SEANCE DU 7 NOVEMBRE 2001
M. le président.
« Art. 1er. - Les articles L. 4424-1 et L. 4424-2 du code général des
collectivités territoriales sont ainsi rédigés :
«
Art. L. 4424-1
. - L'Assemblée règle par ses délibérations les
affaires de la Corse. Elle contrôle le conseil exécutif.
« L'Assemblée vote le budget, arrête le compte administratif, adopte le plan
d'aménagement et de développement durable de Corse.
«
Art. L. 4424-2
. - I. - De sa propre initiative ou à la demande du
conseil exécutif, ou à celle du Premier ministre, l'Assemblée de Corse peut
présenter des propositions tendant à modifier ou à adapter des dispositions
réglementaires en vigueur ou en cours d'élaboration concernant les compétences,
l'organisation et le fonctionnement de l'ensemble des collectivités
territoriales de Corse, ainsi que toutes dispositions réglementaires concernant
le développement économique, social et culturel de la Corse.
« Les propositions adoptées par l'Assemblée de Corse en application de
l'alinéa précédent sont adressées au président du conseil exécutif qui les
transmet au Premier ministre et au représentant de l'Etat dans la collectivité
territoriale de Corse.
« II. - Le pouvoir réglementaire de la collectivité territoriale de Corse
s'exerce dans le cadre des compétences qui lui sont dévolues par la loi.
« Sans préjudice des dispositions qui précèdent, dans le respect de l'article
21 de la Constitution, et pour la mise en oeuvre des compétences qui lui sont
dévolues en vertu de la partie législative du présent code, la collectivité
territoriale de Corse peut demander à être habilitée par le législateur à fixer
des règles adaptées aux spécificités de l'île, sauf lorsqu'est en cause
l'exercice d'une liberté individuelle ou d'un droit fondamental.
« La demande prévue à l'alinéa précédent est faite par délibération motivée de
l'Assemblée de Corse, prise à l'initiative du conseil exécutif ou de
l'Assemblée de Corse après rapport de ce conseil. Elle est transmise par le
président du conseil exécutif au Premier ministre et au représentant de l'Etat
dans la collectivité territoriale de Corse.
« III. - De sa propre initiative ou à la demande du conseil exécutif, ou à
celle du Premier ministre, l'Assemblée de Corse peut présenter des propositions
tendant à modifier ou à adapter des dispositions législatives en vigueur ou en
cours d'élaboration concernant les compétences, l'organisation et le
fonctionnement de l'ensemble des collectivités territoriales de Corse, ainsi
que toutes dispositions législatives concernant le développement économique,
social et culturel de la Corse.
« Les propositions adoptées par l'Assemblée de Corse en application de
l'alinéa précédent sont adressées au président du conseil exécutif qui les
transmet au Premier ministre et au représentant de l'Etat dans la collectivité
territoriale de Corse.
« IV. - Lorsque l'Assemblée de Corse estime que les dispositions législatives
en vigueur ou en cours d'élaboration présentent, pour l'exercice des
compétences de la collectivité territoriale, des difficultés d'application
liées aux spécificités de l'île, elle peut demander au Gouvernement que le
législateur lui ouvre la possibilité de procéder à des expérimentations
comportant le cas échéant des dérogations aux règles en vigueur, en vue de
l'adoption ultérieure par le Parlement de dispositions législatives
appropriées.
« La demande prévue à l'alinéa précédent est faite par délibération motivée de
l'Assemblée de Corse, prise à l'initiative du conseil exécutif ou de
l'Assemblée de Corse après rapport de ce conseil. Elle est transmise par le
président du conseil exécutif au Premier ministre et au représentant de l'Etat
dans la collectivité territoriale de Corse.
« La loi fixe la nature et la portée de ces expérimentations, ainsi que les
cas, conditions et délai dans lesquels la collectivité territoriale pourra
faire application de ces dispositions. Elle fixe également les conditions et
les procédures d'évaluation de cette expérimentation, ainsi que les modalités
d'information du Parlement sur leur mise en oeuvre.
« Les mesures prises à titre expérimental par la collectivité territoriale de
Corse cessent de produire leur effet au terme du délai fixé si le Parlement, au
vu du rapport d'évaluation qui lui est fourni, n'a pas procédé à leur
adoption.
« V. - L'Assemblée de Corse est consultée sur les projets et les propositions
de loi ou de décret comportant des dispositions spécifiques à la Corse.
« Elle dispose d'un délai d'un mois pour rendre son avis. Ce délai est réduit
à quinze jours en cas d'urgence, sur demande du représentant de l'Etat dans la
collectivité territoriale de Corse. Le délai expiré, l'avis est réputé avoir
été donné.
« Les avis adoptés par l'Assemblée de Corse en application du présent V sont
adressés au président du conseil exécutif qui les transmet au Premier ministre
et au représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale de Corse. Les
avis relatifs aux propositions de loi sont transmis par le Premier ministre aux
présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat.
« VI. - Par accord entre le président de l'Assemblée de Corse et le
représentant de l'Etat, celui-ci est entendu par l'Assemblée sur les suites que
le Gouvernement entend réserver aux propositions, demandes et avis mentionnés
aux I à IV.
« Cette communication peut donner lieu à un débat sans vote.
« VII. - Les propositions, demandes et avis adoptés par l'Assemblée de Corse
en application des I à IV sont publiés au
Journal officiel
de la
République française.
Sur l'article, la parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce moment
de la discussion des articles du projet de loi dont nous débattons, je ne
parlerai pas de la Corse ; je parlerai de la République, car je considère que
cet article 1er la défait, qu'il ouvre la boîte de Pandore de son
indivisibilité. Mes chers collègues, ne votons pas cet article 1er tel qu'il
est proposé par le Gouvernement ; nous déferions la France. En tout cas, pour
ma part, je ne le voterai pas.
Je parlerai encore de la République, parce que la Corse c'est la République,
toute la République, rien que la République. Il n'est pas question de dénier la
spécificité corse, mais cette insularité ne peut en aucun cas désolidariser
l'île de Beauté du continent.
Les Corses votent. Ce faisant, les Corses manifestent leur attachement à la
France. Les Corses sont la France, commes les Basques, comme les Foréziens,
commes les Bretons, comme nous tous.
En fait, monsieur le ministre, que nous propose le Gouvernement ? De faire de
la Corse une République allégée, un territoire qui choisirait les normes qui
lui sont applicables, qui écarterait les lois et les décrets qui lui
sembleraient trop contraignants... Monsieur le ministre, il ne saurait y avoir
de République à deux vitesses !
Je ne suis pas constitutionnaliste et je n'empiéterai donc pas sur le champ de
compétence de nos excellents collègues, de gauche comme de droite, qu'il
s'agisse du doyen Gélard ou du président Badinter. Mais je ne peux pas évoquer
cet article 1er sans faire référence à quelques dispositions de notre bloc de
constitutionnalité.
L'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose : « La France est
une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »
L'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août
1789 dispose : « La loi est l'expression de la volonté générale ».
M. Michel Charasse.
Très bien !
M. Bernard Fournier.
La volonté générale, c'est la volonté des Français ; une fois encore, ce n'est
pas la seule volonté des Picards, des Limousins ou des Provençaux !
En conférant à l'Assemblée de Corse, au terme de circonvolutions
politico-juridiques et de petits arrangements, avouables ou non, un pouvoir
d'adaptation des normes nationales, le Gouvernement joue aux apprentis
sorciers.
Considérer que l'Assemblée de Corse peut déroger, que ce soit de son fait ou
aux termes d'une demande d'habilitation, à la loi ou au règlement est plus
qu'un non-sens juridique, c'est une faute politique.
Cet article 1er est le coeur de « feu » le processus de Matignon. Mais de quel
processus parlons-nous ? De celui qui vous conduit à céder aux pressions de
prisonniers qui entendent pouvoir s'évader comme bon leur semble de Borgo ?
Tous, sauf le Gouvernement, nous nous accordons à considérer qu'il n'y a plus
de processus ; il n'en reste que des ruines encore fumantes sous les
plasticages et les balles
Depuis le 1er janvier dernier, comme le président de Rohan l'a rappelé, cent
dix attentats, vingt et un assassinats et dix-sept tentatives d'assassinats se
sont produits sur l'île de Beauté. Sont-ce là les conditions préalables de la
mise en place d'un nouveau statut ? Avec qui a-t-on négocié ?
Nous sommes quelques-uns, dans cet hémicycle et à l'Assemblée nationale, une
fois encore, sur toutes les travées, à refuser la capitulation. S'il s'agit de
revoir la décentralisation, d'aller plus loin, de garantir l'égalité entre
toutes les collectivités, alors banco ! Refondons un nouveau contrat entre la
République et les régions, les départements, les communes. S'il s'agit, en
outre, de dépecer la France avec des tenailles, Bruxelles d'un côté, le maquis
corse de l'autre, il ne faudra pas compter sur les élus républicains de tous
bords.
La loi est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Elle
est la même de Saint-Etienne à Marseille et de Paris à Ajaccio. Dès lors, « oui
» à une spécificité corse à un statut pour la Corse, mais « non » à une Corse
déliée de son lien avec la République.
Le Conseil constitutionnel, dans sa grande sagesse, avait écarté la notion de
peuple corse. Le Conseil d'Etat vous a alerté sur les difficultés juridiques
que sous-entend votre projet de loi. Le Palais-Royal n'est pas si grand, il
écartera le pouvoir d'adaptation, parce que la Corse n'est ni un territoire
d'outre-mer ni la Nouvelle-Calédonie ; elle ne peut bénéficier des mêmes
facultés d'adaptation, car la Corse c'est la France, que cela plaise ou non à
quelques extrémistes qui n'emportent pas l'adhésion de l'immense majorité de
ceux de nos concitoyens qui vivent sur l'île. La Corse ne peut pas non plus
bénéficier de délégations législatives, parce que la République n'est pas une
auberge espagnole ; c'est un cadre constitutionnel rigoureux, qu'il appartient
au législateur ordinaire d'appliquer et au législateur constitutionnel
d'adapter.
Aujourd'hui, le Gouvernement souhaite que le législateur ordinaire contourne
la Constitution : nous ne le ferons pas, par respect de l'Etat de droit ; nous
ne le ferons pas, par refus des diktats du terrorisme ; nous ne le ferons pas,
parce que nous aimons la République !
(Applaudissements sur les travées du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
M le président.
La parole est à M. Karoutchi.
M. Roger Karoutchi.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme
beaucoup dans cet hémicycle, je suis attaché à la Corse. Je lui reconnais des
spécificités qu'elle tient de son caractère insulaire et qui nécessitent des
adaptations structurelles et un soutien économique.
Monsieur le ministre, vous avez raison sur un point, qui est à l'origine de ce
texte : les grandes îles de la Méditerranée ont des régimes particuliers. Ainsi
en va-t-il des Baléares pour l'Espagne, de la Sardaigne ou de la Sicile pour
l'Italie. Mais la comparaison s'arrête là.
Pour la Catalogne, le Pays basque, la Galice, l'Andalousie, et pas seulement
pour les Baléares, l'Espagne a accepté des régimes particuliers avec des
gouvernements autonomes ; historiquement, les Baléares correspondent à l'ancien
royaume de Majorque. L'Italie a fait de même avec une régionalisation très
poussée, qui permet aussi au Piémont ou à la Lombardie de bénéficier de
pouvoirs locaux sans commune mesure avec ceux de l'Ile-de-France. Qui plus est,
il existait au XIXe siècle un royaume de Piémont-Sardaigne et un royaume des
Deux-Siciles, le tout n'étant unifié qu'entre 1861 et 1870.
L'histoire de nos pays n'est donc pas la même et les statuts existants en
Méditerranée ne sont pas transférables à la République française. Plutôt que
d'envisager un partage de sa souveraineté, le Gouvernement, dans sa réflexion,
aurait été bien inspiré de s'orienter vers une nouvelle étape de la
décentralisation, donnant à toutes les régions françaises plus de pouvoirs et
assortie d'un vrai transfert de compétences et de ressources. Car c'est bien
là, monsieur le ministre, la double erreur originelle du Gouvernement.
La première erreur réside dans le choix que vous avez fait des interlocuteurs
privilégiés, minoritaires et peu représentatifs ; ils expriment, certes, leurs
positions lors de réunions de travail, mais ils le font aussi, et peut-être
d'abord, sous forme de menaces et de chantages. M. Talamoni n'est pas roi de
Majorque !
La seconde erreur est celle-ci. En évoquant hier, monsieur le ministre, une
nouvelle étape de la décentralisation, vous avez reproché à la majorité
sénatoriale de ne pas savoir ce qu'elle voulait : d'un côté, elle souhaiterait
la décentralisation - il paraît que nous sommes des décentralisateurs très
récents - et, de l'autre, elle s'opposait au texte sur la Corse. Mais la vérité
est très simple, monsieur le ministre : le texte de décentralisation que nous
attendons devra concerner toutes les régions françaises. Lorsque vous aurez
enfin décidé, au lieu de la recentralisation rampante que nous connaissons,
d'atteindre un vrai niveau de décentralisation, alors ce grand texte
décentralisateur pourra alors comporter un, deux ou trois articles spécifiques
à la Corse portant mise en place un statut particulier. Mais ce statut
particulier devra s'intégrer dans une loi-cadre générale pour l'ensemble des
régions françaises, dans la reconnaissance de la République française.
Bien entendu, aujourd'hui, l'unité nationale est solide. Elle peut
s'accommoder de plus de souplesse, d'ouverture, de complémentarité, de droits à
l'expérience, éventuellement variables selon les régions. Définir de nouvelles
libertés régionales n'est pas une atteinte à l'unité nationale. Mais cette
unité est difficilement compatible avec l'obtention d'un pouvoir quasi
législatif, qui plus est dans un climat de violence et de contrainte.
Il apparaît très difficile d'accepter que l'on contourne nos principes
fondamentaux pour substituer une identité régionale, je n'ose dire - on l'a dit
hier soir - de type quasiment ethnique, à notre identité nationale.
Cette identité nationale, la gauche, la droite, l'ont forgée en acceptant
qu'elle soit d'abord une identité républicaine, en dehors de toutes les
origines.
Aujourd'hui, mon collègue le rappelait à l'instant, la violence en Corse est à
son paroxysme : cent dix attentats, vingt-huit assassinats et dix-sept
tentatives sur les neuf premiers mois de l'année 2001. Cela représente tout de
même un attentat tous les deux jours et demi ! Hier soir, vous disiez, monsieur
le ministre, que l'on ne peut pas demander à la Corse d'être plus « sage » que
l'ensemble du territoire. Reconnaissez quand même que, même si nous sommes les
premiers à dénoncer l'explosion de la délinquance sur l'ensemble des régions
françaises, nous n'en sommes pas encore, fort heureusement, à y déplorer un
attentat tous les deux jours et demi !
