquer, quels sont les
défauts et les qualités des différents impôts ? Vous le constatez, j'ai essayé
de réfléchir aux questions que vous m'avez posées.
J'indique d'emblée que les deux impôts synthétiques que sont l'impôt sur le
revenu et l'impôt sur les sociétés ne constituent pas, selon les premières
appréciations que nous avons pu porter, des pistes satisfaisantes. Ces impôts
ne sont pas localisables, puisqu'ils prennent en compte l'ensemble des revenus
ou des éléments de patrimoine du contribuable. De surcroît, leurs bases
d'imposition sont mal réparties sur le territoire national. Enfin, notons que
l'impôt sur les sociétés est très volatile
(Marques d'approbation sur le
banc des commissions)
- le budget de l'Etat en est la première victime - et
que la sensibilité des contribuables à des taux d'impôt sur le revenu
différenciés localement serait particulièrement forte. Ce que nous constatons
déjà au niveau de l'Etat, nous le constaterions à l'échelon des communes, des
départements et des régions. Personne, je l'imagine, ne l'envisage.
La piste d'un transfert de CSG serait plus intéressante, dans la mesure où cet
impôt est dynamique. Mais les problèmes de localisation des bases semblent
également difficiles, même s'ils le sont moins que pour l'impôt sur le revenu
ou l'impôt sur les sociétés.
On peut toutefois noter que les bases de la CSG sont assez mal réparties. En
effet, le produit par habitant varie, pour les revenus d'activité, entre 917
euros dans la région la plus favorisée et 240 euros dans la région la moins
favorisée, soit un rapport d'environ un à quatre. Le rapport est à peu près
similaire pour les revenus du patrimoine.
Par ailleurs, la CSG est à l'heure actuelle intégralement affectée à la
sécurité sociale. Si les collectivités territoriales acquièrent la possibilité
de la percevoir, le lien entre sécurité sociale et CSG, qui existe
actuellement, s'en trouverait en quelque sorte affaibli, ou d'une lecture
beaucoup plus brouillée.
A fortiori
, un transfert des droits sur le
tabac ne paraît pas opportun. L'affectation de ces droits à la sécurité sociale
relève d'une logique forte, qui, à mon avis, ne doit pas être rompue.
J'en arrive à la TIPP.
(Exclamations sur plusieurs travées.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ah !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Elle rapporte actuellement environ 25 milliards
d'euros. Les bases de cet impôt sont correctement localisées, puisque le
produit par habitant est compris dans un rapport de un à moins de deux. Je
donne les chiffres : 545 euros par habitant dans la région la plus avantagée et
291 euros par habitant dans la région la moins avantagée. Notons - cela fera
plaisir sinon à tout le monde, en tout cas au plus grand nombre - que, en
l'occurrence, la région d'Ile-de-France n'est absolument pas avantagée : le
produit par habitant compte parmi les plus faibles.
M. Gérard Delfau.
Forcément !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Cet impôt est donc, de toute évidence, celui qui se
prête le mieux à un transfert. Certes, la perception de l'impôt posera quelques
problèmes techniques dès lors que les taux seraient différenciés localement. Il
ne serait alors plus possible de procéder à cette perception en sortie de
raffinerie, comme c'est le cas actuellement. Pour autant, ces difficultés
techniques ne doivent pas être surestimées. Je veux le dire clairement : même
si le ministère dont j'ai partiellement la charge a la réputation d'être contre
ce transfert - ce qui n'est d'ailleurs pas tout à fait le cas -, nous sommes
prêts à l'examiner avec vous, et ce en toute loyauté.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bien !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Cet impôt est celui qui se prête le mieux à un
transfert. Le seul obstacle est, en réalité, pour l'instant d'ordre
communautaire - mais j'imagine qu'il pourra être surmonté. Nous sommes en train
d'étudier de très près la compatibilité d'un transfert de pouvoir fiscal sur
cet impôt à nos territoires avec les différentes directives qui régissent les
accises.
