SEANCE DU 7 NOVEMBRE 2002
PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat,
sur le rapport du Gouvernement sur les prélèvements obligatoires et leur
évolution, déposé en application de l'article 52 de la loi organique n°
2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, au nom du Sénat tout entier, je
me félicite de ce que le Gouvernement ait décidé, sur l'initiative du Sénat,
d'inscrire à l'ordre du jour prioritaire ce débat important sur les
prélèvements obligatoires et leur évolution.
C'est une première, car ce débat, prévu par notre nouvelle constitution
financière, la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, a
pour origine un amendement conjoint du rapporteur général de la commission des
finances du Sénat et du rapporteur de la commission des affaires sociales pour
les équilibres généraux de la sécurité sociale, soutenus par le président de la
commission des finances de l'époque, notre ami et ancien collègue M. Alain
Lambert, aujourd'hui ministre délégué au budget. C'est donc bien une initiative
sénatoriale qui nous conduit à ce débat particulièrement important qui sera, je
n'en doute pas, intéressant.
La parole est à M. Francis Mer, ministre.
M. Francis Mer,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, après avoir présenté à vos
commissions des finances et des affaires sociales réunies, voilà quelques
semaines, le rapport du Gouvernement sur les prélèvements obligatoires,
Jean-François Mattei et moi-même avons l'honneur d'introduire aujourd'hui le
débat en séance publique que vous avez appelé de vos voeux.
L'article 52 de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, dont
la paternité revient largement au rapporteur général de la commission des
finances du Sénat, précise que ce rapport a vocation à éclairer la
représentation nationale avant l'examen et le vote du projet de loi de finances
et du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Il offre tout d'abord une vision consolidée des prélèvements des
administrations publiques, qu'il s'agisse de l'Etat, des organismes sociaux ou
des collectivités territoriales. Cette consolidation a trop longtemps fait
défaut, au moins dans le débat budgétaire, alors qu'elle est déterminante pour
définir une bonne stratégie des finances publiques. La présence conjointe sur
ce banc du ministre de l'économie et des finances et du ministre de la santé
témoigne de la volonté du Gouvernement d'assurer dorénavant une cohérence forte
à cette stratégie.
Ce rapport fournit aussi une évaluation financière précise, pour l'année en
cours et pour les deux années suivantes, de chacune des dispositions
législatives ou réglementaires prévues par le Gouvernement dans le projet de
loi de finances et dans le projet de loi de financement de la sécurité
sociale.
Dans un premier temps, je vous ferai part des remarques que suscite
l'observation critique de notre système de prélèvements obligatoires. Je vous
présenterai ensuite la stratégie globale du Gouvernement et sa traduction
concrète dans le projet de loi de finances pour 2003. Jean-François Mattei vous
exposera enfin l'effet des mesures du projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 2003 et abordera la question des relations financières
entre l'Etat et la sécurité sociale.
Les prélèvements obligatoires, vous le savez, sont non pas une notion
juridique, mais une notion économique, qui regroupe « les impôts et les
cotisations sociales versées de manière non volontaire au profit des
administrations publiques ».
Le champ des prélèvements obligatoires est donc, à la fois, plus vaste et plus
restreint que celui qui est couvert par le projet de loi de finances et le
projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Relèvent notamment des prélèvements obligatoires et non du projet de loi de
finances ou du projet de loi de financement de la sécurité sociale les impôts
locaux ou les cotisations à l'UNEDIC.
A contrario,
certaines taxes dont le prélèvement est autorisé en loi de
finances ne sont pas classées parmi les prélèvements obligatoires : je pense à
la plupart des taxes parafiscales, notamment à la redevance audiovisuelle.
Comme vous le savez, toutes les taxes parafiscales auront disparu au 1er
janvier 2004, en application de la loi organique relative aux lois de finances
; nous devrons donc être vigilants, dans le futur, pour effectuer des
comparaisons entre la situation présente et la situation future des
prélèvements obligatoires. Certaines de ces taxes parafiscales seront
totalement supprimées : les entités qui en recevaient le produit bénéficieront
de financements alternatifs ; d'autres se transformeront en cotisations
volontaires ; d'autres, enfin, deviendront des taxes fiscales affectées et
intégreront ainsi le champ des prélèvements obligatoires.
Notre système de prélèvements obligatoires présente plusieurs spécificités.
Le taux de prélèvements obligatoires en France apparaît parmi les plus élevés
de l'OCDE. Il représentait en 2001 45 % du PIB, soit près de 660 milliards
d'euros. Ce faisant, il dépasse la moyenne de l'OCDE d'environ 8 points de
PIB.
Cette comparaison globale doit, certes, tenir compte du fait que certains
Etats font des choix différents en matière de protection sociale, qu'il
s'agisse du mode de financement du système de soins ou de la nature obligatoire
ou facultative de certains régimes de retraite complémentaire. Il n'en demeure
pas moins que la pression « fiscalo-sociale » est excessive dans notre pays.
M. Charles Revet.
C'est vrai !
M. Francis Mer,
ministre.
Les organismes sociaux, qui dépassent le champ du projet de loi
de financement de la sécurité sociale puisqu'ils incluent notamment les régimes
d'assurance chômage et les régimes de retraite complémentaire sont les premiers
bénéficiaires, avec 48 % du total des prélèvements obligatoires. Le poids des
prélèvements sociaux dans le total des prélèvements constitue une spécificité
française, leur part n'étant que de 33 % dans l'Union européenne et de 28 %
seulement parmi les pays de l'OCDE. Cette spécificité, largement liée au mode
de financement de la protection sociale et pas seulement à son coût, contribue
à rendre les prélèvements obligatoires de la France peu élastiques à la
baisse.
L'Etat et des organismes centraux occupent moins de 40 % de l'ensemble. Ces
organismes centraux, vous le savez, sont divers : il s'agit, pour citer les
principaux, des structures de défaisance, de la caisse d'amortissement de la
dette sociale, du fonds de réserve des retraites, des offices agricoles et de
l'ensemble des établissements publics administatifs de l'Etat.
Les collectivités locales représentent, quant à elles, 11 % du total et
l'Union européenne 1,4 %.
Dans le passé, l'évolution des prélèvements a été doublement défavorable.
En premier lieu, l'évolution sur longue période montre que le taux de
prélèvements obligatoires global a davantage augmenté en France : 9 points de
plus de PIB environ depuis 1975, contre 6 points de plus dans l'OCDE.
Les vingt dernières années sont, par ailleurs, marquées en France par un taux
implicite de prélèvements sur le travail en progression constante. Ce facteur
travail a ainsi supporté la totalité de la hausse des prélèvements depuis 1980.
Cela, sans conteste, a contribué à augmenter le taux de chômage structurel qui
pèse dans notre pays et n'a pas favorisé la compétitivité ni l'attractivité de
notre économie.
En second lieu, le taux de prélèvements obligatoires n'a pas diminué au cours
de la législature précédente en dépit des baisses d'impôts et de charges
décidées par nos prédécesseurs : il s'élevait en 1997, comme en 2002, à 44,8 %
du PIB.
Les baisses d'impôts et de charges qui ont été réalisées entre-temps ont donc,
en réalité, été financées par des plus-values conjoncturelles liées à la
dynamique favorable des recettes fiscales, qui ont progressé deux fois plus
vite que le produit intérieur brut en 1999, 2000 et 2001.
Le libre jeu des stabilisateurs automatiques aurait dû conduire, au contraire,
à profiter de ces plus-values fiscales pour diminuer le déficit.
La politique menée par nos prédécesseurs a donc dégradé structurellement notre
déficit public, sans pour autant réduire la pression fiscale.
De surcroît, les baisses décidées alors ont servi à financer les 35 heures et
ont accru la progressivité de l'impôt sur le revenu. L'attractivité de notre
territoire et la compétitivité de notre économie en ont été d'autant plus
affectées que, dans le même temps, certains de nos voisins européens allaient
dans le sens inverse, c'est-à-dire, à notre avis, dans le bon sens.
Nos prélèvements obligatoires sont complexes et éparpillés : 95 % des impôts
et taxes en nombre ne rapportent que 20 % du produit total des prélèvements
obligatoires. Cette multitude de prélèvements divers, parfois désuets, parfois
même pittoresques complexifie inutilement notre système de prélèvement et
constitue un handicap supplémentaire en termes de compétitivité fiscale. Il
contribue aussi à décourager l'initiative économique.
J'ajouterai le manque de clarté des relations financières entre les
différentes administrations, en particulier entre l'Etat et la sécurité
sociale. MM. Bonnet et Nasse l'avaient souligné en 1997 ; ils ont
malheureusement dû le rappeler cinq ans plus tard et constater que les
relations entre l'Etat et la sécurité sociale, loin de se clarifier, s'étaient
complexifiées, notamment pour financer les 35 heures.
Face à ces constats, que de nombreux rapports, réalisés sous différentes
majorités ont confirmés, la stratégie du Gouvernement en matière de
prélèvements obligatoires est pragmatique et claire.
Notre stratégie est pragmatique car elle part du constat que, dans un
environnement économique ouvert, la compétitivité de notre système public dans
son ensemble - tant sur son volet recettes que sur son volet dépenses - est un
facteur clef de notre succès collectif. Nos voisins européens bougent et
engagent des réformes fiscales pour renforcer leur attractivité. En même temps,
ils consolident leurs finances publiques pour crédibiliser les baisses de
prélèvements et préparer l'avenir. Il ne s'agit certes pas pour la France
d'entrer dans une surenchère fiscale à la baisse, mais rester inerte quand tout
le monde avance signifierait simplement reculer.
Notre stratégie est non seulement pragmatique, mais elle est claire.
Nous voulons d'abord orienter à la baisse les impôts et charges afin de
renforcer notre potentiel de croissance. Pour cela, nous allégerons d'abord les
prélèvements obligatoires pesant sur le facteur travail : nous baisserons les
charges sur les emplois peu qualifiés et nous prendrons des mesures ciblées
pour valoriser le travail et favoriser l'insertion, notamment des jeunes et des
travailleurs à temps partiel.
Nous voulons ensuite encourager l'initiative par des mesures en direction des
ménages - c'est bien entendu le sens de la baisse de l'impôt sur le revenu -
mais aussi, en direction des entreprises - ce sera l'objet du projet de loi que
M. Dutreil défendra l'année prochaine.
L'aménagement de la fiscalité sur le patrimoine sera enfin engagé ; je sais
que certains d'entre vous y sont très attachés.
Tout cela est de nature à inciter au travail et, je le répète, à rendre notre
territoire plus attractif pour l'initiative économique.
Nous voulons également simplifier le système de prélèvements. Cette question
est au coeur de la réforme de l'Etat annoncée par le Premier ministre, car elle
constitue, elle aussi, un levier puissant pour encourager l'initiative et
renforcer l'attractivité de notre économie.
Cette simplification passe par la suppression des taxes obsolètes, par la
simplification des textes afin de rendre la loi fiscale plus lisible, plus
compréhensible. Elle passe aussi, bien entendu, par une clarification des
relations financières entre les différentes administrations publiques.
A cet égard, je voudrais rappeler que le Gouvernement entend bien éviter les
transferts de compétences non compensés ou mal compensés vers les collectivités
territoriales.
M. le président.
Très bien !
M. Francis Mer,
ministre.
Le Sénat vient d'adopter le projet de loi constitutionnelle
relative à l'organisation décentralisée de la République. Ce texte offre un
cadre clair aux transferts de compétences à venir. Nous avons ensemble la
conviction que la décentralisation se traduira par une meilleure gestion de ces
compétences transférées et que le contribuable et l'usager y gagneront.
Par ailleurs, le Gouvernement entend accroître l'autonomie fiscale des
collectivités territoriales, comme le texte constitutionnel l'y invite. A cet
effet, nous avons commencé une réflexion qui porte à la fois sur la taxe
intérieure sur les produits pétroliers et sur quelques autres impôts. Cette
réflexion trouvera une traduction législative qui vous sera proposée lors de la
discussion des lois à venir. Mais, d'ores et déjà, le projet de loi de finances
pour 2003 contient une innovation forte puisque, comme vous le savez, le lien
entre les taux des quatre taxes directes locales a été significativement
assoupli. Nous rompons ainsi avec une règle établie depuis plus de vingt ans ;
vous apprécierez, je pense, cette marque de la confiance que nous avons dans
l'esprit de responsabilité des élus locaux.
Les orientations du Gouvernement en faveur de la baisse des prélèvements se
traduisent, dès cette année, dans le collectif budgétaire que vous avez voté
cet été ainsi que dans le projet de loi de finances pour 2003.
Les mesures nouvelles du Gouvernement contribuent à baisser le taux des
prélèvements obligatoires de 0,4 point de PIB sur 2002-2003. Cette baisse des
prélèvements obligatoires se partage pour moitié entre la diminution de l'impôt
sur le revenu et les autres baisses d'impôts et de charges prévues pour 2003,
lesquelles sont ciblées sur l'emploi et le dynamisme de nos entreprises.
Les ménages bénéficieront, en effet, de plus de 1 milliard d'euros de baisse
d'impôts ; les entreprises bénéficiant, pour leur part, de 2,7 milliards
d'euros de baisse de prélèvements obligatoires, et même de 3 milliards d'euros
si l'on inclut les allégements liés aux contrats jeunes.
Au total, ce sont ainsi plus de 4 milliards d'euros qui sont destinés à
dynamiser l'emploi et encourager l'initiative. Au-delà de leur effet
structurel, ces baisses viendront opportunément soutenir le pouvoir d'achat et
l'activité économique en 2003. La politique de baisse des prélèvements du
Gouvernement est donc adaptée à la fois aux données structurelles de notre
économie et à la situation conjoncturelle.
Je rappelle que l'intégralité des baisses d'impôts et de charges prévues en
projet de loi de finances et en projet de loi de financement de la sécurité
sociale pour 2003 sera supportée par le budget de l'Etat, pour un coût global
de près de 4 milliards d'euros.
Sur ce total, 1 milliard d'euros correspondent à la baisse de 1 % de l'impôt
sur le revenu, à l'amélioration de la prime pour l'emploi pour les travailleurs
à temps partiel, à la majoration de réduction de l'impôt sur le revenu pour
emploi à domicile, à la donation facilitée de grands-parents à petits-enfants
et, dans le sens inverse, à la première étape de la réforme du régime des
distributions entre sociétés.
Par ailleurs, 1,9 milliard d'euros correspondent à la compensation aux
collectivités locales de la suppression de la part salaire de la taxe
professionnelle ainsi qu'à la réduction de la taxe professionnelle sur les
bénéfices non commerciaux.
En outre, 700 millions d'euros de taxe sur les conventions d'assurance sont
transférés au FOREC - fonds de financement de la réforme des cotisations
patronales de sécurité sociale - afin de compenser l'allégement de charges
décidé dans le cadre de la convergence des SMIC ; Jean-François Mattei
reviendra dans un instant sur ce transfert.
J'ajoute que les allégements de charges en faveur des jeunes sont, eux aussi,
compensés par l'Etat sous la forme d'une subvention du budget général, à
hauteur de 250 millions d'euros.
L'impact net des baisses d'impôts et charges sur les prélèvements obligatoires
en 2003 représente 2,9 milliards d'euros. Ce chiffre intègre l'augmentation des
droits sur le tabac, pour un montant de 0,7 milliard d'euros, mais ne tient pas
compte des allégements au titre des contrats jeunes, que l'INSEE a choisi de ne
pas classer parmi les baisses de prélèvements obligatoires.
Le taux global de prélèvements obligatoires devrait donc diminuer de 0,7 point
de PIB sur la période 2002-2003, et passer de 45 % en 2001 à 44,3 % en 2003.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les grandes lignes de la
politique suivie par le Gouvernement concernant les prélèvements obligatoires.
Mon collègue Jean-François Mattei va maintenant vous exposer la déclinaison de
cette politique en matière sociale.
(Applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
Nous vous remercions, monsieur le ministre, de nous avoir apporté les
précisions que nous souhaitions obtenir de votre part en ce qui concerne ces
prélèvements obligatoires, dont le poids devient insupportable, surtout dans le
contexte actuel de compétition internationale.
La parole est à M. Jean-François Mattei, ministre.
M. Jean-François Mattei,
ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux
d'être devant vous aujourd'hui pour ce premier débat sur les prélèvements de la
sécurité sociale.
En effet, comme vient de le rappeler M. le ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie, les prélèvements des administrations de sécurité
sociale représentent, dans notre pays, la moitié des prélèvements obligatoires,
soit plus d'un cinquième du produit intérieur brut. Le projet de loi de
financement de la sécurité sociale traite non pas de la totalité mais d'une
partie importante d'entre eux puisque les produits des régimes de base
dépassent 300 milliards d'euros.
Il me paraît important de noter que cette place prépondérante de la sécurité
sociale se retrouve dans tous les pays développés ayant choisi de socialiser
les dépenses de santé et de vieillesse. Ainsi, en Allemagne, le niveau des
prélèvements obligatoires affectés à la sécurité sociale est le même qu'en
France. En Suède, il est même supérieur. En fait, il est inférieur, en général,
dans les pays moins développés ou dans les pays qui ont fait le choix de
confier la couverture des grands risques de l'existence - santé et vieillesse,
notamment - au secteur privé.
Je souhaite d'abord ajouter aux propos tenus par M. le ministre de l'économie,
des finances et de l'industrie des éléments relatifs aux mesures nouvelles
prévues en 2003 pour la sécurité sociale. J'évoquerai ensuite les perspectives
d'évolution les plus plausibles.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale contient deux mesures
nouvelles en matière de recettes : l'augmentation des droits sur le tabac et
les mesures de clarification financière des relations entre l'Etat et la
sécurité sociale.
Les prélèvements obligatoires affectés à la sécurité sociale vont augmenter
l'année prochaine, et cette hausse s'explique en fait par l'accroissement des
droits tabac. D'ailleurs, l'appellation « prélèvements obligatoires » est
erronée s'agissant de ces droits : il s'agit en fait d'une consommation
volontaire. Ce sont, certes, des prélèvements obligatoires, mais chacun
pourrait se dispenser de les subir.
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
La TVA aussi !
M. Jean-François Mattei,
ministre.
Il est important de le souligner, d'autant que cette
consommation volontaire pèse très lourdement sur la santé de nos concitoyens,
notamment les jeunes.
Sur le fond, cette augmentation est motivée, d'abord et avant tout, par des
considérations de santé publique. La santé publique est une priorité importante
de la politique de santé du Gouvernement. Nous aurons l'occasion d'en reparler
plus en détail prochainement, à l'occasion de la présentation de loi de
programmation quinquennale sur la santé publique.
Le développement de la prévention et de la réduction des risques, notamment,
doit permettre non seulement d'améliorer la santé de nos concitoyens mais aussi
de faire des économies.
La consommation du tabac est, je le rappelle, la principale cause de mortalité
prématurée, c'est-à-dire avant soixante-cinq ans : chaque année, 60 000 décès,
soit 10 % environ des décès, sont dus au tabac ; 3 000 d'entre eux sont des
décès de non-consommateurs, du fait du tabagisme passif. Le tabagisme est aussi
le principal responsable des cancers. Les effets du tabagisme passif, longtemps
méconnus, justifient de redoubler d'efforts dans la lutte contre le tabac.
C'est pourquoi le Gouvernement souhaite une réduction de la consommation de
tabac.
M. Alain Gournac.
Il a raison !
M. Jean-François Mattei,
ministre.
L'une des mesures possibles pour y parvenir consiste à
augmenter les droits indirects, ce qui induit automatiquement une hausse des
prix et donc une moindre consommation.
Ainsi, l'objectif du Gouvernement pour 2003 est une hausse de 1 milliard
d'euros des droits sur le tabac. Cela passe, notamment, par un fort relèvement
des minima de perception, qui sont un des outils les plus efficaces.
Cette hausse des prélèvements est pleinement justifiée, même s'il est
difficile de s'en réjouir. Je préférerais en effet que les consommateurs soient
nettement moins nombreux ! Le tabagisme coûte cher, non seulement en dépenses
de santé, mais surtout en vies humaines. La lutte est résolument engagée.
Une autre priorité du Gouvernement est de clarifier le financement de la
sécurité sociale. Les circuits de financement actuels sont complexes, et c'est
un euphémisme. Ces dernières années, ils ont été utilisés pour faire financer
par la sécurité sociale des dépenses qui n'entraient pas dans son champ de
compétence. Le financement de la réduction du temps de travail à travers le
FOREC en est l'illustration la plus significative.
M. Charles Revet.
Et inacceptable !
M. Jean-François Mattei,
ministre.
Démonter ces mécanismes de financement doit être un objectif
prioritaire. Cela aurait pu passer par la suppression du FOREC dès 2003.
Toutefois, malgré la détermination du Gouvernement à rétablir la clarté et la
transparence, cela n'a pas été possible étant donné la brièveté des délais de
préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale. La
complexité des circuits de financement...
M. Alain Gournac.
La tuyauterie !
M. Jean-François Mattei,
ministre.
... et l'ampleur des montants en jeu atteignent des niveaux
trop élevés.
En effet, pour rassurer l'ensemble des partenaires sur l'application du
principe de la compensation intégrale des allégements de charge, il est
indispensable de discuter préalablement avec eux des garanties qui pourraient
entourer le démontage de ces mécanismes compliqués et peu cohérents.
Par ailleurs, les transferts à effectuer en faveur de la sécurité sociale se
chiffrent en milliards d'euros. Ce n'est donc pas une mince affaire !
Néanmoins, pour marquer l'objectif de clarification définitive à long terme,
une première étape sera franchie dès 2003, malgré les contraintes qui pèsent
sur les finances publiques et que vous connaissez. Elle comprendra trois
volets.
Premièrement, les nouveaux allégements de charges réduiront les cotisations
sociales perçues par la sécurité sociale d'environ 1 milliard d'euros. Pour la
première fois depuis cinq ans, le Gouvernement s'est engagé à les compenser
intégralement vis-à-vis de la sécurité sociale.