Monsieur le ministre, le Gouvernement a sans doute péché par orgueil en
croyant réussir, en acceptant de poursuivre les discussions alors que la
violence perdure. Vous n'êtes pas le seul responsable ! D'autres avant vous
n'ont pas su trouver de solution. Mais, aujourd'hui, la poursuite de la
violence doit vous inciter à reconnaître votre erreur initiale
d'appréciation.
Pour sortir de l'impasse, vous nous proposez aujourd'hui un texte lourd de
possibles dérives. Monsieur le ministre, vous avez rappelé, à plusieurs
reprises - à Paris, dans le Val-de-Marne et ailleurs - votre conception et
votre souci de l'autorité de l'Etat. Cette autorité doit naturellement
s'appliquer partout, de crainte qu'elle ne soit contestée partout.
Nous souhaitons tous ici, sur l'ensemble des travées, un retour au calme et à
la paix civile en Corse, mais nous ne pouvons accepter de cautionner une
politique où l'essentiel est de parvenir à un résultat, quoi qu'il en coûte.
Pour cette raison, vous l'aurez compris, nous ne pouvons accepter la rédaction
de l'article 1er tel qu'il a été transmis au Sénat et nous voterons les
amendements déposés par la commission spéciale. Ces amendements vont dans le
bon sens et, très franchement, la gauche comme la droite pourraient les
accepter si l'on souhaite assurer à la Corse un sort républicain.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup a
déjà été dit sur la question de la délégation du pouvoir réglementaire et
législatif, question qui a mobilisé les énergies et, selon nous, fait dévier le
débat de l'objectif essentiel : le développement économique de la Corse, la
possibilité pour les habitants de Corse de vivre et de travailler au pays dans
un climat apaisé.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, les parlementaires communistes et
le parti communiste ont exprimé, dès le départ, leur soutien au processus de
Matignon. Pourquoi ce soutien ? Parce que, pour la première fois, le dialogue,
la volonté de réellement rassembler les Corses autour d'un projet pour l'île a
guidé l'action d'un gouvernement. Malheureusement, au fil des mois, le débat a
dérivé sur le terrain de la place de la Corse dans la République. Comment ne
pas voir là le résultat de la pression permanente des nationalistes dans un
contexte où la violence a continué ?
Ainsi, le débat sur l'article 1er est aujourd'hui un débat piégé. Etre pour la
décentralisation signifierait forcément transférer les pouvoirs législatifs et
réglementaires à la collectivité territoriale concernée.
Les sénateurs communistes réfutent l'idée d'un républicanisme fermé à toute
évolution, exposé de ce fait au risque de sclérose, mais ils réfutent tout
autant l'idée d'une décentralisation fondée sur le seul transfert de pouvoir
d'une institution à une autre, sans la véritable révolution démocratique que
devrait constituer, selon nous, le principe de la décentralisation des
pouvoirs.
Je l'ai déjà dit hier, décentraliser le pouvoir ne peut être une fin en soi.
L'objet de la décentralisation affirmé en 1982 doit être de rapprocher les
citoyens du pouvoir. Ce rapprochement ne doit pas être uniquement géographique,
sinon il serait vain. Il doit porter sur les moyens de contrôle et
d'intervention permanents du citoyen dans les choix effectués par les
détenteurs du pouvoir politique et économique.
A ce titre, je rappelle l'urgence d'une consultation des habitants de Corse
sur le processus actuel. Vous nous répondez, monsieur le ministre, que c'est
contraire à la Constitution. Alors, pourquoi ne pas mettre à l'ordre du jour du
Parlement notre proposition de loi visant à développer la démocratie
participative et permettre l'organisation d'une consultation populaire en Corse
sur le processus en cours ?
Toute autre conception de la décentralisation demeurera bureaucratique et
technocratique, créant finalement l'incertitude sur le lieu où se prennent les
décisions.
La majorité sénatoriale a effectué, il faut le reconnaître, un travail dense
et d'une grande érudition sur le plan du droit constitutionnel. Mais, en
matière politique, les choses ne sont pas si claires. Que veut la droite au
sujet de la Corse et sur le plan de la décentralisation ?
La majorité sénatoriale se targue de la cohérence et de la vertu
constitutionnelles.
De quelle cohérence peut-on parler alors que la droite en Corse soutient le
projet de loi et pousse à une autonomie sans fin et sans fond, à l'image de M.
Rossi, président de l'exécutif ? De quelle cohérence peut-on parler, alors que
des leaders de la droite comme MM. Balladur et Méhaignerie ont voté le projet
de loi et que de fortes personnalités comme M. Giscard d'Estaing se sont
abstenues ?
De quelle cohérence enfin, et surtout, peut-on parler alors que le MEDEF en
Corse pousse au libéralisme le plus exacerbé, qui s'arrangerait bien d'un
affranchissement de la tutelle de l'Etat et des règles républicaines ?
Je tiens à faire cette mise au point, d'autant que certains des amendements
que nous avons présentés à l'article 1er sont similaires à ceux de la
commission spéciale.
En quoi, l'attitude de la majorité sénatoriale est-elle différente de la nôtre
?
Sur l'idée d'une déstructuration de la République, d'une remise en cause
massive des services publics, vous êtes pour, nous sommes contre.
Vous approuvez, par exemple, la démarche de M. Méhaignerie, qui a fait adopter
à l'Assemblée nationale, en échange de son vote positif sur la Corse, il faut
le dire, un projet de loi permettant la transmission expérimentale de pouvoirs
importants aux régions. Nous sommes en désaccord avec cette démarche qui
s'inscrit dans le schéma fédéraliste de l'Europe des régions, cassant ainsi le
principe d'unicité de la République et d'égalité sur le territoire et qui, par
ailleurs, n'apporte rien sur le plan des pouvoirs démocratiques nouveaux
apportés au peuple.
Sans faire de procès d'intention, je constate une certaine hypocrisie dans
cette volonté d'apparaître aujourd'hui garant de la République, alors que, par
ailleurs, à tout instant, la droite s'attelle à détruire une certaine idée du
droit collectif, de la collectivité publique.
M. Philippe François.
Staline est mort !
M. Robert Bret.
C'est ainsi que vous critiquez les transferts de pouvoir à l'égard de la
Corse, alors que vous faites silence ou presque sur la désagrégation future des
services de l'Etat, souvent garants de l'unicité de la République sur l'île,
comme je l'ai rappelé hier soir.
Cette ambiguïté est confirmée par le renforcement des mesures fiscales
libérales que vous appelez de vos voeux, contradictoire avec l'idée de
solidarité républicaine. Car, rappelons-le, l'idée du libéralisme est
fondamentalement opposée à celle de la République.
Je souhaitais apporter ces précisions avant d'aborder l'article 1er, que nous
n'approuvons pas.
Le Parlement, et lui seul, doit détenir la possibilité de faire la loi, qui
doit demeurer unique sur le territoire français. C'est seulement dans ce cadre
que nous pouvons envisager de donner aux collectivités territoriales une part
d'initiative législative, en Corse comme sur l'ensemble de la métropole, dans
le cadre d'une refondation de nos institutions, avec les moyens d'une
démocratie citoyenne élargie. Je reviendrai sur ces dispositions à l'occasion
de la présentation de nos amendements.
M. Philippe Richert.
Bravo !
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Monsieur le ministre, dans les accords de Matignon, le Gouvernement s'est
trompé de procédure et il a fait des promesses qu'il ne pouvait pas tenir. Ces
promesses auraient peut-être pu être tenues si, au lieu d'utiliser la procédure
relative à la loi ordinaire, le Gouvernement avait eu recours à la procédure
concernant la loi constitutionnelle. A ce moment-là, l'inconstitutionnalité,
sur laquelle je vais m'attarder quelque peu, aurait été levée.
Je suis tout à fait d'accord avec les arguments développés hier par notre
collègue Jean-Yves Autexier : dans le texte qu'elle a adopté, l'Assemblée
nationale s'est trompée sur la définition du pouvoir réglementaire et sur la
possibilité de délégation du pouvoir législatif. En se trompant -
volontairement ou non ; j'espère involontairement - peut-être espérait-elle
que, du même coup, si le processus engagé capotait à un moment ou à un autre,
la responsabilité en incomberait non pas au Gouvernement ou à l'Assemblée
nationale, mais aux sénateurs qui s'y seraient opposés et au Conseil
constitutionnel qui aurait ensuite censuré le texte. En d'autres termes, le
goudron et les plumes pour ces méchants du Sénat et ces méchants du Conseil
constitutionnel qui auront fait capoter le processus !
Non, monsieur le ministre, ce n'est pas la vérité ! Le fait est que vous nous
avez engagés dans une voie qui ne peut en aucun cas être conforme à la
Constitution. L'erreur, c'est vous qui l'avez commise, et non pas le Sénat, qui
s'efforce de respecter l'Etat de droit. Dès lors que l'on ne respecte pas la
Constitution, il n'y a plus ni Etat de droit ni démocratie.
(Très bien ! sur
les travées du RPR.)
En ce qui concerne le pouvoir réglementaire dont il est question dans l'alinéa
II de l'article 1er, quelle confusion ! Le Conseil constitutionnel n'a jamais
reconnu un pouvoir réglementaire aux collectivités locales !
Aux termes de l'article 21 de la Constitution, le pouvoir réglementaire
n'appartient qu'au Premier ministre, en accord avec le Président de la
République, conformément aux dispositions de l'article 13, et il ne peut être
délégué qu'aux seuls ministres et dans des cas tout à fait particuliers.
Il ne peut donc pas y avoir de délégation du pouvoir réglementaire. En
réalité, ce qui a été évoqué hier, dans cet hémicycle, c'est non pas le pouvoir
réglementaire, mais le pouvoir normatif des collectivités locales tel qu'il
découle des délégations de compétences ou des attributions qui sont accordées à
ces collectivités par la loi ou par les règlements.
Par conséquent, vous ne pouvez pas utiliser l'expression « pouvoir
réglementaire » dans l'article 1er.
S'agissant du pouvoir législatif, je crois, monsieur le ministre, que les
accords de Matignon se sont trompés de République.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Ce ne sont pas des accords !
M. Patrice Gélard.
Sous la IIIe ou sous la IVe République, on pouvait effectivement admettre que
le Parlement pouvait tout faire, y compris changer un homme en femme ou
l'inverse !
(Exclamations sur les travées du RPR.)
On ne peut plus, sous
la Ve République, dans l'état actuel des textes, faire n'importe quoi dans le
domaine de la loi. Le Conseil constitutionnel l'a réaffirmé : le Parlement ne
peut pas se dessaisir de son pouvoir législatif.
Hier, vous avez cité, monsieur le ministre, la décision du Conseil
constitutionnel de 1993, concernant la loi relative aux établissements publics
à caractère scientifique, culturel et professionnel. Cette décision est
intéressante à plus d'un titre.
Tout d'abord, elle reconnaît le droit à l'expérimentation. Nous en sommes
d'accord ! Je rappelle d'ailleurs que, en l'occurrence, c'est votre groupe qui
avait déposé le recours devant le Conseil constitutionnel. S'agissant, donc, du
droit à l'expérimentation, c'est le Parlement qui le décide et qui contrôle
tous les stades de l'expérimentation.
Le Parlement ne peut pas se dessaisir de la totalité de ses attributions au
profit de tel ou tel organe, voire du Gouvernement. Le Conseil constitutionnel
a réaffirmé à plusieurs reprises ce devoir du Parlement d'exercer la plénitude
de son pouvoir législatif. La Constitution a prévu un seul cas de délégation :
l'article 38 relatif aux ordonnances. D'ailleurs, hier, le président Jacques
Larché l'a souligné : seul le Parlement vote la loi et personne d'autre ne peut
exercer le pouvoir législatif. Lorsqu'il le délègue, il s'agit non plus de lois
mais d'ordonnances. Il n'y a qu'un seul cas où le Parlement peut être dessaisi
de son pouvoir législatif : en cas de référendum prévu à l'article 11 : c'est
le peuple souverain qui exerce le pouvoir législatif et non plus les
représentants.
En d'autres termes, vous nous proposez, dans la corbeille de la mariée une dot
que vous ne pouvez pas payer !
Vous ne pouviez pas vous engager, vous, Gouvernement, dans la voie que vous
nous indiquez, parce que cette voie n'est pas conforme à la Constitution, mais
cela ne veut pas dire que, de notre côté, nous ne pouvons rien faire. J'en veux
pour preuve la suite de la discussion des articles au cours de laquelle M. Paul
Girod, notre excellent rapporteur, nous proposera précisément les adaptations,
les transferts possibles.
Le Parlement a su, dans le passé, démontrer qu'il existe toujours une
possibilité d'adaptation, et il le fera encore aujourd'hui, en n'oubliant pas
qu'il lui incombe de respecter les formes imposées par la Constitution, ce que
ne fait pas le Gouvernement aujourd'hui.
(Applaudissements sur les travées
du RPR, des Républicains et Indépendants ainsi que sur certaines travées de
l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Bel.
M. Jean-Pierre Bel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après ces
interventions, notamment les deux premières, les choses sont claires et les
a priori
politiques réapparaissent.
M. Hilaire Flandre.
Ce n'est pas politique, c'est constitutionnel !
M. Jean-Pierre Bel.
Avec cet article 1er, nous sommes bien au coeur du débat, dans le noyau dur du
projet de loi.
Le sujet a été largement abordé hier, dans la discussion générale, ainsi, bien
sûr, qu'à l'occasion de l'examen de la motion tendant à opposer l'exception
d'irrecevabilité.
Les arguments de chacun, et encore à l'instant, ont été développés avec
talent. Il y a donc ceux qui croient à la constitutionnalité et ceux qui n'y
croient pas, ou ne veulent pas y croire.
M. Jean-Jacques Hyest.
Ce n'est pas une question de croyance !
M. Jean-Pierre Bel.
Les amendements que présente la commission se placent dans cette dernière
catégorie, ce qui la conduit à supprimer purement et simplement les
dispositions tendant à accorder plus de responsabilité aux élus en même temps
qu'une plus grande capacité d'initiative et d'action dans leur domaine de
compétence.
L'objection d'inconstitutionnalité qui est mise en avant pouvait être
recevable concernant le projet initial. La réécriture opérée par l'Assemblée
nationale fait échapper le texte à cette critique.
Nous ne faisons pas la même lecture de la décision du Conseil
constitutionnel.
Qu'a dit le Conseil constitutionnel ? Dans sa décision sur le « statut Joxe »
il a reconnu la possibilité de créer, en vertu de l'article 72 de la
Constitution, une nouvelle catégorie de collectivités territoriales pouvant
même se résumer à une seule, tout en la dotant d'un statut spécifique, dès
lors, bien sûr, que le principe de libre administration des collectivités
territoriales n'est pas remis en cause.
Le Conseil d'Etat a, certes, émis un avis négatif sur les dispositions du
projet de loi initial, qui permettaient une adaptation directe, par la
collectivité territoriale de Corse, des normes réglementaires et législatives
en vigueur. Il a néanmoins admis que le législateur puisse confier à une
collectivité territoriale le soin de définir les conditions d'application d'une
loi, à condition que cette habilitation définisse précisément le champ
d'application du dispositif et ses conditions de mise en oeuvre, et ne porte
pas atteinte à la compétence du Premier ministre d'édicter des règles
nationales applicables à l'ensemble du territoire.