Pour être tout à fait complet, il faut noter que d'autres impôts sont aussi à
l'étude. Je pense notamment à la TGAP. Mais, depuis ce matin, je n'en entends
pas suffisamment de bien pour vous l'offrir comme étant une très bonne idée.
(Sourires.)
Si je le faisais, vous n'apprécieriez sans doute pas.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
En cas de besoin, on prendrait toujours !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Voilà donc, s'agissant des pistes de transfert de
fiscalité, ce que je voulais vous dire. J'espère vous avoir montré, en la
circonstance, que je ne cherchais pas à esquiver ce débat. J'ai souhaité
profiter de cette occasion pour qu'il puisse être ouvert en toute sincérité
entre nous.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
J'en viens à la
problématique des transferts de compétences. Vous l'avez quasiment tous
évoquée, en raison des transferts effectués qui ont été mal compensés. M.
Michel Mercier - c'est sa responsabilité - y a insisté, de même que MM. André
Lardeux et Louis de Broissia, ainsi que M. Jean-Claude Peyronnet sur un
registre différent. Ce qui est revenu en permanence, c'est, bien sûr, la
question de l'APA,...
M. Roland du Luart.
Effectivement !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
... dont le coût est très élevé. J'observe, tout
d'abord, sans chercher à renvoyer la balle, que le présent Gouvernement n'a pas
à encourir de reproche du fait de cette prestation et du calibrage de la
compensation allouée aux départements.
Rappelons à nos collègues de l'opposition, qui sont parfois si prompts à
dénoncer d'hypothétiques futurs transferts mal compensés, que l'APA a été
conçue par le précédent gouvernement.
(M. Roland du Luart s'exclame.)
J'ai relu, monsieur du Luart - car j'aime beaucoup la lecture des travaux
parlementaires - le compte rendu des débats concernant les finances locales qui
se sont tenus au Sénat l'an passé. J'y ai relevé des mises en garde insistantes
émanant de plusieurs orateurs de l'opposition d'alors, et donc de la majorité
aujourd'hui. Le débat sur l'APA a, en réalité, déjà eu lieu la semaine dernière
lorsque vous avez examiné le projet de loi de financement de la sécurité
sociale. A cet égard, M. de Raincourt a, lors de cette séance, particulièrement
bien résumé la situation dans laquelle nous nous trouvons. Il a dit : « l'Etat
dispose-t-il des ressources nécessaires pour financer les surcoûts de cette
prestation ? Je réponds très sincèrement du haut de cette tribune : hélas !
non. Faut-il, pour autant, augmenter les impôts locaux ? Je réponds : non,
évidemment ! »
M. Roland du Luart.
C'est la quadrature du cercle !
M. Alain Fouché.
Comment fait-on, alors ?
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Seule reste donc, mesdames, messieurs les sénateurs, la
voie de la maîtrise de la dépense.
(M. le rapporteur général opine.)
Permettez au ministre du budget de
s'exprimer sur ces questions car il n'a pas souvent l'occasion de pouvoir le
faire. Si nous ne veillons pas à calibrer toutes les prestations qu'il est jugé
utile, parfois nécessaire, de proposer à nos compatriotes en fonction de leurs
capacités contributives, cela signifie soit que nous en renvoyons le paiement
aux générations futures, sans savoir où l'on va, soit que nous manquons de sens
des responsabilités.
M. Roland du Luart.
Quel courage !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Si je considère qu'il n'y a pas d'autre voie que la
maîtrise de la dépense, c'est parce que choisir une autre voie revient à opter
en faveur de l'augmentation inexorable des impôts. Si tel est le choix qui est
fait, il doit être non pas tacite mais explicite.
(MM. Louis de Broissia et Bernard Fournier applaudissent.)