M. Christian de La Malène.
Très bien !
M. Jean-François Mattei,
ministre.
Un supplément de 700 millions d'euros de taxe sur les
conventions d'assurance sera donc affecté au FOREC ; 300 millions d'euros
provenant de la hausse des droits sur le tabac lui seront également
attribués.
A la suite de cette double opération, les prélèvements obligatoires de la
sécurité sociale ne changeront pas.
Deuxièmement, est prévue une réaffectation à la sécurité sociale d'une partie
des recettes qui avaient été orientées vers le FOREC. La modification des clés
de partage des droits sur le tabac entre le FOREC et la Caisse nationale de
l'assurance maladie apportera à cette dernière 700 millions d'euros et
permettra de revenir à la clé de partage prévalant avant la création du
FOREC.
La part des droits sur le tabac affectée à l'assurance maladie s'est élevée à
8,84 % en 2002 ; elle atteindra 15,2 % en 2003, soit un niveau très proche de
son niveau antérieur.
Enfin, troisièmement, la première moitié de la dette du FOREC au titre de 2000
sera remboursée. Cela représente 1,2 milliard d'euros.
A la suite de ces opérations de clarification, la situation se sera améliorée
dans le sens d'une plus grande transparence. En 2003, la sécurité sociale
récupérera ainsi 2 milliards d'euros de son effort de financement de la
réduction du temps de travail.
Cela dit, cette clarification doit être replacée dans une réflexion sur
l'évolution à moyen terme des prélèvements.
Avand d'aborder ce sujet, j'aimerais toutefois revenir sur les évolutions
passées.
Le rapport sur les prélèvements obligatoires montre que le taux des
prélèvements affectés à la sécurité sociale a augmenté ces dernières années.
Etant donné les nombreuses modifications qu'ont connues les circuits de
financement et le partage des responsabilités entre l'Etat et la sécurité
sociale, l'évolution de cet indicateur n'a toutefois qu'une signification très
limitée.
Un simple exemple : la création de la couverture maladie universelle, la CMU,
s'est accompagnée d'un transfert des dépenses du fait du financement de la CMU
de base. Ce transfert de dépenses a été financé par un transfert de recettes,
ce qui a en fait accru le taux des prélèvements affectés à la sécurité sociale
sans qu'il y ait eu une hausse globale.
Les allégements de charges ont eu aussi un impact significatif sur ces
partages de recettes.
Dans ces conditions, il est difficile de tirer une conclusion quantitative sur
l'évolution passée des prélèvements obligatoires à la charge de la sécurité
sociale, car ils procèdent autant d'une évolution structurelle que de
mouvements permanents liés à des changements de périmètre et à des
modifications de la législation. Pour autant, il paraît certain que, à champ
constant, les prélèvements pour la sécurité sociale ont crû au cours des vingt
dernières années.
Cette évolution est naturellement liée à celle des dépenses, notamment à
celles des pensions de retraite et des remboursements de l'assurance maladie.
Dans le domaine des retraites, la hausse des dépenses a permis d'améliorer le
niveau de vie des retraités.
M. Charles Revet.
C'est vrai, et c'était important !
M. Jean-François Mattei,
ministre.
Au cours des trente dernières années, le niveau de vie des
retraités a progressé fortement, jusqu'à rejoindre celui des actifs. En 1970,
un retraité avait un niveau de vie inférieur d'un tiers à celui d'un actif.
Aujourd'hui, les niveaux de vie des retraités et des actifs sont comparables,
alors que le nombre de retraités a augmenté.
En matière de soins, le vieillissement, le développement des techniques, la
plus grande attente des patients constituent des déterminants structurels de
cette croissance.
Ces évolutions doivent être prises en compte dans la réflexion sur l'évolution
à venir des prélèvements de la sécurité sociale.
Il ne faut pas attendre, à moyen terme, une nette inflexion de l'évolution des
prélèvements de la sécurité sociale, et ce pour deux raisons principales.
Tout d'abord, la croissance des dépenses de santé est un problème structurel,
présent dans l'ensemble des pays développés. Les taux de croissance des
dépenses atteignent les mêmes niveaux qu'en France.
Ensuite, les régimes de retraite vont faire face à une véritable explosion du
nombre de retraités à partir de 2005 ou 2006.
Une inflexion nette de l'évolution n'est donc pas très crédible. En revanche,
les réformes que nous allons mettre en oeuvre sur la sécurité sociale auront un
effet significatif à moyen ou à long terme.
Cela ne remet pas en cause la politique d'allégement de charges dans laquelle
le Gouvernement s'est engagé : l'Etat compensera en effet intégralement les
nouveaux allégements de charges à la sécurité sociale. Mais cette réforme ne
fera que modifier la structure des recettes de la sécurité sociale, et non pas
leur niveau.
Au-delà, une réforme globale du financement est nécessaire,...
M. Charles Revet.
C'est vrai !
M. Jean-François Mattei,
ministre.
... car le mode de financement de notre système repose sur des
bases de 1946, alors que la société s'est considérablement modifiée depuis.
M. Charles Revet.
Très bien !
M. Jean-François Mattei,
ministre.
La réforme de financement que nous souhaitons engager visera à
remettre à plat les circuits de financement, à accroître la lisibilité des
prélèvements de la sécurité sociale et à responsabiliser les différents
acteurs.
Elle s'appuiera sur la première étape de clarification proposée en 2003, mais
elle pourrait modifier beaucoup plus profondément la structure des recettes de
la sécurité sociale. Elle sera donc progressive.
Cette réforme nécessitera une large concertation avec les différents
partenaires. Elle s'effectuera en cohérence avec le chantier de la nouvelle
gouvernance que je lancerai à l'occasion de l'examen du projet de loi de
financement de la sécurité sociale.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, monsieur le rapporteur
de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, il
me semble que nous sommes à la croisée des chemins. Nous savons tous que le
budget social de l'Etat correspond à une attente essentielle de nos
concitoyens. Il faut désormais l'élaborer de façon réaliste et non plus de
façon fictive. Il faut clairement définir les besoins en termes de retraite, de
santé. Que chacun prenne ses responsabilités, le Gouvernement prendra les
siennes !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, messieurs les
ministres, mes chers collègues, ce débat que nous tenons pour la première fois
est issu - M. Francis Mer l'a rappelé - d'une initiative du Sénat, prise lors
de l'élaboration de la loi organique du 1er août 2001 sur les lois de
finances.
Je tiens, à ce propos, à rendre hommage à un ancien collègue qui avait bien
voulu cosigner avec moi l'amendement devenu l'article 52 de cette loi, je veux
parler de M. Charles Descours,...
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Très bien ! Merci pour
lui.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... prédécesseur d'Alain Vasselle en tant que
rapporteur des équilibres généraux de la sécurité sociale. Très investi dans
son mandat, ici, au Sénat, notre collègue nous a beaucoup apporté, en
particulier cette vision commune que nous avons pu, grâce à lui, dégager entre
la commission des affaires sociales et la commission des finances.
Il est, en effet, indispensable, mes chers collègues, au moment où va s'ouvrir
la discussion budgétaire, de disposer d'une vue d'ensemble des grands enjeux.
Un budget ne se résume pas à quelques dispositions corporatives ou
administratives, destinées, ici ou là, à satisfaire ou à restreindre des
besoins ; un budget doit être un élan, c'est une expression de la volonté
publique de se diriger vers un avenir meilleur, c'est l'expression même,
l'expression essentielle de la responsabilité d'un gouvernement et de la
majorité qui le soutient.
Nous abordons donc les données essentielles, les déterminants de nos budgets
et nous commençons, comme cela est logique et normal, par cet exercice qui est
global, mais qui est surtout pédagogique et prospectif : mes chers collègues,
jamais on n'expliquera assez les finances publiques et les finances sociales à
nos concitoyens. Ce n'est pas parce que ces sujets concernent les chiffres,
l'économie ou les besoins sociaux qu'il faut renoncer à les expliciter sans
relâche et à montrer à quoi aboutissent les choix ou les mesures proposées pour
demain, bien au contraire.
Nous sommes tributaires, à quelque niveau que ce soit, d'un réseau de
contraintes, mais l'homme d'action, sans les nier, doit optimiser et
transformer ces contraintes en force pour agir et pour réaliser.
La pédagogie est donc indispensable, mais, auparavant, il faut débattre,
comprendre et prendre nos responsabilités, comme nous y appelait M.
Jean-François Mattei en évoquant les grands problèmes de l'avenir en matière de
financement de la protection sociale.
L'exercice que nous inaugurons aujourd'hui est tout autant prospectif, car
l'année 2003 est la première année d'une nouvelle gestion, en même temps qu'une
année de transition : tout ne sera pas possible dès cette année, il existe des
contraintes matérielles et des contraintes d'organisation. Ainsi, en évoquant
tout à l'heure le FOREC, M. Jean-François Mattei nous disait que le temps avait
peut-être manqué...
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Surtout l'argent !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... pour « débrancher » certaines liaisons, certaines
tuyauteries d'une complexité affolante, et ce n'est pas en quelques mois que
nous pourrons remettre à plat ce lacis inextricable entre le budget de l'Etat
et le financement des régimes sociaux.
Mais la volonté peut - et doit - s'exprimer en période de transition. Au seuil
de cette nouvelle législature, nous devons ainsi, nous, parlementaires - en
particulier ceux qui soutiennent le Gouvernement -, savoir dans quelle
dynamique nous vous trouvons et quels sont les objectifs qui nous sont
proposés. C'est ce que la commisison des finances, monsieur le ministre,
appelle le « contrat de législature » que nous appelons de nos voeux et qui est
destiné à expliciter à la fois les objectifs et les contraintes. Forts de notre
expérience, nous ne voulons pas, en effet, berner nos concitoyens et nous
savons que, pour atteindre des objectifs, il faut faire des choix, donc des
sacrifices
(Mme Marie-Claude Beaudeau s'exclame),
et que l'on ne peut
pas tout satisfaire ou, du moins, satisfaire tout le monde à la fois.
Il est vrai que le pilotage de l'économie est difficile dans la phase actuelle
où la croissance ralentit et où l'on ne sait pas quand elle va véritablement «
renaître » au point de nous placer sur le sentier de la croissance potentielle
de 3 % à laquelle, nous disent les économistes, nous avons droit dans ce pays :
avant de pouvoir retrouver ce sentier, combien de temps encore les Français
devront-ils consommer ? Et vous, messieurs les ministres, combien d'arbitrages
difficiles devrez-vous opérer ?
Mes chers collègues, il convient, en engageant ce débat, de porter un regard
sur le présent - qui s'explique par le passé - avant d'évoquer les principaux
enjeux des années à venir.
Nous venons de vivre une législature 1997-2001 qui a été caractérisée par une
dynamique tout à fait redoutable en matière de prélèvements obligatoires.
Ainsi, les prélèvements supplémentaires cumulés en cinq ans ont représenté près
de 350 milliards d'euros, malgré la croissance et alors que c'est bien dans les
périodes de croissance que l'on devrait engranger, pour faire jouer ensuite,
dans les périodes de stagnation, les stabilisateurs automatiques.
Malgré la croissance, les prélèvements obligatoires n'ont donc pas baissé,
bien au contraire, et nous nous souvenons ici, dans cette assemblée, de ce que
nous avions appelé un peu ironiquement à l'époque le « théorème de DSK » : on
nous promettait de baisser les impôts, mais les prélèvements obligatoires
augmentaient. Le théorème de DSK, c'était : « Les prélèvements obligatoires
augmentent parce que les impôts baissent. »
M. Bernard Angels.
Mais c'est pourtant exact !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'était naturellement une présentation un peu
ironique,...
M. Bernard Angels.
Mais exacte !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... qui avait sa place dans le cadre des débats que
nous étions très heureux, cher collègue Bernard Angels, d'avoir avec Dominique
Strauss-Kahn, qui s'y prêtait d'ailleurs très bien !
(M. Bernard Angels sourit.)
Bref, nous avons vu le taux de prélèvements obligatoires atteindre le pic
historique de 45,5 points du produit intérieur brut en 1999. En d'autres
termes, sur cinq années, c'est près de 48 % de l'augmentation de la richesse
nationale qui a été, en quelque sorte, confisquée par les prélèvements
obligatoires. Ainsi, en 1999, c'est très exactement 63,7 % de l'augmentation de
la richesse nationale qui a été affectée à des prélèvements obligatoires
supplémentaires.
Il faut à présent, messieurs les ministres, sortir de cette mauvaise période.
Avec moins de marge de manoeuvre, certes, mais avec la volonté d'appliquer sur
la durée une politique différente, une politique de réforme dont la nécessité
est, à nos yeux, évidente, mais qui suppose à la fois beaucoup de lucidité,
beaucoup d'efforts, et sans doute aussi du temps.
Dans la période récente, entre 1997 et 2001, cette hausse des prélèvements
obligatoires a été imputable beaucoup plus à la sécurité sociale qu'à l'Etat :
53 % de la hausse pour la sécurité sociale, et 36 % - seulement, allais-je dire
- pour l'Etat.
Certes, l'évolution sociale appelle à plus de soins, favorise le développement
inéluctable de besoins, dans le domaine du traitement de la maladie en
particulier, comme l'a rappelé M. le ministre de la santé.
Mais il y aurait aussi beaucoup à dire - c'est ce que nous nous sommes
efforcés de faire chaque année - en ce qui concerne la relation difficile entre
l'ONDAM, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, et la réalité des
comptes.
Certaines considérations de bonne gestion et de contrôle de gestion ne doivent
pas non plus être perdues de vue, même s'agissant des organismes sociaux, sans
oublier la grande difficulté qu'il y a à démêler les choses avec les transferts
d'impôts au FOREC, qui ont été importants : 6,9 milliards d'euros en 2000, 2,3
milliards d'euros en 2001. En 2003, le financement des allégements des charges
par le FOREC atteindra 17 milliards d'euros. C'est un chiffre que je me permets
de souligner, mes chers collègues, car il est symbolique : cette année, pour la
première fois, le total des allégements de charges financés par le FOREC
dépassera le budget du ministère du travail. C'est intéressant ! Cela marque
d'ailleurs une priorité politique que l'on peut saluer, mais c'est aussi un
indicateur qui suscite certaines interrogations quant à l'organisation de nos
finances publiques et de nos finances sociales.
Monsieur le ministre, vous nous avez dit que le temps vous avait manqué pour
démonter ces mécanismes ; nous vous croyons bien volontiers. Vous lancerez
d'ailleurs, dès 2003, plusieurs chantiers, que vous nous avez présentés ; nous
y serons, bien entendu, très attentifs.
Nous abordons l'avenir et on peut même dire que nous sommes déjà dans
l'avenir. Les perspectives que vous tracez pour cette nouvelle législature
auront, nous semble-t-il, pour conséquence d'ancrer la baisse des prélèvements
dans la durée.
La réussite de votre action dépendra de deux séries de causes et de
déterminants : d'une part, des causes endogènes, c'est-à-dire votre propre
volonté, nos propres priorités politiques, les marges de manoeuvre que nous
nous donnerons et, d'autre part, des causes exogènes, notamment le niveau de la
croissance, qui, il ne faut pas se le dissimuler, rendra l'exercice plus ou
moins facile, plus ou moins ardu.
Mais quel que soit le taux de la croissance, il nous faudra faire avec et
progresser dans la dynamisation du tissu économique et social de notre pays.
Les aléas seront de toute première grandeur, nous y reviendrons peut-être plus
longuement lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2003. Le
système financier mondial est malade, il ne faut pas se le cacher. La crise de
confiance à l'égard de l'information financière, les conflits d'intérêts qui
surgissent au sein des grandes banques d'investissement mondiales, les
variations erratiques des cours, la volatilité des opérations sur le marché des
actions, par exemple, traduisent une évolution structurelle de notre monde et
génèrent des zones de risques et d'incertitudes de toute première
importance.
Monsieur le ministre de l'économie et des finances, nous reviendrons
d'ailleurs sur tous ces sujets, dès le début de l'année 2003, à l'occasion de
la discussion du projet de loi sur la sécurité financière.
Il y a des zones de risques en matière économique avec la hausse des prix du
pétrole et, bien entendu, les événements au Proche-Orient notamment.
A cet égard, nul ne sait quel sera le scénario : un conflit court ou long, un
conflit ciblé ou étendu, un conflit limité à une sorte d'opération chirurgicale
ou avec des effets collatéraux redoutables et déstabilisants.
M. Paul Loridant.
Le mieux ce serait : pas de conflit !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Dites-le aux Américains !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Mes chers collègues, nous sommes au coeur du sujet,
car la politique économique, qu'on le veuille ou non, résultera de tous ces
facteurs.
La croissance sera également moindre chez nos partenaires européens :
l'Allemagne, dont le taux de croissance a été de 0,4 % en 2002, prévoit 1,5 %
pour 2003 ; les autres territoires proches du nôtre, et avec qui nous faisons
l'essentiel de nos échanges économiques, sont souvent pessimistes au sujet de
la croissance. Nous devrons vivre avec cette réalité et il faudra nous y
adapter.
Nous savons - c'est une nécessité incontournable - qu'il faudra remettre à
plat la dépense, réformer l'Etat et l'action publique, mettre un coup d'arrêt à
la tentation, toujours présente dans toutes les administrations, du « toujours
plus », et mettre un terme au raisonnement qui voudrait, non pas dans votre
ministère, mais peut-être ailleurs, que le bon budget soit celui qui augmente
le plus et qui crée le maximum de fonctionnaires supplémentaires.
Il s'agit donc de changer les mentalités et les ordres de priorités, pour
raisonner en fonction des vrais intérêts de nos concitoyens. A partir de là,
les pistes de réforme seront définies : nous les voyons apparaître avec les
premières initiatives du Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin.
Vous nous dites, monsieur le ministre de l'économie et des finances, que vous
faites vôtre l'impératif de réduction des prélèvements obligatoires sur le long
terme, que vous y adhérez totalement, que vous y engagez toute votre
conviction.
Nous observons que le Gouvernement met en oeuvre la meilleure combinaison
possible entre la politique fiscale en faveur de l'emploi et celle en faveur de
l'investissement, c'est-à-dire qu'il couple la diminution de l'impôt sur le
revenu à la diminution des cotisations sociales supportées par les employeurs.
Les études macroéconomiques le montrent. C'est le couple le plus efficace pour
faire reculer le chômage et activer l'investissement.
Nous savons bien qu'il faudra aller au-delà, en particulier pour ranimer
l'investissement des entreprises. Il faudra sans doute remettre à niveau
l'impôt sur les sociétés et faire en sorte qu'il rejoigne un certain standard
européen. Nous n'en sommes pas encore là.
Il faudra aussi raisonner en terme de confiance de la part des épargnants et
reprendre dans cet esprit certains sujets de fiscalité de l'épargne.
Il faudra également - et j'ai été heureux que le ministre des finances y fasse
allusion - appréhender le sujet de la fiscalité patrimoniale avec méthode et
engager la discussion sur son aménagement, notamment sous l'angle de
l'attractivité du territoire national en termes d'investissements et d'emplois.
C'est un chantier sur lequel nous travaillerons dans les semaines ou dans les
mois qui viennent, et je m'en réjouis.
M. Paul Loridant.
La baisse de l'impôt sur le capital !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Mes chers collègues, il est indispensable de
réfléchir aux réformes de fond. Ce débat nous y invite. Faisons-le à la fois
avec modestie et réalisme.
Ayons le souci d'une utilisation optimale de la décentralisation comme levier
de réforme de l'action publique, comme élément d'intervention dans le système
pour permettre son amaigrissement et sa meilleure adaptation aux
fonctionnalités qui sont les siennes.
Ayons aussi le réalisme de constater que, dans le paysage qui sera le nôtre au
cours des prochains mois, nous devrons prendre en compte trois paramètres,
lesquels se déforment ensemble mais sont indissociables : les dépenses, les
recettes et le solde. Là, je raisonne globalement.
Il n'est pas possible, dans une phase de faible croissance, de réussir à la
fois à maintenir le déficit, à baisser les recettes, c'est-à-dire les
prélèvements obligatoires, si on laisse la dépense augmenter. C'est une
évidence.
Les efforts de maîtrise, voire de réduction de la dépense dans certains
secteurs, devront aller de pair avec la discipline européenne de maintien, puis
de réduction et de suppresssion du déficit ainsi qu'avec la politique de baisse
des prélèvements obligatoires et de baisse d'impôts. C'est bien ce triangle
qu'il faut considérer et ce jeu coordonné des trois paramètres qu'il va falloir
piloter.
Bien sûr, dans certains domaines, la réduction des dépenses sera plus
difficile à opérer que dans d'autres. Dans le domaine social, l'exercice sera
spécialement délicat : plus les dépenses augmenteront dans ce domaine, moins ce
devra être le cas pour les dépenses étatiques.
Il faut avoir conscience que tout cela est un jeu à somme inchangée. Les
dépenses des administrations publiques, pour le seul Etat, s'élèvent déjà à
44,6 milliards d'euros, chaque Français est endetté de 15 000 euros. C'est la
limite extrême de ce que notre pays peut supporter pour demain et après-demain.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants,
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires
sociales.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Alain Vasselle,
rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres généraux
de la loi de financement de la sécurité sociale.
Monsieur le président,
messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est notre premier débat sur les
prélèvements obligatoires. Il va enfin nous permettre d'aborder cette question
dans un cadre plus vaste que celui de la loi de financement de la sécurité
sociale ou de la loi de finances.
J'entends pour ma part profiter de cette occasion pour vous démontrer que
finances publiques et finances sociales sont, en fait, deux faces d'une même
réalité et l'expression d'une même contrainte, à savoir la nécessaire maîtrise
de l'évolution des prélèvements obligatoires.
Il me paraît tout d'abord important de rappeler que les recettes de la
sécurité sociale sont, à la différence de celles de l'Etat, des recettes
affectées au financement des prestations à risque déterminé. M. Francis Mer l'a
justement rappelé dans son propos.
Après cette affirmation, permettez-moi de m'interroger sur une des
dispositions du projet de loi de finances pour 2003.