S'agissant de la modification ou de l'adaptation des normes réglementaires,
les pouvoirs d'adaption s'exerceront dans le respect des prérogatives du
Premier ministre, conformément à l'article 21 de la Constitution.
Si, en vertu de ce même article, le Premier ministre assure à la fois
l'exécution des lois et le pouvoir réglementaire, le Conseil constitutionnel
reconnaît, dans sa jurisprudence, que ces dispositions ne font pas obstacle à
ce que le législateur confie à une autorité publique autre que le Premier
ministre le soin de fixer les normes permettant de mettre en oeuvre une loi, à
condition que cette habilitation ne concerne, bien sûr, que des mesures de
portée limitée, tant par leur champ d'application que par leur contenu. C'est
ainsi qu'un pouvoir réglementaire a été reconnu aux autorités administratives
indépendantes, comme l'Autorité de régulation des télécommunications, l'ART.
Le présent dispositif se situe dans le droit-fil de cette jurisprudence.
S'agissant de l'expérimentation législative, les possibilités d'expérimenter
des dérogations à certaines lois ne pourront être exercées que dans le cadre
étroit et selon les formes fixées par la loi les autorisant. Cette loi
précisera la nature et la portée de ces expérimentations, ainsi que les cas,
conditions et délai dans lesquels la collectivité territoriale de Corse pourra
faire application de ces dispositions.
Il ne s'agit évidemment pas non plus d'une délégation du pouvoir législatif,
qui s'apparenterait à l'article 38 de la Constitution, permettant au
Gouvernement de légiférer par ordonnances. En effet, le législateur garde
l'entière maîtrise du dispositif et ne peut déléguer des compétences qu'il
détient de la Constitution dans les matières législatives où lui seul peut
intervenir, sous peine d'encourir la censure du Conseil constitutionnel.
Rien de plus, rien de moins !
L'expérimentation « législative » est déjà possible, je me permets de vous le
faire remarquer, dans le cadre institutionnel actuel.
Des précédents existent, que ce soit pour le RMI, la prestation spécifique
dépendance ou encore la régionalisation du transport ferroviaire de
voyageurs.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a, depuis sa décision du 23 juillet
1993 relative aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et
professionnel, admis la possibilité, pour le législateur, de prévoir des
dérogations aux règles fondamentales de nature à lui permettre d'adopter des
règles nouvelles, sous réserve que cette habilitation définisse précisément,
outre la nature et la portée de ces expérimentations et les cas dans lesquels
celles-ci peuvent être entreprises, les conditions et les procédures selon
lesquelles elles doivent faire l'objet d'une évaluation conduisant à leur
maintien, à leur modification, à leur généralisation ou à leur abandon.
Dès lors que l'Etat et ses établissements publics peuvent disposer d'un
pouvoir d'expérimentation reconnu par le Conseil constitutionnel, pourquoi
cette même possibilité ne pourrait-elle pas être offerte aux collectivités
territoriales, d'autant que, en l'occurrence, le dispositif proposé reprend les
conditions posées par le Conseil constitutionnel ?
La collectivité territoriale de Corse n'aura pas, de sa propre initiative, la
possibilité d'expérimenter des compétences nouvelles, ce qui conduirait à nier
le pouvoir réglementaire et la valeur même de la loi.
Voilà pourquoi, monsieur le président, nous sommes étonnés de cette crainte
excessive qui se manifeste dans cet hémicycle face à un dispositif original et
innovant. Même si, pour certains, il n'est qu'un « tigre de papier », il n'en
trace pas moins une perspective prometteuse.
(Applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je comptais
intervenir sur les amendements, mais, puisqu'il faut gagner du temps, je me
contenterai de quelques considérations qui, d'ailleurs, compléteront celles qui
viennent d'être développées par mon collègue et ami Jean-Pierre Bel.
J'aurais été tenté, à un moment, d'emprunter la démarche suivie par les
collègues qui se sont exprimés tout à l'heure, avant M. Bel. Mais, en les
entendant, j'ai eu le sentiment, non sans avoir, bien sûr, réfléchi
précédemment, que leurs discours s'appliquaient plus au texte initial de
l'article 1er qu'au texte tel qu'il a été modifié par l'Assemblée nationale.
Chers collègues, relisons ensemble l'article 1er tel qu'il nous est soumis, du
moins ce qu'il en reste. Que veut-il dire ? C'est un texte de procédure, un
texte qui définit une procédure à suivre pour que l'assemblée de Corse puisse
adopter, dans un certain nombre de domaines, des voeux de portée générale tels
que tous les conseils régionaux, généraux et municipaux de France et de Navarre
en adoptent depuis plus de cent ans !
Que dit l'article, tel qu'il est rédigé ? Contrairement à ce que l'on a pu
dire ou croire - et je l'ai cru, monsieur Gélard, à un moment donné - il ne
reconnaît aucun pouvoir législatif ou réglementaire à la collectivité. Il
autorise simplement la collectivité à « demander », et il explique dans quelles
conditions elle peut le faire. Mais demander quoi ? De procéder à des
adaptations réglementaires - c'est la reprise du texte Joxe, premier alinéa -,
d'exercer le pouvoir réglementaire - c'est ce que disait tout à l'heure M.
Gélard -, d'exercer le pouvoir législatif pour adapter les lois et d'autoriser
des demandes de dérogation pour expérimentation législative, en référence à la
décision de 1993 sur les universités. L'article 1er prévoit, en outre,
l'obligation de consulter l'assemblée de Corse sur les projets et propositions
de loi.
C'est donc un texte de procédure, mes chers collègues, un texte à peine
normatif, sinon par un biais très étroit. Vous savez tous, ou presque, car nous
sommes presque tous élus locaux dans cette assemblée, que nous n'avons pas le
droit, dans nos collectivités locales, d'émettre des voeux politiques. Or les
sujets qui sont abordés à l'article 1er sont éminemment politiques, et le fait
d'autoriser l'assemblée de Corse à émettre des voeux de nature politique, alors
que les autres collectivités n'ont pas le droit de le faire, est une dérogation
à un principe général qui place la démarche de l'assemblée de Corse à l'abri de
tout recours du représentant de l'Etat auprès du tribunal administratif.
Y a-t-il un problème en ce qui concerne l'exercice des prérogatives du
Gouvernement et du Parlement ? Pas du tout ! L'article 1er, et pour cause,
n'impose pas au Gouvernement de répondre à la demande qui lui est faite ; il le
peut d'autant moins que le Conseil constitutionnel en a décidé ainsi sur la loi
Joxe. Je demande la lune ? On ne répond pas. Je demande que le soleil se lève à
l'ouest et se couche à l'est ? On ne répond pas. Et l'article 1er impose encore
moins au Parlement de donner suite à la demande.
C'est donc un texte de procédure qui, au regard de l'interdiction des voeux
politiques, est législativement nécessaire, mais qui, sans cela, à la limite,
aurait pu être un texte d'organisation réglementaire, un dispositif du
règlement intérieur de l'assemblée de Corse précisant la procédure à suivre en
la matière.
Aussi, mes chers collègues, je pense que la question qui a été abordée
aujourd'hui par un certain nombre de nos collègues - pas par M. Jean-Pierre Bel
- se posera lorsque le Gouvernement, s'il le décide, donnera suite aux demandes
de l'Assemblée de Corse. Mais, pour le moment, qu'y a-t-il d'inconstitutionnel
dans le fait de donner la possibilité à l'Assemblée de Corse de demander
quelque chose ? Rien !
Le problème constitutionnel se pose à partir du moment où l'on donne suite à
la demande. Croyez-vous que les projets de loi non soumis pour avis à
l'Assemblée de Corse seront inconstitutionnels ? Pas du tout : la Constitution
ne prévoit aucune formalité autre que la consultation du Conseil d'Etat. Vous
figurez-vous que nos propositions de loi ne seront pas recevables parce
qu'elles n'auront pas été soumises à l'Assemblée de Corse ? Mais la
Constitution ne comporte aucune condition au dépôt des propositions de loi, en
dehors de l'article 40 et de l'article 41 sur la distinction entre le pouvoir
législatif et le pouvoir réglementaire.
Est-ce que le fait de « demander » à exercer telle ou telle prérogative dans
tel ou tel domaine est inconstitutionnel ? Non. Pour la suite, on verra.
Et, pour la suite, précisément, ce n'est pas si simple, parce que, comme l'ont
dit certains collègues, la loi, depuis 1789 et selon la conception de la nation
qui est la nôtre, est l'expression de la volonté générale et ne peut pas être
l'expression de la volonté des Corses, des Auvergnats ou des Bretons. On verra
le moment venu !
L'article 21 de la Constitution prévoit que le pouvoir réglementaire est
exercé par le Premier ministre et par lui seul. Alors, cher collègue Gélard,
certes, le Premier ministre peut déléguer, mais pas les décrets car, en matière
de décrets, il n'y a pas de délégation. Par conséquent, on verra bien à ce
moment-là si un texte nous est soumis, et le Conseil constitutionnel verra
après nous.
On s'est fondé sur la décision de 1993 pour l'adaptation et, sur le pouvoir
réglementaire, on a glosé ici et là. A ce propos, cher doyen Gélard, il existe
une dérogation : le pouvoir réglementaire du Premier ministre est exercé, et
croyez bien que je le regrette, par un certain nombre d'organismes dits
indépendants. Mais ce sont des organismes nationaux qui appliquent les mêmes
règles sur l'ensemble du territoire, qui ont donc une compétence nationale et,
surtout, qui n'ont pas le caractère de collectivité locale, les collectivités
locales ne pouvant exercer le pouvoir réglementaire, pour l'instant, que dans
le domaine strict de leurs propres compétences.
Quant à l'adaptation de 1993, je ne sais pas quelle est la portée réelle de la
décision du Conseil constitutionnel. Je constate simplement que sa décision
concernait des universités qui étaient des établissements publics de l'Etat -
de l'Etat, mes chers collègues - lesquels n'ont pas le caractère de
collectivité territoriale.
Mais tout ce que je viens de décrire depuis quelques minutes, c'est ce qui
arrivera peut-être, et considérer que l'article 1er est lui-même
inconstitutionnel, c'est, en réalité, faire porter l'inconstitutionnalité sur
la suite, c'est-à-dire condamner, alors que nous ne sommes pas dans le droit
canon ni dans une assemblée vaticane, le péché d'intention !
(Sourires.)
Par conséquent, je pense que l'article 1er, tel qu'il a été rédigé par
l'Assemblée nationale, ne soulève aucun problème constitutionnel. Pour la
suite, nous verrons, et comme disait l'autre, pour ceux qui y croient, si Dieu
nous prête vie !
M. Paul Girod,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod,
rapporteur.
Monsieur le président, j'aurais préféré que soient d'abord
examinés les premiers amendements relatifs à la collectivité territoriale de
Corse. Mais il me semble souhaitable de donner maintenant un certain nombre
d'explications sur la position de la commission, qui a choisi de redéfinir le
champ de délibération de l'Assemblée territoriale de Corse et de supprimer les
paragraphes II à IV de l'article 1er tel qu'il nous est soumis, paragraphes qui
concernent les expérimentations réglementaires et législatives.
Pour ce qui est du domaine réglementaire, je reprendrai en partie les propos
de notre collègue M. Charasse, sans toutefois en tirer des conclusions
identiques sur la rédaction du paragraphe II.
Il est exact et constant que le pouvoir réglementaire appartient au Premier
ministre, sous réserve des pouvoirs propres du Président de la République, et
qu'il ne peut le déléguer que dans des conditions extrêmement précises.
M. Michel Charasse.
Et limitées !
M. Paul Girod,
rapporteur.
Je parle là du pouvoir réglementaire général, qui permet
d'édicter les règlements en toutes matières non réservées à la loi et
applicables sur l'ensemble du territoire national, nous sommes bien
d'accord.
On a évoqué les autorités administratives indépendantes. J'en connais deux, à
savoir le Conseil supérieur de l'audiovisuel, le CSA, et l'Agence de régulation
des télécommunications, l'ART.
M. Michel Charasse.
Et la CNIL !
M. Paul Girod,
rapporteur.
J'oubliais en effet la Commission nationale de l'informatique
et des libertés.
Le Conseil constitutionnel a affirmé à plusieurs reprises, sur le fondement
des articles 21 et 13 de la Constitution, que « le législateur [peut confier] à
une autorité publique autre que le Premier ministre le soin de fixer des normes
permettant de mettre en oeuvre une loi, à condition que cette habilitation ne
concerne que des mesures de portée limitée tant par leur champ d'application
que par leur contenu ».
Ce considérant de principe a fondé la reconnaissance du pouvoir réglementaire
du CSA et l'ART, mais ces autorités sont soumises au respect tant de la loi que
des règlements nationaux, eux-mêmes édictés par le Premier ministre.
Les chefs de service, notamment les ministres, les préfets, les maires, les
présidents des conseils généraux et régionaux et les directeurs des
établissements publics, détiennent un pouvoir réglementaire.
Toutefois, deux limites s'imposent à eux. Les règlements que les chefs de
service peuvent édicter ne peuvent tendre qu'au « bon fonctionnement » de
l'administration placée sous leur autorité ; or je vous rappelle que la
collectivité territoriale de Corse fait l'objet d'une élection de caractère
administratif. De plus, la légalité de ces mesures est subordonnée à
l'existence d'un vide dans l'ordonnancement juridique, que le chef de service
pourra combler, et au respect des normes de niveau supérieur.
Les collectivités territoriales n'ont donc de pouvoir réglementaire que
résiduel.
Le Conseil constitutionnel ayant posé la compétence législative pour les
questions qui touchent à la libre administration des collectivités
territoriales, les espaces dans lesquels la collectivité pourra utiliser son
pouvoir réglementaire sont extrêmement limités.
Les exemples suivants montrent toutefois qu'ils ont une importance pratique
réelle, du fait que la collectivité prend les mesures réglementaires utiles à
son « auto-organisation ».
Les règlements de portée « générale », c'est-à-dire destinés à l'ensemble de
la population de la collectivité considérée, sont pris sur l'invitation
expresse du législateur. Cela concerne les règlements locaux d'urbanisme, le
pouvoir financier local - ne serait-ce que pour voter le taux des quatre
grandes taxes, dans les limites fixées par la loi -, le règlement départemental
d'aide sociale. Ils sont également pris pour régler des situations de fait, par
exemple en matière de police municipale, ou encore pour créer des services
publics. Ce sont donc des pouvoirs très fortement encadrés.
Le juge constitutionnel distingue bien l'exercice d'une attribution par une
collectivité locale - pouvoir exécutif - du pouvoir de réglementer la matière
considérée - pouvoir normatif.
Le pouvoir réglementaire local n'est jamais exclusif du pouvoir réglementaire
général du Premier ministre. En d'autres termes, le pouvoir réglementaire local
ne s'exerce que dans le respect des dispositions législatives et réglementaires
en vigueur.