Quelles sont les voies de la maîtrise des dépenses ? Bien que n'étant pas
spécialiste du sujet, je considère qu'il ne faut pas se priver des leviers qui
sont susceptibles d'y contribuer. Je pense au seuil de ressources, au niveau de
participation avec l'instauration d'un nouveau barème tenant mieux compte de la
capacité contributive des bénéficiaires de l'APA à domicile, ou au contrôle de
l'effectivité. Je pense également au recours sur succession.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Absolument ! Et, bien sûr, avec une franchise
raisonnable !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Des années d'expérience me conduisent à penser qu'il ne
s'agit en rien d'une atteinte à la dignité des personnes et des familles. Je
pense également à des précisions sur les critères d'éligibilité, qui
concernent, par exemple, le GIR 4.
A cet égard, le Gouvernement est attaché à ce que la concertation qui s'est
engagée avec l'Assemblée des départements de France soit très approfondie, afin
qu'elle puisse déboucher sur un accord entre cette instance et le
Gouvernement.
D'une manière plus générale, mesdames, messieurs les sénateurs, comment
devons-nous aborder les transferts de compétences à venir ? En ayant
constamment présents à l'esprit deux principes très simples : les frontières
des compétences doivent être clairement définies, de manière à éviter la
confusion des rôles ; l'autonomie des collectivités doit être la plus
importante possible, dans la sphère de leurs compétences. Un principe de nos
campagnes - pardonnez-moi cette rusticité - résume cette position : « qui
commande paie, qui paie commande ».
C'est dans cet esprit que nous envisagerons les transferts à venir. Pour ma
part, j'ai donné une instruction très ferme aux responsables de mon ministère :
simplifions les normes qui encadrent l'action des collectivités territoriales,
supprimons leurs contraintes inutiles. Et je sais que, de son côté, M.
Devedjian fait de même.
N'hésitez pas à nous faire remonter des idées en matière de réforme et de
simplification, à partir de l'expérience de gestion locale, de l'expérience du
terrain qui est la vôtre. Nous les examinerons, j'en prends l'engagement devant
vous. Notre but, en effet, est d'alléger au maximum les contraintes qui sont
les vôtres dans votre tâche de gestionnaires locaux.
M. Jean Arthuis,
président de la commission.
Très bien !
M. Roland du Luart.
C'est marqué au coin du bon sens !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Enfin, il faut relever l'apport essentiel du projet de
loi constitutionnelle, actuellement en cours de discussion devant l'Assemblée
nationale, que vous avez adopté. Les transferts de compétences ou les créations
de compétences, désormais, devront être impérativement compensés : c'est l'un
des apports du Sénat à la révision constitutionnelle.
En réponse à la question de M. Michel Mercier - ce n'est pas la première fois
que je le cite, mais chacun sait ici qu'il est rapporteur spécial pour la
décentralisation -, je prends solennellement devant vous, mesdames, messieurs
les sénateurs, l'engagement, tant en mon nom qu'au nom de M. Patrick Devedjian,
de vous associer à nos réflexions, à nos simulations et à nos propositions.
Monsieur Mercier, je trouve pour ma part tout à fait logique et naturel,
lorsque le ministère de la fonction publique négocie avec les partenaires
sociaux des augmentations ayant un impact sur les rémunérations au sein de la
fonction publique territoriale, que les représentants des gestionnaires locaux,
c'est-à-dire des collectivités territoriales, soient consultés, je le dis sans
ambiguïté.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
J'ai voulu jusqu'à présent donner une certaine solennité aux réponses que j'ai
apportées à vos différentes questions. Je vais maintenant être plus rapide et
essayer de rebondir, si j'ose dire, sur un certain nombre de points que vous
avez abordés.
J'évoquerai d'abord la liberté des collectivités territoriales en matière de
choix des taux. Nous avons déjà fait une avancée substantielle en accordant une
plus grande liberté aux collectivités locales, pour la première fois depuis
vingt-deux ans, par le biais de la déliaison du taux de la taxe professionnelle
et des impôts-ménages.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
On l'a fait l'an dernier pour les départements !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Bien sûr, nombreux sont ceux parmi vous qui auraient
souhaité aller plus loin, et je sais que M. Michel Mercier a déposé des
amendements en ce sens. Ils seront examinés.
