SEANCE DU 8 JANVIER 2002


M. le président. La parole est à M. Renar, auteur de la question n° 1212, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en juin dernier, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie annonçait le projet de rapprochement de la Caisse des dépôts et consignations et des caisses d'épargne au sein d'une holding. Pour parler franchement, en ce début d'année, les éléments d'information en notre possession, même s'ils restent insuffisants, n'ont guère levé nos doutes et nos craintes sur les objectifs réels de ce projet et sur ses conséquences.
La création d'« Eulia » - c'est désormais le nom de l'opération - a pour objet le regroupement des activités concurrentielles de la Caisse des dépôts et consignations et des caisses d'épargne pour les orienter vers les marchés financiers.
De fait, la Caisse des dépôts et consignations et les caisses d'épargne sont deux véritables institutions de notre pays qui occupent une place singulière essentielle pour le financement des activités publiques et d'intérêt général. Depuis deux siècles, ces deux institutions poursuivent une coopération tout à fait originale : la première centralise l'épargne populaire collectée par la seconde pour l'utiliser, pour l'Etat et les collectivités locales, au financement d'actions d'utilité publique.
La Caisse des dépôts et consignations est l'un des plus grands investisseurs publics dans des domaines aussi variés que le logement, les infrastructures et les transports, l'équipement des collectivités locales, l'aménagement du territoire. C'est également le plus grand bailleur du logement social français.
On mesure les conséquences de l'irruption des intérêts privés dans ces sphères d'activités, car nous savons bien que la satisfaction de l'intérêt général est rarement au coeur de leurs priorités.
Une enquête récente de la Banque de France mettait en évidence les difficultés que rencontrent les PME pour obtenir des prêts auprès des banques. Qu'en sera-t-il demain pour les communes, surtout les plus petites, celles qui sont jugées moins solvables ?
Les dangers existent également pour les clients, ceux des caisses d'épargne et de La Poste. Nous savons en effet que les services financiers de La Poste sont appelés, à terme, à intégrer ce nouveau pôle financier. La Poste et les caisses d'épargne rassemblent l'essentiel des comptes de clients « modestes », titulaires de comptes à faibles revenus, jugés non rentables par les autres institutions. Ces deux établissements représentent l'essentiel du réseau bancaire des petites communes. Par ailleurs, 40 % de ces communes qui ont un bureau de poste ne disposent pas d'un établissement bancaire.
On sait depuis longtemps que les regroupements signifient non pas multiplication des structures, mais bien fermeture de bureaux, réduction des activités et suppression d'emplois.
Les personnels de ces entreprises ont bien raison de s'inquiéter.
Le Gouvernement avait annoncé, voilà deux ans, lors de la discussion du projet de réforme des caisses d'épargne, sa volonté de constituer un vétitable pôle public financier, afin de permettre le développement d'une nouvelle grande mission de service public de l'épargne et du crédit au service de l'emploi et de la formation. Or ce projet tourne totalement le dos à cet objectif et s'apparente davantage à une privatisation supplémentaire. Ses conséquences, que j'ai évoquées, sont trop graves à tout point de vue pour qu'il soit réalisé sans véritable concertation et sans débat.
Je pense que ce projet doit être gelé et que toutes les dispositions doivent être prises pour engager un véritable débat national sur la place et le rôle d'un pôle financier public, conforme aux engagements gouvernementaux de 1999.
Je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, de bien vouloir me préciser les intentions du gouvernement à ce sujet.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur. Monsieur le sénateur, la constitution d'Eulia, le 11 décembre dernier, crée le troisième groupe bancaire français. Le projet industriel de la Caisse des dépôts et consignations et du groupe des caisses d'épargne contribue au renforcement du pôle financier public fort que nous appelons de nos voeux et qui est le garant de l'intérêt général comme des intérêts des salariés de ces entreprises.
Le rapprochement concerne exclusivement les activités bancaires et financières des deux groupes qui se situent, vous l'avez noté, dans le champ concurrentiel. Il constitue le prolongement de la création de CDC-Ixis, autorisée par le Parlement lors de l'adoption de la loi relative aux nouvelles régulations économiques. La société commune sea détenue à 50,1 % par la Caisse des dépôts et consignations et à 49,9 % par le groupe des caisses d'épargne.