Une thèse existe qui privilégie une lecture extensive du champ d'application
du pouvoir réglementaire local, au moyen d'une généralisation du pouvoir
d'édicter des décisions individuelles. Par exemple, en matière d'aides
économiques et de subventions, la collectivité locale, compétente pour
attribuer les aides individuelles, le serait aussi pour établir
a priori
les critères qu'elle utilisera pour les attribuer aux demandeurs.
Cette conception est pour l'instant purement doctrinale et n'est confortée par
aucun élément du droit positif, jurisprudence comprise.
En effet, l'unité du pouvoir réglementaire général est reconnue par le Conseil
constitutionnel. En conséquence, le législateur ne peut modifier la ligne de
partage entre matières législatives et matières réglementaires, sauf à se
laisser aller à la dérive que dénonçait hier M. Jacques Larché et à faire
figurer dans la loi une disposition d'ordre réglementaire, de façon que
celle-ci, entrée dans le domaine législatif, ne puisse plus être modifiée
ultérieurement que par une autre loi.
Il n'est pas possible de s'appuyer sur la jurisprudence du Conseil d'Etat pour
fonder une quelconque délégation du pouvoir réglementaire général. En effet, le
Conseil d'Etat ne peut annuler un décret d'application qui serait intervenu en
matière législative, car ce serait reconnaître l'inconstitutionnalité de la loi
qui en a permis l'édiction..., ce que le juge administratif ne peut faire.
Hier ont été évoquées un certain nombre de décisions du Conseil
constitutionnel ou de situations de fait, - notamment la décision du 28 juillet
1993, que vous avez vous-même citée, monsieur le ministre.
La justification évoquée au dispositif imaginé résulte non d'une disposition
expresse de la Constitution, mais de l'habile sélection d'une jurisprudence du
Conseil constitutionnel qui n'a rien à voir avec les collectivités locales et
qui ne leur est pas transposable. C'est d'ailleurs en substance ce qu'a dit M.
Charasse à l'instant.
Les deux considérants de principe de la décision du 28 juillet 1993 sont ainsi
libellés :
« Le législateur, dans le respect des principes de valeur constitutionnelle,
[...] peut, pour la détermination des règles constitutives des établissements
publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, prévoir, eu égard
à l'objectif d'intérêt général auquel lui paraîtrait répondre le renforcement
de l'autonomie des établissements, que puissent être opérés par ceux-ci des
choix entre différentes règles qu'il aurait fixées. Il lui est aussi possible,
une fois des règles constitutives définies, d'autoriser des dérogations pour
des établissements dotés d'un statut particulier en fonction de leurs
caractéristiques propres. »
Il s'agit bien d'établissements, en aucun cas de collectivités territoriales
!
« Il est de même loisible au législateur de prévoir la possibilité
d'expériences comportant des dérogations aux règles ci-dessus définies de
nature à lui permettre d'adopter par la suite, au vu des résultats de
celles-ci, des règles nouvelles appropriées à l'évolution des missions de la
catégorie d'établissements en cause. Toutefois, il lui incombe alors de définir
précisément la nature et la portée de ces expérimentations, les cas dans
lesquels celles-ci peuvent être entreprises, les conditions et les procédures
selon lesquelles elles doivent faire l'objet d'une évaluation conduisant à leur
maintien, à leur modification, à leur généralisation ou à leur abandon. »
Je le répète, il s'agit d'établissements publics à caractère scientifique,
culturel et professionnel auxquels tout un chacun est libre de recourir ou non,
alors que le citoyen habitant dans le ressort d'une collectivité territoriale
est, de par sa présence même, administré par elle et lui est soumis, au nom du
droit général. Les situations ne sont pas identiques !
De plus, l'objet même des dérogations ainsi autorisées en principe, rejetées
en l'espèce pour non-respect des conditions ci-dessus évoquées, est extrêmement
limité, puisqu'elles ne pouvaient porter que sur l'organisation interne des
universités et des instituts et écoles, et sur différentes composantes des
universités, notamment sur le rôle respectif des présidents d'université, du
conseil d'administration, du conseil scientifique et du conseil des études et
de la vie universitaire.
Même dans cette rédaction prudente, le Conseil constitutionnel a censuré le
dispositif, notamment sur le fondement de l'incompétence négative du
législateur, qui n'a pas assorti de garanties légales les principes de
caractère constitutionnel que constituent la liberté et l'indépendance des
enseignants-chercheurs. C'est dire à quel point le Conseil constitutionnel a
été sévère et rigoureux dans l'habilitation extraordinairement partielle qu'il
a accordée, exclusivement à des établissements publics.
Il est d'ailleurs à noter que l'Assemblée nationale, dans le présent texte, a
elle-même émis des réserves extrêmement fermes. Selon la commission des lois de
l'Assemblée nationale, « la transposition de la décision du Conseil
constitutionnel relative aux établissements publics universitaires à la
collectivité territoriale de Corse pourrait être de nature à soulever des
difficultés en l'absence de révision constitutionnelle préalable ».
M. Mauroy, si j'ai bien compris les propos qu'il a tenus hier, a déclaré que
le processus ne pourrait s'enclencher qu'une fois la réforme constitutionnelle
réalisée. Cela signifie que le dispositif proposé aujourd'hui sera effectif
dans quatre ans seulement, et ne l'est pas en l'état actuel du texte.
M. Philippe Marini.
Absolument !
M. Paul Girod,
rapporteur.
La commission tient à souligner que le Conseil
constitutionnel s'est déjà prononcé sur la question de la dévolution d'un
pouvoir à la collectivité territoriale de Corse en matière législative. En
effet, lors de l'examen de la loi du 13 mai 1991 portant statut de la
collectivité territoriale de Corse, il n'a validé l'organisation spécifique à
caractère administratif de la collectivité territoriale de Corse que dans la
mesure où « ni l'Assemblée de Corse ni le conseil exécutif ne se voient
attribuer des compétences ressortissant au domaine de la loi ». Le dispositif
proposé par la commission spéciale se place bien dans cette ligne.
Comme vous l'avez évoqué, monsieur le ministre, le Conseil constitutionnel,
dans sa décision n° 96-383 du 6 novembre 1996 sur la loi relative au
développement des négociations collectives, a adopté un considérant très proche
de celui du 28 juillet 1993 afin de valider la conclusion d'accords de branche
pouvant déroger à certaines dispositions législatives du code du travail : « Le
législateur pouvait, sans méconnaître sa compétence, renvoyer aux accords de
branche la détermination de ces seuils [d'effectifs de salariés], sous la
réserve que les procédures nouvelles de négociation ne pourraient intervenir
qu'en l'absence de délégués syndicaux ou de délégué du personnel faisant
fonction de délégué syndical, dès lors que la latitude ainsi laissée aux
acteurs de la négociation collective devrait lui permettre d'adopter par la
suite des règles nouvelles appropriées au terme d'une durée réduite
d'expérimentation, et d'une évaluation des pratiques qui en sont résultées.
»
La validation n'est cependant pas sans réserve, puisque les dispositions ne
modifient pas les règles de fond relatives à la conclusion d'accords collectifs
et se bornent à prévoir des procédures nouvelles de conclusion de conventions
ou d'accords collectifs de travail.
Là encore, l'objet est extrêmement limité, puisqu'il s'agit de l'organisation
des relations de travail dans les entreprises. En aucun cas, cet objet ne peut
être comparé au pouvoir d'adaptation des lois que le projet de loi propose de
confier à la collectivité territoriale de Corse, dans les domaines très variés
de ses attributions.
« Le pouvoir réglementaire de la collectivité territoriale de Corse s'exercera
dans le respect du pouvoir réglementaire du Premier ministre » ; « le Parlement
restera maître de ses décisions » : ce sont là des affirmations que nous avons
entendues il y a quelques instants - et que, monsieur le ministre, nous allons
peut-être entendre de nouveau.
L'article 1er du présent projet de loi s'apparente en tous points à un article
de la Constitution en ce qu'il répartit le pouvoir normatif entre plusieurs
autorités. Or, sous la Ve République, le législateur n'a pas la compétence de
sa compétence. Le Conseil constitutionnel le censurerait pour incompétence
négative s'il n'allait pas au bout de la compétence que lui reconnaît la
Constitution, notamment dans son article 34.
Le pouvoir normatif confié à la collectivité territoriale de Corse est-il
exclusif ou concurrent de ceux du Parlement et du Premier ministre ?
M. Lionel Jospin, lors de la réunion de Matignon du 6 avril 2000, demandait
aux élus de la collectivité territoriale de Corse : « En ce qui concerne
l'éventualité d'une compétence législative, s'agirait-il d'une compétence
exclusive, concurrente avec celle de l'Etat, ou subsidiaire ? »
L'article 1er ouvre une brèche dans l'article 21 de la Constitution, car le
projet de loi ne précise pas si le pouvoir réglementaire du Premier ministre
pourra s'exercer concurremment à celui de la collectivité territoriale de Corse
ou s'il s'agit d'un pouvoir exclusif.
En effet, l'expression : « dans le respect de l'article 21 de la Constitution
», que j'ai qualifiée hier de pirouette constitutionnelle, pour maladroite
qu'elle soit, ne concerne que le deuxième alinéa du paragraphe II de l'article
1er, qui traite des pouvoirs d'adaptation des règlements d'application des
lois, et non le premier alinéa, qui régit le pouvoir réglementaire propre de la
collectivité territoriale de Corse.
Lorsqu'elle les a auditionnés, la commission a demandé aux commissaires du
Gouvernement si le pouvoir réglementaire de la collectivité territoriale de
Corse s'exercerait en concurrence avec le pouvoir réglementaire du Premier
ministre ou si celui-ci s'imposerait à la collectivité territoriale de Corse.
Leur réponse a été qu'il n'y aurait pas concurrence entre ces deux pouvoirs
réglementaires, ce qui revient à admettre que l'un sera exclusif de l'autre.
Comme pour la situation de fait existant aujourd'hui en matière d'aides
économiques, le pouvoir réglementaire national ne trouvera plus à s'exercer dès
lors que la collectivité territoriale de Corse aura déterminé ses propres
règles. C'est à ce démantèlement du pouvoir normatif que je vous propose
aujourd'hui d'opposer un refus.
Je suis un peu long, monsieur le ministre
(Non ! sur les travées du RPR.),
mais le sujet vaut tout de même qu'on
s'en explique au fond !
J'en viens au précédent des aides économiques. Le texte validé en 1991 par le
Conseil constitutionnel en la matière renvoyait à un décret en Conseil d'Etat -
et c'est pour cette raison que le texte avait été accepté - la détermination
des conditions dans lesquelles l'Assemblée de Corse exercerait sa compétence en
matière économique. Ce point était donc, d'avance, encadré dans la loi par un
décret en Conseil d'Etat, relevant du pouvoir réglementaire du Premier
ministre.
Il est donc inexact d'affirmer, comme vous l'avez fait hier, monsieur le
ministre, que le Conseil constitutionnel a validé l'exclusion du pouvoir
réglementaire national, puisque, en réalité, c'est le Conseil d'Etat qui,
bizarrement, a trouvé inutile de prendre le décret concerné. C'est sur ce vide
juridique que prospère actuellement l'équivoque dont vous tirez un précédent.
Cela ne me semble pas tout à fait sérieux ! La situation est une situation de
fait, non une situation de droit.
Il a été dit que le projet de loi n'accorde pas un pouvoir législatif à
l'Assemblée de Corse, mais définit une procédure. Sur ce point, je ne suis pas
loin de partager certains arguments de notre collègue Michel Charasse, même si
nous divergeons dans notre appréciation de l'effectivité du système dans son
ensemble.
Première question : est-ce une véritable procédure ou une procédure virtuelle
?
Interrogé par moi-même, le Gouvernement a fait savoir que « le projet de loi
se contente de fixer une règle de procédure applicable au fonctionnement de la
collectivité territoriale. Le Gouvernement reste maître de choisir la suite
qu'il entend réserver à cette demande. Il demeure libre de saisir le Parlement
d'un projet de loi ou d'un amendement apportant une réponse à cette demande.
Naturellement, une telle initiative peut découler d'une proposition de loi.
»
Quand on connaît le sort de l'article 26 de la loi du 13 mai, que la
commission vous proposera d'ailleurs de récrire, on devine que la nouvelle
procédure a toutes les chances de rester virtuelle !
Cependant, l'article 1er n'est que la face émergée de l'iceberg : il y a une
face immergée que l'on découvre dans plusieurs autres articles du projet de
loi.
Je pense ici aux aides économiques, à l'article 17, qui soulèvera
vraisemblablement les mêmes problèmes que le statut de 1991, en particulier la
suppression de fait du renvoi à un décret en Conseil d'Etat.
Je pense aussi à l'« adaptation » - pour ne pas parler de « dérogation » - de
la loi littoral sur trois points par le fameux article 12, à propos duquel je
me permets de faire remarquer une seconde fois à M. le ministre que la
procédure prévue à l'intérieur du projet de loi est exactement contraire à la
procédure prévue à l'article 1er. En effet, elle n'émane pas d'une demande de
la collectivité territoriale de Corse, et, si l'on peut admettre que les
grands-messes de Matignon ou, à la limite, le vote par quarante-quatre voix
contre huit de l'Assemblée de Corse valent consultation sur ce point précis,
voire demande de la collectivité territoriale de Corse, il n'y a, en tout état
de cause, pas de limitation quant à l'objet, pas de durée prévue pour
l'expérimentation, pas de sanction, pas de validation. Bref, c'est l'inverse de
ce qui est prévu au paragraphe IV de l'article 1er !
Le moins que l'on puisse dire est que c'est assez curieux, et je passe sur les
délibérations de l'Assemblée de Corse tenant lieu de décret, notamment pour la
composition du conseil des sites !
J'en viens enfin à Saint-Pierre-et-Miquelon, exemple évoqué hier par notre
excellent collègue Louis Le Pensec.
Saint-Pierre-et-Miquelon est un archipel un peu plus distant du continent que
ne l'est la Corse - 4 000 kilomètres contre 200 -...
M. Jean Chérioux.
C'est si peu !
M. Paul Girod,
rapporteur.
... et peuplé de quelque 6 000 habitants - contre 260 000 -
en même temps qu'un ex-département d'outre-mer...
Comme Mayotte, sa filiation juridique n'est donc pas celle d'un département
français, même s'il s'agit d'une collectivité territoriale de type particulier,
et cela a tout de même son importance !
La collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon a été territoire d'outre-mer de
1946 à 1976, département d'outre-mer de 1976 à 1985 et collectivité
territoriale à statut particulier depuis 1985.
Je dois avouer, monsieur le ministre, avoir fait hier une confusion à propos
de l'article 72 de la Constitution.
Mais, si Saint-Pierre-et-Miquelon fait, comme la Corse, partie des
collectivités à statut particulier, le principe de spécialité législative s'y
applique, ce qui signifie que le Parlement peut décider que, dans ce territoire
- tout petit et très particulier - telle ou telle loi ne s'appliquera pas, ce
qui nous ramène à la notion de vide juridique dont je parlais tout à l'heure à
propos du pouvoir réglementaire : c'est alors que, par substitution, la
collectivité territoriale exerce ses compétences.
