SEANCE DU 6 NOVEMBRE 2001
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau, auteur de la question n° 1161, adressée à Mme le
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Quatre arrêts de la plus haute importance ont été rendus, le 18 octobre
dernier, par la cour administrative d'appel de Marseille. En condamnant l'Etat,
ils nous rappellent à quel point une meilleure prise en compte de la santé au
travail passe non seulement par une bonne prise en charge humaine, médicale,
financière, judiciaire des accidents du travail et des maladies
professionnelles mais aussi par l'élaboration d'une vraie politique de
prévention, fondée sur des critères réalistes et prenant en compte le principe
de précaution.
Où en est-on un quart de siècle après le décret de 1977 concernant les seuils
d'exposition à l'amiante et dont la cour de Marseille a jugé qu'ils étaient
largement insuffisants pour obtenir une protection adéquate de la santé des
salariés exposés à l'amiante ?
Pour prévenir l'apparition de pathologies d'origine professionnelle dues à
l'exposition des salariés à des substances dangereuses, ont été définis des
niveaux de concentration dans l'atmosphère à ne pas dépasser. Ce sont les
valeurs d'exposition professionnelle, fixées par le ministère chargé du
travail, quelques valeurs étant aussi recommandées par la caisse nationale
d'assurance maladie. Pour environ 400 produits chimiques, elles sont
indicatives ; pour quelques autres, tels l'amiante, le benzène ou encore le
plomb, elles sont contraignantes.
Il existe en France, je le rappelle, deux types de valeurs.
Les valeurs limites d'exposition, ou VLE, sont des valeurs plafonds mesurées
pour une durée maximale de quinze minutes. Leur respect vise à prévenir les
risques d'effets toxiques immédiats ou à court terme.
Les valeurs moyennes d'exposition, ou VME, quant à elles, mesurées ou estimées
sur la durée d'un poste de travail de huit heures, sont destinées à protéger
les travailleurs des effets à long terme. La VME peut être dépassée sur de
courtes périodes, à condition de ne pas dépasser la VLE, lorsqu'elle existe.
La mise en place d'une VME repose sur un préalable important : la définition
d'un risque acceptable. Or un risque peut-il être acceptable lorsqu'il inclut,
par exemple, le possible développement de pathologies particulièrement graves,
comme des cancers ?
Ces valeurs semblent actuellement inefficaces au regard d'une réelle
protection de la santé des salariés. On peut penser, en effet, que le respect
de ces valeurs limites n'implique pas l'absence de risque, et cela pour
plusieurs raisons.
Les risques liés à la pénétration d'un produit par voie cutanée ne sont pas
pris en compte, la seule voie d'entrée par inhalation étant retenue dans le
calcul.
De plus, ces valeurs ne sont valables que pour un produit unique et pur. Or
les situations de travail révèlent souvent la présence de produits dilués et
mélangés.
Les conditions réelles d'exposition, qui jouent évidemment un rôle primordial,
ne sont pas non plus prises en compte dans le protocole de calcul de ces
valeurs.
Pis, les employeurs considèrent ces valeurs comme de simples limites, alors
qu'elles doivent être envisagées comme des seuils à ne surtout pas atteindre et
dont la proximité doit alerter l'employeur et ses salariés.
Enfin et surtout, ces valeurs ne sont que rarement contraignantes. Or ce sont
de précieux outils de prévention et de gestion des riques, portant sur des
substances particulièrement pathogènes et dangereuses.
Par conséquent, je souhaite connaître les mesures qui ont été décidées pour
définir de nouvelles VME et VLE. Une révision plus régulière de celles qui
existent est-elle envisagée et, le cas échéant, selon quelles modalités de
calcul, concernant quels produits, dans quels délais ?
Quelles mesures ont été prises pour que le protocole d'élaboration de ces
valeurs soit modifié ? Aujourd'hui, il ne correspond pas aux degrés et aux
modes d'exposition réels des salariés.
Quelles mesures ont été prises pour augmenter le nombre et le caractère
contraignant des VME et des VLE ?
Des centaines de milliers de salariés sont concernés par cette question. Ils
déplorent à juste titre que l'instrument de contrôle et de protection des
risques que devraient constituer ces valeurs ne soit pas utilisé
systématiquement et pleinement dans ce sens.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.