En 2003, il est prévu de transférer au budget de l'Etat l'intégralité du
produit de la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat dont une partie était
affectée jusqu'à présent à certains régimes de sécurité sociale, à savoir
l'organisation autonome nationale d'assurance vieillesse de l'industrie et du
commerce, l'ORGANIC, et la Caisse autonome nationale de compensation de
l'assurance vieillesse artisanale, la CANCAVA.
Monsieur le ministre de l'économie, je ne prétends pas du tout être un expert
en ce domaine, mais je vous avoue ma préoccupation et même mon inquiétude
concernant ce transfert. Je crois savoir que les taxes sur le chiffre
d'affaires sont prohibées par le droit européen, sauf lorsqu'elles constituent
des taxes à caractère non fiscal affectées à des régimes de sécurité
sociale.
Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous apporterez une réponse à cette
interrogation et que vous apaiserez les inquiétudes, sans doute infondées, du
rapporteur en charge des équilibres généraux de la loi de financement de la
sécurité sociale.
Cette remarque faite, j'en reviens au thème central de notre débat : le budget
de l'Etat et celui des administrations de sécurité sociale sont tous deux
confrontés à une difficulté identique. Comment équilibrer leurs comptes et
comment concilier à moyen et long termes l'évolution de leurs dépenses avec
celle de leurs recettes sans que le poids de ces dernières devienne un handicap
pour l'économie française ?
L'Etat et les administrations de la sécurité sociale - puisque telle est leur
appellation comptable - ont, au cours de ces dernières années, répondu de
manière différente à cette question. Or cette différence explique en grande
partie l'évolution divergente de leurs prélèvements obligatoires.
En effet, si l'on compare, à partir de documents statistiques annexés au
projet de loi de finances pour 2003, l'évolution des recettes et des dépenses
des administrations de la sécurité sociale, d'une part, et l'évolution des
dépenses et des recettes de l'Etat, d'autre part, on s'aperçoit que les
dépenses et les recettes des administrations de sécurité sociale augmentent à
un rythme identique au cours des vingt dernières années. Elles passent de vingt
points du PIB en 1979 à vingt-quatre points du PIB en 2001.
En bonne logique, leur capacité de financement, c'est-à-dire le solde positif
de leurs recettes et de leurs dépenses, est ainsi passé de 1,2 point du PIB en
1979 à 0,3 point du PIB en 2001. Mais les recettes de l'Etat quant à elles,
également exprimées en points du PIB, passent de 21,8 en 1979 à 20,2 en 2001.
La part des prélèvements obligatoires de l'Etat, exprimée en proportion de la
richesse nationale, a donc tendance à diminuer au cours de la période
considérée. Cela tend à confirmer les propos qui étaient tenus à l'instant par
notre collègue M. Philippe Marini puisque l'on raisonne sur une masse globale :
quand une partie monte, on essaye d'abord de retrouver l'équilibre en faisant
baisser l'autre partie.
En revanche, s'agissant des dépenses de l'Etat, leur niveau est resté, en
proportion, stable dans la richesse nationale, puisqu'elles atteignent 22,5
points de PIB en 2001 contre 22,4 points en 1979.
Or le déséquilibre constaté dans l'évolution respective des recettes et des
dépenses de l'Etat s'est traduit par une aggravation de son besoin de
financement, qui est passé de 0,7 point de PIB en 1979 à 2,3 points de PIB en
2001. Pour cette seule année 2001, le besoin de financement de l'Etat suffit
d'ailleurs à expliquer qu'il existe un besoin net de financement des
administrations publiques.
En résumé, le déficit des administrations publiques reflète, pour l'essentiel,
le déficit de l'Etat.
Comment ce dernier finance-t-il le déséquilibre de ses comptes ? Nous le
savons bien, M. Arthuis mieux que quiconque, puisqu'il nous l'avait très
justement fait remarquer lorsqu'il était ministre des finances. L'Etat finance
le déséquilibre de ses comptes par l'emprunt, c'est-à-dire par la dette,
laquelle représente en 2001 46 % de la dette totale des administrations
publiques, au sens du traité de Maastricht. La dette de la sécurité sociale ne
représente, quant à elle, que 0,9 % de ce total.
En d'autres termes, au cours de ces vingt dernières années, les dépenses de la
sécurité sociale ont été financées par l'ajustement parallèle des prélèvements
sociaux. Au cours de la même période, les dépenses de l'Etat ont été financées
par l'endettement.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
C'est très important
!
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Or qu'est-ce qu'un emprunt public, sinon un prélèvement
différé dont le montant conduit, tôt ou tard, à augmenter les prélèvements
obligatoires ? Qu'est-ce qu'une dette, sinon un impôt qui pèsera sur les
générations à venir ? Pour ce motif, l'exclusion des emprunts publics de la
mesure comptable des prélèvements obligatoires a d'ailleurs été fréquemment
contestée.
Si j'en crois le rapport d'information de notre collègue Gille Carrez,
rapporteur général à l'Assemblée nationale, ces prélèvements différés
représenteraient, au titre des emprunts d'Etat, environ 5,7 % du PIB en
2001.
Mais je ne saurais en rester là dans mon analyse comparée de l'évolution des
prélèvements obligatoires de l'Etat et de la sécurité sociale. En qualité de
rapporteur des lois de financement de la sécurité sociale, j'ai pu en effet me
rendre compte, ces dernières années, de toute l'ambiguïté des relations
financières entre ces deux entités, ambiguïté dont M. Mattei est parfaitement
conscient.
Cette ambiguïté peut se résumer en une phrase : les comptes sociaux, comme
ceux des collectivités locales, servent trop souvent de variable d'ajustement
aux contraintes budgétaires de l'Etat, variable dont on peut dire que le
Gouvernement précédent a usé et même abusé !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
C'est vrai !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Cela est plus particulièrement vrai pour les trois dernières
années, pendant lesquelles - cela a été dit par M. Mer et par M. Marini - la
croissance et l'augmentation de la masse salariale ont véritablement dopé les
recettes de la sécurité sociale.
Au passage, je relève que cette augmentation structurelle et en quelque sorte
spontanée des recettes se traduit, dans les comptes nationaux, par un
alourdissement corrélatif de la part des prélèvements sociaux dans la richesse
nationale, et cela sans que la moindre augmentation du taux des cotisations ou
des contributions sociales soit intervenue. Je reviens à mon propos.
L'Etat, soucieux d'afficher sa rigueur, tout en étant confronté à la nécessité
de financer sans cesse de nouvelles dépenses, a confisqué à son profit une
grande partie de cette cagnotte sociale.
Monsieur Francis Mer, vous dénonciez le manque de clarté entre l'Etat et la
sécurité sociale. Permettez-moi d'étayer votre propos par quelques exemples qui
démontrent la nécessité de changer complètement de cap et de façon de procéder
pour l'établissement des comptes, qu'il s'agisse de la loi de finances ou de la
sécurité sociale.
A tout seigneur, tout honneur : je commencerai donc par le fameux FOREC, qui a
permis à l'Etat - vous l'avez dit vous-même - de faire supporter par la
sécurité sociale le coût des 35 heures. Lors du contrôle sur pièces et sur
place que j'ai effectué avec notre ancien collègue M. Charles Descours au
printemps 2001, vos services m'ont communiqué des notes internes qui sont
particulièrement explicites. La direction du budget indiquait que « le
dispositif permanent d'aide à la réduction du temps de travail ne doit pas
représenter un surcoût net pour les finances publiques ». On voit bien quelle
était la préoccupation de vos collaborateurs !
Dès lors, et cédant à un tropisme familier, Bercy est allé chercher ailleurs
l'argent nécessaire, et a décidé de mettre à contribution la « manne de la
croissance » dont bénéficiait, alors, le secteur de la protection sociale. En
effet, dans une autre note, la direction du budget estimait que « seuls
l'UNEDIC et les organismes de sécurité sociale sont durablement en mesure de
dégager les marges de financement nécessaires ». Vous aviez tout compris ! On
ne saurait être plus clair. Ne voulant pas augmenter ses propres prélèvements
pour assumer le coût de ses propres choix, l'Etat a décidé d'en transférer la
charge sur d'autres, en l'occurrence la sécurité sociale. Quand je dis l'Etat,
c'est en fait le Gouvernement qui était en charge de l'Etat à cette époque.
Nous connaissons la suite : la construction de cette fameuse usine à gaz dont
ont parlé MM. Jean-François Mattei et Philippe Marini et qui a dangereusement
et durablement fragilisé l'équilibre des comptes sociaux, lesquels plongent à
nouveau dans le rouge à partir de cette année.
Or, comme je le démontrerai dans mon rapport sur le projet de loi de
financement de la sécurité sociale, sans les prélèvements du FOREC, les comptes
sociaux, et plus particulièrement les comptes du régime général, seraient
encore à l'équilibre en 2002 et en 2003.
Une première initiative dans le bon sens a été prise par le Gouvernement, plus
précisément par M. Mattei, qui a décidé de rembourser la moitié de la dette du
FOREC à la sécurité sociale. Nons ne serons pas en reste, messieurs les
ministres, puisque, en ma qualité de rapporteur, et si la commission des
affaires sociales partage mon point de vue, nous ferons des propositions lors
de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale afin de
montrer la voie dans laquelle il nous paraît souhaitable que le Gouvernement
s'engage pour commencer à démonter cette usine à gaz de manière à aller vers
une clarification véritable, plus de transparence et une lisibilité plus grande
pour l'ensemble de nos concitoyens.
Je peux vous citer d'autres exemples similaires.
Prenons le cas de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités
locales, la CNRACL.
La prochaine modification, par voie réglementaire, des paramètres de la
compensation vieillesse va lui offrir une véritable « bouffée d'oxygène ».
Cette caisse était, en effet, exsangue. Pour quelles raisons ? Tout simplement
parce que l'Etat avait déjà décidé, en 1992, de modifier, au détriment de la
CNRACL, les règles de la compensation vieillesse entre régimes spéciaux. Cette
mesure avait, en fait, pour seul objectif, nous le savons très bien,
d'augmenter la contribution de la CNRACL, à cette compensation et de diminuer,
à due concurrence, le montant des subventions d'équilibre versées, par l'Etat,
à certains de ces régimes spéciaux. On pourrait multiplier les exemples !
Quelles en furent les conséquences pour la CNRACL ? Une succession de
résultats déficitaires depuis 1992 qui, à l'exception des années 1997 et 2001,
ont totalement absorbé les réserves de la caisse et l'ont contrainte à recourir
à des avances de trésorerie. De plus, cette dégradation de la situation
financière de la CNRACL n'a même pas pu être enrayée par une forte
augmentation, que l'on va encore subir cette année, des cotisations employeurs,
qui sont supportées à 55 % par les collectivités locales et à 45 % par
l'assurance maladie au titre des hôpitaux.
Ainsi, le budget des collectivités locales et celui de la sécurité sociale ont
été, conjointement, mis à contribution afin de permettre à l'Etat de réaliser
des économies. Ce dernier n'a donc pas eu besoin d'augmenter ses recettes
fiscales.
Dans le même ordre d'idée, il me paraît enfin nécessaire d'évoquer le
versement de l'UNEDIC au budget de l'Etat, qui a été décidé par le précédent
gouvernement et qui représente 1,2 milliard d'euros en 2002. Or la dégradation
des comptes de l'assurance chômage pourrait contraindre les partenaires sociaux
à augmenter, prochainement, les cotisations. Dans ces conditions, le maintien
du versement prévu ne risque-t-il pas, là encore, et indirectement, de faire
financer le budget de l'Etat par des cotisations sociales ?
Mais j'arrête ici mon énumération. Je finirais par vous lasser et par mettre
trop en difficulté ceux qui vous ont précédés aux responsabilités. Ces exemples
ont un but pédagogique : celui de démontrer que la maîtrise des prélèvements
obligatoires de l'Etat ne peut plus et ne doit plus être obtenue au détriment
de l'équilibre des comptes sociaux. Faisons en sorte que l'UNEDIC, les
collectivités locales à travers la CNRACL ou la sécurité sociale ne constituent
plus des variables d'ajustement des comptes du budget de l'Etat !
Par cette démonstration, je n'entends pas absoudre pour autant la « sphère
sociale » de toute responsabilité dans la dérive de ses dépenses ni dans
l'augmentation des prélèvements effectués sur la richesse nationale pour en
assurer le financement.
Mon propos est beaucoup plus simple. La sécurité sociale doit remettre de
l'ordre dans sa maison - ce que M. Mattei a commencé à faire - et, en priorité,
dans les comptes de l'assurance maladie, car on voit bien que c'est à cause
d'elle si les comptes dérapent en raison de l'accélération des dépenses !
L'aggravation du déficit de la branche maladie a déjà déstabilisé l'équilibre
financier du régime général. L'arrivée à la retraite des générations du
baby-boom devant prochainement solliciter, comme jamais, les ressources de la
branche vieillesse, il convient non seulement de définir en urgence les bases
d'une nouvelle régulation des dépenses de l'assurance maladie, mais également
d'engager les réformes structurelles concernant la branche vieillesse. Je salue
à cet égard les efforts déjà engagés par M. Jean-François Mattei, ainsi que la
volonté du Premier ministre, M. Raffarin. C'est M. Fillon, si j'ai bien
compris, qui va avoir à gérer ce dossier et procéder à la réforme structurelle
des retraites, laquelle risque de provoquer quelques pleurs et grincements de
dents et de susciter quelques appréhensions chez un certain nombre de nos
concitoyens !
Toutefois, cette remise en ordre ne pourra être efficace que dans la mesure où
cette « sphère sociale » contrôlera effectivement le périmètre de ses recettes
et de ses dépenses. La maîtrise des prélèvements sociaux passe par la maîtrise
des dépenses correspondantes, comme je viens de le souligner. Or la
responsabilisation des assurés, des partenaires sociaux et des professionnels
de santé n'aura véritablement de sens - je le dis également à l'attention de M.
le ministre des finances - que dans la mesure où ceux-ci seront assurés que
l'intégrité du « budget social » est respectée par l'Etat, que les objectifs
que nous nous étions fixés lorsque nous avions la responsabilité du pouvoir, à
savoir une véritable autonomie de chacune des branches, sont non pas uniquement
des mots, mais bien une réalité qui se traduira dans la gestion des comptes,
tant pour les dépenses que pour les recettes.
Personne ne pourra convaincre nos compatriotes de l'utilité des efforts que
nous leur demanderons, si nous poursuivons dans la voie de nos
prédécesseurs.
Le « jeu de bascules » visant à transférer aux régimes sociaux des charges qui
relèvent, en fait, du budget de l'Etat a donc atteint, aujourd'hui, ses
limites. Ces dernières sont d'ailleurs d'autant plus évidentes que le déficit
budgétaire et les déficits sociaux sont désormais - comme l'a dit très
justement M. Philippe Marini - confondus au sein d'une seule et même réalité au
regard de nos engagements européens.
Il est donc grand temps, mes chers collègues, que les finances publiques et
les finances sociales contribuent ensemble, dans la transparence, à l'effort
commun de maîtrise des prélèvements obligatoires. C'est notre crédibilité à
tous qui est en jeu devant les Françaises et les Français.
(Applaudissements
sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le président, messieurs les ministres,
madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les rapporteurs l'ont
démontré avec talent : un débat sur les prélèvements obligatoires à l'ouverture
des grands débats financiers de fin d'année est devenu une nécessité. Car, pour
légitimes que soient nos querelles sur le point de savoir si telle charge
publique doit relever de l'Etat, des branches de sécurité sociale ou des
collectivités locales, il est indispensable de nous souvenir qu'il n'y a qu'une
seule catégorie de payeurs : celle au nom de laquelle nous parlons ici, les
Français.
Il est certainement très intéressant de nous émouvoir bruyamment du fait que
telle charge n'aurait pas dû être transférée aux collectivités locales ou que
telle recette de la sécurité sociale n'aurait pas dû être orientée vers l'Etat
- nous allons encore le faire jusqu'en décembre. Mais peu chaut aux Français
qui paient que leur impôt sur le revenu baisse si leur contribution sociale
généralisée ou leur taxe d'habitation doivent augmenter en contrepartie !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Très bien !
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Les Français paient pour toutes
les dépenses publiques de leur pays, qu'elles soient nationales, locales ou
sociales. Combien vont-ils payer au total ? Voilà ce qui les intéresse ! Bien
qu'il ne soit pas le seul, le Gouvernement détermine très largement le
mouvement d'ensemble des prélèvements, même si ceux-ci sont locaux ou
sociaux.
Je prendrai deux exemples simples, empruntés à deux gouvernements différents,
pour montrer qu'il s'agit non pas d'une polémique, mais d'un constat : lorsque
la consultation des généralistes passe à vingt euros, c'est le Gouvernement qui
décide et c'est l'assurance maladie qui paie ; lorsque est créée l'allocation
personnalisée d'autonomie, c'est le Gouvernement qui décide, et ce sont les
départements qui paient.
C'est pourquoi il est absolument indispensable que le Gouvernement vienne
expliquer la cohérence d'ensemble de sa politique des prélèvements
obligatoires.
Je tiens à vous remercier d'avoir accepté de venir participer à ce débat au
Sénat, comme vous l'avez fait à l'Assemblée nationale. Certes, la loi organique
vous faisait obligation de présenter un rapport, mais le débat était une
possibilité, pas une obligation.
Je crois que ce débat est utile. Tout à l'heure, Alain Vasselle nous
expliquait que l'Etat s'endettait et que la sécurité sociale était, en quelque
sorte, vertueuse puisqu'elle équilibrait ses comptes. Certes, mais enfin !
(M. le président de la commission des affaires sociales sourit.)
J'observe que, en 1997, les recettes fiscales de la sécurité sociale
représentaient 13 % de ses recettes. Or en 2001, elles ont représenté 27 %. Je
ne serais pas étonné qu'elles avoisinent les 30 % en 2003. Je n'oublie pas non
plus que, lorsque la sécurité sociale a été confrontée à des difficultés de
trésorerie, c'est l'Etat qui a fait des avances et qui a bouché les trous. Il
m'est arrivé de penser qu'il y avait une sorte de pratique pseudo étatique de
la gestion de la sécurité sociale. J'espère ne blesser personne en affirmant
cela.
Notre point de départ est maintenant bien connu : le niveau des prélèvements
obligatoires est trop élevé en France, leur structure est néfaste à l'activité
économique et à l'emploi.
Ce niveau est trop élevé : on le voit en comparant la France à ses partenaires
et amis. On le voit aussi en observant que ce niveau élevé s'accompagne d'un
taux de chômage parmi les plus élevés d'Europe et d'un niveau de déficit
également parmi les plus élevés. Cela montre que l'étatisme et la
collectivisation de l'économie ne parviennent pas aux objectifs qu'ils
prétendent atteindre.
La structure de ces prélèvements est néfaste à l'activité et à l'emploi en
France. Ce constat a été démontré à maintes reprises par des experts ou des
parlementaires de droite comme de gauche, la commission des finances et le
Sénat ayant apporté leur pierre à ces travaux, comme l'a rappelé le rapporteur
général. Tous ces rapports montrent que nos prélèvements pèsent de façon
excessive sur les facteurs de production, sur le travail et sur l'équipement
des entreprises, favorisant ainsi le chômage et la délocalisation des capitaux,
comme le dirait M. Loridant.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Ce n'est pas vrai !
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Tous ces rapports ont montré
aussi que notre fiscalité décourageait l'initiative en pénalisant le revenu et
le patrimoine, favorisant ainsi la délocalisation des activités et de l'emploi
et poussant les hommes hors du territoire national.
Dès lors, mes chers collègues, que convient-il de faire ?
Il faut modifier la structure des prélèvements, en réduisant leur poids sur
les facteurs de production et sur l'initiative, quitte, le cas échéant, à
l'augmenter si nécessaire sur le chiffre d'affaires et sur la consommation.
Dans le cadre du débat d'orientation budgétaire pour 2001, la commission des
finances avait commandé une étude au Centre d'observation économique pour
savoir si la combinaison de baisses d'impôt choisie par le gouvernement de
l'époque était la plus pertinente pour l'emploi et pour les finances publiques
; le rapporteur général l'a rappelé et je vais m'y arrêter quelques
instants.
Je rappelle cette combinaison décidée au printemps 2000 : une baisse d'un
point du taux normal de la TVA, une réduction d'un point des taux des deux
premières tranches de l'impôt sur le revenu, un allégement de la taxe
d'habitation. Tel est le cocktail qui était proposé alors ! Ces mesures se
voulaient populaires, mais les électeurs ne semblent pas s'en être souvenus.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Parce qu'elles n'étaient pas populaires !
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Toutefois, sur le plan
économique, leur effet a été essentiellement conjoncturel, sans amélioration de
la croissance potentielle, qui reste trop basse en France.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est exact !
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
L'étude du Centre d'observation
économique avait montré qu'il aurait été beaucoup plus efficace de réduire
l'impôt sur le revenu et les charges sociales patronales - pour environ 40
milliards de francs à l'époque - à la fois pour l'emploi et pour les finances
publiques.
La commission des finances avait donc contesté la baisse de la TVA et celle de
la taxe d'habitation, non pas en tant que telles, mais comme ne correspondant
pas aux besoins réels de l'économie française. Si elle avait été suivie, nul
doute qu'aujourd'hui le chômage serait moins élevé, les structures de
l'économie moins dégradées et les déficits publics moins creusés.
L'objectif d'une réforme de la structure de nos prélèvements obligatoires doit
être de favoriser l'emploi localisé dans notre pays. La baisse de la TVA, mis à
part le cas particulier des secteurs à forte intensité de main-d'oeuvre
relevant de l'économie de proximité - je pense aux réparateurs automobiles, aux
hôteliers, aux restaurateurs, aux plombiers, aux artisans - non exposés à la
concurrence internationale, soumis à la tentation de se camoufler - oserai-je
dire de se délocaliser - dans l'économie parallèle, donc assortis d'un niveau
élevé de fraude, ainsi que la baisse de la taxe d'habitation n'ont strictement
aucun effet de ce point de vue.