Pourquoi la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon n'a-t-elle pas voulu être
autre chose qu'une collectivité particulière et n'est, par exemple, jamais
devenue un département français comme cela avait été proposé à sa population,
qui avait refusé ? La raison, c'est que les droits de pêche auraient été
singulièrement réduits.
Cette raison, ajoutée à l'exiguïté du territoire, à sa faible population, à
son éloignement, explique que l'on soit dans le domaine de la spécialité
législative, le Parlement pouvant donc décider que telle ou telle loi ne
s'appliquera pas et laissant alors compétence à l'autorité locale. Il est vrai
toutefois que ce principe connaît un infléchissement à
Saint-Pierre-et-Miquelon, et ne s'applique pas de façon systématique comme dans
les territoires d'outre-mer. Cette caractéristique n'enlève cependant rien au
fait que c'est le Parlement qui prend la décision : le législateur doit étendre
et adapter expressément nombre des dispositions à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il
s'agit donc bien d'initiative parlementaire, donc d'Etat.
J'en arrive au dernier exemple avancé, auquel notre collègue Daniel Hoeffel a
déjà fait justice, l'Alsace-Moselle.
Certes, l'Alsace-Moselle, comme la Ville de Paris ou d'autres collectivités, a
un statut particulier, mais, ces statuts particuliers, qui les a mis au point ?
L'Alsace-Moselle, la Ville de Paris ou le Parlement ?
Plusieurs sénateurs du RPR.
Le Parlement !
M. Paul Girod,
rapporteur.
Le Parlement a voté une loi prévoyant que telle disposition
s'appliquait à l'Alsace-Moselle et nulle part ailleurs, mais, en aucun cas,
l'assemblée délibérante de l'Alsace-Moselle - pas plus que celle de la Ville de
Paris - ne s'est vu offrir la possibilité de faire « joujou » avec la loi !
M. Jean Chérioux.
Heureusement !
M. Paul Girod,
rapporteur.
Je suis donc de ceux qui pensent que ces dispositions à
propos desquelles on fait tant de bruit, qui ne sont que des effets
d'affiche,...
M. Philippe Marini.
Exactement !
M. Paul Girod,
rapporteur.
... de la marchandise d'appel,...
M. Philippe Marini.
De la gesticulation !
M. Paul Girod,
rapporteur.
... n'ont pas de fondement juridique et ne peuvent qu'être
sanctionnées par le Conseil constitutionnel.
Monsieur le ministre, je ne parle plus du paragraphe IV, auquel il me semble
que je viens de faire justice sur le plan de l'application juridique et auquel
j'ai fait justice hier sur le plan pratique. Je me permets d'ailleurs de vous
rappeler que je vous ai demandé ce sur quoi portaient les demandes des
responsables de l'île. Je n'ai obtenu aucune réponse, sauf pour la loi
littoral, les dispositions la concernant ayant été contestées le lendemain du
jour où vous les avez introduites dans le projet de loi par certains de ceux
qui souhaitaient qu'elle soit évoquée...
J'ajoute que nous sommes tout de même le 7 novembre 2001. Or, pour être utiles
et pouvoir être appréciées en vue d'une éventuelle révision en 2004, les
expérimentations législatives doivent être menées pendant un certain temps.
Nous avons, mes chers collègues, un ordre du jour quasiment démentiel jusqu'à
la fin du mois de février, nous entrerons ensuite dans une période de « latence
» parlementaire et, si je suppose qu'il y aura au mois de juillet une session
extraordinaire, ne serait-ce que pour habiliter le Gouvernement constitué le 25
juin à procéder par ordonnances, je pense que ledit Gouvernement aura à ce
moment autre chose à faire que de proposer des expérimentations spécifiques à
la Corse sur demande de la collectivité territoriale de Corse !
Tout cela est donc vide de sens : aucune loi autorisant une expérimentation -
en admettant qu'elle serait constitutionnelle - n'entrera en vigueur avant
2003, ce qui rend nulle sa valeur pour 2004.
Mais j'ai dit que je ne parlais plus du paragraphe IV et j'en viens au
paragraphe II, dont le premier alinéa est ainsi rédigé à l'issue des travaux de
l'Assemblée nationale : « Le pouvoir réglementaire de la collectivité
territoriale de Corse s'exerce dans le cadre des compétences qui lui sont
dévolues par la loi. »
Pourquoi inscrire dans la loi une telle précision ? C'est une règle courante
!
J'en viens au deuxième alinéa : « Sans préjudice des dispositions qui
précèdent, dans le respect de l'article 21 de la Constitution, et pour la mise
en oeuvre des compétences qui lui sont dévolues en vertu de la partie
législative du présent code, la collectivité territoriale de Corse peut
demander à être habilitée par le législateur à fixer des règles adaptées aux
spécificités de l'île... »
Monsieur le ministre, ou les règles visées entrent en conflit avec le pouvoir
normatif du Premier ministre et elles ne peuvent passer, ou elles entrent dans
le champ des compétences dévolues à la collectivité territoriale de Corse,
c'est-à-dire dans le cadre du premier alinéa. Dans ces conditions, à quoi sert
le deuxième alinéa ? A rien ! Ou alors, il est totalement inconstitutionnel !
Encore une fois, c'est de la marchandise d'appel, pas du droit positif !
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission spéciale souhaite
préciser les conditions dans lesquelles, pour la première fois peut-être,
l'article 26 de la loi de 1991 pourra porter ses fruits s'agissant des
conditions d'instruction des dossiers, de leur transmission au pouvoir central,
de l'information du Parlement et des relations ultérieures - si le Gouvernement
accepte - entre le préfet et la collectivité territoriale, en s'en tenant au
pouvoir de remontrance et au pouvoir de proposition de l'Assemblée de Corse en
matière réglementaire et législative.
C'est le système qui avait été prévu, il n'a pas fonctionné ; nous allons
maintenant essayer de le faire fonctionner.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je ne vais pas refaire maintenant l'exercice auquel je me suis livré
hier soir pour répondre à M. Autexier, auteur d'une motion tendant à opposer
l'exception d'irrecevabilité qui, je le rappelle, n'a pas été adoptée par le
Sénat. Je rappellerai seulement une nouvelle fois les intentions du
Gouvernement en revenant rapidement sur les deux points de l'article 1er qui
font débat, à savoir sur les paragraphes II et IV du texte proposé pour
l'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales.
Je veux éviter qu'un débat inapproprié ne se déroule entre nous. Les
dispositions contenues dans ces paragraphes n'ont pour objet ni de doter la
collectivité territoriale d'un pouvoir réglementaire équivalent à celui du
Gouvernement, ni d'attribuer une quelconque compétence législative à
l'Assemblée de Corse.
M. Michel Charasse.
Ah !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Le paragraphe II du texte proposé pour l'article
L. 4424-2 rappelle, dans son premier alinéa, qu'une compétence décentralisée
peut être exercée par le biais de règlements. Il ne faudrait pas ergoter sur
les termes : un règlement peut être édicté par le Gouvernement, la Commission
européenne, un maire, un département ou la collectivité territoriale de Corse.
Nous parlons de manière générale de « règlement » ou de « pouvoir réglementaire
», c'est-à-dire, pour utiliser le langage des juristes, de « dispositions
générales et impersonnelles ».
Comme le rappellent les éminents juristes Olivier Duhamel et Yves Mény dans
leur dictionnaire constitutionnel : « En France, l'expression "pouvoir
réglementaire" désigne la compétence des autorités exécutives et
administratives pour poser des normes générales et impersonnelles applicables
sur tout ou partie du territoire. »
On ne peut donc raisonnablement contester que des autorités locales disposent
d'un pouvoir réglementaire.
Mais il appartient au législateur de définir au cas par cas, pour l'exercice
des compétences de la collectivité, les conditions dans lesquelles la loi doit
être mise en oeuvre.
Il ne s'agit là, ni plus, ni moins, que d'un exercice de décentralisation dans
le cadre classique des articles 34 et 72 de la Constitution pour la mise en
oeuvre du principe de libre administration des collectivités locales.
Tel était d'ailleurs l'avis rendu par le Conseil d'Etat quand il a examiné le
texte initial du projet de loi du Gouvernement.
On ne peut évidemment pas parler, comme certains intervenants l'ont fait hier,
d'un pouvoir réglementaire général de la collectivité. Ce n'est pas du tout le
sens du projet de loi.
En résumé, entre le pouvoir réglementaire général et un pouvoir réglementaire
« résiduel » - expression qui a été utilisée tout à l'heure -, un pouvoir
réglementaire est confié par le législateur aux collectivités locales pour
l'exercice de leurs compétences dans le cadre du principe de libre
administration des collectivités locales.
Je suis d'ailleurs surpris que cette réalité incontestable soit méconnue dans
cette assemblée qui a pourtant contribué à porter haut et fort le principe de
libre administration des collectivités locales.
Quant au second point, on cherchera vainement dans le paragraphe IV de
l'article une quelconque autonomie législative de la collectivité territoriale.
On trouvera plutôt des règles de procédure imposées à la collectivité
territoriale pour formuler, de manière claire et rationnelle, des demandes
tendant à lui permettre, si le législateur y donne suite, de tester une
législation différente, mieux adaptée à la situation de la collectivité. Avant
comme après ce texte, c'est le législateur et lui seul qui fixera le contenu
des normes. Il en aura la possibilité et non l'obligation. Le Gouvernement
n'est pas tenu de répondre à la demande de la collectivité territoriale...
M. Michel Charasse.
Exact !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
... et le Parlement n'est naturellement pas tenu
de voter les textes que le Gouvernement pourrait lui soumettre en la matière.
Ces précisions sont importantes puisque, à défaut, le texte irait à l'encontre
de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Sur le fond, les dispositions du paragraphe IV visent à clarifier les
conditions dans lesquelles des modifications législatives des compétences de la
collectivité territoriale pourraient être apportées sur l'initiative de
celle-ci. Chacun a souligné les limites de l'article 26 du statut de 1991. Si
ces dispositions, qui ressemblent, de près ou de loin, à l'écriture d'une
pratique de voeux que connaissent bien les collectivités locales, n'ont pas eu
le succès escompté, c'est aussi parce qu'elles sont rédigées d'une manière trop
générale et qu'elles ne peuvent, à elles seules, donner un cadre solide aux
initiatives locales.
M. Michel Charasse.
C'est aussi parce que l'Assemblée nationale ne sait pas ce qu'elle veut !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Notre propos est non pas, je le souligne de
nouveau, de doter la collectivité territoriale d'un pouvoir législatif, mais de
permettre à celle-ci d'inviter le législateur, sur une demande motivée et
raisonnée, à prévoir des adaptations de sa propre décision tenant compte du
contexte local.
En résumé, je souhaite clairement indiquer que l'on ne pourra pas faire grief
au texte proposé par le Gouvernement d'instituer un nouveau pouvoir législatif
quand tout se passe sous le contrôle total et permanent du législateur, sans
aucune délégation de sa compétence à la collectivité territoriale.
A propos de l'article 12, que vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, au
terme de votre intervention et sur lequel nous reviendrons dans le cours de la
discussion, s'il n'y a pas d'encadrement du pouvoir d'adaptation législatif,
c'est précisément parce que le Conseil d'Etat a estimé qu'il s'agissait d'une
adaptation de normes réglementaires et que l'inscription d'une disposition
ayant été réécrite par l'Assemblée nationale ne posait pas de problème en
termes d'anticonstitutionnalité. Vous voyez donc bien que le Conseil d'Etat a
complètement validé cette adaptation du pouvoir réglementaire.
Je voudrais, mesdames, messieurs les sénateurs, rappeler ces éléments avant
que nous n'abordions l'examen des amendements. Pour conclure sur une note plus
politique, comme on dit dans cette assemblée qui l'est par essence, je dois
souligner, à la suite des interventions de MM. Jean-Pierre Bel et Michel
Charasse, dont les remarques me semblent frappées au coin du bon sens et
pleines de justesse, que le projet de loi qui a été adopté par l'Assemblée
nationale et qui est soumis aujourd'hui au Sénat n'est effectivement pas le
texte initial du Gouvernement.
MM. Jean-Pierre Bel et Michel Charasse.
Bien sûr !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Comme je l'ai déjà indiqué, le Gouvernement a
travaillé avec la commission des lois de l'Assemblée nationale pour aboutir au
texte qui vous est présenté aujourd'hui. Dois-je rappeler que ce projet de loi,
notamment l'article 1er dans ses différentes dispositions, a été voté bien
au-delà des rangs de la seule majorité qui soutient le Gouvernement à
l'Assemblée nationale ?
M. Philippe Marini.
Il se trouve qu'il y a deux assemblées ! Il faut le supporter !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Je pense ici à MM. Barre et Balladur, à
plusieurs députés membres du RPR, ainsi qu'à MM. Léotard, Rossi, Madelin... Il
s'agit là d'élus de la nation forts d'une certaine expérience.
M. Philippe Marini.
Bien sûr ! Il y en a ici aussi !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
C'est bien le signe que toutes les craintes ou
réserves qui ont été exprimées et qui amèneront la commission spéciale du Sénat
à présenter des amendements de suppression de l'article 1er ne sont pas
fondées, que ce texte est équilibré et que sa constitutionnalité ne fait pas de
doute.
Voilà pourquoi je m'opposerai aux propositions de suppression de l'article
1er.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
L'amendement n° 3, présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission
spéciale, est ainsi libellé :
« A la fin de la première phrase du premier alinéa du texte proposé par
l'article 1er pour l'article L. 4424-1 du code général des collectivités
territoriales, remplacer les mots : "les affaires de la Corse" par les mots :
"les affaires de la collectivité territoriale de Corse". »
L'amendement n° 243, présenté par M. Bret, Mmes Luc, Beaudeau, Beaufils,
Bidard-Reydet et Borvo, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM.
Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Mathon, MM. Muzeau, Ralite et Renar et Mme
Terrade, est ainsi libellé :
« Dans la première phrase du premier alinéa du texte proposé par l'article 1er
pour l'article L. 4424-1 du code général des collectivités territoriales, avant
les mots : "de la Corse", insérer les mots : "de la collectivité territoriale".
»
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 3.
M. Paul Girod,
rapporteur.
J'ai dit hier que le texte proposé pour l'article L. 4424-1
du code général des collectivités territoriales constituait une « marchandise
d'appel », parce qu'il est partiellement inefficace et partiellement
inconstitutionnel - tout au moins dans certaines de ses dispositions, je ne
parle pas ici des compétences prévues, qui sont substantielles et sur
lesquelles nous reviendrons ultérieurement - et qu'il était en même temps
insidieux.
En effet, le texte qui nous a été transmis par l'Assemblée nationale prévoit
tout d'abord que « l'Assemblée de Corse règle par ses délibérations les
affaires de la Corse ».