Madame la sénatrice, le Gouvernement veille avec beaucoup d'attention à la
prévention des risques sanitaires sur les lieux de travail et s'assure que les
décisions prises s'appuient sur des analyses scientifiques, établies en toute
indépendance. Cette démarche a été appliquée en particulier pour la définition
des valeurs limites d'exposition professionnelle, lors de leur actualisation en
2001, conformément aux orientations présentées au Conseil supérieur de
prévention des risques professionnels.
Un décret portant sur les agents chimiques dangereux viendra compléter, avant
la fin de l'année, la réglementation sur les valeurs limites contraignantes
pour les substances susceptibles d'avoir un effet néfaste sur la santé. Les
valeurs limites pour lesquelles il existe une méthode de mesure validée seront
contraignantes et fixées par décret. Quant aux valeurs limites qui peuvent plus
difficilement être mesurées de manière fiable, elles seront indicatives et
fixées par arrêté.
Ces valeurs viendront compléter les neuf valeurs limites contraignantes
existantes et remplaceront les 500 valeurs limites actuellement définies par
simple circulaire.
Afin d'établir clairement les bases scientifiques et techniques sur lesquelles
l'administration, après consultation des partenaires sociaux, établira les
valeurs limites, deux groupes d'experts indépendants ont été mis en place par
le ministère : le premier examine les effets sur la santé des substances, selon
la valeur d'exposition ; le second examine les méthodes de mesure existantes et
rassemblera les données d'exposition constatées.
Je précise que tous les modes de contamination possibles - par la peau, par
ingestion ou par inhalation - seront pris en compte.
Par ailleurs, je rappelle que, selon la loi de modernisation sociale,
l'inspection du travail peut faire cesser une activité en cas de dépassement
réitéré d'une valeur limite d'exposition professionnelle.
Enfin, je tiens à souligner que le respect des valeurs limites, s'il est
nécessaire, ne suffit pas. En particulier, le décret du 2 février 2001, qui
renforce considérablement la protection contre les agents cancérogènes,
mutagènes et toxiques pour la reproduction, impose la substitution par des
agents non ou moins dangereux, dès que cela est techniquement réalisable, et
oblige à réduire l'exposition au niveau le plus bas possible, en dessous des
valeurs limites.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Madame la secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse. J'ai bien noté
que des textes réglementaires étaient en préparation. Nous serons très
attentifs à leur contenu - mais je veux croire qu'il a été négocié avec les
partenaires sociaux - et nous espérons que leur publication est imminente.
En ce qui concerne le décret du 2 février 2001, il est vivement contesté, en
particulier par les médecins du travail. J'ai d'ailleurs pris l'initiative
d'une proposition tendant à son abrogation et à l'élaboration d'un nouveau
texte.
Il est très important que ces valeurs limites et moyennes d'exposition soient
revues. On essaie généralement de maintenir un niveau inférieur au tiers de la
VME. Mais le fait de rester au-dessous du tiers de cette valeur ne met pas à
l'abri de pics d'exposition brefs et éventuellement répétés. Or les
conséquences à long terme de ces pics ne sont pas connues. On peut craindre, en
particulier, que ceux-ci ne favorisent le développement de cancers : pensez à
l'amiante.
Je rappelle d'ailleurs que les arrêts de la cour administrative d'appel de
Marseille font suite à des plaintes déposées non pas par les victimes
elles-mêmes mais par leurs ayants droit, car les salariés qui ont subi
l'exposition il y a une vingtaine ou une trentaine d'années sont aujourd'hui
décédés.
La question du respect des VME et des VLE pose aussi celle du contrôle des
expositions subies par ces salariés. Dès lors, si l'on ne se décide pas à
augmenter le nombre de médecins et d'inspecteurs du travail, de même que le
nombre d'épidémiologistes, et si l'on ne donne pas à ces acteurs de premier
plan des pouvoirs renforcés et des moyens de contrainte plus forts, les VME et
les VLE resteront inutiles ; elles ne joueront pas véritablement leur rôle dans
la politique de prévention des risques pour la santé liés au travail.
DIFFICULTÉS DES HANDICAPÉS