C'est pourquoi, s'agissant de la TVA, je préconise pour ma part le
rétablissement d'un taux intermédiaire de TVA, autour de 10 à 12 %, plus adapté
aux secteurs à forte intensité de main-d'oeuvre. Cela exige, naturellement, une
négociation européenne.
Mes chers collègues, l'écart entre le taux normal de 19,6 % et celui de 5,5 %
est excessif. Il me paraît urgent d'appliquer, en France, un taux intermédiaire
de 10 % à 12 % à ces activités de proximité, car il serait sans doute dangereux
de maintenir le taux normal compte tenu de ce que je viens d'indiquer.
Je décèle, dans les débuts de la politique fiscale du Gouvernement, une
réorientation en ce sens, ainsi que le montre le rapporteur général dans son
rapport. On peut même y voir la marque des propositions faites depuis longtemps
par la commission des finances, par son ancien rapporteur général et ancien
président qui siège aujourd'hui au banc du Gouvernement.
Je prendrai quelques exemples : la suppression de la contribution des
institutions financières, proposée, depuis 1996, dans un rapport sur les
banques resté célèbre ; la poursuite de la réduction des droits de donation,
que j'avais moi-même proposée dès le projet de loi de finances pour 1994, et
qui a fait l'objet d'une avancée significative en 1996 ; un plan ambitieux de
réduction de l'impôt sur le revenu, que la commission n'a cessé de proposer dès
le projet de loi de finances pour 1998 ; l'extension de la suppression de la
part « salaires » de la taxe professionnelle aux professions libérales, que la
commission des finances a souhaité dès l'origine de la réforme ;...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Absolument !
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
... enfin, la réduction des
charges sociales sur les bas salaires - 800 millions d'euros en 2003 -,
dispositif qui est au coeur du programme fiscal du Président de la République
et que la commission des finances propose, depuis le printemps 2000, dans une
version plus généralisée de réduction des charges. C'est un premier pas et il
conviendra de ne pas nous arrêter en chemin si nous voulons éviter de créer des
« trappes à bas salaires ». Il serait dangereux, en effet, de maintenir un
dispositif d'allégement durable des seuls bas salaires : nous risquerions alors
de « tordre » les politiques salariales et d'enfermer nombre de salariés
français dans des « trappes à bas salaires ».
Ce dernier exemple est au coeur du débat d'aujourd'hui, car la réduction des
charges sociales doit être compensée par l'Etat, qui doit donc, à son tour, la
financer. C'est ainsi que la structure de nos prélèvements pourra être réformée
en remplaçant progressivement les impôts de production par les impôts de
consommation, car seuls ces derniers affectent de la même façon les biens
produits en France et ceux qui sont manufacturés dans d'autres pays. En effet,
l'enjeu en France est non pas de donner un coup de pouce à la conjoncture, mais
de créer les conditions d'une croissance forte et durable, créatrice
d'emplois.
Au sujet de la structure des prélèvements, permettez-moi de m'arrêter quelques
instants sur la fiscalité locale. Ce sera un grand chantier à ouvrir dès
l'année prochaine, particulièrement en raison de ce que nous sommes sur le
point de décider dans le projet de loi constitutionnelle relatif à
l'organisation décentralisée de la République.
Comme la commission des finances le propose depuis l'an 2000, je suggère que
soit achevée la suppression de la vignette automobile, dont le recouvrement
réel n'est plus contrôlé, monsieur le ministre, qui pénalise les facteurs de
production des entreprises et crée ici et là quelques éléments de distorsion de
concurrence.
Je pense aussi que nous devons maintenant être très attentifs à préserver ce
qui reste de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales. Le précédent
gouvernement s'est montré extrêmement désinvolte à ce sujet en supprimant
purement et simplement des impôts locaux sans aucune recherche du maintien de
cette autonomie fiscale. On a, en quelque sorte, cassé les assiettes. Il a créé
des contraintes insurmontables pour le gouvernement actuel et pour le Sénat,
qui aurait souhaité que les collectivités locales conservent une véritable
maîtrise de leurs recettes, ce qui est, de fait, devenu extrêmement
difficile.
La commission des finances contribuera prochainement à éclaircir ce débat,
mais convenons que les marges de manoeuvre qui nous restent sont très
étroites.
Dans l'immédiat, je voudrais faire deux suggestions.
La première, c'est de supprimer progressivement les dérogations aux impôts
locaux. Tous les acteurs économiques, contribuables placés dans la même
situation, exerçant le même métier, doivent acquitter le même impôt. Le
Gouvernement fait un pas en ce sens avec la réforme de la taxe professionnelle
de France Télécom, qui doit être attribuée aux collectivités. Là encore,
l'ancien président de la commission des finances a imprimé sa marque dans le
projet de loi de finances. Veillons à remettre en cause les exonérations
totales ou partielles, dont les justifications sont d'ordre historique, pour
redonner toute sa consistance au potentiel fiscal des collectivités
territoriales.
La seconde suggestion est que nous devons préserver les assiettes foncières
locales. Elles ne pénalisent pas l'économie de façon excessive et ne peuvent
pas se délocaliser. Il reste à les évaluer équitablement, et la démonstration
n'a pas été faite, depuis dix ans, que nous en étions capables.
M. Marcel Deneux.
Dix-sept ans !
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Les alternances n'ont rien
permis de régler. Il importe de démontrer que nous sommes capables de réviser
les bases d'évaluation et de les mettre en application. Ce sont des impôts de
répartition et il est bien difficile, dans ces conditions, de n'avoir que des
contribuables gagnants.
Cependant, réformer la structure de nos prélèvements ne suffit pas, il est
également impératif d'en réduire le niveau global. Or nous butons là sur le
niveau excessif de nos déficits publics. C'est bien la contrainte que subit
actuellement le Gouvernement. Il ne va pas aussi loin qu'il le voudrait en
matière de réduction d'impôt parce que la situation de nos finances publiques
est très dégradée, voire alarmante.
La conclusion est claire : si, alors même que les prélèvements sont beaucoup
trop lourds, les déficits publics restent excessifs, c'est que le niveau des
dépenses doit être réduit.
Arrivés à ce point, il nous incombe à tous de faire preuve de responsabilité
et de pédagogie, vous en avez fait la démonstration voilà un instant, monsieur
le ministre.
La pédagogie consiste à toujours rappeler aux Français que les prélèvements
qu'ils subissent servent à financer les dépenses d'intérêt général. La dépense,
c'est l'impôt, et il n'existe pas de dépense qui ne soit pas financée par
l'impôt. On peut, certes, vivre à crédit un certain temps. J'ai fait partie
d'un gouvernement qui a dû supporter les conséquences de dépenses qui n'avaient
pas été financées et qui avaient ainsi provoqué des déficits considérables.
Nous avions dû, à l'époque, créer la contribution au remboursement de la dette
sociale, la CRDS, car une partie des dépenses de soins et de médicaments de la
période précédente n'avait pas été payée.
M. Alain Vasselle.
C'est vrai !
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Aujourd'hui, les Français
remboursent encore cette dette.
Il faut dire à nos compatriotes que l'augmentation des dépenses courantes
financée par le déficit est un mensonge. Les dépenses sont toujours financées
par l'impôt, si ce n'est pas par celui d'aujourd'hui, c'est par celui de
demain, qui coûtera beaucoup plus cher.
On nous parle sans cesse de développement durable. L'un des principes du
développement durable est de ne pas sacrifier l'avenir à l'immédiat. Le
développement durable nous incite donc à être responsables, à avoir le courage
de faire payer à nos compatriotes ce qui est dû aujourd'hui au titre de
l'intérêt général et à ne pas tirer des chèques sur les générations futures.
La pédagogie consiste aussi à avertir les Français que certaines dépenses
publiques vont inéluctablement augmenter ; je pense surtout aux charges de
retraite et aux dépenses de maladie. Il ne faut pas les laisser croire que ces
augmentations se feront sans douleur : il faudra payer. Si les Français ne
veulent pas payer demain, ce sont leurs enfants qui paieront après-demain, et
un prix beaucoup plus élevé.
Bien sûr, il nous incombe de faire en sorte que l'augmentation de la richesse
produite puisse couvrir ces besoins en évitant de prélever une proportion
croissante de cette richesse.
C'est l'objet de la restructuration de nos prélèvements à laquelle le
Gouvernement s'est attaqué. Néanmoins, quelle que soit la croissance, il est
inévitable que la facture augmentera et que ces dépenses progresseront plus
vite que la richesse nationale.
Et c'est sur ce point que le Gouvernement et, surtout, le Parlement doivent
faire preuve de responsabilité.
Il est urgent et nécessaire d'y voir clair. Et c'est en cela que la loi
organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 doit être mise en
oeuvre rapidement et avec détermination. Si vous me permettez cette
recommandation, monsieur le ministre... il faut que vous mobilisiez des moyens
pour faire vivre cette réforme, et que l'Etat comme la sécurité sociale
disposent, pour que chacun précisément y voie clair, d'instruments comptables
et budgétaires adéquats ainsi que de documents qui permettent au Parlement
d'assumer la plénitude de ses prérogatives.
Je forme donc l'espoir, alors que nous allons, dans quelques jours, examiner
le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de
finances, que le Sénat propose autre chose que des réductions de recettes et
des augmentations de dépenses à longueur de débat. Le Parlement doit montrer
qu'il est mûr pour l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances
et affirmer qu'un bon impôt n'est pas nécessairement un impôt qui baisse et
qu'un bon budget n'est pas nécessairement un budget qui augmente. L'avenir de
notre pays en dépend.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
messieurs les ministres, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
comment ne pas se réjouir de voir réunies, le temps de ce débat sur les
prélèvements obligatoires, tant de compétences dans le domaine des finances
publiques : les deux ministres au banc du Gouvernement, les deux rapporteurs
généraux au banc des commissions... Tout cela est de bon augure.
Clôturant la partie en quelque sorte institutionnelle de notre débat et afin
de laisser la parole aux orateurs des groupes, je me contenterai d'exprimer une
satisfaction, de formuler une réserve et d'esquisser une perspective.
Une satisfaction, d'abord : celle de pouvoir dialoguer avec le ministre des
finances.
Préparant ce débat, je me suis aperçu que notre commission n'en avait
finalement que trop brièvement l'occasion. En réalité, la seule occasion que
nous avons, nous la devons à M. Alain Lambert et à son action lorsqu'il
présidait la commission des finances.
Il avait tenu en effet à ce que le président de la commission des affaires
sociales intervienne « ès qualité » dans la discussion générale du projet de
loi de finances.
Aussi vous ferai-je une confidence, monsieur le ministre : si le programme de
travail de notre commission n'avait pas été aussi chargé, j'aurais sollicité
auprès de vous, ou de M. Lambert, une audition sur les relations financières
ente l'Etat et la sécurité sociale. Si vous le voulez bien, et si notre
commission ne doit pas examiner - comme elle doit le faire hélas ! chaque année
- une série de textes sociaux en même temps que le projet de loi de
financement, nous pourrions concrétiser ce projet d'audition l'an prochain.
Le premier intérêt de ce débat est bien de décloisonner et de croiser deux
dialogues bilatéraux, ceux qu'entretiennent traditionnellement la commission
des finances avec le ministre des finances et la commission des affaires
sociales avec le ministre des affaires sociales.
On imagine facilement ce dialogue toujours un peu caricatural de part et
d'autre.
Du côté des finances, on échange de vives inquiétudes sur la progression
exponentielle des dépenses sociales, mêlées, il est vrai, de l'amère
satisfaction de l'avoir bien dit. Du côté des affaires sociales, on se raconte,
avec consternation, bien entendu, la dernière « tuyauterie » mise en place par
Bercy pour « siphonner » les comptes sociaux.
(Sourires.)
C'est ainsi, cela ne mène pas très loin et cela se situe naturellement au-delà
des alternances politiques.
D'où le regret que je formule.
Ce débat, nous le devons à une initiative conjointe de notre rapporteur
général, M. Philippe Marini, et de notre ancien collègue M. Charles Descours,
et je remercie M. Marini de l'avoir rappelé tout à l'heure. Dans l'esprit de
nos collègues, il y avait la volonté de mettre le Gouvernement au pied du mur :
qu'il cesse de tenir un double langage prétextant de l'existence de deux
projets de loi.
Cette période, naturellement, est totalement révolue !
Il reste qu'il aurait été souhaitable que ce débat sur les prélèvements
obligatoires se présente différemment.
Le rapport du Gouvernement dont nous débattons aujourd'hui est déposé, selon
les termes de la loi organique, « en vue de l'examen et du vote du projet de
loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale ».
A la commission des affaires sociales, nous aurions aimé qu'il prenne la forme
d'un rapport commun aux ministres qui défendent ces deux projets de loi. Or il
se présente sous la forme d'une annexe bleue au projet de loi de finances, sous
la seule signature du ministre des finances.
Nous avons manqué certainement une occasion.
C'est probablement la raison pour laquelle le rapport apparaît bien « rabougri
», si je puis me permettre ce mot, comme si l'on avait « tiré à la ligne » en
reprenant des morceaux d'une tonalité macroéconomique tirés d'une autre annexe
du projet de loi de finances, à savoir le tome I du
Rapport économique,
social et financier
consacré aux perspectives de l'économie française et à
l'évolution des finances publiques qui, lui-même, s'inspire du
Rapport sur
les comptes de la nation.
Ce regret vaut d'ailleurs également pour la programmation pluriannuelle des
finances publiques pour la période 2004-2006, prélude au programme de stabilité
qui sera transmis en fin d'année à la Commission européenne.
Peut-on inscrire « le projet de loi de finances et le projet de loi de
financement de la sécurité sociale dans une stratégie de moyen terme », pour
reprendre les termes du
Rapport économique, social et financier,
sans
ouvrir un débat plus large, sans associer davantage les responsables des
finances sociales à cet objectif commun ?
Si cette programmation est opposable aux lois de financement de la sécurité
sociale - ce qui est tout de même souhaitable - comment ne pas la placer au
coeur même du rapport annexé à son article 1er, qui détermine les orientations
de la politique de sécurité sociale sur les conditions générales de son
équilibre financier ?
M. Alain Vasselle.
Très bien !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Et comment ne pas faire
en sorte, alors, que cette programmation soit en quelque sorte cosignée par les
ministres compétents ?
Si la consolidation des finances publiques signifie qu'un terme soit mis à
cette forme d'autisme, alors je partage pleinement les préoccupations
qu'exprime M. le président de la commission des finances.
La perspective que je souhaite esquisser concerne précisément l'avenir des
lois de financement de la sécurité sociale.
Au cours de ces dernières années, la commission des finances et la commission
des affaires sociales ont fait preuve de leur capacité d'échange et de
dialogue.
Leurs analyses ont été très cohérentes.
Je pense à la dénonciation du fonds de financement de la réforme des
cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC.
M. Alain Vasselle.
Très bien !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Je pense également au
souci de rebudgétiser les recettes et les dépenses de ce fonds de compensation
des exonérations de cotisations décidées par l'Etat.
Leurs propositions ont été très coordonnées.
Je pense à la suppression de la ristourne de la contribution sociale
généralisée, la CSG, remplacée par un crédit d'impôt, devenu, depuis lors, la
prime pour l'emploi.
Nos commissions ne sont pas sans mérite d'avoir réalisé ce travail tant le
précédent gouvernement avait multiplié les jeux de miroirs et les modifications
du périmètre des dépenses et des recettes.
Nul doute que nos commissions poursuivront dans cette voie afin de donner aux
deux lois financières plus de rigueur et plus de cohérence.
Je reconnais que la commission des finances a pris une avance décisive dans
cette compétition stimulante. Elle a joué un rôle décisif dans l'adoption de la
loi organique du 1er août 2001, souvent présentée comme la nouvelle
constitution financière de notre pays.
Pourtant, la commission des affaires sociales était bien partie, elle qui
avait publié, en juin 1999, un rapport qui fait encore autorité. Nous avions
alors qualifié les lois de financement d'« acquis essentiel », mais également
d'« instrument perfectible ».
De fait, nous entendons perfectionner cet outil en partant de l'excellente
proposition de loi organique déposée par notre ancien collègue M. Charles
Descours.
Ce sera, au premier semestre prochain, l'objet d'une réflexion que nous
comptons mener en étroite concertation avec le Gouvernement.
Ce faisant, nous entendons conforter ce deuxième pilier des finances
publiques, lui donner plus de rigueur comptable, mais en faire également
l'occasion d'un vrai débat sur les enjeux de notre protection sociale.
Aujourd'hui, à l'issue d'une législature, les lois de financement ont ceci de
paradoxal qu'elles sont approximatives dans leurs agrégats, tout en étant en
marge des véritables enjeux, notamment dans le domaine de la santé publique.
Dès cette année, deux signaux ont été lancés.
Tout d'abord, engagement a été pris par le Gouvernement de déposer un
collectif social en cas de dérive des équilibres du projet initial. Je veux
remercier M. le ministre de la santé de contribuer ainsi à redonner un peu de
crédibilité à nos débats.
Ensuite, l'expérimentation d'un débat thématique spécifique sur l'assurance
maladie sera organisée au Sénat. Si l'expérience est concluante et peut être
développée, c'est toute la physionomie de la discussion du projet de loi de
financement de la sécurité sociale qui s'en trouvera modifiée, avec de vrais
débats sur les enjeux de chaque branche de la protection sociale.
M. Alain Vasselle.
Très juste !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Mais l'instrument n'est
qu'un instrument ; il nous restera encore à l'avenir quelques « travaux
d'Hercule ». Tout d'abord, il faudra faire la chasse aux fonds interstitiels,
dont on ne sait pas, en définitive, où ils se trouvent ni de qui ils dépendent.
Ensuite, il s'agira de supprimer les miroirs qui brouillent la réalité. Puis,
nous devrons proscrire les recettes partagées dont les clefs de répartition
bougent chaque année, de sorte que le contribuable ne sait plus où vont ses
impôts. Enfin, il faudra mettre fin à la confusion des missions de l'Etat et de
la sécurité sociale.
Comment, mes chers collègues, ne pas citer quelques exemples ? Deux me
semblent emblématiques.
Ainsi, l'an dernier, l'assurance maladie a dû prendre en charge la lutte
contre le bioterrorisme - 1,3 milliard de francs, je crois -, tandis qu'au même
moment le budget de l'Etat finançait le remplacement des personnels dans les
hôpitaux.
Deuxième exemple, en 2003, si rien n'est fait, la Caisse nationale
d'allocations familiales financera une prestation de solidarité vieillesse, les
majorations de pensions pour enfants ; le fonds de solidarité vieillesse
financera la dette de l'Etat à l'égard des régimes de retraite complémentaire
AGIRC-ARRCO et, pour boucler la boucle, l'Etat, quant à lui, financera une
prestation familiale historique, l'allocation de parent isolé.
M. Alain Vasselle.
Eh oui !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
N'est-il pas urgent de
remettre chacun à sa place ? N'est-il pas indispensable que nos deux
commissions s'emploient à rendre les finances publiques intelligibles pour nos
concitoyens ?
M. Alain Vasselle.
Très juste !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Absolument !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Achevant mon propos, je
m'aperçois que je n'ai que peu parlé des prélèvements obligatoires, M. Vasselle
l'a fait, il est vrai, et avec infiniment plus de talent au nom de notre
commission.
M. Alain Vasselle.
C'est trop !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Aussi, aimerais-je
conclure en me référant simplement à l'article XIV de la Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen : « Tous les citoyens ont le droit de constater... la
nécessité de la contribution publique et d'en suivre l'emploi... ».
« Où va l'argent ? » reste tout de même la question première qu'il convient de
se poser à l'occasion d'un débat sur les prélèvements obligatoires, mais
n'oublions jamais qu'il n'y a pas de fonds publics sans poches privées !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré.
Monsieur le président, messieurs les ministres, madame le secrétaire d'Etat,
mes chers collègues, notre débat de ce jour fut longtemps souhaité ardemment
par les pairs de la réforme de l'ordonnance de 1959, qu'il s'agisse de l'actuel
ministre délégué au budget, alors président de la commission des finances, de
notre rapporteur général, M. Philippe Marini, mais également du nouveau
président de la commission des finances, Jean Arthuis, qui en rêvait depuis
toujours.
Nous vous remercions donc, monsieur le ministre, d'avoir accepté
l'organisation de ce débat, qui, Jean Arthuis le rappelait, s'il ne constitue
pas une obligation, est cependant plus que souhaitable.
Nous vous remercions puisque ce débat vient à son heure, à la veille du débat
budgétaire, il vient à son heure quelques mois après un changement de majorité
parlementaire, alors que de nouvelles options se concrétisent et s'enracinent
dans la réalité, il vient à son heure, aussi, alors que la conjoncture se
retourne de manière inquiétante.
A ce propos, nous sommes nombreux à regretter que le précédent gouvernement
n'ait pas exploité davantage l'opportunité exceptionnelle qui lui était offerte
par une série de quatre années de forte croissance pour engager une réduction
drastique des prélèvements obligatoires fiscaux et sociaux,...
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Eh oui !
M. Denis Badré.
... des déficits publics et de la dette, ainsi que de la dépense publique.
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Bien sûr !
M. Denis Badré.
Les occasions manquées ne se retrouvent pas. Aujourd'hui, tout est plus
difficile. Pourtant, quelles que soient la majorité et la conjoncture, notre
pays, qu'il le veuille ou non, est désormais appelé à jouer son jeu dans un
monde ouvert. Certains parlent de mondialisation.
Assurer la compétitivité du pays - monsieur le ministre, vous savez combien
j'y suis attaché - est une obligation. Toutes nos autres préoccupations, dont
l'emploi, sont subordonnées à la nécessité d'assurer la compétitivité du
pays.
Voilà quinze mois, le rapport Charzat reprenait une partie des mesures
préconisées par le rapport d'information du Sénat sur la mondialisation, fait
au nom de la mission commune d'information chargée d'étudier l'ensemble des
questions liées à l'expatriation des compétences, des capitaux et des
entreprises, que j'avais eu l'honneur de présider.