La Corse, c'est peut-être la collectivité territoriale de Corse, mais c'est
aussi, sur le plan territorial, deux départements et 360 communes. On ne peut
pas dire, par conséquent, que l'Assemblée de la collectivité territoriale de
Corse règle les affaires de la Corse : elle règle les affaires de la
collectivité territoriale de Corse. C'est le droit commun, c'est clair et cela
n'introduit pas d'ambiguïté. C'est la raison pour laquelle la commission
spéciale propose au Sénat de revenir au droit existant.
M. le président.
La parole est à M. Bret, pour présenter l'amendement n° 243.
M. Robert Bret.
L'amendement n° 243, vous l'aurez compris, mes chers collègues, n'est pas de
portée purement rédactionnelle ; il concerne, bien au contraire, l'esprit même
du projet de loi.
J'estime, en effet, que la spécificité corse ne justifie pas la mise à l'écart
de la République.
En effet, s'il est urgent d'élaborer un statut pour la collectivité
territoriale qui réponde à la singularité de la Corse, à son insularité, à son
identité culturelle et à son impérieux besoin de développement économique,
cette urgence ne justifie pas que, par des manoeuvres juridiques, l'on
aboutisse à une remise en cause de l'unité même de la République. Pourquoi
vouloir à tout prix effacer les références à l'appartenance à la République,
but visé, on le sait, par les nationalistes corses ?
Nous estimons nécessaire de rappeler, par cet amendement, l'esprit et la
lettre de l'article 72 de la Constitution, qui définit la place des
collectivités territoriales de la République.
Comme l'a souligné M. Bruno Le Roux, rapporteur à l'Assemblée nationale, « il
s'agit d'une disposition du projet de loi qui peut sembler symbolique, mais qui
est importante ».
L'évolution du débat depuis le printemps, mais aussi, et c'est un point qui
doit être relevé, la nécessité de bien délimiter les rapports entre les
différentes collectivités territoriales corses imposent d'éviter tout flou,
fût-il symbolique.
Je propose donc au Sénat d'adopter cet amendement, en rappelant, comme je l'ai
déjà fait, voilà un instant, à propos de l'article 1er, que sa similitude avec
l'amendement de la commission spéciale ne peut masquer l'existence de
différences d'appréciation fondamentales entre les sénateurs communistes et la
majorité sénatoriale sur l'avenir de la Corse.
(M. le rapporteur
sourit.)
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 243 ?
M. Paul Girod,
rapporteur.
La commission spéciale demande à M. Bret de bien vouloir
retirer cet amendement pour se rallier à celui qu'elle a présenté. Cela
n'entraîne aucune espèce de présomption d'identité des positions respectives de
la majorité de la commission spéciale et du groupe communiste républicain et
citoyen, mais il est vrai qu'il est inutile d'anticiper sur la disparition des
deux départements et encore moins sur celle des 360 communes.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 3 et 243 ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
La rédaction de l'article L. 4424-1 du code
général des collectivités territoriales présentée par le Gouvernement a, je le
rappelle, été validée par le Conseil d'Etat et adoptée dans les mêmes termes
par l'Assemblée nationale. La formule retenue ne peut en aucun cas remettre en
cause la compétence générale de l'Etat ni celles des différentes collectivités
locales en Corse. Elle a essentiellement une valeur symbolique, compte tenu de
l'accroissement significatif des compétences de la collectivité territoriale de
Corse.
Par conséquent, je suis amené à émettre un avis défavorable sur ces deux
amendements.
M. Michel Charasse.
Ah !
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 3.
M. Philippe Marini.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
J'avoue être vraiment très surpris des propos que vient de tenir M. le
ministre.
En effet, en droit public, il existe un certain nombre d'entités : il y a les
Etats et il y a des entités subétatiques, qui, dans notre ordre juridique
interne, s'appellent des collectivités territoriales, qu'il s'agisse des
collectivités territoriales de métropole, des départements ou territoires
d'outre-mer ou des collectivités à statut spécifique.
Dans ce texte, il est un peu partout question de la collectivité territoriale
de Corse. Par conséquent, je ne parviens vraiment pas à comprendre en vertu de
quel raisonnement M. le ministre rejette une simple précision sémantique
consistant à indiquer que l'on évoque bien ici les affaires de la collectivité
territoriale de Corse !
En effet, comment pourrait-on imaginer que l'Assemblée de Corse puisse gérer
autre chose que les affaires de la collectivité territoriale ? Croit-on que
l'Assemblée de Corse gérera une sorte d'entité chimérique n'ayant aucune
traduction juridique, n'exerçant pas de compétences et n'ayant aucune place
définie dans l'ordre juridique interne ? Mais que signifie cela ?
Je crois qu'il s'agit véritablement là d'une sorte d'aveu du caractère
déclamatoire ou proclamatoire de ce projet de loi, d'une illustration de ce
qu'affirmait très justement tout à l'heure M. le rapporteur au cours de sa
démonstration, que j'ai écoutée pour ma part avec un très grand intérêt, quand
il nous disait que le texte tel qu'il nous a été transmis comporte dans une
large mesure, au moins à l'article 1er, des décisions sans contenu normatif.
C'était d'ailleurs aussi, si je ne m'abuse, pour une bonne part, sur le fond,
le sens de l'intervention de M. Charasse tout à l'heure.
(M. Charasse opine.)
Un texte conçu pour proclamer, pour constituer une sorte de publicité
législative à l'adresse de l'opinion publique, ce n'est pas une loi, et vous le
savez fort bien, monsieur le ministre, tout aussi bien que nous. Une loi, c'est
l'expression de la volonté générale sous forme de normes susceptibles d'être
appliquées par des entités ayant une place dans l'ordre juridique et exerçant
des compétences.
Par conséquent, au nom de quoi refusez-vous, monsieur le ministre, que
l'Assemblée de Corse règle les affaires de la collectivité territoriale, et
préférez-vous l'expression littéraire et sans aucun contenu juridique qui
figure dans votre projet de loi ? Cette question apparemment sémantique nous
place en fait au coeur même de la problématique du texte, et il me semble, mes
chers collègues, qu'il est indispensable, pour des raisons de clarté, de nous
rallier à la position de la commission spéciale.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean Chérioux.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Je serai bref, d'autant que M. Marini a largement devancé mon propos.
J'insisterai cependant sur le fait que si je n'avais pas été d'emblée
entièrement convaincu par M. le rapporteur, je l'aurais été par M. Charasse,
qui a démontré de façon claire qu'il s'agit ici de textes de procédure,
lesquels, de ce simple fait, ne peuvent pas être anticonstitutionnels.
Je laisse à M. Charasse la paternité de ses propos, mais il découle de ce
raisonnement que ne pourraient être déclarées anticonstitutionnelles que les
décisions prises en fonction de cette procédure. Je me demande alors vraiment à
quoi pourrait bien servir de voter un texte visant uniquement à instaurer une
procédure qui ne pourrait être utilisée par la suite ! C'est tout à fait
aberrant ! Il s'agit là, comme l'a souligné M. le rapporteur, d'un effet
d'affichage, or notre tâche est de régler sur le fond une question très
douloureuse, la question corse.
M. Jean-Pierre Bel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Bel.
M. Jean-Pierre Bel.
M. le ministre l'a dit : il s'agit ici d'une disposition de principe
consacrant en fait le renforcement des compétences dévolues à la collectivité
territoriale de Corse par le présent projet de loi.
Le Conseil d'Etat a estimé que cette disposition ne met aucunement en question
les compétences des autres collectivités en Corse. La collectivité territoriale
de Corse exerce bien sûr ses pouvoirs dans le cadre des compétences qui lui
sont dévolues par la loi. Cela ne remet nullement en question le principe de
libre administration des collectivités territoriales et, contrairement à ce qui
a été dit, n'est en aucune manière une anticipation de la phase 2004. Voilà
pourquoi nous voterons contre cet amendement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Of course !
M. Lucien Lanier.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Lanier.
M. Lucien Lanier.
Après ce qu'ont parfaitement dit MM. Marini et Chérioux, je serai bref.
Monsieur le ministre, votre refus de l'amendement proposé par M. le rapporteur
n'est pas complètement innocent.
Mme Hélène Luc.
Ça c'est clair !
M. Lucien Lanier.
En effet, l'expression que vous employez, « la Corse », permet toutes les
suppositions et, en définitive, d'envisager toutes les entités possibles et
imaginables.
M. Michel Caldaguès.
C'est l'auberge espagnole !
M. Lucien Lanier.
C'est la raison pour laquelle il est bon de remettre les pendules à l'heure en
parlant de « la collectivité territoriale de Corse ».
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 3, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'amendement n° 243 n'a plus d'objet.
L'amendement n° 4, présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission
spéciale, est ainsi libellé :
« Dans le premier alinéa du I du texte proposé par l'article 1er pour
l'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales, remplacer
les mots : "dispositions réglementaires" par les mots : "dispositions
législatives ou réglementaires" (deux fois). »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod,
rapporteur.
D'abord, monsieur le ministre, la loi n'est pas symbole, elle
est norme,...
M. Michel Charasse.
Sauf en Corse !
M. Paul Girod,
rapporteur.
... et notre rôle est de l'écrire.
M. Philippe Marini.
De façon compréhensible !
M. Paul Girod,
rapporteur.
« Ecrire est un acte d'amour, s'il ne l'est pas, il n'est
qu'écriture », disait Cocteau. En l'occurrence, nous sommes en train de montrer
de quelle manière nous aimons la Corse et ses collectivités territoriales.
J'en viens à l'amendement n° 4.
Il résume à lui seul la philosophie des amendements qui vont suivre. Le
Gouvernement a réparti entre les I, II, III et IV des propositions variées
d'observations sur le règlement et sur la législation auxquelles s'ajoutent un
certain nombre de pistes d'expérimentation. Nous avons dit, depuis longtemps,
que tout cela nous semble inconstitutionnel au pire, totalement inopérant au
mieux.
Notre souci est de faire en sorte que, en matière législative et
réglementaire, la collectivité puisse effectivement remplir le rôle que le
statut de 1991 lui avait dévolu, à savoir ce que j'avais appelé « le pouvoir de
remontrance et de proposition », dans le cadre d'une procédure mieux définie,
de manière à la rendre, nous l'espérons, plus opérationnelle et par conséquent
plus efficace. En l'état actuel de notre droit, cela nous semble la seule
possibilité.
C'est la raison pour laquelle nous proposons de joindre les dispositions
législatives aux dispositions réglementaires, afin que la collectivité puisse,
comme c'est le cas actuellement, s'exprimer sur les différents aspects de
l'application juridique d'un certain nombre de textes dans l'île. Elle pourra
ainsi faire remarquer que, ici ou là, se posent des difficultés, ce qui, après
tout, est son rôle. C'est mieux qu'un voeu, monsieur le ministre, dans la
mesure où ces propositions sont transmises au Premier ministre par le président
du conseil exécutif.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Le Gouvernement est hostile à cet amendement,
plus exactement, il est hostile à la réécriture de l'article 1er dont cet
amendement constitue en fait les prémices. Le rétablissement pur et simple de
l'article 26 de la loi de 1991 n'est pas une solution. Vous avez vous-même
souligné dans votre rapport, monsieur Paul Girod, que le mécanisme imaginé en
1991 n'avait pas fonctionné. Je ne puis, dans ces conditions, que m'étonner de
cette initiative.
En votant cet amendement, comme les suivants, la Haute Assemblée paraîtrait se
contredire. On ne peut tout à la fois réclamer dans des propositions de lois
constitutionnelles ou ordinaires plus de compétences et de responsabilités pour
les collectivités locales, bref, pour la fameuse République d'en bas, et se
réfugier, dès qu'il s'agit de passer à une application concrète, dans une
hypothétique vue d'ensemble qui conditionnerait toute évolution pour la
Corse.
Enfin, les débats en commission ont démontré que la rédaction adoptée par
l'Assemblée nationale pour l'article 1er levait nombre de doutes
constitutionnels que la rédaction initiale pouvait comporter.
La commission propose non d'améliorer encore la rédaction, mais de tout
supprimer, c'est-à-dire, implicitement mais nécessairement, de nier la
possibilité pour une collectivité locale de disposer d'un pouvoir
réglementaire, par exemple, s'agissant du domaine de la loi, de demander, selon
une procédure claire et connue d'avance, que le Parlement adapte la loi aux
spécificités insulaires.
Pourtant, le texte du projet de loi est désormais clair. Toute action de la
collectivité se place sous l'égide du législateur. C'est lui qui habilite
explicitement la collectivité territoriale à prendre des règlements pour
appliquer la loi. C'est encore lui qui examine la suite qu'il entend donner à
une demande de cette collectivité d'expérimenter une législation différente
dont le législateur fixerait lui-même le contenu.
Pour ces raisons, évidentes, je demande au Sénat de rejeter cet amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 4.
M. Robert Bret.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Nous comprenons bien la volonté de M. le rapporteur de revenir à l'article 26
du statut de 1991 en l'améliorant. Mais peut-on se satisfaire d'un tel
statu
quo
et, surtout, le débat a-t-il été suffisant pour tirer aujourd'hui tous
les enseignements sur les raisons profondes de l'échec de cette procédure ?
Pour ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendra.
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Monsieur le ministre, votre logique n'est pas la nôtre. Nous, nous suivons
celle de M. le rapporteur. Cette autre logique veut que nous adoptions
l'amendement n° 4.
L'article 26 de la loi de 1991 n'a pas été appliqué, pour deux raisons. D'une
part, le Conseil constitutionnel l'a quelque peu « émasculé ». D'autre part, le
Gouvernement n'a jamais répondu aux demandes de l'Assemblée territoriale de
Corse.
Un sénateur socialiste.
Si !
M. Patrice Gélard.
Non !
M. Michel Charasse.
Il faut voir les demandes !
M. Patrice Gélard.
Les dossiers se sont égarés dans les services. M. le rapporteur nous propose
d'améliorer assez considérablement le dispositif et d'étendre son champ
d'application au domaine législatif. De plus, c'est la logique de la suite, à
partir du moment où l'on supprime les II et III, il est bien évident que notre
lecture n'est pas celle que fait le Gouvernement. Notre position est simple :
nous suivons la lecture de M. le rapporteur, et non celle du Gouvernement.
M. Jean-Pierre Bel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Bel.
M. Jean-Pierre Bel.
Monsieur Gélard, votre logique n'est pas la nôtre.
Vous voulez revenir au dispositif de l'article 26 du statut de 1991, que vous
avez reconnu totalement inopérant. Cet amendement est le prélude à d'autres
amendements qui visent à supprimer toutes les possibilités d'adaptation
réglementaire ou législative. Comme vous l'avez dit, nous ne sommes pas dans la
même logique. Nous suivrons notre propre logique et nous voterons donc contre
cet amendement.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Votre argumentation est valeureuse, monsieur le ministre. Vous vous battez -
on le voit bien - avec beaucoup d'énergie pour essayer de nous faire croire à
l'invraisemblable. Vous voudriez faire croire que les décentralisateurs que
nous sommes...