Le groupe des caisses d'épargne apporte à la société commune l'activité financière de la Caisse nationale des caisses d'épargne, 40 % du Crédit foncier de France, son pôle immobilier et ses activités dans le domaine de l'assurance dommages. La Caisse des dépôts et consignations apporte de son côté 53 % de CDC-Ixis, sa banque d'investissement avec ses participations.
Le troisième grand acteur du pôle financier public, La Poste, est un partenaire de longue date de la Caisse des dépôts et consignations et du groupe des caisses d'épargne, notamment au sein de la Caisse nationale de prévoyance, la CNP, dont elle est un actionnaire important et dont elle assure la distribution des produits. Elle partage aussi le monopole de la collecte du Livret A avec les caisses d'épargne. Sa place dans le pôle financier public est naturelle en raison de sa contribution de fait en matière d'aménagement du territoire et de son rôle avéré dans les zones urbaines sensibles.
Le Gouvernement souhaite conforter l'activité des services financiers de La Poste. Celle-ci devra naturellement trouver une articulation avec Eulia et ses deux principaux actionnaires, la Caisse des dépôts et consignations et le groupe des caisses d'épargne. Les travaux d'élaboration du nouveau contrat de plan entre La Poste et l'Etat seront l'occasion de mener une réflexion sur ce sujet.
S'agissant des missions d'intérêt général des deux groupes, la constitution d'Eulia, loin de les marginaliser, permettra de les renforcer non seulement en regroupant plus clairement des activités purement concurrentielles, mais aussi en apportant aux deux groupes des moyens nouveaux au service de l'intérêt général.
Le Gouvernement a, pour sa part, régulièrement exprimé sa confiance dans la vocation d'intérêt général du pôle financier public : la Caisse des dépôts et consignations assure désormais le monopole de collecte des dépôts des notaires ; elle joue un rôle central dans la politique de la ville, notamment au travers du fonds de renouvellement urbain, doté de 3 milliards de francs. La loi lui a confié la gestion administrative de l'établissement public Fonds de réserve pour les retraites et le Gouvernement a décidé, en juillet 2000, l'extension des emplois des fonds d'épargne à des emplois d'intérêt général dans le secteur de l'environnement, des transports urbains et de la politique de la ville. Enfin, lors du comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire du 9 juillet dernier, le financement des réseaux à haut débit lui a été affecté.
Le groupe des caisses d'épargne conserve, pour sa part, l'exercice de ses missions d'intérêt général telles qu'elles lui sont conférées par la loi de 1999 portant réforme des caisses d'épargne.
Ces quelques exemples illustrent le renforcement du pôle financier public et semi-public s'appuyant de manière équilibrée, nous semble-t-il, sur ces deux piliers. C'est tout le sens de la création d'Eulia.
M. Ivan Renar. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, de votre réponse, qui n'apaise cependant pas totalement mes craintes. En effet, vous avez terminé en parlant de pôle financier « public et semi-public », j'ajouterai : « privé ».
Ce que je crains, c'est que l'orientation totalement nouvelle donnée à ce pôle public ou semi-public ne se traduise, à très court terme, par la primauté de l'intérêt privé, rentable rapidement, au détriment des missions de service public et d'intérêt général, avec pour conséquences - on le voit déjà avec La Poste - des emplois en moins, des agences et des bureaux supprimés, des clients modestes ignorés, des coûts financiers supplémentaires importants pour les collectivités, quand il ne s'agira pas de l'impossibilité, pour les plus petites d'entre elles, de trouver l'argent nécessaire à la réalisation de leurs investissements.
On peut donc craindre que, progressivement, l'Etat ne se prive de ses propres instruments de développement économique et social.
Le statu quo est-il une solution ? Non ! Il faut réformer, non pas en privatisant, mais en mettant sur pied un vrai pôle public financier, qui pourrait être chargé de développer une mission nouvelle de service public pour l'emploi et la formation et d'encourager réellement les investissements.
Le pôle actuel Eulia peut être un moyen de départ, à condition d'en changer radicalement les objectifs et les missions et d'en élargir le périmètre, tout en maintenant l'intégrité de chacune de ses composantes. Votre réponse, monsieur le secrétaire d'Etat, semble bien confirmer que tel n'est pas tout à fait le choix fait par le Gouvernement.
Un tel débat ne peut pas revêtir simplement la forme d'une question orale. Avec mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen, nous verrons quelles mesures doivent être prises pour que puisse s'ouvrir un débat beaucoup plus large que celui qui peut résulter d'une séance de questions orales comme celle d'aujourd'hui.

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