MM. Jean Arthuis,
président de la commission des finances,
et Philippe Marini,
rapporteur général.
Excellent rapport !
M. Denis Badré.
Ce rapport avait été demandé à M. Charzat par le gouvernement de M. Jospin.
Peut-être est-il arrivé trop tard, dans un monde qui n'était plus suffisamment
jeune ? Le gouvernement de M. Jospin choisissait de ne rien choisir, donc de
subir, et cela ne tient pas simplement au fait que M. Charzat ait largement
repris les mesures préconisées par un rapport sénatorial ! Il devait y avoir
d'autres raisons.
Quelques mois ont passé depuis, mais, lorsqu'il s'agit de réagir, mieux vaut
tard que jamais. Monsieur le ministre, votre Gouvernement doit faire ce que
celui de M. Jospin n'a pas fait dans ce domaine. L'objectif de compétitivité
doit d'abord être visé globalement. Il doit être affiché. Votre volonté doit
s'exprimer de manière éclatante, afin que nul ne puisse la mettre en doute.
Dans ce domaine, l'aspect psychologique compte. L'image donnée par le pays est
essentielle, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur.
En outre, nous devons jouer de nos atouts : nous sommes une terre de bien
vivre, à l'évidence, mais aussi une terre de grandes compétences. Nous
disposons d'une main-d'oeuvre très réputée. « C'est la meilleure du monde »,
avons-nous entendu dire maintes fois pendant les travaux de notre mission !
Aidons cette main-d'oeuvre réputée à exprimer ses talents dans tous les
domaines, y compris et d'abord sur le plan scientifique, et en premier lieu sur
le territoire national. Les meilleurs mathématiciens et biologistes du monde
sont français. Tant mieux ! Malheureusement, ils sont à Boston, où ils
travaillent avec leurs pairs venus de tous les pays du monde. Faisons en sorte
que tous retrouvent le goût de travailler en France.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Et que les footballeurs soient fiscalisés en France
!
M. Roland du Luart.
Bonne idée !
M. Denis Badré.
Monsieur le rapporteur général, vous vous en souvenez sans doute, nous avions
également auditionné le milieu du football, ce qui avait été tout à fait
instructif !
Ne laissons pas partir nos meilleurs professionnels, y compris sportifs, vers
des lieux où ils vivront moins bien, certes - et ils le regretteront -, mais où
ils auront le sentiment de pouvoir mieux travailler, plus librement, avec
davantage de moyens, sur des sujets plus intéressants, à leur goût, au sein
d'équipes plus performantes.
Restaurons l'image du pays. Soutenir le goût d'entreprendre et la soif de
réaliser de notre main-d'oeuvre passe évidemment par une compression des
prélèvements obligatoires. L'Europe nous demandera de le faire, au nom de
l'harmonisation fiscale ou sociale, et elle aura raison. Or, comme elle ne nous
permettra pas de payer cette réduction par un relâchement du déficit, nous
devrons réduire la dépense publique : plus ce sera tard, plus ce sera
difficile.
Ce que nous devrons faire pour satisfaire une harmonisation fiscale qui nous
sera fort justement et heureusement demandée demain par Bruxelles, nous avons
intérêt à l'entreprendre dès aujourd'hui spontanément, dans l'intérêt des
contribuables et des entreprises, ces dernières étant déjà confrontées à une
difficile concurrence intra-européenne et internationale.
De quels prélèvements s'agit-il ? Pour m'en tenir à la fiscalité, je parlerai
naturellement de l'impôt sur le revenu : c'est votre premier choix
emblématique, monsieur le ministre, et il est bon. La France ne peut se payer
le luxe d'un barème plus progressif et d'un taux marginal plus élevé que ses
partenaires. L'Allemagne social-démocrate elle-même vient de baisser son taux
de 56 % à 44 %.
Il ne faut pourtant pas négliger les progrès qui doivent être réalisés sur les
autres impôts. Le patrimoine est frappé de trop de manières : par l'ISF, par
les droits de succession ou de mutation, par les impôts fonciers, par les
plus-values ; un toilettage est donc nécessaire. L'idée de considérer l'ISF
comme une provision sur les droits de succession, par exemple, qui a été
avancée au sein de la Haute Assemblée, n'est pas forcément absurde.
S'agissant de l'ISF, je sais que je touche à un sujet sensible, voire tabou,
mais je le fais quand même.
M. Roland du Luart.
Très bien !
M. Denis Badré.
Je rappelle que, très concrètement, il vaut mieux percevoir un ISF un peu
moins élevé et ne pas le perdre parce que le contribuable qui allait le payer,
le jugeant trop élevé, est parti !
Ce n'est plus Mozart qu'on assassine, ce sont de nombreux Bill Gates que nous
condamnons à l'exil ! Combien de Bill Gates français sont partis avant même que
nous les connaissions ? Nous ne le saurons jamais, de même que le montant de
l'ISF que nous ne percevrons jamais non plus !
Notre impôt sur les sociétés doit, de son côté, être stabilisé à un niveau
compétitif en Europe.
Quant à notre taxe sur les salaires, elle est jugée unanimement injuste et
obsolète, comme l'a confirmé là aussi un rapport du Sénat. Il est donc urgent
d'intervenir sur ce thème.
La TVA, enfin,...
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Sur le chocolat !
M. Denis Badré.
... sans revenir sur des sujets dont nous avons largement et longuement
débattu les années précédentes,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Nous y reviendrons !
M. Denis Badré.
... pose de nombreux problèmes d'iniquité et de complexité. Ainsi, la
situation dans le domaine de la restauration n'est plus tenable, vous le savez
comme nous tous, monsieur le ministre.
Pour avoir beaucoup travaillé la question dans plusieurs rapports successifs,
je suis de ceux qui pensent que des baisses ciblées de TVA peuvent avoir un
coût fiscal net moindre et un intérêt économique bien supérieur à nombre
d'autres mesures d'allégement fiscal.
A cet égard, je vous demande une nouvelle fois, monsieur le ministre, de
veiller à ce que vos services aient le souci, non pas de chiffrer le coût
direct des mesures fiscales en multipliant simplement la base actuellement
taxable par la baisse proposée du taux, mais de calculer au moins un coût net.
En effet, une baisse de taux génère le plus souvent une augmentation d'activité
ou de consommation, donc de la base qui, même taxée à un taux moindre, n'est
pas sans rapport. Il faut prendre en compte l'ensemble du dossier.
Lorsqu'on regrette les rentrées d'IR ou d'ISF, on oublie évidemment de prendre
en compte les impôts qui auraient pu être payés par des gens qui ne seraient
pas partis à l'étranger ou qui seraient rentrés en France si les taux avaient
été moins dissuassifs !
Nous ne pouvons plus tolérer de voir chaque année partir, en proportion
malheureusement assez constante, de trop nombreux contribuables. Non seulement
ce sont des impôts en moins, mais, le plus souvent, de l'épargne qui aurait pu
être investie dans notre pays, de l'activité, et donc de l'emploi, en moins, de
la consommation en moins. Par conséquent, ce sont autant d'autres impôts de
toutes sortes en moins et pour longtemps.
Ne nous contentons pas de chiffrer une moins-value fiscale en rentrées de
l'année. L'effet n'est beaucoup plus lourd et doit être pris en compte
globalement.
Alors, bien sûr, les allégements fiscaux ont un coût fiscal direct, mais un
coût net bien inférieur, je le disais. Ils peuvent même avoir un intérêt
économique et générer des rentrées fiscales imprévues. Mais, même dans l'esprit
dans lequel travaillent généralement vos services, la perte directe de recettes
ne peut pas être financée par le déficit. C'est interdit.
Quel que soit le jugement que nous portons sur le pacte de stabilité, nous
devons reconnaître que son principe est bon. Il est bon parce qu'il rappelle
que le déficit est mauvais. Là aussi, l'Europe, après Maastricht, est venue
nous rappeler une rigueur à laquelle nous aurions dû nous astreindre
nous-mêmes.
Ce n'est pas la faute de l'Europe si nous devons réduire notre déficit, c'est
grâce à l'Europe que nous sommes appelés à le faire et à nous souvenir que ce
principe est bon et sage.
Il y a pacte, parce qu'il y a solidarité. Nous avons une monnaie unique dont
nous sommes tous responsables. La moindre rigueur des uns sera forcément payée
par tous. Nous devons cesser au plus vite d'être de ceux qui acceptent que les
autres paient les facilités dont ils ont, je l'espère, très momentanément
besoin.
Je préfère toujours, je vous l'ai déjà dit, monsieur le ministre, une Europe
qui avance grâce à la France plutôt qu'une Europe en panne à cause de la
France.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Belle formule !
M. Denis Badré.
La baisse de la dépense publique est donc la seule issue. Or, baisser les
prélèvements obligatoires sans augmenter le déficit, cela veut dire baisser la
dépense. Je ne dis pas que c'est facile, mais c'est mieux pour notre
compétitivité, j'y insiste.
Un Etat qui prélève plus de 58 % de la richesse du pays joue contre ses
entreprises. Il est bon que nous soyons condamnés à baisser la dépense
publique, parce qu'un Etat jugé trop bureaucratique et tracassier ne sert pas
les entreprises - l'Etat doit les accompagner et non les handicaper -, car il
n'y aura pas de réduction de la dépense publique sans une réforme profonde de
l'Etat. Cette réforme conduira à réduire certaines dépenses et à en utiliser
mieux d'autres. Ainsi, notre politique de recherche, qui est l'une des
priorités à prendre en compte en termes de compétitivité, n'appelle pas
forcément plus de crédits, mais une tout autre manière d'utiliser ceux qui
existent et surtout une meilleure synergie entre les crédits européens et
nationaux.
Derrière tout cela, nous devons avoir l'obsession constante de retenir les
Français, leurs oeuvres et leurs capitaux, et d'attirer les étrangers, leurs
oeuvres et leurs capitaux.
Plus encore, derrière tout cela, se trouve toujours le très bon principe du
consentement à l'impôt - M. Nicolas About l'évoquait à l'instant sous une autre
forme -, qui est le fondement de notre démocratie.
Le citoyen ne consent pas à l'impôt pour l'impôt, mais bien pour financer un
Etat qu'il choisit d'avoir. C'est la démocratie, il est temps de s'en
souvenir.
A partir du moment où le principe du déficit est exclu, l'équation est simple
: quelles dépenses voulons-nous financer pour quels impôts ? Le citoyen le
comprend très bien et nous pouvons retrouver la vraie nature du principe du
consentement à l'impôt qui est à restaurer en France.
Il doit l'être bien plus encore pour ce qui concerne le budget européen. J'y
reviendrai à cette tribune mardi prochain, lors du débat que nous aurons à ce
sujet. Le budget européen, dont les recettes sont votées par les parlementaires
nationaux et les dépenses par le Parlement européen, ne peut pas servir le
principe du consentement à l'impôt. Personne ne s'y retrouve, personne ne le
comprend, et ce n'est pas ainsi que nous construirons une Europe démocratique,
une Europe des citoyens.
Puissent nos débats de ce jour contribuer à restaurer en France et en Europe
le principe du consentement à l'impôt.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du groupe du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, ce débat sur les prélèvements obligatoires a été institué par
la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001. Je rappelle
que le groupe communiste républicain et citoyen a, seul, voté contre ce texte
qui a établi de nouvelles procédures budgétaires porteuses d'une logique de
restriction de la dépense publique et de rigueur.
C'est bien le cas aussi du débat d'aujourd'hui, que nous devons d'ailleurs -
cela a déjà été dit - à un amendement sénatorial de M. le rapporteur général,
qui a introduit dans notre législation la notion de prélèvements
obligatoires.
Ainsi, M. le ministre pose ouvertement dans le rapport remis par le
Gouvernement, comme postulat de toute politique publique, l'objectif technique
de la réduction du niveau de ces prélèvements.
Implicitement, ce débat porte en lui la diabolisation de l'impôt, de la
cotisation sociale et de l'intervention publique, conformément au credo libéral
du « moins d'Etat ». En ce sens, il a pour objet de légitimer, en écho avec les
objectifs démagogiques affichés par le Président de la République et le Premier
ministre de baisse des impôts et des « charges sociales », les mesures
contenues dans le projet de loi de finances et dans le projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 2003 qui renforcent l'injustice fiscale
et sociale, mettent gravement en cause les services publics et la protection
sociale, accroissent l'emprise des marchés financiers sur notre pays.
Aussi ne vous étonnerai-je pas, chers collègues, en vous disant que nous
récusons les termes de ce débat et que nous combattons les conclusions
unilatérales auxquelles la majorité et vous-mêmes, madame la secrétaire d'Etat,
monsieur le ministre, allez immanquablement aboutir pour justifier une
politique contraire aux intérêts du plus grand nombre de nos concitoyens et du
pays.
Il n'est pas bien rigoureux en matière économique, permettez-moi de vous le
faire remarquer - de considérer que le niveau des prélèvements obligatoires est
un indicateur pertinent pour apprécier la politique budgétaire. Discuter des
recettes publiques sans prendre en considération leurs affectations n'a déjà
pas de sens.
Par ailleurs, les comparaisons internationales des taux de prélèvement
rapportés au produit intérieur brut, qui sont systématiquement utilisées pour
laisser entendre que nos concitoyens sont écrasés par les impôts et les
cotisations, ne sont guère fondées. Tout dépend évidemment du périmètre des
secteurs socialisés de chaque pays.
On ne peut pas par exemple comparer le taux français avec celui des
Etats-Unis, pays où la protection sociale n'est pratiquement pas socialisée. Le
cas des pays nordiques, où le taux de prélèvement se situe très au-dessus de
celui de la France - il est de 55 % en Suède - et où, pourtant, l'activité
économique et la situation de l'emploi se tiennent bien, montre également
l'inanité de telles comparaisons.
Fondamentalement, vous laissez entendre - l'expression« prélèvements
obligatoires » est loin d'être neutre - que les impôts et les cotisations
relèvent de la spoliation, de la confiscation du revenu national ou, pour
reprendre les mots utilisés en 2001 par notre rapporteur général, du «
sacrifice demandé à l'économie et à nos concitoyens ».
Cette vision des choses est totalement erronée. Non, monsieur Marini, financer
la santé, le logement, les retraites, la formation, les services publics ne
relève pas du sacrifice !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est pour acquérir le paradis !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Au contraire, l'intervention publique, permise par l'impôt et par la
cotisation, contribue de façon décisive à la création de richesses, à la fois
par sa fonction redistributive et par les services non marchands qu'elle
fournit.
Les retraités, les familles, les allocataires des minima sociaux consomment et
alimentent la croissance.
Une étude conduite en 1999 par l'OCDE démontre même que les prélèvements
obligatoires, après déduction de tous les transferts sociaux, représentent 15 %
des revenus moyens d'un couple avec deux enfants en France, alors que ce taux
est de 16,7 % en Grande-Bretagne, de 20,9 % en Allemagne et même de 18,7 % aux
Etats-Unis.
La qualité de nos services, de nos équipements de santé, de notre système de
formation, services qui assurent autant de prestations publiques financées par
les prélèvements, constitue le socle de la création du revenu national et de la
croissance.
Toutes les enquêtes auxquelles vous faites si souvent référence, mes chers
collègues, et même le rapport Charzat, insistent sur ce point : l'attractivité
de la France repose avant tout sur l'atout que représentent ses services
publics, le niveau de qualification des salariés, la qualité des
infrastructures, le potentiel scientifique, le cadre de vie. L'attractivité de
notre pays est donc loin de ne dépendre que de l'importance de la pression
fiscale, laquelle est au demeurant plutôt plus faible que chez nos voisins si
pour calculer le taux réel d'imposition des sociétés et des revenus on veut
bien prendre la peine de considérer aussi les assiettes de références.
Aussi, votre argumentation, monsieur le ministre, sur la nécessité primordiale
de la baisse des prélèvements obligatoires n'arrive pas à masquer les objectifs
réels de votre politique de baisse des impôts et des cotisations sociales :
c'est un véritable choix de classe visant à diminuer toujours les contributions
des hauts revenus, des entreprises et du capital, et à « marchandiser »,
c'est-à-dire à subordonner aux règles de la prédation financière, des domaines
relevant aujourd'hui encore des services publics et sociaux, au prix d'un
renforcement des inégalités, d'une dégradation de la qualité des services
rendus et de la fragilisation des conditions de nature à assurer une croissance
saine et durable du pays.
Pour notre part, nous estimons que les dépenses publiques et sociales
constituent un gage d'égalité, de cohésion sociale et d'efficacité économique,
contre le gâchis et l'injustice qu'entraîne la loi du profit.
Il revient à la nation de définir les limites du domaine qu'elle considère
plus juste et efficace de confier à la collectivité plutôt qu'au marché. Nous
ferons tout pour que l'obsession dogmatique de la baisse des prélèvements
obligatoires dont vous martelez la nécessité à nos concitoyens ne vous conduise
pas à esquiver les véritables choix de société que sont, parmi d'autres, la
gratuité des études, la pérennité de la retraite par répartition contre les
fonds de pension et l'avenir des services publics.
Mes chers collègues, puisque je vous sais friands de comparaisons
internationales, permettez-moi d'attirer votre attention sur les dépenses de
santé aux Etats-Unis.
Dans ce pays où le taux des prélèvements est si bas et où la santé est presque
entièrement du ressort du secteur marchand, les dépenses de santé s'élèvent à
13,6 % du PIB, taux record des pays de l'OCDE, contre 9,5 % en France. Malgré
cela, les Etats-Unis arrivent en queue de peloton pour l'espérance de vie : ils
sont au vingt-quatrième rang, alors que la France occupe le troisième.
Les Etats-Unis sont aussi le pays où le plus d'habitants renoncent à se
soigner faute de moyens. Cette situation a même conduit un représentant de
l'Organisation mondiale de la santé à écrire, dans un rapport daté de 1999,
qu'« un Américain meurt plus tôt et passe plus de temps malade que n'importe
quel autre individu des autres pays industrialisés ».
Est-ce vers ce modèle que le Gouvernement cherche à entraîner notre pays ?
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Mais non !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Jacques Barrot, président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, n'a-t-il pas
vendu la mèche en déclarant qu'il convenait d'étudier à l'avenir un financement
volontaire de la couverture maladie pour les affections graves nécessitant des
soins longs et coûteux ? « Volontaire », voilà un mot qui sonne peut-être mieux
qu'« obligatoire » mais qui est surtout synonyme d'injustice !
La santé à deux vitesses que propose M. Barrot revient à exclure les ménages
les plus modestes de certains soins et à facturer ces soins plus cher à ceux
qui peuvent les payer.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Il ne faut pas dire
cela de M. Barrot !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Ces exemples illustrent les perspectives de société auxquelles conduisent les
objectifs de réduction du niveau des prélèvements obligatoires et de diminution
du périmètre de l'intervention publique.
Le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité
sociale pour 2003 sont totalement imprégnés de cette orientation. La politique
de rigueur, de restriction de la dépense publique, de sape des ressources
légitimes de l'Etat et de la sécurité sociale, d'accentuation de l'injustice
fiscale que ces textes portent n'est pas nouvelle, mais vous la poussez
indéniablement plus loin.
Je me bornerai à constater que les « fruits de la croissance » ont déjà été
utilisés en priorité au cours des dernières années à la baisse des
prélèvements, notamment en faveur des entreprises, ce qui a préparé la
dégradation des comptes publics et le retour des déficits sociaux.
Pour 2003, vous choisissez d'accentuer ces déficits par des mesures qui vont
toutes dans le sens d'un renforcement de l'injustice sociale. Comment ne pas
noter la contradiction flagrante entre le discours qui fustige les déficits
publics et la volonté de diminuer les prélèvements puisque cette volonté
conduit à creuser les déficits ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
A réduire les dépenses !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Dans la conjoncture difficile que nous connaissons, le Gouvernement ne
s'arrête pas à cette contradiction et remet en cause les critères du pacte de
stabilité, ce qui ne manque d'ailleurs pas de nous intéresser : il montre ainsi
lui-même, que les sacro-saintes directives européennes ne sont pas intangibles
! A terme, nous n'en doutons pas, il compte résoudre la contradiction par la
diminution de la dépense publique et la remise en cause, déjà largement
amorcée, des acquis sociaux.
Nous aurons l'occasion de revenir plus en détail sur le projet de budget pour
2003 mais, d'ores et déjà, il est clair que les nouvelles mesures avantagent
les entreprises et les ménages aisés, auxquels profitera la nouvelle baisse de
1,2 milliard d'euros de l'impôt sur le revenu, c'est-à-dire ceux dont la
propension à consommer et à soutenir la croissance est moindre.
On notera que le produit de l'impôt sur le revenu sera tombé de 4,37 % du PIB
en 1993 à 3,38 % du PIB en 2003, le taux marginal passant de 65 % en 1986 à 49
%. Le seul impôt progressif, et donc juste, de notre fiscalité - il ne
représente d'ailleurs que 20 % des recettes, soit notoirement moins que chez
nos voisins - est ainsi progressivement restreint.
En 2003, le coût cumulé des baisses votées depuis le budget de 2001 dépassera
8 milliards d'euros de manque à gagner pour le budget de l'Etat. J'observe dans
le même temps que le bénéfice escompté de la hausse des droits sur le tabac est
de 1 milliard d'euros, montant qui indique que l'effet dissuasif attendu sur le
tabagisme est faible.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Cela prouve que ce n'est pas encore assez cher !
(M. le ministre sourit.)
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Compte tenu de la priorité donnée aux dépenses d'armement, qui augmentent de
11 %, et de la compensation par le budget de l'Etat des nouvelles déductions de
charges sociales patronales, le coût des baisses d'impôt sera compensé par la
baisse des budgets sociaux les plus structurants : éducation, recherche,
emploi. Ajoutons que la prévision de croissance retenue pour 2003 - 2,5 %,
alors que les analystes attendent au mieux 2 % - dénote un optimisme extrême et
doit nous préparer à de nouvelles coupes claires en cours d'exercice !