M. Marcel Debarge.
Cela n'a pas toujours été le cas !
M. Jean-Pierre Raffarin.
... et que nous représentons, très nombreux, au sein de la Haute Assemblée
approuvent l'orientation qui est la vôtre.
Or, par cette démarche, vous travaillez contre la décentralisation. En effet,
vous opposez en permanence - vous ne voulez pas, comme M. le rapporteur vous le
demande, lever les ambiguïtés - la République d'en bas dont vous avez parlé et
la République d'en haut.
Pour nous, il n'existe qu'une république. Ce que nous voulons, c'est que les
choses partent d'en bas, mais dans une cohérence républicaine. A partir du
moment où, en permanence, vous posez la question de la République, vous ne
posez pas la question de la Corse. Je vous le dis, monsieur le ministre, votre
texte comporte des dispositions positives, que nos compatriotes, en Corse et
sur le continent, attendent. Il y a des choses qui peuvent aider la Corse et
les Corses. Mais, par cet entêtement stratégique et politique, vous jetez
l'ambiguïté sur un processus sur lequel nous voulons avancer.
En fait, votre logique consiste à vouloir nous imposer l'extrême pour ne rien
faire. Nous souhaitons avancer dans la décentralisation, mais nous voulons le
faire dans un cadre républicain, dans toutes les régions. A l'Assemblée
nationale, vous avez refusé les demandes de nos collègues concernant un
accroissement des responsabilités.
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Nous ne voulons pas une décentralisation qui soit accordée ici ou là, au gré
des événements et de la tactique gouvernementale. Nous voulons une pensée
nouvelle sur une République qui tiendrait compte de ses territoires, dans un
cadre global pour la Corse et pour les autres régions.
Or, en permanence, en faisant de cette question une question extrêmement
politique, une question qui aurait été négociée, une question qui a un contexte
politique qui nous inquiète, vous mettez en cause la République et vous
abandonnez la cause de la Corse. Nous voulons, ici défendre la cause de la
Corse et des républicains corses. C'est la raison pour laquelle nous sommes en
désaccord fondamental et nous suivrons la voie de M. le rapporteur.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Je n'aurai pas pour habitude, dans cette
discussion, de reprendre la parole après les orateurs, chacun devant exprimer
sa position sur les amendements.
Tout à l'heure, j'ai bien vu la réaction de M. Raffarin quand j'ai fait part
de mon incompréhension à l'égard de l'attitude de la majorité sénatoriale à
partir de ses amendements, quand j'ai évoqué les multiples propositions que
fait la Haute Assemblée, en tout cas sa majorité. Je constate que lorsqu'il
faut passer aux actes, c'est beaucoup plus difficile.
Il y a eu l'avant-1981, rien ne s'est produit.
M. Michel Charasse.
Des morts !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Il y a eu 1982,...
M. Michel Charasse.
Des morts !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
... 1983,...
M. Michel Charasse.
Des morts !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
... des lois de décentralisation, certains
étaient pour, d'autres étaient contre. Depuis un certain nombre d'années, il y
a ...
M. Michel Charasse.
Des morts !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
... des pas en avant.
J'ai essayé, au nom du Gouvernement, à la suite de la commission présidée par
M. Pierre Mauroy, de les traduire dans le texte relatif à la démocratie de
proximité. A l'Assemblée nationale, à partir des dispositions que je proposais
pour organiser le transfert de certaines compétences en Corse, j'ai envisagé,
notamment à la demande d'orateurs sur tous les bancs de l'Assemblée nationale,
d'étendre le dispositif aux régions. Au nom de l'association que vous présidez,
vous m'avez dit qu'il s'agissait de pas en avant, et que vous nous appuieriez
dans cette démarche. Monsieur Raffarin, j'ai parfois le sentiment que, en
matière de décentralisation, il y a ceux qui font miroiter les grands soirs
mais qui, quand ils sont aux responsabilités ne font rien et ceux qui,
concrètement, veulent faire avancer les choses, y compris quand c'est pour
résoudre un problème, en l'occurence celui que connaît la Corse. En la
circonstance je n'ai absolument pas le sentiment de démanteler la République.
J'ai, en revanche, l'envie de faire progresser la Corse sur la voie de la paix,
sur la voie de son développement, de la responsabilisation de ses élus, à qui
je fais confiance car ce sont les élus du suffrage universel.
Comme je le disais hier soir, je suis parfois surpris du manque de confiance
dans les élus du suffrage universel de Corse,...
M. Jean-Pierre Raffarin.
Pas du tout !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
... et notamment de vos amis.
(Applaudissements sur les travées socialiste et protestations sur les
travées du RPR.)
M. Jean-Pierre Raffarin.
Vous ne sortirez pas de l'impasse par la mauvaise foi !
M. Philippe Marini.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
La position préconisée par la commission est la seule qui soit conforme à la
Constitution. Pour ma part, je voterai les amendements de la commission, à
commencer par le premier qui nous est soumis. En effet, nous ne saurions
préjuger le vote d'une hypothétique révision de la Constitution. Nous n'avons
pas le droit de considérer par avance que la Constitution est déjà révisée, et
ce uniquement pour tenir compte des problèmes spécifiques de la Corse, même si
nous ne nions pas ces derniers.
Peut-être cette démarche de révision de la Constitution devra-t-elle être
envisagée ? Mais elle devra alors l'être de façon plus cohérente et plus
satisfaisante, pour retoucher l'architecture institutionnelle de notre
République territoriale, pour traiter les problèmes de répartition de
responsabilités entre l'Etat et les différents niveaux de collectivités
territoriales. Oui, dans ce cadre, mes chers collègues, mais dans ce cadre
seulement, ayons l'esprit ouvert et constructif pour faire évoluer
l'organisation de notre République. Cette dernière peut-elle indéfiniment se
payer tous ces niveaux de collectivités territoriales, tous ces niveaux de
charges, tous ces budgets, toutes ces lourdeurs, toutes ces rigidités ? Nous ne
sortirons d'une telle situation, nous le savons bien, qu'avec une vision
ambitieuse des réformes, lesquelles, en matière d'organisation territoriale,
nécessiteront une approche constitutionnelle. Alors, en effet, ayons la vision
et le souci de l'avenir, et envisageons un jour de telles évolutions. Mais,
tant qu'elles n'ont pas eu lieu, évitons, à partir de problèmes très
particuliers, très circonstanciels, et pour des raisons largement
gesticulatoires, de faire comme si une certaine révision de la Constitution
était inéluctable pour aboutir au vote de dispositions de procédure à la vérité
sans contenu et sans réalité.
Il est clair, mes chers collègues, que la position préconisée par la
commission spéciale est la seule position qui soit conforme à notre volonté de
voir évoluer progressivement l'organisation territoriale de l'ensemble de notre
pays, et pas seulement de certaines collectivités.
Enfin, monsieur le ministre, je terminerai cette intervention en relevant la
vision vraiment très manichéenne, en noir et blanc, dont vous avez fait état
dans votre propos : il y aurait les bons et les méchants, les décentralisateurs
et les centralisateurs... Certes, vous nous avez souvent habitués à ces
simplifications très coupables du cours de l'histoire.
Pour ma part, je vous livrerai simplement mon témoignage. Ce sera bientôt le
quatrième budget de l'Etat que je rapporterai. Chaque année l'autonomie
financière et fiscale des collectivités territoriales se réduit ! Telle est la
réalité !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
Et chaque année, dans les
transferts financiers de l'Etat aux collectivités territoriales, une part
croissante est représentée par les compensations des impôts disparus, des
impôts que l'Etat nous a confisqués pour faire face à ses charges et pour faire
des cadeaux avec l'argent de nos contribuables !
(Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Puisque plusieurs collègues estimables se sont exprimés d'ores et déjà sur
l'amendement n° 4 et les amendements suivants, d'inspiration semblable,
présentés par la commission, je ferai de même, ce qui me permettra de ne pas
expliquer à nouveau mon vote au fur et à mesure des propositions de la
commission.
Après ce que j'ai indiqué tout à l'heure au Sénat - je remercie d'ailleurs
certains collègues d'avoir eu la gentillesse de le relever -, le débat devient
un peu surréaliste, et c'est, en définitive, beaucoup de bruit pour rien !
C'est un texte de procédure - je l'ai dit tout à l'heure - et, à l'évidence,
il n'est pas inconstitutionnel. C'est en effet une procédure qui autorise
l'assemblée à émettre un certain nombre de voeux politiques.
Peut-on donner suite à ces voeux politiques au niveau du Premier ministre, au
niveau du Parlement ? C'est un autre problème qui sera vu ensuite.
J'ai bien peur - une peur d'ailleurs très relative - que le Conseil
constitutionnel, qui sera sans doute saisi de la loi, ne réponde comme il l'a
fait dans sa décision de juillet 1982 portant sur une loi présentée par Michel
Rocard, alors ministre du Plan, décision à mon avis la plus drôle de toute la
jurisprudence du Palais-Royal et dont nous avons d'ailleurs parlé en commission
- M. le rapporteur s'en souvient peut-être.
Dans un luxe de précautions, le Parlement avait écrit que, conformément au
Plan, la loi ne pourrait pas faire ceci et cela, qu'elle pourrait faire ceci
mais pas cela, etc. Bref, la loi avait posé un certain nombre de conditions à
la loi.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
La loi fait ce qu'elle veut !
M. Michel Charasse.
Le Conseil constitutionnel avait alors déclaré que le législateur ne peut se
lier les mains et que la loi fait ce qu'elle veut :...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Exactement !
M. Michel Charasse.
... elle crée, elle abroge, elle modifie, elle supprime, etc. Il avait donc
considéré le caractère inopérant de l'article de loi qui lui était soumis et ne
s'était pas donné la peine de démontrer son inconstitutionnalité pour pouvoir
l'annuler. Il ne l'avait donc pas annulé.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Il a eu tort !
M. Michel Charasse.
Que va-t-il arriver sur l'article 1er, si ce texte, tel qu'il est rédigé, est
soumis au Conseil constitutionnel ? Ce dernier va constater qu'il s'agit d'un
texte de procédure inopérant, et il ne prendra pas même la peine de prononcer
son annulation !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
On n'en sait rien !
M. Michel Charasse.
En revanche, et, de ce point de vue-là, le débat sur l'article 1er n'est pas
inutile, j'avoue avoir rarement vu dans ma vie - monsieur le ministre, vous ne
me tiendrez pas rigueur de cette affirmation, car il s'agit non pas du projet
de loi initial, mais du texte adopté par l'Assemblée nationale - sauf peut-être
quelquefois en matière fiscale, après quatre lectures devant le Parlement, des
textes normatifs aussi mal rédigés !
M. Philippe Marini.
Oh !
M. Michel Charasse.
Ce sont des textes ayant une portée politique majeure, laquelle l'emporte - on
est pour, on est contre, c'est un autre problème ! - sur la rigueur du droit.
On doit donc s'attendre, dans la décision du Conseil constitutionnel, à un
nombre énorme d'interprétations !
S'il est précisé que l'Assemblée de Corse exercera une compétence
réglementaire, le Conseil constitutionnel déclarera que ce sera naturellement
dans le respect des lois et des règlements, c'est-à-dire pour les affaires qui
lui sont propres, mais sans pouvoir modifier les lois et règlements
nationaux.
S'il est dit que l'Assemblée de Corse arrêtera la carte scolaire, les
formations professionnelles, les formations en général, le Conseil
constitutionnel répondra : « Naturellement avec de l'argent public, dans le
respect du principe de la laïcité de l'enseignement public ».
S'il est dit que l'Assemblée de Corse classera les hôtels de tourisme, les
gîtes ruraux et les campings, il sera répondu : « Bien entendu, mais en
appliquant les normes nationales ».
(M. Hyest acquiesce.)
S'il est dit que tel office se substituera au Centre national pour
l'aménagement des structures des exploitations agricoles, le CNASEA, pour
prendre les décisions à la place de ce dernier, et avec son argent, le Conseil
constitutionnel déclarera alors que ce sera forcément en appliquant les règles
du CNASEA.
M. Jean-Jacques Hyest.
Oui !
M. Michel Charasse.
Cela n'a pas été forcément dit au moment de la négociation des accords de
Matignon, mes chers collègues !
C'est peut-être pour cette raison que cela ne figure pas dans le texte. Mais
vous pouvez vous attendre à ce que le Conseil constitutionnel le dise.
Dans ces conditions, je me demande si cela vaut vraiment la peine de passer
autant de temps sur un débat concernant une simple procédure, dont on peut
dire, comme notre collègue Philippe Marini l'observait voilà un instant,
qu'elle pourrait conduire à démontrer que, pour donner satisfaction aux
demandes de l'Assemblée de Corse, il faudrait un jour modifier la
Constitution.
La loi est l'expression de la volonté générale. Peut-elle être la volonté
particulière d'un morceau du territoire ? Les normes édictées par le Premier
ministre en matière réglementaire sont uniformes. Peut-il y avoir un pouvoir
réglementaire particulier ? Bref, chers amis, peut-on réviser la République ?
Pour ma part, je dis que, aux termes de l'article 89, avant-dernier alinéa de
la Constitution, la réponse est : « Non » ! Mais on le verra à ce moment-là.
Par conséquent, n'anticipons pas le débat et laissons venir l'Assemblée de
Corse.
Sur l'article 26 de la loi Joxe, l'Assemblée de Corse a fait un certain nombre
de propositions. On pourrait ironiser longuement : ces propositions n'étaient
pas géniales, et on n'y a jamais donné suite car, généralement, il s'agissait
de votes ayant pour objet principal de mettre d'accord diverses formations
politiques de l'Assemblée de Corse qui se chamaillaient par ailleurs. Ces
formations se mettaient donc d'accord sur ces propositions, mais le
Gouvernement n'y a jamais donné suite, et pour cause ! On verra bien, demain,
si l'Assemblée de Corse est capable de formuler d'autres propositions.
Ce qui serait peut-être le plus contestable pour la suite, ce serait non pas
que l'Assemblée de Corse demande et obtienne du Gouvernement qu'il accepte la
modification d'une loi - c'est en effet nous qui la modifierons ! -, mais
qu'elle demande et obtienne la possibilité de légiférer à la place du Parlement
ou de prendre des décrets à la place du Premier ministre. Mais on verra bien à
ce moment-là !
Pour ma part, je n'ai qu'un seul souhait : que l'Assemblée de Corse soit
suffisamment responsable pour émettre des voeux convenables qui ne placent pas
les Républicains dans une situation de conscience absolument impossible. Mais,
comme je l'ai dit tout à l'heure, le péché d'intention, moi, je ne sais pas ce
que c'est !
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 4, repoussé par le Gouvernement.
M. Robert Bret.
Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
L'amendement n° 5, présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission
spéciale, est ainsi libellé :
« Supprimer le II du texte proposé par l'article 1er pour l'article L. 4424-2
du code général des collectivités territoriales. »
L'amendement n° 171, présenté par M. Charasse, est ainsi libellé :
« Dans le deuxième alinéa du II du texte proposé par l'article 1er pour
l'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales, après les
mots : « lorsqu'est en cause », insérer les mots : « la souveraineté nationale,
». »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 5.