Les entreprises, vous le savez, ont manifesté leur inquiétude devant la
possibilité d'une libération totale et immédiate des taux. Il est nécessaire,
sans doute, d'avancer par étapes, et les collectivités sauront certainement
démontrer qu'elles sont capables de ne pas abuser du nouveau pouvoir qui leur
est confié. Nous pourrons ainsi progresser vers une plus grande liberté et,
disons-le tout net, vers une liberté totale.
La banalisation de la fiscalité de France Télécom avait souvent été promise
par le précédent gouvernement. Le présent gouvernement, dès son entrée en
fonction, a souhaité la mettre en place.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bien !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Par ailleurs, les collectivités territoriales
bénéficieront d'une majoration de leur base de taxe professionnelle, la
neutralité de l'opération étant bien entendu garantie.
Cette opération est triplement intéressante pour les collectivités
territoriales. D'abord, elles recouvreront un pouvoir fiscal sur 814 millions
d'euros de taxe professionnelle. Ensuite, elles bénéficieront intégralement de
la taxe foncière, sans prélèvement corrélatif, ce qui représente pour elles un
gain net d'environ 18 millions d'euros. Enfin, l'Etat assumera la charge
financière relative au maintien des ressources du Fonds national de péréquation
de la taxe professionnelle, dont le montant sera égal en 2003 à celui de 2002,
malgré la perte de la contribution de France Télécom.
S'agissant de la suppression de la part « salaires » de la taxe
professionnelle, reconnaissons que, au point où nous en étions, il fallait
aller jusqu'au bout. Trois mesures d'allégement de la taxe professionnelle sont
ainsi proposées, pour un coût total avoisinant les 2 milliards d'euros.
Il n'était pas envisageable non plus de ne pas étendre le bénéfice de cet
allégement aux professionnels libéraux titulaires de bénéfices non commerciaux
et employant moins de cinq salariés. La dernière mesure d'allégement qui a été
prévue concerne les investissements de recherche éligibles au crédit
d'impôt-recherche, qui seront désormais exclus de la base taxable.
Je voudrais maintenant m'efforcer - mais mes propos seront naturellement très
insuffisants - sinon de répondre, du moins de faire écho aux deux questions
d'Yves Fréville. La première touche à la péréquation et concerne directement
Patrick Devedjian. Avec la seconde, M. Fréville se demandait s'il y avait un
avenir pour la taxe professionnelle. Reconnaissez, monsieur le sénateur, qu'en
posant cette question vous ne m'avez pas fait un cadeau !
(M. Yves Fréville
opine.)
En effet, puisqu'elle est désormais « démembrée », du fait de la suppression
de la part « salaires », la taxe professionnelle a-t-elle un avenir ? Mais
comment vous répondre sinon en vous posant moi-même une question : peut-on
renoncer à un impôt local sur les entreprises ? Quelles seraient les
conséquences d'un tel renoncement, sinon peut-être le désintérêt des
collectivités locales pour les entreprises et pour l'emploi ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Tout à fait ! Ce n'est pas concevable !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Monsieur le rapporteur général, j'avais précisément
griffonné sur mon papier : « Inenvisageable » ! Je ne sais pas si c'est
concevable ou non, mais, aujourd'hui, il n'est pas envisageable de supprimer
cet impôt.
(Mme Marie-Claude Beaudeau s'exclame.)
Doit-on lui « greffer une seconde jambe », pour reprendre l'expression d'Yves
Fréville ? Ce serait sans doute le mieux. Mais à ce jour, le modeste «
chirurgien » fiscal que je suis n'a pas de proposition de greffe à vous faire
!
(Sourires.)
M. Jean Arthuis,
président de la commission.
Il faut supprimer les exonérations !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
J'en viens à la suppression du droit de licence sur les
débits de boissons, qui a été critiquée. Sachez, mesdames, messieurs les
sénateurs, qu'il s'agit avant tout d'une mesure de simplification
administrative et que le coût du recouvrement de cet impôt est totalement
disproportionné au regard de son rendement : on compte 284 000 assujettis pour
23 millions d'euros de produit fiscal ! Je voudrais d'ailleurs que ceux d'entre
vous qui sont maires, et ils sont nombreux, me disent de mémoire quelle est la
ressource correspondant à ce droit de licence. Alors que je m'occupe de très
près des finances de ma commune, j'avoue que j'en ai été tout à fait incapable
au moment où cette idée m'a été suggérée.