Pour la sécurité sociale, le projet de loi de financement de la sécurité
sociale pour 2003, présenté comme un budget de « transition », est lui aussi
porteur de graves menaces. Monsieur le ministre, vous continuez à réduire les
cotisations sociales patronales de près de 1 milliard d'euros, au nom d'un
effet sur l'emploi qui n'a d'ailleurs jamais été clairement établi.
Surtout, vous prévoyez un déficit considérable - 7,1 milliards d'euros, un
véritable « trou » ! - sans vous préoccuper des recettes et sans revenir sur le
FOREC. Pourtant, mes chers collègues, rappelez-vous la manière dont vous
dénonciez la « tuyauterie », l'« usine à gaz » du FOREC.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Votre « tuyauterie »
!
Mme Marie-Claude Beaudeau.
L'an prochain, les dépenses du FOREC atteindront plus de 17 milliards d'euros,
dont 12 milliards d'euros au détriment des comptes de la sécurité sociale
correspondant aux déductions de cotisations patronales accordées pour le
passage aux 35 heures non compensées - ça, je vous l'accorde - dans les
faits.
M. Alain Vasselle.
On rembourse la moitié de votre FOREC !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Voilà une « transition » qui annonce de lourds sacrifices et la remise en
cause de pans entiers de notre système de protection sociale, comme le laissent
craindre les propos récents de M. Barrot ou de M. Fillon.
M. Roland du Luart.
Vous vous trompez de siècle !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Nous aurons l'occasion de revenir sur nos propositions en matière budgétaire,
propositions qui s'opposent totalement à ces désastreuses orientations prises
au prétexte de baisser les prélèvements et qui se structurent autour de trois
axes.
Premier axe : rétablir et renforcer le caractère redistributif des
prélèvements.
Dans ce sens, nous proposerons de renforcer la progressivité de l'impôt sur le
revenu, nous demanderons l'extension de son assiette, avec notamment la fin de
l'avoir fiscal et des prélèvements libératoires, ce qui devrait accroître son
rendement.
Nous proposerons également un rééquilibrage entre la fiscalité directe et la
fiscalité indirecte, qui frappe davantage, quoi que vous en disiez, les ménages
les plus modestes, avec notamment une baisse de la TVA, dont le produit
représente aujourd'hui le double de celui de l'impôt sur le revenu.
Nous défendrons, dans un même objectif de justice fiscale, la hausse et
l'élargissement de l'assiette de l'impôt sur la fortune.
Concernant le financement de la sécurité sociale, la place centrale de la
cotisation sociale, part socialisée de la rémunération du travail, qui a fait
la preuve de son efficacité économique, est primordiale pour nous et nous la
défendrons.
Nous demandons l'extinction des dispositifs de déduction des cotisations en
faveur des entreprises et l'extension de l'assiette de prélèvement. A terme,
nous envisageons sereinement la revalorisation des taux - revalorisation que
permet la hausse de la productivité et de la croissance - pour financer de
nouveaux besoins, par exemple pour consolider notre système de retraite par
répartition suivant les recommandations du Conseil d'orientation des
retraites.
Notre deuxième axe d'intervention consistera en effet à exiger le maintien et
l'extension du périmètre des secteurs socialisés en partant des besoins - parce
qu'ils sont nombreux - et en adaptant les recettes, à l'opposé de toute «
maîtrise comptable » préalable.
Enfin, nous serons porteurs d'une exigence de démocratisation des choix
budgétaires, notamment en ce qui concerne la gestion des branches de la
sécurité sociale.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, à la notion de prélèvements
obligatoires pour désigner les impôts et les cotisations, nous opposons la
notion de contribution solidaire aux charges communes de la nation. Derrière
ces mots, c'est une conception fondamentalement divergente de la chose
publique, du bien commun, de la solidarité nationale que nous vous opposons,
une profonde contradiction idéologique, un autre parti pris, celui des
salariés, du plus grand nombre de nos concitoyens et de ceux qui vivent en
France.
(M. Thierry Foucaud applaudit.)
M. Philippe François.
De ceux qui mettent la France à genoux !
M. le président.
La parole est à Mme Nelly Olin.
Mme Nelly Olin.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, les orateurs qui m'ont précédée ont tous relevé la pertinence
du débat sur les prélèvements obligatoires qui nous réunit aujourd'hui. En
effet, chacun s'accorde à dire que la complexité des circuits de prélèvement -
sinon leur opacité - ne permet pas au Parlement d'avoir une vision globale de
l'état actuel des prélèvements obligatoires, d'où la nécessité d'un tel
débat.
A cette occasion, je souhaiterais aborder deux points : l'état des lieux étant
peu satisfaisant, les nécessités auxquelles répond la réduction des
prélèvements obligatoires ; les principes qui doivent guider la réforme des
prélèvements obligatoires que le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a d'ores
et déjà entamée.
Quel est donc le bilan ?
Sur une longue période, soit depuis 1980, on constate une tendance à la hausse
du taux des prélèvements obligatoires par rapport au produit intérieur brut,
tendance qui correspond, pour beaucoup, à la hausse progressive des
prélèvements sociaux. Il n'en est pas moins très instructif d'examiner avec
attention cette évolution sur une période plus courte, c'est-à-dire pendant les
cinq ans où le gouvernement précédent a dirigé notre pays.
Je soulignerai d'abord que cette période a été marquée par une embellie
économique assez remarquable, engendrée par la croissance mondiale, notamment
par la bonne santé économique des Etats-Unis, et non par on ne sait quelle
miraculeuse politique nationale, comme on a vainement tenté de nous le faire
croire. Avec une croissance économique de 3,4 % en 1998, de 2,9 % en 1999 et de
3,1 % en 2000, on était en droit d'espérer que le gouvernement de l'époque
mettrait à profit une telle occasion pour abaisser le montant des prélèvements
obligatoires et pour réduire la dette publique.
Songez, mes chers collègues, que nous allons léguer à chaque enfant qui naîtra
en 2003 un fardeau de plus d'un million d'euros...
Hélas ! séduit par les sirènes de la dépense publique, le gouvernement issu de
la majorité plurielle a multiplié les mesures peu ou pas financées, le passage
aux 35 heures étant sans doute la plus lourde de conséquences.
M. Alain Vasselle.
Belle usine à gaz !
Mme Nelly Olin.
Comme il fallait bien les financer malgré tout, il s'est lancé dans des
acrobaties comptables, la création du Fonds de financement de la réforme des
cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC, étant sans doute la plus
critiquable d'entre elles.
Bref, après le passage de la gauche au pouvoir et après tant d'effets
d'annonce et de réformes coûteuses, quel est le niveau des prélèvements
obligatoires ? Ils représentaient, en 1997, 45 % du PIB ; après une hausse
historique du taux de la croissance économique, ils atteignaient, à la fin de
l'année 2001, 45 % du PIB ! L'évolution au cours de la législature aura été
nulle !
Devant ce bilan, dans quelle nécessité sommes-nous de réduire le niveau des
prélèvements obligatoires ?
La réduction du niveau des prélèvements obligatoires n'est pas une fin en soi.
Si nul ne conteste le bien-fondé des prélèvements obligatoires dans un pays où
la solidarité a été posée comme principe fondateur de notre société, leur
importance doit correspondre à ce que les Français attendent de leur pays et ne
pas affaiblir l'attractivité économique de celui-ci.
Or la politique suivie en matière de prélèvements obligatoires est rarement
lisible pour le contribuable. Quand tout un chacun a le sentiment que le
rapport entre le coût et l'efficacité n'est pas satisfaisant, on peut
légitimement s'interroger sur les niveaux des prélèvements effectués sur la
richesse nationale.
En réalité, la France a besoin d'un allégement de la pression fiscale pour
respirer, créer, se développer. Elle étouffe sous des prélèvements obligatoires
de toutes sortes : la liste annexée au rapport du Gouvernement donne le vertige
!
Plus inquiétant encore est l'effet de cette pression fiscale sur
l'attractivité économique de notre pays.
A cet égard, les prélèvements obligatoires sont beaucoup plus lourds en France
que chez nos partenaires, tels que l'Italie, l'Allemagne, le Royaume-Uni et
l'Espagne. La fuite des capitaux, les délocalisations d'outils industriels, les
difficultés à attirer les investisseurs étrangers sont bien souvent le reflet
de ce poids qui pèse, hélas ! sur notre économie. Nous ne pourrons pas faire
l'économie d'une action volontariste si nous voulons éviter d'être peu à peu
distancés. Ainsi, l'Espagne et la Grande-Bretagne créent respectivement deux
fois plus et une fois et demie plus d'entreprises que la France.
M. Alain Vasselle.
Eh oui !
Mme Nelly Olin.
Nous devons donc nous interroger sur les pistes à explorer en matière de
réformes, afin de réduire intelligemment le niveau des prélèvements
obligatoires.
A l'évidence, pour prélever moins, il faut dépenser mieux. Deux principes
doivent donc nous guider en toute circonstance dans cette quête.
Premier principe, l'allégement de la pression fiscale ne doit pas se traduire
par une moindre qualité des services publics. La qualité de ceux-ci doit être
sauvegardée. Là est bien sûr toute la difficulté de l'exercice : il s'agit de
dépenser mieux plutôt que de dépenser plus. Les Français attendent la fin des
gaspillages.
Second principe, une plus grande transparence est nécessaire. En effet,
comment ne pas désespérer devant l'absence de lisibilité des relations
financières entre le budget de l'Etat et celui de la sécurité sociale ?
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Tout à fait !
Mme Nelly Olin.
Je ne suis pas la première à évoquer le FOREC, qui illustre cette complexité.
Son circuit opaque de financement a été mis en place aux dépens de l'assurance
maladie, pour financer une politique de l'emploi, par ailleurs contestable,
engagée par l'Etat et qui aurait dû être financée par le budget. Le
gouvernement précédent était aussi passé maître dans l'art de priver la branche
« famille » de la sécurité sociale des recettes dynamiques pour en faire
bénéficier le fonds de réserve des retraites, le FRR, et le FOREC.
Les relations entre l'Etat et les collectivités locales ne présentent pas non
plus une grande lisibilité. La politique de l'emploi du gouvernement précédent
a également fait des ravages au sein des collectivités, et je n'ose parler ici
de l'APA, dont la montée en charge n'a absolument pas été prise en compte au
moment de l'élaboration de la loi. Le remplacement de recettes directes par des
dotations est une manipulation qui nuit à cette transparence que j'évoquais et
amène une sclérose de notre pays.
Venons-en aux réponses apportées par le gouvernement de Jean-Pierre
Raffarin.
Je constate que la bonne direction a d'ores et déjà été prise et qu'un effort
significatif est accompli dès cette année. Le taux des prélèvements
obligatoires devrait, en effet, représenter 44,6 % du PIB en 2002, soit une
baisse de 0,4 % par rapport à 2001.
M. Alain Vasselle.
C'est un bon début !
Mme Nelly Olin.
Quant aux dispositions nouvelles introduites par le projet de loi de finances
et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, elles se
traduiront par un nouveau recul du taux des prélèvements obligatoires de
l'Etat, par une stabilité du taux des prélèvements obligatoires des organismes
de la sécurité sociale et par une diminution de 0,1 % du taux des prélèvements
obligatoires des administrations publiques locales.
En ce qui concerne les prélèvements opérés au profit du budget de l'Etat,
l'effort est particulièrement remarquable : pérennisation et poursuite de la
baisse de l'impôt sur le revenu ; augmentation du montant de la prime pour
l'emploi s'agissant du temps partiel ; relèvement du plafond de la réduction
d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile ; prorogation du taux de TVA
réduit pour les services d'aide à la personne ; suppression de la part
salariale de l'assiette de la taxe professionnelle ; reconduction du crédit
d'impôt pour les mesures visant à préserver l'environnement ... Je m'arrête là,
mais d'autres mesures positives ont été prises dès cette année.
En ce qui concerne les prélèvements sociaux, la grande difficulté réside dans
le fait que notre système de protection sociale, longtemps considéré comme le
meilleur du monde, connaît aujourd'hui des faiblesses alarmantes. Nous vivons
depuis peu ce paradoxe qui veut qu'à des coûts de plus en plus élevés
correspondent la menace d'une dégradation de la qualité des soins et un malaise
profond des professionnels du secteur. Le Gouvernement aura la lourde tâche de
contenir, et même de réduire les dépenses, tout en préservant et en améliorant
la qualité des soins. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale
pour 2003 comporte un certain nombre de mesures allant dans le bon sens :
promotion du médicament générique, meilleure politique de prévention,
clarification des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale.
Au nombre des dossiers urgents figure celui de l'avenir du FOREC. Si supprimer
ce fonds dès 2004 semble nécessaire, dans un souci de clarification des
relations entre l'Etat et la sécurité sociale, il ne faut pas que cette
suppression soit opérée au détriment de cette dernière.
Confirmant une rupture nette avec la politique menée jusqu'alors en la
matière, le Gouvernement compense intégralement, dès cette année, la perte de
recettes subie par la sécurité sociale en raison de sa politique de réduction
des charges sociales, pour un montant d'un milliard d'euros.
Cette importante décision permettra de ne pas voir varier les ressources de la
sécurité sociale comme cela était le cas précédemment. Ainsi, un supplément de
660 millions d'euros de taxes sur les conventions d'assurance est attribué au
FOREC, tandis que 700 millions d'euros provenant de la hausse des taxes sur le
tabac profitent à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs
salariés, la CNAMTS.
Par ailleurs, si nous voulons éviter une véritable débâcle financière, aux
conséquences bien trop prévisibles, le Gouvernement devra, ainsi qu'il s'y est
déjà engagé, s'attaquer également très vite au problème des retraites, sur
lequel le gouvernement précédent a gardé un silence assourdissant durant cinq
ans.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est le moins que l'on puisse dire !
Mme Nelly Olin.
En ce qui concerne les prélèvements obligatoires des collectivités
territoriales, le Gouvernement se préoccupe sagement du risque d'un glissement
dangereux. Il faut éviter, en effet, qu'une baisse des impôts d'Etat soit
compensée, si l'on peut dire, par une hausse équivalente, voire plus forte, de
la fiscalité locale. Cette préoccupation devra guider sans cesse la démarche du
Gouvernement, surtout dans la proche perspective d'une nouvelle et décisive
étape du processus de décentralisation. Le transfert des ressources et des
charges qui en résultera nécessairement doit être conçu et réalisé de telle
façon que l'allégement global de la fiscalité demeure le fil conducteur.
Il est donc important - et la Haute Assemblée, en tant que représentant
constitutionnel des collectivités territoriales, y est particulièrement
sensible - que la concertation devienne le maître mot des rapports entre les
collectivités territoriales et l'Etat, notamment en ce qui concerne la pression
fiscale. A cet égard, les assises des libertés locales mises en place sous
l'égide du Premier ministre dans chacune des vingt-six régions constituent déjà
une première garantie.
Pour conclure, j'indiquerai que, eu égard aux pressions de toutes sortes
exercées par ceux qui ont toujours de bonnes idées pour réduire les dépenses
des autres mais restent imprégnés de conservatisme quand il s'agit de leur
propre budget, la voie de la réduction des prélèvements obligatoires sera raide
et escarpée. Il ne faudra pas faiblir, il sera indispensable de maintenir le
cap pour que nos concitoyens gardent foi en la politique publique.
Monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, vous pourrez compter, dans
les semaines à venir, sur mon groupe et moi-même pour vous soutenir dans la
voie que vous avez tracée.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, je voudrais à mon tour me réjouir de la tenue de ce débat, qui
vient à son heure.
Le véritable problème auquel nous sommes confrontés tient, pour une bonne
part, à l'incompréhension qu'éprouvent nos concitoyens face à la situation
actuelle. Je pense que les messages qu'ils ont adressés à l'occasion des
élections présidentielle et législatives de mai et de juin derniers traduisent
ce sentiment d'incompréhension, en particulier devant le poids et la
multiplicité des prélèvements obligatoires.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Eh oui !
M. Paul Girod.
Ils ne s'y retrouvent plus, la visibilité est nulle, mais ils ressentent
parfaitement la lourdeur de la charge qui est imposée au pays.
Que l'on me permette à cet instant de citer un texte de 2000, dont je ne
nommerai pas tout de suite l'auteur :
« Le poids des prélèvements a atteint un niveau tel qu'il a rendu l'impôt
moins légitime aux yeux d'un grand nombre de nos concitoyens. Lorsque la
résistance aux prélèvements se généralise dans la société, lorsque le
consentement à payer s'effrite, c'est sans doute le signe que les désagréments
de l'impôt paraissent désormais plus lourds que les bénéfices des dépenses
qu'il sert à financer.
« L'analyse économique confirme qu'un taux trop élevé de prélèvements peut
entraîner des effets négatifs importants, en particulier sur le marché du
travail. La concurrence fiscale exercée par nos partenaires de la zone euro
constitue désormais un enjeu important et incite à réduire, comme eux, les
déficits publics plutôt par une maîtrise des dépenses que par une hausse des
impôts. La France est particulièrement exposée aux effets de la concurrence
fiscale et elle a l'un des taux de prélèvements obligatoires les plus élevés de
la zone euro. »
Cette citation, mes chers collègues, est extraite d'un rapport de M. Marini
(Sourires),
qui, lui-même, ne faisait que reprendre une déclaration du
gouvernement de l'époque, qui commençait à prendre conscience de l'impasse dans
laquelle il engageait notre pays depuis 1997.
Cela me semble répondre, d'une certaine manière, à l'un des orateurs
précédents, qui se faisait le chantre du « toujours plus de dépenses, toujours
plus de prélèvements, toujours plus d'impôts ».
A cet égard, nous avons à méditer beaucoup sur le spectacle que nous avons
tous les jours sous les yeux. Tout à l'heure, M. le rapporteur général évoquait
la fiscalité frappant les footballeurs en Europe. Dans le même ordre d'idée,
lorsque la France a gagné la coupe Davis, on a chanté
La Marseillaise
-
elle n'a pas été sifflée, grâce au ciel ! - puis chacun est rentré chez soi. Or
aucun des tennismen français n'est resté sur le territoire national : l'un est
parti pour Londres, un autre pour les Etats-Unis, un autre encore pour Genève
et le quatrième pour Monaco ! Il est difficile d'affirmer, dans ces conditions,
que notre pays présente une attractivité particulière...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est un sujet tabou !
M. Paul Girod.
Le même constat pourrait être fait dans bien d'autres secteurs.
Nous avons en effet tout à fait perdu la place que nous occupions autrefois
dans la gestion de l'économie mondiale.
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Eh oui !
M. Paul Girod.
Il faut se souvenir que, voilà dix ans, un établissement financier comme
Merrill Lynch comptait trois cents employés à Paris et trois cents à Londres ;
aujourd'hui, il en reste dix à Paris, contre sept cents à Londres, et les flux
financiers sont maintenant contrôlés depuis Londres et non plus depuis Paris.
Et ce n'est pas un exemple isolé !
Nous devons donc nous interroger sur l'attractivité de notre pays comparée à
celle de ses concurrents et sur les raisons pour lesquelles les cerveaux, le
marché de l'art nous échappent.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Et les malades qui viennent chez nous pour se faire soigner ?
M. Paul Girod.
Justement, nous allons y revenir, madame Beaudeau.
Toutes les grandes sociétés internationales quittent la France les unes après
les autres pour aller s'établir au-delà de nos frontières. Pourquoi, par
exemple, Renault choisit-elle d'installer son holding à Amsterdam ? Pourquoi
les grandes places boursières étrangères prennent-elles le pas sur la place de
Paris ? Ces questions appellent quand même des réponses !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Exactement !
M. Paul Girod.
A cette heure tardive, j'oserai une comparaison un peu plus souriante : tout
cela me rappelle la fameuse affaire des vaches grasses et des vaches maigres.
Est-il jamais venu à l'idée des commentateurs de cette parabole que la gestion
appropriée, au cours des sept années de vaches grasses, aurait consisté à se
débarrasser de tous ceux qui contribuaient à la bonne marche de la « maison
Egypte » en les envoyant s'établir à l'étranger, à mettre en congé de force
ceux qui demeuraient dans le pays dès lors qu'ils travaillaient plus de
trente-cinq heures par semaine, à obscurcir jusqu'à l'horizon offert aux vaches
pour essayer de brouter en déposant sur l'herbe une série de toiles d'araignée
afin qu'elles ne puissent pas savoir où elles étaient ?
C'est très exactement la situation dans laquelle se trouvent nos concitoyens
et nos entreprises. Il suffit de voir le lacis invraisemblable de textes qui
sont imposés à nos entreprises pour qu'elles puissent faire face à leurs
obligations sociales et fiscales. Pour s'y retrouver, elles doivent recourir à
toute une série de services dont elles pourraient se passer et qui coûtent
cher. A côté des prélèvements obligatoires visibles, il existe également des
prélèvements invisibles que nous imposons à travers la réglementation et qui,
eux aussi, pèsent sur l'efficacité de notre économie.
Or il n'y a pas de vie sans création de richesses et sans économie. Et c'est à
cela que le Gouvernement veut s'attaquer. Il s'agit, si j'ai bien compris, mais
je pense que c'est le cas, de supprimer les entraves qui ont été imposées afin
que notre économie redémarre. Le pharaon que j'ai évoqué n'aurait jamais
entravé sa vache : il aurait laissé celle-ci prendre des initiatives et aller
chercher ici ou là ce qui était nécessaire à sa nourriture. Il ne l'aurait donc
jamais entravée comme nous avons entravé nos entreprises. Là est le fond du
problème ! C'est là où nous devons faire preuve de pédagogie à l'égard de nos
concitoyens.
Madame Beaudeau, il est préférable de prélever un peu moins sur les personnes
que vous n'aimez pas sous prétexte qu'elles prennent des initiatives, qu'elles
ont le sens de la créativité et des capacités pour faire fonctionner notre
économie, afin qu'elles restent en plus grand nombre à la tête de nos
entreprises et que le commerce fonctionne, au lieu d'avoir une économie
entravée. C'est tout le sens de notre débat sur les prélèvements
obligatoires.