M. Paul Girod,
rapporteur.
Cet amendement vise à supprimer le paragraphe II du texte
proposé par l'article 1er, pour l'article L. 4424-2 du code général des
collectivités territoriales, ce qui n'étonnera personne compte tenu de ce qui
s'est dit tout à l'heure.
Permettez-moi simplement d'apporter une toute petite précision, monsieur le
ministre : le législateur ne peut pas se transformer en constituant et se faire
répartiteur de pouvoirs normatifs entre plusieurs autorités. C'est pourtant ce
qui est en filigrane dans le paragraphe II.
Pis, c'est peut-être l'explication - mais je voudrais bien que ce ne soit pas
cela ! - de la fameuse idée des affaires de la Corse.
Il est prévu que l'Assemblée de Corse peut exercer son pouvoir de proposition
et d'expérimentation, dans le respect de l'article 21 de la Constitution, «
sauf lorsqu'est en cause l'exercice d'une liberté individuelle ou d'un droit
fondamental ». Franchement, il ne manquerait plus que cela ! Mais cela veut-il
dire que tout ce qui n'est pas exercice d'une liberté individuelle ou d'un
droit fondamental peut faire l'objet d'une demande d'adaptation réglementaire
par l'Assemblée de Corse ? Si c'est cela, on comprend mieux ! Mais là,
permettez-moi de vous dire, avec toute l'amitié que je vous porte et le respect
que j'ai pour votre habilité intellectuelle juridique, que l'on est au-delà
d'un simple texte de procédure ! On est en effet en train de poser des
principes sous-jacents, lesquels, compte tenu de surcroît de l'atmosphère
régnant sur l'île, font partie des pétards à retardement qui, un jour ou
l'autre, fragiliseront tout notre édifice institutionnel.
M. le président.
La parole est à M. Charasse, pour défendre l'amendement n° 171.
M. Michel Charasse.
Cet amendement ne tiendra la route, si je puis dire, que si l'amendement n° 5
de la commission n'était pas adopté. Mais à mon avis, il le sera !
Dans le texte du paragraphe II selon lequel « la collectivité territoriale de
Corse peut demander à être habilitée par le législateur à fixer des règles
adaptées aux spécificités de l'île, sauf lorsqu'est en cause l'exercice d'une
liberté individuelle » - c'est la moindre des choses ! - « ou d'un droit
fondamental » - c'est également la moindre des choses ! -, je propose d'ajouter
les mots : « la souveraineté nationale ». Ce serait là aussi, à mon avis la
moindre des choses ! En effet, on ne va tout de même pas laisser la Corse mener
une politique étrangère, battre monnaie, que sais-je encore !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 171 ?
M. Paul Girod,
rapporteur.
La commission propose la suppression du II du texte proposé
par l'article 1er pour l'article L. 4424-2 du code général des collectivités
territoriales ; par conséquent, si elle s'incline avec sympathie devant les
scrupules de notre collègue Michel Charasse, elle préférerait néanmoins que son
amendement soit adopté.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 5 et 171 ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Défavorable sur l'amendement n° 5.
M. Michel Charasse.
Et sur l'amendement n° 171 ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
On verra après.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5.
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Je veux bien suivre un moment le raisonnement de notre ami Michel Charasse,
c'est-à-dire admettre que nous sommes en face d'un texte de procédure, que le
Conseil constitutionnel saisi n'annulera pas ce texte, mais qu'il se livrera à
des interprétations, dont il est spécialiste.
Je ne pense néanmoins pas qu'il puisse en aller ainsi !
D'abord, il y a une erreur de vocabulaire, dès le départ. On ne peut pas
parler du « pouvoir réglementaire ». On pourrait dire : « le pouvoir
d'administration locale » ou « le pouvoir normatif local ». En droit
constitutionnel, le pouvoir réglementaire a une signification différente de
celle qui est sous-entendue ici. En fait, l'Assemblée territoriale de Corse
exerce les attributions administratives qui sont les siennes en vertu des
délégations qui lui sont données ou des transferts qui sont opérés, mais pas le
pouvoir réglementaire.
S'agissant du deuxième alinéa du paragraphe II, je veux bien admettre qu'il
s'agit d'un texte de procédure, mais il souffre d'un vice initial. Il
présuppose en effet que le pouvoir législatif puisse se dessaisir d'une partie
de ses attributions. Or, à mon avis, ce n'est pas possible dans l'état actuel
de notre droit constitutionnel, ce qui rend totalement inopérante cette partie
du texte. En d'autres termes, ou bien c'est un voeu pieux, comme a pu l'être
l'article 26 du régime de 1991...
M. Michel Charasse.
Si cela leur fait plaisir !
M. Patrice Gélard.
Mais nous ne sommes pas là pour faire des voeux pieux, des promesses, pour
faire dans l'irréalisme, dans l'optatif ! Nous sommes là pour fixer les règles.
Or, en l'occurrence, nous ne le faisons pas. En outre, comme l'a dit tout à
l'heure M. Charasse avec beaucoup de pertinence, on fera ce qu'on voudra de ce
texte : on pourra le mettre à la poubelle si on n'en veut plus.
Non, ce texte n'est pas de nature constitutionnelle. Il n'a donc pas la valeur
qu'on voudrait lui attribuer. En réalité, il est là uniquement pour le coup
politique, lequel n'a pas sa place ici.
C'est la raison pour laquelle je voterai l'amendement n° 5 tendant à supprimer
le paragraphe II du texte proposé comme je voterai l'amendement suivant, qui
vise le paragraphe III.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Je ne peux pas laisser passer les propos qu'a tenus M. le ministre tout à
l'heure selon lesquels on aurait pu, à un moment, être satisfait des actions de
décentralisation menées par le Gouvernement.
Monsieur le ministre, j'avais effectivement demandé à être reçu par vous à la
tête d'une délégation de l'Association des régions de France. Il faut dire que,
le week-end précédent, vous aviez fait des déclarations d'ouverture très
importantes sur la décentralisation, déclarations qui, comme un grand nombre
d'autres, n'ont pas été suivies d'effet. Celles-ci ont même été contredites.
Vous aviez ainsi annoncé que vous étiez prêt à faire des avancées sur les
universités, sur la culture, sur l'environnement. Nous avons attendu ; nous
n'avons rien vu venir et nous attendons toujours !
Alors que vous voulez faire, comme le disait M. Marini tout à l'heure, du
manichéisme entre les centralisateurs d'une part et les décentralisateurs
d'autre part, puis-je vous dire que vous siégez au sein d'un Gouvernement
extraordinairement centralisateur, maniant la plus perverse des
centralisations, la centralisation financière : « Je garde le pouvoir et je
transfère les déficits. »
Quand on voit les charges que supportent les communes de France aujourd'hui,
pour régler les problèmes d'assainissement par exemple, quand on voit les
charges que supportent les départements de France aujourd'hui, pour les
personnes âgées notamment, quand on voit ce que supportent les régions de
France, de droite et de gauche
(murmures sur les travées socialistes.),
quand on voit aussi que l'Etat
se garde les bénéfices du TGV et que sont transférés les déficits du TER
(protestations sur les mêmes travées),
on se rend compte que l'on
asphyxie les collectivités : c'est la pire des centralisations. Et si vous
voulez vraiment faire un geste pour la Corse, donnez-lui au moins les mêmes
moyens, les mêmes procédures budgétaires, les mêmes règles de droit commun
qu'aux autres régions, ce qu'elle n'a pas encore à ce jour !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR).
M. Claude Estier.
On est en campagne électorale !
M. Robert Bret.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Nous n'avons pas proposé la suppression de ce paragraphe car nous avons estimé
que le transfert de compétences en matière réglementaire était mieux encadré
que celui qui concerne le domaine législatif.
Toutefois, nous émettons de fortes réserves et nous avons les mêmes
préoccupations que celles que vient d'exprimer voilà un instant notre collègue
M. Gélard.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous nous abstiendrons lors du vote de
cet amendement.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 5, repoussé par le Gouvernement.
M. Robert Bret.
Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'amendement n° 171 n'a plus d'objet.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 6 est présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission
spéciale.
L'amendement n° 244, est présenté par M. Bret, Mmes Luc, Beaudeau, Beaufils,
Bidard-Reydet et Borvo, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM.
Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Mathon, MM. Muzeau, Ralite et Renar et Mme
Terrade.
Ces amendements sont ainsi libellés :
« Supprimer le III du texte proposé par l'article 1er pour l'article L. 4424-2
du code général des collectivités territoriales. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 6.
M. Paul Girod,
rapporteur.
Cet amendement est la suite logique de l'amendement
précédent.
M. le président.
La parole est à M. Bret, pour défendre l'amendement n° 244.
M. Robert Bret.
J'ai déjà exprimé mon inquiétude sur le transfert, même à titre expérimental,
de pouvoirs législatifs à l'Assemblée territoriale de Corse.
Il s'agit d'une conception de la décentralisation qui peut mettre en cause la
conception française, historique, de la République, et je ne veux faire ici de
procès d'intention à personne, surtout pas à vous, monsieur le ministre, car je
connais votre attachement aux valeurs républicaines.
Mais que peuvent en effet devenir des concepts comme celui de l'unicité et de
l'égalité dans la République si des lois, parfois différentes et
contradictoires, émergent de telle ou telle région, car on ne peut ignorer que
la Corse sera considérée comme un laboratoire pour une extension future des
pouvoirs régionaux sur le plan institutionnel.
Que les choses soient claires : nous acceptons et approuvons le fait régional,
qui permet de compléter, de mieux cerner les besoins et les enjeux ; nous
acceptons et nous approuvons, s'il ne s'agit pas d'une tentative larvée,
l'engagement d'un grand débat public de mise en cause de la structure
républicaine de la France.
Nous disons « oui » à de nouvelles compétences pour assurer le développement
économique sous le contrôle des Corses eux-mêmes, mais nous disons « non » à la
tentative de séduction de la mouvance nationaliste pour placer la Corse dans
une situation d'extraconstitutionnalité.
En proposant la suppression du droit d'expérimentation législative accordé à
l'Assemblée territoriale de Corse, nous voulons rappeler que seul le Parlement
peut disposer du pouvoir de faire la loi.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Défavorable.
M. le président.
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 6 et 244, repoussés par le
Gouvernement.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 7 est présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission
spéciale.
L'amendement n° 245 est présenté par M. Bret, Mmes Luc, Beaudeau, Beaufils,
Bidard-Reydet et Borvo, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM.
Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Mathon, MM. Muzeau, Ralite et Renar et Mme
Terrade.
Ces amendements sont ainsi libellés :
« Supprimer le IV du texte proposé par l'article 1er pour l'article L. 4424-2
du code général des collectivités territoriales. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 7.
M. Paul Girod,
rapporteur.
Nous arrivons au bout de ce que la commission considère comme
le toilettage indispensable des imprudences de l'article 1er.
Au fond, dans ce débat il y a trois thèses : la thèse du Gouvernement,
approuvée je pense par les membres du groupe socialiste, du moins par certains
d'entre eux, qui fait de ce texte un symbole ; la thèse de l'opposition,
rejointe, au moins sur la délégation législative par le groupe communiste, qui
considère que ce texte est horriblement dangereux et qu'il est probablement,
voire sûrement inconstitutionnel ; enfin, il y a la thèse, défendue avec talent
par notre collègue M. Charasse, selon laquelle ce texte n'a aucune valeur.
Il est possible que ce soit lui qui ait raison.
Plusieurs sénateurs du RPR.
Oui, cela n'est pas exclu !
M. Paul Girod,
rapporteur.
En ce moment, monsieur le ministre, me vient à l'esprit une
formule célèbre qu'a prononcée un procureur de la République au début d'un
procès occasionné par un douloureux événement et dans lequel était poursuivi le
patron d'un grand organe de presse - ce n'est pas d'aujourd'hui. A l'avocat qui
lui demandait : « Mais enfin, monsieur le procureur, qu'est-ce qu'il y a dans
le dossier ? », il répondit : « Du vent, du vent ! Mais beaucoup d'atmosphère.
»
(Sourires et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du
RPR.).
Je crains que la réponse du procureur ne qualifie un jour votre
texte !
M. le président.
La parole est à M. Bret, pour défendre l'amendement n° 245.
M. Robert Bret.
Cet amendement a le même objectif que notre amendement précédent : conserver
au Parlement le pouvoir de faire la loi.
M. Jacques Larché,
président de la commission spéciale sur la Corse.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Jacques Larché,
président de la commission spéciale.
Monsieur le président, je voudrais
mettre en garde malgré tout contre une certaine dérive, car si au moins deux
des trois thèses évoquées sont positives, où est l'inconstitutionnalité ? On
peut se poser la question.
M. Paul Girod,
rapporteur.
Tout à fait !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Défavorable.
M. le président.
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 7 et 245, repoussés par le
Gouvernement.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président.
L'amendement n° 8, présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission
spéciale, est ainsi libellé :
« Dans la seconde phrase du dernier alinéa du V du texte proposé par l'article
1er pour l'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales,
remplacer les mots : "le Premier ministre" par les mots : "le président du
conseil exécutif au Premier ministre et". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod,
rapporteur.
Nous avons dit tout à l'heure que nous cherchions à rendre
opérationnel l'article 26 du statut de 1991 : cet amendement de précision nous
semble utile à cet égard.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Il serait souhaitable que le Gouvernement soit,
comme dans le cas des projets de lois, informé de la teneur des avis de
l'Assemblée de Corse avant que ceux-ci ne soient transmis aux présidents des
assemblées.
En outre, il peut paraître curieux de consacrer dans la loi une liaison
directe entre une collectivité territoriale et le Parlement au-delà même de ce
que le Gouvernement a pu proposer.
Le Gouvernement s'en remettra donc à la sagesse du Sénat.
M. Paul Girod,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod,
rapporteur.
Je tiens à signaler que nous avons accepté l'idée de
l'Assemblée nationale de soumettre à la procédure les propositions de loi. Dans
ces conditions, il me semble normal que les présidents des assemblées soient
directement informés.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 8, pour lequel le Gouvernement s'en remet à
la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
L'amendement n° 9, présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission
spéciale, est ainsi libellé :
« A la fin du premier alinéa du VI du texte proposé par l'article 1er pour
l'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales, remplacer
les mots : "propositions, demandes et avis mentionnés aux I à IV" par les mots
: "propositions mentionnées au I". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod,
rapporteur.
Il s'agit d'un amendement de coordination.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Défavorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 9, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
L'amendement n° 10, présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission
spéciale, est ainsi libellé :
« Dans le VII du texte proposé par l'article 1er pour l'article L. 4424-2 du
code général des collectivités territoriales, remplacer les mots : "des I à IV"
par les mots : "du I". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod,
rapporteur.
Il s'agit également d'un amendement de coordination.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Défavorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 10, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
M. Robert Bret.
Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2