Pour compenser la perte de ce droit, plutôt que de faire une nouvelle fois un
calcul compliqué, il a été choisi, si vous en êtes d'accord, d'abonder la DSU
et la DSR de manière plus efficace. En effet, il nous semblait peu efficient de
verser une compensation de quelques dizaines d'euros aux milliers de communes
concernées !
Un point a naturellement fait l'objet d'un débat : l'effort financier de
l'Etat en faveur des collectivités territoriales tel qu'il ressort du projet de
loi de finances.
S'agissant du contrat de croissance et de solidarité, je signalerai, en
particulier aux sénateurs de l'opposition, que l'effort consenti est tout à
fait substantiel dans le contexte budgétaire qui est le nôtre. Mesdames,
messieurs les sénateurs, vous considérez qu'il est identique à celui de 2002,
mais telle n'est pas, pour le ministre délégué au budget, la manière de
percevoir les choses ! L'effort n'est pas le même quand le déficit budgétaire
est majoré de 50 % par rapport à l'année précédente ! Parvenir à tenir les
engagements sur les relations financières entre l'Etat et les collectivités
territoriales alors que la situation est à ce point dégradée est donc méritoire
de la part du présent gouvernement.
M. Jean Arthuis,
président de la commission.
Tout à fait !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bien !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
La concentration de la régularisation de la DGF au
titre de l'année 2001 sur les communes les moins favorisées est pour le
Gouvernement la manière de montrer qu'il est attentif à cette péréquation. Si
nous en avions répandu le montant en pluie fine, je ne suis pas persuadé que
chacune des 36 000 communes de France en aurait véritablement ressenti les
effets. En revanche, en concentrant ces sommes sur les communes éligibles à la
DSU et à la DSR, c'est-à-dire sur celles qui sont les plus éprouvées, nous
allons pouvoir leur distribuer globalement un montant de 100 millions d'euros,
ce qui me semble de nature à leur donner satisfaction.
En outre, la commission des finances du Sénat a déposé des amendements visant
à majorer fortement les dotations de péréquation. Sans anticiper sur le débat à
venir, j'indique d'emblée que le Gouvernement leur réservera un accueil
favorable.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie d'excuser la longueur de mon
propos : j'ai souhaité ne pas esquiver les questions de fond que vous avez
voulu soulever. Vous pouvez ne pas être en accord avec les réponses que je vous
ai apportées, mais j'ai tenu à marquer la volonté du Gouvernement d'engager un
dialogue sincère avec le Parlement. Tous ces matériaux que j'ai tenté de réunir
pour vous les soumettre valent invitation à terminer ensemble cet immense
chantier, à renouer des relations que Michel Mercier a souhaitées de confiance.
Il est capital, en effet, de rétablir la confiance entre l'Etat et les
collectivités locales. Dans « confiance », il y a le mot « foi » : foi dans les
engagements pris par le Gouvernement ; foi dans la volonté respective des
parties, c'est-à-dire des collectivités territoriales et de l'exécutif, de
respecter ces engagements ; foi dans la possibilité, grâce à la
décentralisation, de mieux servir la France et les Français en répondant à
leurs attentes au niveau territorial le plus approprié.
Si, dans notre République, chaque collectivité fait bien ce pour quoi elle a
été instituée, la France sera mieux administrée. Plus prospère, elle sera plus
apte à offrir à chacun de ses enfants l'avenir le plus fécond.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Nous passons à l'examen des articles 12 à 14, 14
bis
, 29 à 31, 31
bis
, 32 et des amendements tendant à insérer des articles additionnels
relatifs aux recettes des collectivités locales.
Articles additionnels après l'article 2