Je n'entrerai pas dans une rivalité de compétence avec le rapporteur général,
les présidents de commission et certains de nos collègues qui sont parfaitement
informés des astuces du FOREC, que je connais un peu moi-même.
Je considère que le problème a été remarquablement exposé et défendu à cette
tribune. J'ajouterai qu'il a été remarquablement décrit. Mais il faut arriver à
le décrire à nos concitoyens en termes simples.
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Absolument !
M. Paul Girod.
On ne peut faire fonctionner la maison France en l'empêchant de travailler. On
ne peut faire fonctionner le commerce en France en confisquant à ceux qui
l'animent une partie excessive de leur revenu, du fruit de leurs efforts. En
effet, c'est inefficace et, qui plus est, cela décourage de toute
initiative.
Monsieur le ministre, ce débat sur les prélèvements obligatoires, c'est
surtout un débat sur l'initiative rendue aux Français et sur la responsabilité.
C'est vrai en ce qui concerne l'entreprise. C'est vrai également s'agissant du
comportement de nos concitoyens.
Une part du problème des prélèvements sociaux repose sur le sens de la
responsabilité, que nous devons redonner à nos concitoyens quand ils sont
malades et aux médecins. On connaît la propension de certains cabinets à
inciter à une consommation abusive de médicaments. On sait qu'il est nécessaire
d'appeler chacun à ses responsabilités à cet égard. Selon moi, le type de
dialogue que M. Mattei a ouvert avec les médecins s'inscrit parfaitement dans
une telle démarche de pédagogie et de retour au sens de la responsabilité.
Madame Beaudeau, aucun peuple ne peut agir de manière efficace si chacun ne se
sent pas responsable de son comportement vis-à-vis de la société et n'a pas la
possibilité de recueillir une part du fruit de ses initiatives et des
sacrifices qu'il consent.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Les entreprises font des profits, puis elles mettent la clef sous la porte et
jettent les salariés à la rue !
M. Paul Girod.
Des prélèvements obligatoires exagérés, c'est l'inverse de cette attitude-là.
C'est pourquoi je me réjouis de ce débat et des pistes qui sont suivies par le
Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains
et Indépendants.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Excellent !
M. le président.
La parole est à M. Roland du Luart.
M. Roland du Luart.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, je me réjouis d'autant plus du dépôt d'un rapport sur les
prélèvements obligatoires que j'avais moi-même déposé un amendement en ce sens,
avec mes collègues du groupe des Républicains et Indépendants. Adopté par le
Sénat lors de l'examen du projet de lois de finances pour 2000, notre
amendement prévoyait une présentation consolidée du projet de loi de finances
et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, avant le 1er octobre
de chaque année, c'est-à-dire avant l'examen de ces deux textes.
Les natures très différentes du budget de l'Etat et du budget de la sécurité
sociale n'ont pas permis de concevoir une présentation consolidée des dépenses
qui soit suffisamment pertinente.
Toutefois, le principe du dépôt d'un rapport sur l'ensemble des prélèvements
obligatoires, suivi d'un débat au Parlement, a finalement pu être inscrit dans
la loi organique du 1er août 2001 relative aux loi de finances. Nous devons
cette avancée à une excellente initiative du rapporteur général, M. Philippe
Marini, et du président de la commission des finances de l'époque, M. Alain
Lambert.
Au cours de la précédente législature, la multiplication des transferts entre
le budget de l'Etat, le budget de la sécurité sociale et certains fonds
spéciaux a complètement brouillé notre vision des finances publiques. C'était
d'ailleurs l'objectif recherché !
Cela posait un problème de transparence, qui remettait en cause non seulement
la sincérité des comptes publics, mais également l'équilibre des
institutions.
En communiquant des données tronquées, le gouvernement faussait les règles du
jeu budgétaire. Et en faussant les règles budgétaires, il faussait les règles
du jeu parlementaire !
L'article 52 de la loi organique relative aux lois de finances devrait mettre
fin à cette double dérive comptable et institutionnelle en permettant au
Parlement d'avoir une vision claire de l'évolution de l'ensemble des
prélèvements obligatoires.
Nous pouvons ainsi constater à quel point le gouvernement de M. Lionel Jospin
a gâché la chance que lui offrait une conjoncture économique exceptionnelle ;
je ne reviendrai pas sur l'allusion aux vaches grasses et aux vaches maigres !
Le taux des prélèvements obligatoires n'a pas diminué entre 1997 et 2002. Il a
même atteint un record historique en 1999. Les plus-values de recettes dues à
la croissance ont été détournées pour financer les 35 heures et diverses
dépenses de fonctionnement.
Tout cela a été très bien décrit dans le rapport et souligné par l'ensemble
des orateurs qui m'ont précédé.
Je voudrais, pour ma part, faire un constat, souligner un risque et formuler
un souhait.
Le constat, c'est que notre fiscalité est devenue si complexe qu'il est
aujourd'hui très difficile d'expliquer les modalités et la finalité de la
multitude d'impôts et taxes dont les contribuables doivent s'acquitter. La
notion de prélèvements obligatoires est elle-même particulièrement compliquée
puisqu'elle englobe les cotisations UNEDIC tout en excluant certaines taxes
pourtant bien connues par nos concitoyens telles que la redevance pour
l'audiovisuel.
Le risque, dans ces conditions, c'est que notre débat sur les prélèvements
obligatoires sombre dans des querelles d'experts ou se limite à des
considérations générales sur la pression fiscale et les grands équilibres, qui,
certes, sont importantes, mais restent éloignées des préoccupations de nos
concitoyens.
Le souhait, c'est que nous ne perdions pas de vue l'objectif concret des
baisses d'impôts. La politique fiscale d'un Etat doit répondre non pas à des
motivations politique ou idéologiques, mais à une analyse pragmatique de la
situation économique et sociale de notre pays.
C'est ce que n'a pas compris le précédent gouvernement. D'abord, il s'est
refusé à baisser les impôts, privant ainsi les Français des fruits de la
croissance. Puis, à partir de l'année 2000, il s'est contenté d'un saupoudrage
de mesures fiscales privilégiant l'affichage politique par rapport à
l'efficacité économique.
A l'opposé, je tiens à saluer l'approche radicalement différente du
Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. L'heure est au pragmatisme, et c'est
peut-être là que réside la principale rupture avec la gestion des années
passées.
Nous le savons tous, la France souffre d'une taxation excessive du travail et
d'une fiscalité qui, globalement, décourage l'initiative, pénalise l'emploi et
risque de contraindre nombre de décideurs à quitter notre pays et d'entreprises
à se délocaliser.
Le Gouvernement en tire les conséquences et propose des baisses d'impôts et de
charges ciblées sur l'emploi et l'initiative, malgré une conjoncture ô combien
difficile et des marges de manoeuvre très réduites sur le plan budgétaire. La
poursuite de la baisse de l'impôt sur le revenu, les mesures en faveur des
familles, l'amélioration de la prime pour l'emploi, l'achèvement de la réforme
de la taxe professionnelle et l'allégement de cette taxe pour les professions
libérales sont autant de dispositions concrètes qui vont dans le bons sens.
Ce souci de pragmatisme doit également nous conduire à examiner de nouvelles
pistes sur lesquelles je souhaiterais que le Gouvernement nous donne son
sentiment.
En matière de TVA, l'application du taux réduit aux travaux portant sur les
logements a montré son efficacité sur le terrain. Le projet de loi de finances
pour 2003 prévoit sa prorogation jusqu'à la fin de l'année prochaine,
conformément aux intentions de la Commission européenne. Je souhaiterais que le
Gouvernement nous confirme qu'il militera bien pour une pérennisation de ce
dispositif. De même, nous sommes nombreux dans cette assemblée à militer pour
une baisse du taux de la TVA dans le secteur de la restauration traditionnelle,
là encore parce qu'une telle mesure serait bonne pour l'emploi, notamment au
regard des difficultés générées par l'application des 35 heures.
Je sais que le Gouvernement a pris des initiatives en ce sens et je
souhaiterais connaître l'état d'avancement de ce dossier.
En ce qui concerne l'ISF, l'impôt de solidarité sur la fortune, nous ne devons
pas nous laisser aveugler par des considérations idéologiques, je dirai même
des propos d'un autre âge, comme ceux que j'ai entendus tout à l'heure.
L'enjeu est avant tout économique. Nous devons traiter la question de l'ISF
dans le cadre d'une réflexion globale sur l'attractivité de la France.
Le Sénat a déjà beaucoup travaillé sur cette question essentielle. Je veux
notamment citer, à mon tour, l'excellent rapport d'information de nos collègues
MM. Denis Badré et André Ferrand, qui a été conforté par le rapport de M.
Charzat à l'Assemblée nationale, sur l'expatriation des compétences, des
capitaux et des entreprises.
Notre pays souffre de nombreux handicaps, à commencer par une pression fiscale
excessive. La baisse des prélèvements obligatoires voulue par le Gouvernement
de Jean-Pierre Raffarin s'inscrit dans la durée. Ainsi, le programme
pluriannuel prévoit de ramener la pression fiscale de 45 % du produit intérieur
brut en 2001 à 44,1 % en 2006, voire à 43,8 %, selon le scénario de croissance
retenu, si j'ai bien compris ce que m'a expliqué, hier, notre éminent collègue
M. Philippe Marini.
Mais le véritable enjeu de la compétitivité, ce n'est pas de faire plus
qu'hier, c'est de faire mieux qu'ailleurs.
Au sein de l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement
économiques, la France figure parmi les pays dans lesquels la part des
prélèvements obligatoires dans la richesse nationale est la plus élevée. Nos
principaux partenaires européens, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Espagne et
même l'Italie, font mieux que nous en la matière.
Le Royaume-Uni, par exemple, a remporté un certain nombre de succès sur le
front de la croissance et du chômage. Or son taux de pression fiscale ne
représentait que 37,7 % du PIB en 1999, contre 45,5 % en France. Ce n'est
sûrement pas une coïncidence !
L'étude présentée hier par l'Institut de l'entreprise dont le président est
l'ancien directeur général des impôts, M. Robert Baconnier, souligne le risque
d'isolement de la France en matière fiscale. Afin d'éviter des délocalisations
lourdes de conséquences sur l'emploi, nous devons absolument mettre en oeuvre
une politique fiscale qui se rapproche le plus possible de celles que mènent
nos partenaires européens. Sinon, la construction européenne se retournera
contre nous. Or nous voulons tous une construction harmonieuse de l'Europe.
Nous ne pourrons pas être compétitifs sur le plan économique si nous ne le
sommes pas sur le plan fiscal.
Pour accroître l'attractivité de la France, notre commission des finances juge
prioritaire d'harmoniser l'assiette et le taux de l'impôt sur les sociétés, de
rendre moins pénalisante la fiscalité patrimoniale et de faire en sorte que
notre système fiscal soit plus lisible et plus stable. Ce sont des pistes qui
méritent d'être explorées, là encore avec pragmatisme, dans la durée et avec
ouverture d'esprit.
Enfin, en matière de fiscalité locale, je voudrais insister sur la nécessité
de bien mesurer l'effet que pourraient avoir certaines réformes sur le
terrain.
Nous venons d'achever l'examen d'un texte ambitieux qui révise la Constitution
et ouvre de nouvelles perspectives en matière de décentralisation et
d'autonomie financière des collectivités territoriales. Mais les grands
principes ne doivent pas nous faire oublier les problèmes auxquels sont
confrontés quotidiennement les élus locaux.
Notre commission des finances vient de procéder à de très importantes et
intéressantes auditions sur le thème de la fiscalité locale. Elles permettent
d'éclairer le débat et de dégager des pistes de réforme, mais elles mettent
aussi en évidence les conséquences indirectes de certaines réformes sur le
terrain.
C'est le cas de la suppression de la part salaire de la taxe professionnelle,
qui a entraîné des changements dans les politiques fiscales et foncières des
collectivités locales : certaines préfèrent désormais accueillir sur leur
territoire des logements neufs plutôt que des entreprises de main-d'oeuvre, par
exemple !
En conclusion, je me félicite de ce que pour la première fois soit organisé,
en amont de la discussion budgétaire, un débat sur les prélèvements
obligatoires et leur évolution. Ce débat doit nous donner l'occasion d'examiner
l'architecture et la pertinence des différents prélèvements, sans
a
priori
et, encore une fois, avec pragmatisme.
C'est le chemin tracé par la loi organique, c'est aussi celui sur lequel s'est
engagé le Gouvernement. A nous, demain, d'en faire le meilleur usage, dans
l'intérêt de nos concitoyens, c'est-à-dire dans le sens de l'initiative, de la
croissance et de l'emploi.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Michel Sergent.
M. Michel Sergent.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, la loi organique relative aux lois de finances votée l'année
dernière réforme profondément notre droit budgétaire pour tenter d'y introduire
plus de transparence et de sincérité. C'est pourquoi je salue l'initiative du
Gouvernement d'avoir appliqué l'article 52 de la loi organique, qui permet
l'organisation de ce débat.
Toutefois, nous devons être lucides et considérer que sa portée effective
dépendra surtout de la volonté du Parlement et du Gouvernement d'en respecter
l'esprit tout autant que la lettre : les meilleurs outils de réforme
n'aboutissent qu'aux pires résultats s'ils ne sont pas accompagnés d'une réelle
sincérité.
Or, force est de constater que l'actuel gouvernement n'a pas respecté le
principe de sincérité budgétaire dans le projet de loi de finances
rectificative pour 2002, ce qui augure mal de l'avenir.
En effet, il a fait voter au Parlement des ouvertures de crédits à hauteur de
plusieurs milliards d'euros pour en geler l'utilisation onze jours plus tard.
Le mobile de cette manoeuvre de votre gouvernement, mes chers collègues de la
majorité, était clairement d'aggraver le déficit de l'Etat, présenté comme le
résultat de la gestion de Lionel Jospin, et de vous ménager une certaine
liberté pour le reste de l'année 2002.
Lorsque l'on sait que le Gouvernement a déjà annoncé des gels de crédits pour
le début de l'année 2003, alors que le budget n'est même pas encore voté, on
peut légitimement se demander si, pendant cinq ans, le Parlement ne va pas
devoir se contenter d'examiner des budgets virtuels. Ce serait, vous en
conviendrez, mes chers collègues, pour le moins humiliant pour le Sénat, dont
la majorité vient juste de battre en retraite sur la révision constitutionnelle
en cédant aux exigences du Gouvernement.
La loi organique entrera progressivement en vigueur, jusqu'au 1er janvier
2006. Aujourd'hui, nous débattons pour la première fois - je le répète -, en
application des dispositions de son article 52, sur le rapport déposé par le
Gouvernement et relatif aux prélèvements obligatoires.
Ce débat constitue un préalable utile, sinon indispensable, à l'examen du
projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité
sociale. En nous donnant la possibilité d'apprécier l'ensemble des prélèvements
obligatoires, c'est-à-dire ceux de l'Etat, des collectivités territoriales et
de la sécurité sociale, voire de l'Europe, il nous permet de rétablir l'unité
de la politique financière de la nation, politique éclatée essentiellement
entre les deux projets de loi que je viens de nommer.
Toutefois, la notion de taux de prélèvements obligatoires revêt une importance
et un intérêt qu'il convient dès à présent de relativiser. En effet, elle
repose sur des conventions qui simplifient la réalité pour la rendre plus
facilement quantifiable. Dès lors, il convient de ne pas faire dire aux
prélèvements obligatoires ce qu'ils ne peuvent pas dire.
Ainsi, il serait erroné de considérer que les prélèvements obligatoires des
collectivités territoriales reflètent fidèlement l'effort consenti par le
contribuable en faveur de celles-ci. En effet, ils s'élèvent à 5,1 % du PIB,
alors que les dépenses des collectivités représentent plus de 10 % du PIB. La
différence est essentiellement comblée par les dotations de l'Etat aux
collectivités territoriales, dotations financées par le contribuable national
et, à ce titre, considérées comme des prélèvements obligatoires de l'Etat et
non des collectivités territoriales.
Par ailleurs, il est délicat de réaliser des comparaisons internationales
portant sur les prélèvements obligatoires qui soient significatives. En effet,
en cas de financement privé de la protection sociale, comme aux Etats-Unis, le
taux des prélèvements obligatoires est évidemment plus faible.
Les prélèvements obligatoires constituent donc un sujet complexe qui nécessite
des analyses approfondies. Or, je trouve le rapport du Gouvernement incomplet,
mes chers collègues, et, à ce titre, insatisfaisant, car il ne donne qu'une
image quantitative des prélèvements obligatoires et non une image qualitative.
Il ne permet pas de distinguer au sein des prélèvements obligatoires, ceux qui
pèsent sur les ménages et ceux qui pèsent sur les entreprises. Il ne distingue
pas davantage les prélèvements obligatoires selon qu'ils sont progressifs,
proportionnels ou dégressifs.
En conséquence, il serait souhaitable, monsieur le ministre, que le rapport du
Gouvernement soit désormais plus dense. Toutefois, je conçois bien que, cette
année, c'était une première !
Une analyse plus complète aurait notamment permis de faire apparaître que les
prélèvements obligatoires progressifs - l'impôt sur le revenu - ne représentent
en France que 17,4 % de l'ensemble des prélèvements obligatoires, contre 24 %
en moyenne dans l'Union européenne, comme le souligne le rapporteur général de
l'Assemblée nationale, Gilles Carrez. Et puisque l'on veut rejoindre le
standard européen en matière d'impôt sur les sociétés, pourquoi ne pas aller
plus loin et essayer d'en faire de même en matière d'impôt sur le revenu ?
Il s'agit là d'un démenti cinglant pour le Gouvernement, qui soutient que
l'impôt sur le revenu est trop important en France. La réalité, mes chers
collègues, c'est qu'il est moins important que dans la plupart des pays
européens ! En outre, le Gouvernement a réduit l'impôt sur le revenu, en 2002,
selon des modalités injustes : 10 % des Français, les plus aisés, bénéficient
de 70 % des 2,5 milliards d'euros d'économie fiscale. C'est à juste titre que
la presse s'en est largement émue.
Pour le groupe socialiste, la réduction des prélèvements obligatoires ne
saurait être un objectif politique en soi, même s'il est incontestable que la
concurrence internationale nous invite à avancer sur cette voie. C'est
d'ailleurs ce qu'a fait, avec détermination et succès, le gouvernement de
Lionel Jospin.
Toutefois, l'attractivité d'un pays ne se résume évidemment pas à son taux de
prélèvements obligatoires ; de même, un taux faible n'est pas la garantie du
développement économique, comme le prouvent l'exemple de la plupart des pays
sous-développés et,
a contrario
, celui des pays nordiques, mais aussi,
dans une moindre mesure, de l'ensemble des pays européens. Comment, en effet,
ne pas relever que le Japon, où le taux de prélèvements obligatoires est de 27
%, connaît depuis près de dix ans des difficultés économiques considérables ?
Et ce n'est peut-être pas un hasard si les pays entrés dans l'Union européenne
en connaissant un retard de développement et de faibles prélèvements
obligatoires se sont rapprochés, sur ces deux points, de la moyenne
européenne.
En définitive, comme le souligne le rapporteur général de l'Assemblée
nationale, « l'ampleur des prélèvements obligatoires n'est ainsi que la
conséquence de choix politiques ».
Ce qui importe vraiment, c'est l'efficacité des services publics. Car, si le
Gouvernement diminue les prélèvements obligatoires, comme il s'apprête à le
faire, c'est la qualité des services publics qui sera remise en cause. Le
bénéfice sera nul pour les Français, comme il le sera également nul pour
l'économie, car l'intérêt des entreprises est, bien sûr, d'avoir des salariés
bien formés et en bonne santé, ou encore de bénéficier d'infrastructures
performantes.
Je répète ce que j'indiquais hier devant la commission des finances : on
constate au Royaume-Uni un taux de prélèvements obligatoires inférieur de 5
points à celui que nous connaissons. La différence est due aux prélèvements
sociaux. Mais sommes-nous prêts, en France, à attendre trois ou quatre semaines
pour une consultation médicale chez un généraliste ? Sommes-nous prêts à
admettre qu'après l'âge de soixante-quinze ou quatre-vingts ans on ne puisse
être opéré d'une cataracte, ...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ce n'est pas ce que nous proposons !
M. Michel Sergent.
... puisque, c'est évident, il n'est plus utile de bien voir à cet âge-là, de
pouvoir lire ou regarder la télévision !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Mais qui propose ces horreurs ?
M. Michel Sergent.
Elu du Pas-de-Calais, je puis vous assurer que les médecins et les hôpitaux de
mon département reçoivent de multiples patients anglais, qui apprécient
vraiment notre système de santé.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Nous recevons leurs malades et nous leur envoyons nos
médecins !
M. Michel Sergent.
Croyez-vous que les Français soient prêts à y renoncer ?
Le rapport du Gouvernement indique que, pour 2002, les changements de
législation représentent une baisse des prélèvements obligatoires de 0,5 point
de PIB. La politique de l'actuel gouvernement contribue à cette baisse à
hauteur de 0,2 point de PIB, celle du précédent gouvernement à hauteur de 0,3
point. Ainsi constate-t-on que les engagements électoraux du chef de l'Etat
sont mis en oeuvre modestement. Certes, une rupture est intervenue après le 7
mai 2002, mais elle va dans le sens d'un amoindrissement des mesures
d'allégement des impôts. Les Français apprécieront !
Quant à 2003, la baisse des prélèvements obligatoires représentera seulement
2,9 milliards d'euros, soit 0,2 point de PIB, et encore, à la condition que
l'invraisemblable prévision de 2,5 % de croissance du PIB se réalise !
Le rapport du Gouvernement, très intéressant sur ce point, montre que, de 1997
à 2002, la précédente majorité a pris des mesures de réduction des prélèvements
obligatoires représentant 2,5 points de PIB, soit en moyenne 0,5 point par an.
Je vous rappelle, mes chers collègues, qu'en 2003, la réduction ne sera que de
0,2 point. En conséquence, il vous faudra changer de rythme, monsieur le
ministre, chers collègues de la majorité, si vous souhaitez diminuer les
prélèvements obligatoires autant que nous l'avons fait avant vous !
(Exclamations sur les travées du RPR.)
En outre, il apparaît déjà clairement que votre majorité ne pourra pas tenir
ses engagements électoraux de baisser les prélèvements obligatoires de 30
milliards d'euros en cinq ans. En effet, le Gouvernement n'a prévu que 15
milliards d'euros de réduction des prélèvements obligatoires pour les années
2002 à 2006, et encore, sous réserve que la croissance soit de 2,5 % par an en
moyenne, ce qui est d'ores et déjà exclu pour 2003. En 2007, il faudrait donc
réduire les prélèvements obligatoires autant qu'au cours des quatre années
précédentes ; or cette année coïncidera également avec le retour obligé à
l'équilibre du budget de l'Etat !
Le Gouvernement pourra-t-il tenir ses engagements ? On peut légitimement en
douter. François Bayrou avait bien raison de qualifier de « promesses
mirobolantes » l'engagement qu'a pris le chef de l'Etat de diminuer les
prélèvements obligatoires de 30 milliards d'euros.
Confronté à l'irréalisme de ses promesses, le Gouvernement tente de s'en
sortir par des substitutions : baisse de l'impôt sur le revenu, certes, mais
hausse de l'impôt sur l'essence et, sans aucun doute, de la fiscalité locale.
Mais les Français, malgré une communication gouvernementale effrénée, ne s'y
tromperont pas.
Combien de Français verront leurs impôts locaux diminuer au cours des années à
venir ? Aucun, car, ainsi qu'il nous l'a dit lui-même, M. le ministre délégué
au budget est prêt, dans le cadre de la décentralisation, à « échanger de la
liberté contre de l'argent ». Baisse des impôts de l'Etat, mais hausse des
impôts locaux : le bénéfice est nul pour les Français. La situation sera même
pire, car l'opération revient à remplacer des impôts d'Etat par des impôts
locaux injustes et inefficaces que tout le monde s'accorde à considérer comme
archaïques. Le programme pluriannuel des finances publiques indique pudiquement
que des hausses d'impôts locaux d'un montant de 3 milliards d'euros pourraient
intervenir d'ici à 2006.
M. Alain Vasselle.
Vous n'avez même pas mené à son terme la révision des bases des valeurs
locatives !
M. Michel Sergent.
La révision des bases des valeurs locatives, cher collègue, a été mise en
oeuvre en 1990. Plusieurs gouvernements s'étant succédé depuis, nous sommes
tous responsables !
M. Alain Vasselle.
Vous n'avez donc pas de leçon à donner !
M. Michel Sergent.
Si, de 1997 à 2002, le taux de prélèvements obligatoires n'a apparemment pas
diminué - je cite le rapport du Gouvernement, très pertinent sur ce point -,
c'est en raison « des plus-values fiscales conjoncturelles ainsi que du
dynamisne de la masse salariale, qui a limité très fortement la baisse du taux
de prélèvements obligatoires après mesures nouvelles entre ces deux dates. »
Or, en dépit de cet effet haussier de la conjoncture sur le taux de
prélèvements obligatoires, celui-ci est resté stable de 1997 à 2002.
Ainsi, le reproche souvent adressé au gouvernement Jospin par la droite, dans
cet hémicycle, de ne pas avoir diminué le taux des prélèvements obligatoires
était, comme le groupe socialiste n'avait cessé de la répéter, parfaitement
injuste. Si la droite s'obstinait dans cette voie, je me considérerais comme
fondé à lui faire remarquer que sa fameuse baisse de l'impôt sur le revenu
cache en réalité une hausse, puisqu'en 2003 les Français acquitteront 53
milliards d'euros - selon la loi de finances initiale -, à comparer aux 51,4
milliards d'euros - inscrits dans la loi de finances rectificative - qu'ils
auront acquittés en 2002, soit une progression deux fois supérieure à
l'inflation ; et ce, alors même que l'évolution spontanée des émissions d'impôt
sur le revenu ralentira en 2003, comme l'indique le rapport économique, social
et financier, ce qui est parfaitement cohérent avec le ralentissement de la
croissance économique.
Comment ne pas constater également que le choix des impôts que vous baissez
est révélateur de la politique économique et sociale que vous entendez mener
?
La diminution de la taxe d'habitation, impôt dégressif, ou de la TVA, impôt
proportionnel, traduit une politique de justice sociale qui vise à réduire les
inégalités et à redistribuer les richesses. Diminuer pareillement toutes les
tranches de l'impôt sur le revenu, impôt progressif, voire diminuer l'impôt de
solidarité sur la fortune, comme l'a fait ou s'apprête à le faire encore le
Gouvernement, c'est la traduction d'une politique de régression sociale qui
vise à privilégier les ménages les plus aisés.
Le groupe socialiste n'accorde donc aucune confiance au Gouvernement pour
mener une réelle réduction des prélèvements obligatoires, une réduction qui
soit socialement juste pour les Français, économiquement efficace, et
respectueuse de la qualité des services publics.
M. Roland du Luart.
Ce n'est pas très convaincant !
M. Francis Mer,
ministre.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Francis Mer,
ministre.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce
débat m'a paru riche, empreint de qualité et de franchise. C'est à travers ce
type de discussions, même si la succession des interventions ne favorise pas un
véritable échange, que nous devons, ensemble et progressivement, définir la
politique de notre pays, d'une manière aussi consensuelle et aussi responsable
que possible.
Comme l'a déclaré un intervenant, pour résumer, les prélèvements obligatoires
sont des choix politiques. C'est donc sur le plan de la politique économique,
qui d'ailleurs détermine notre politique sociale, que nous devons nous
placer.
Nous vivons dans un monde que nous ne choisissons pas mais qui,
progressivement, donne à la personne, à l'acteur économique, la possibilité de
prendre le maximum d'initiatives et de responsabilités pour bâtir son avenir.
Dans ce monde, il revient à l'Etat de créer les conditions pour que ces
initiatives contribuent au développement économique à travers la création
d'emplois. Il lui appartient également de définir, d'une manière aussi
démocratique que possible, les conditions dans lesquelles doivent s'exercer ces
activités économiques, les conditions dans lesquelles les plus faibles ou les
plus âgés ou ceux qui, à un certain moment de leur vie, rencontrent des
problèmes de santé, doivent être aidés, mais aussi responsabilisés, dans leurs
comportements et leurs choix.
C'est autour de ces idées, simples à exprimer mais plus difficiles, bien sûr,
à mettre en oeuvre, que le Gouvernement a l'intention de bâtir sa politique,
qui, progressivement, devra se traduire par une évolution du contenu et du
montant total des prélèvements obligatoires.
A cet égard, j'ai apprécié les observations positives, mais aussi les
critiques qu'a suscitées notre premier rapport. Nous chercherons, dans le
futur, à faire mieux pour que de tels documents soient l'occasion de faire le
point sur ce qui a été fait dans le passé et ce qui reste à faire dans le futur
en vue de créer les conditions d'un développement maîtrisé de notre activité et
du maintien des conditions de vie des Français.
Dans ce contexte, je crois constater un consensus quasi général, non pas sur
la volonté systématique de détruire tout ce qui existe dans notre pays - loin
de là notre pensée ! - mais sur la volonté de redonner du dynamisme grâce à la
notion d'initiative, qui lie le développement à la responsabilité, sans oublier
bien entendu ceux qui sont moins concernés par ce développement. Ce consensus
nous permettra d'accroître le rythme de développement de notre pays, tout en
abaissant les prélèvements obligatoires, au profit d'une liberté plus grande
dans l'utilisation de la richesse créée.
Il est une idée de fond qu'il nous faut partager : bien sûr, il ne s'agit pas
de baisser systématiquement, pour le principe, les prélèvements obligatoires,
il s'agit de créer les meilleures conditions possibles de vie en commun, chaque
acteur économique gardant la liberté de contribuer comme il l'entend à la
croissance économique.
Sur ce plan-là, nous sommes bien d'accord. Mais, pour ce faire, il nous
reviendra d'assumer des responsabilités non seulement en direction de la
population actuelle, mais également à l'égard de la population future. Il
convient en effet de ne pas tirer de chèques sur l'avenir à travers une
politique qui privilégierait trop les acteurs présents au détriment des
générations à venir.
A cette fin, j'ai cru déceler chez de nombreux intervenants, chez M. Marini
notamment, le souci d'édifier un contrat de confiance entre le Gouvernement et
le Parlement. Je considère en effet qu'une relation de confiance doit s'établir
entre le Parlement et le Gouvernement chargé de mener la politique générale sur
laquelle il a engagé sa responsabilité. Cette relation est importante,
notamment lorsqu'il s'agit de baisser les impôts et de réformer l'Etat pour
qu'il fonctionne mieux.
Ce contrat devra jouer dans les deux sens, bien sûr, puisque le Gouvernement
aura besoin du soutien d'une majorité parlementaire aussi transparente et
responsable que possible pour maîtriser les dépenses et réduire les déficits,
car il est plus facile de promettre et de dépenser que de juguler la dette.
J'en viens à un autre aspect que nombre d'entre vous ont évoqué, notamment MM.
Arthuis et Vasselle. Il s'agit de la complexité des relations financières entre
les différentes administrations, y compris entre l'Etat et la sécurité sociale.
J'avoue avoir découvert avec surprise cet écheveau de relations n'ayant pas la
moindre justification si ce n'est celle de « bricoler » pour faire passer de
droite à gauche telle ou telle dépense, sachant qu'au bout du compte le
résultat consolidé ne change en rien.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Absolument !
M. Francis Mer,
ministre.
Or seul doit compter, face à nos responsabilités pour le
présent et l'avenir, la notion de bilan consolidé, tout au moins de résultat
consolidé.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est clair !
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Bien sûr !
M. Francis Mer,
ministre.
Nous n'avons pas encore de bilan. Nous arriverons peut-être un
jour à créer les conditions pour que les pays aient un bilan ; il suffirait de
le vouloir d'ailleurs. En tout cas, le compte d'exploitation de la France doit
être un compte consolidé.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bien !
M. Francis Mer,
ministre.
Au demeurant, il ne me paraît vraiment pas utile de continuer à
pratiquer les manipulations et à monter les tuyauteries que nombre d'entre vous
aviez dénoncées à juste titre. Cela ne sert strictement à rien, sinon à
dissimuler la vérité et à renvoyer sur d'autres ce que l'on ne veut pas voir
chez les uns.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bien !
M. Francis Mer,
ministre.
Dans ce contexte, nous allons essayer, de manière aussi
méthodique et systématique que nécessaire, ce qui prendra plus ou moins de
temps, de « ranger les pots de confiture », c'est-à-dire d'y voir clair, y
compris bien sûr dans les relations entre l'Etat et la sécurité sociale. Les
choses doivent absolument être suffisamment simples pour être comprises,
d'abord par nous et, si possible, ensuite, par les Français.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Ce serait mieux, en
effet !
M. Francis Mer,
ministre.
Vous l'avez dit à juste titre : pour que l'impôt soit accepté
par les Français, il faut qu'il soit clair, que l'on comprenne à quoi il sert.
Or, dans le système complexe dans lequel nous sommes, je défie quiconque - y
compris d'ailleurs dans cette assemblée - d'avoir une réelle maîtrise des
origines et des emplois des fonds.
Je pense que cette simplification est possible. Il faut simplement en avoir la
volonté. Nous allons nous y atteler, et nous réussirons, même si les choses
n'iront sans doute pas assez vite à votre goût, mesdames, messieurs les
sénateurs.
Un de nos objectifs majeurs est d'expliquer suffisamment simplement les choses
aux Français pour qu'ils les comprennent et donc les acceptent. Je pars de
l'idée que tous les Français sont parfaitement capables de comprendre ce que
nous leur proposons, à condition de ne pas leur présenter un paysage trop
brouillé et totalement incompréhensible.
Plusieus d'entre vous ont, à juste titre, insisté sur les problèmes
d'attractivité fiscale. Mesdames, messieurs les sénateurs, ôtons-nous de
l'esprit que notre objectif soit d'entrer en compétition fiscale avec n'importe
quel pays du monde ! Ce serait, paraît-il, ce que le Gouvernement aurait en
tête ! Ce n'est absolument pas vrai.
Ce que nous avons en tête, c'est une appréhension pragmatique de la réalité.
Or le point essentiel est que notre activité économique s'exerce dans le
contexte du marché européen, un marché qui va prochainement s'élargir.
Dès lors, s'il n'est évidemment pas question d'entrer en compétition fiscale
avec les Américains ou avec les Chinois, nous avons intérêt à faire en sorte
que, en termes d'attractivité économique, notre position fiscale vis-à-vis de
nos partenaires européens ne soit pas trop défavorable. A défaut, nous
créerions les conditions pour que de plus en plus d'activités quittent la
France et aussi pour que des activités soient dissuadées de s'y implanter, même
si cela est pratiquement impossible à mesurer.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Absolument !
M. Francis Mer,
ministre.
Quelques-uns d'entre vous ont implicitement critiqué la manière
un peu brutale dont certaines directions du ministère de l'économie et des
finances apprécient les conséquences, positives ou négatives, de telle ou telle
modification fiscale. Je veux les rassurer : même au ministère de l'économie et
des finances, nous savons calculer en termes dynamiques. En tout cas, je
veillerai personnellement à ce que les effets de toutes les propositions de
baisse d'impôt soient mesurés au regard non seulement des pertes de recettes
que ladite baisse provoque mécaniquement mais aussi des revenus supplémentaires
ainsi générés et donc, éventuellement, des rentrées fiscales nouvelles.
C'est ainsi que la mesure qui a consisté à appliquer le taux de TVA de 5,5 %
en matière de logement a été envisagée de manière dynamique, en présumant que
des travaux qui étaient réalisés mais qui n'étaient pas déclarés le seraient
désormais et que, globalement, les entreprises du bâtiment verraient leur
activité stimulée.
Or nous savons aujourd'hui - des données statistiques le montrent - que la
baisse des rentrées fiscales mécaniquement induites par le passage du taux
normal au taux réduit est, pour une large part, compensée par les créations
d'emplois et les rentrées fiscales auxquelles cette mesure a donné lieu.
Globalement, nous avons estimé à 45 000 le nombre de créations d'emplois liées
à cette mesure fiscale, ce qui est tout de même significatif.
Nous sommes évidemment déterminés non seulement à reconduire cette mesure en
2003 mais surtout à la rendre définitive, ce qui ne devrait pas poser de
problèmes particuliers.
Je dois dire au passage que j'ai écouté avec intérêt certaines réflexions
concernant les taux intermédiaires de TVA. Bien sûr, il nous faudrait dégager
un consensus européen sur le sujet, mais je crois qu'il serait très bénéfique
de sortir de cette alternative très stricte - ou « tout noir » ou « tout blanc
» - entre le taux de 5,5 % et celui de 18,6 % : une conception moins tranchée
du taux de TVA nous permettrait d'être plus dynamiques, en menant une politique
légèrement différente quant à la fixation des taux de TVA.
Toujours à propos de la TVA, je tiens à vous signaler que j'ai personnellement
pris en main le dossier de la restauration. Je ne manque pas une occasion de
rappeler l'importance que nous y attachons, tant auprès de la Commission
qu'auprès des autres Etats européens.
Ayant eu le plaisir de rencontrer le président de la Fédération de la
restauration, célèbre restaurateur s'il en est, j'ai pu constater que nous
étions d'accord sur l'idée - je lui ai d'ailleurs demandé de la diffuser dans
sa propre fédération - selon laquelle il conviendrait de profiter de la
diminution du taux pour modifier l'offre de services de restauration en France,
afin de tenter de combler au moins partiellement le handicap que nous
enregistrons dans ce domaine par rapport à certains pays où cette activité
connaît un essor plus soutenu.
Si, en matière de restauration, nous adoptions un modèle « à l'américaine »,
en termes d'offre et de comportement des consommateurs, cela induirait - ne
prenez pas à la lettre cet élément, que je vous livre en quelque sorte « brut
de décoffrage » - un doublement du nombre des emplois dans cette activité, soit
la création de 800 000 emplois, ce qui, au moins sur le plan économique,
constituerait évidemment une réussite.
De manière plus réaliste, je dirai que l'activité de la restauration en France
doit réfléchir à une modification en profondeur des conditions de l'offre,
adopter une dynamique entrepreneuriale et rompre avec des pratiques un peu trop
traditionnelles.
D'une façon générale, nous devons réagir face à la dégradation progressive de
l'attractivité de notre pays par rapport à nos voisins européens. Nous le
ferons notamment à travers un projet de loi sur l'initiative économique, qui
traitera de la création et de la transmission d'entreprise et qui vous sera
présenté dans les prochains mois par Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux
petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions
libérales et à la consommation. Nous y intégrerons sans doute un certain nombre
de dispositions relatives à la fiscalité du patrimoine, de manière à faciliter
la transmission et à ne pas pénaliser l'emploi.
Par ailleurs, pour améliorer l'attractivité économique du territoire, nous
avons l'intention de vous présenter, également au cours du premier semestre de
2003, un projet de loi sur les différents aspects de l'innovation, qui
comportera notamment une disposition relative à une réappréciation du crédit
impôt-recherche. Vous le savez, dans le monde actuel, au-delà du comportement
spontané des consommateurs, l'innovation et le renouvellement de l'offre sont
essentiels à la croissance.
Avant de conclure, je veux répondre à M. Vasselle sur la TACA, la taxe d'aide
au commerce et à l'artisanat.
Je le rassure tout de suite : la TACA ne pose pas de problème sur le plan
communautaire, car cette taxe sur le chiffre d'affaires des grandes surfaces
n'est pas assorti, contrairement à la TVA, d'un système de déduction.
D'autre part, la budgétisation de la TACA prévue dans le projet de loi de
finances pour 2003 s'inscrit dans la logique de la loi organique. J'ajoute
qu'elle a été réclamée à plusieurs reprises par la Cour des comptes.
En conclusion, je reconnaîtrai avec la majorité d'entre vous que, outre le
problème du niveau des prélèvements obligatoires, se pose aussi celui de leur
complexité. Nous allons faire le maximum, y compris dans le domaine fiscal,
pour adopter une présentation plus compréhensible, tout en supprimant sans
doute un certain nombre d'impôts dans la mesure où ils sont obsolètes ou très
peu rentables par rapport à leur coût de perception.
La simplification de notre système fiscal n'est, au demeurant, qu'un exemple
des mesures de simplification de la vie économique, de la vie de nos
entreprises, de celle des collectivités locales. Mon expérience professionnelle
m'a en effet montré que les régimes simples, clairs, lisibles sont ceux qui
permettent aux entreprises et aux collectivités de mieux travailler. Ainsi
pourra-t-on non seulement mieux vivre en France, mais aussi mieux y
entreprendre. (
Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bien !
Mme Marie-Thérèse Boisseau,
secrétaire d'Etat aux personnes handicapées.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme Marie-Thérèse Boisseau,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, à mon tour, je veux vous dire tout l'intérêt que j'ai trouvé à
écouter les différentes interventions dans ce débat essentiel sur les
prélèvements obligatoires.
Plusieurs d'entre vous, notamment M. Vasselle et Marini, ont rappelé l'extrême
nécessité de bien gérer la sécurité sociale. Je puis vous assurer que le
Gouvernement partage cette préoccupation. La réforme lancée par M. Mattei dans
le domaine de la santé en est un signe fort. Il faut assurer à nos concitoyens
un système de soins de qualité, mais il faut aussi réduire les gaspillages :
c'est nécessaire et c'est possible !
Le débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale sera
l'occasion d'en discuter. Il sera aussi l'occasion de préciser notre politique
en faveur des personnes handicapées, d'améliorer la qualité de nos
établissements et la pertinence de l'utilisation des deniers publics, comme
l'ont demandé avec force MM. Arthuis et About.
Dans le domaine des retraites, le Gouvernement mènera une large concertation
au cours du premier ministre de 2003 pour aboutir à une réforme avant l'été.
Cette réforme a été retardée par le gouvernement précédent alors qu'elle est
attendue avec impatience, nous le savons tous, par nos concitoyens, car elle
est indispensable pour assurer la viabilité des régimes de retraite.
Je tiens à vous rassurer, madame Beaudeau : le but est non de démanteler la
sécurité sociale, mais bien de la sauver de cet état déplorable dans laquelle
nous l'avons trouvée. Réfléchir sur la place respective des régimes
complémentaires et des régimes obligatoires n'est pas privatiser la sécurité
sociale. Vous l'avez vous-mêmes fait lors de la mise en place de la CMU
complémentaire en reconnaissant que les régimes complémentaires étaient des
partenaires indispensables.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Absolument !
Mme Marie-Thérèse Boisseau,
secrétaire d'Etat.
Cette réforme passe par la responsabilisation de tous
les acteurs : l'Etat, les gestionnaires de la sécurité sociale, les assurés
sociaux, les professionnels de la santé et les patients. Cette
responsabilisation nécessite, comme l'a dit M. Mer, la transparence et la
clarté des comptes.
C'est pour cette raison que le Gouvernement souhaite démanteler l'incroyable
tuyauterie mise en place les années précédentes. Ce démantèlement, hélas ! ne
peut pas se faire en une année, mais c'est un objectif ferme du Gouvernement
pour les prochaines années. Il souhaite le préparer avec vous, notamment au
sein d'un groupe de travail réunissant des parlementaires des commissions des
finances et des affaires sociales des deux assemblées et les ministères
concernés.
L'objectif est clair. Le Gouvernement est déterminé. Nous avons une obligation
de résultat vis-à-vis de nos concitoyens.
(Applaudissements sur les travées
des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le
numéro 55 et distribuée, et, par ailleurs, mise en ligne sur le site Internet
du Sénat.
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