SEANCE DU 23 OCTOBRE 2001
M. le président.
« Art. 15
septies.
- Il est institué un prélèvement à hauteur de 1 %
sur le produit brut des jeux dans les casinos. »
Sur l'article, la parole est à M. Emin.
M. Jean-Paul Emin.
Je voudrais très brièvement intervenir sur cette disposition, introduite,
contre l'avis du Gouvernement, par l'Assemblée nationale.
L'institution d'un prélèvement de 1 % sur le produit brut des jeux dans les
casinos posent, à mes yeux, des problèmes de fond, de forme et de méthode.
Sur le fond, d'abord, de quoi s'agit-il ? D'alimenter les fonds destinés à
l'acquisition des trésors nationaux. Personnellement, je ne suis pas convaincu
de la validité de la solution retenue. Madame le ministre, vous le savez bien,
l'affectation des recettes supplémentaires dégagées sur le produit brut des
jeux sera aléatoire. Est-ce ainsi que l'on engage une politique de long terme
en faveur du patrimoine culturel ?
En outre, est-ce bien le rôle des casinos de contribuer à l'acquisition
d'oeuvres culturelles, là où l'Etat n'a manifestement plus, et depuis
longtemps, les moyens de son discours ?
Ce n'est pas un hasard si, aujourd'hui, les musées parmi les plus prestigieux
dans le monde sont ceux qui sont financés par des fondations. Je pense que
c'est plutôt de ce côté que la France devrait se tourner, en adaptant le droit
pour favoriser le développement de fondations culturelles, plus aptes à
acquérir et à valoriser le patrimoine national, et en adaptant aussi le régime
fiscal du mécénat d'entreprise.
S'agissant de la forme, comme le souligne fort justement le rapport de M.
Richert, l'affectation de recettes à certaines dépenses ne pouvant résulter que
d'une loi de finances, l'Assemblée nationale n'avait pas à affecter le produit
du 1 % aux dépenses d'acquisition d'oeuvres d'art du ministère de la
culture.
En l'état, la disposition visée ne garantit pas l'augmentation à due
concurrence des crédits d'acquisition du ministère de la culture. En l'absence
d'un compte d'affectation spéciale, cette augmentation dépendra des arbitrages
budgétaires annuels rendus lors de la préparation du projet de loi de
finances.
C'est, pour moi, une raison supplémentaire de douter de l'efficacité de cette
disposition.
Pour ce qui est de la méthode, il paraît curieux d'instituer par la loi un
prélèvement nouveau sur le produit brut des jeux dans les casinos alors que,
dans le même temps, le Gouvernement réfléchit à une modification du décret du
22 décembre 1959 entraînant une substitution de l'assiette des prélèvements
opérés au profit de l'Etat et des communes.
A l'évidence, c'est une refonte complète de la loi sur les jeux qui s'impose.
Les professionnels y sont d'ailleurs ouverts dès lors que le Gouvernement les y
associerait, ce qui n'a pas toujours été le cas. Rappelons-nous les diverses
taxes et autres prélèvements institués ces dernières années sans que les
casinos - ni les élus locaux, d'ailleurs - aient eu leur mot à dire.
Le département de l'Ain, que je représente, abrite le casino de
Divonne-les-Bains. Je suis bien placé pour mesurer le rayonnement économique
local, mais aussi national et européen, de cet établissement installé à
proximité de Genève.
A travers les prélèvements opérés sur le produit des jeux, c'est la capacité
des casinos à investir et à rester compétitifs qui est en question.
Le problème va d'ailleurs au-delà. Dans la refonte globale de la politique des
jeux, il faudrait aussi associer la profession au débat sur les conditions
d'accès aux casinos.
Pour toutes ces raisons, je voterai contre l'article 15
septies.
M. le président.
La parole est à M. Trucy.
M. François Trucy.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cet article
m'inquiète.
Il est certes louable de rechercher des ressources nouvelles pour abonder les
crédits d'acquisition d'oeuvres, mais la solution retenue soulève plusieurs
problèmes.
Je note d'abord, sur la forme, que le vote de cette taxe de 1 % sur le produit
brut des jeux des casinos s'est effectué à l'Assemblée nationale dans des
conditions un peu particulières. Non seulement il fut acquis contre l'avis de
Mme la ministre, mais les données fournies au rapporteur de la commission des
affaires culturelles étaient totalement erronées : méconnaissance du taux
d'imposition des casinos, confusion entre le produit brut des jeux et la base
théorique d'assujettissement au RDS, etc. L'Assemblée croyait trouver 600
milliards de francs alors que le produit de la taxe, maintenant précisé, ne
serait que de 113 millions de francs.
Enfin, dans l'esprit de ceux qui ont pris l'initiative de cette disposition à
l'Assemblée nationale, il s'agit d'une recette affectée, ce qui, sauf erreur de
ma part, ne va pas de soi et nécessite un rapport favorable du Gouvernement sur
le bureau des assemblées.
Sur le fond, il faut savoir - et, à l'évidence, l'Assemblée nationale ne
pouvait le savoir - le ministre des finances et le ministre de l'intérieur
préparent un décret tendant à modifier profondément le prélèvement progressif
sur le produit brut des machines à sous.
Les conséquences financières de cette modification sont telles qu'elles
suscitent, à l'heure où nous débattons, une négociation serrée entre les «
casinotiers » et le Gouvernement. Il faut espérer que le résultat de cette
négociation sera raisonnable et tiendra compte des réalités économiques de
cette profession, qui représente 13 000 emplois, comme le soulignait tout à
l'heure Jean-Léonce Dupont, et qui constitue un atout touristique majeur tant
pour le pays que pour les communes.
Nous avons, en l'occurrence, affaire à une législation vétuste, à un véritable
fouillis réglementaire, à une pression inégale de l'Etat sur les divers
opérateurs : les disparités de traitement sont considérables. La constante,
c'est l'avidité de l'Etat, qui, bon an mal an, perçoit par ce biais 20
milliards de francs, c'est-à-dire près de trois fois le budget de
l'enseignement supérieur qui était examiné cet après-midi par la commission des
finances.
On apprécierait que l'Etat se manifeste aussi pour harmoniser, simplifier et
moderniser la réglementation, et surtout qu'il commence à apporter à cette
profession comme aux joueurs une authentique politique des jeux. Une telle
politique devrait, en particulier, fournir aux professionnels les moyens
d'affronter les concurrences européennes, nord-américaines et cybernétiques,
dont la pression augmente « à vitesse grand V ».
Une véritable politique des jeux aboutira peut-être à une fiscalité différente
des jeux, mais cela suppose au préalable un travail cohérent. Ne mettons donc
pas la charrue devant les boeufs. Ne votons pas cette taxe, d'autant que
l'amendement n° 57 du Gouvernement apporte une bien meilleure solution.
M. le président.
Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 45 est présenté par MM. Dubrule, Besse, Cazalet, Oudin et
Peyrat.
L'amendement n° 58 est déposé par le Gouvernement.
L'amendement n° 65 est présenté par M. Jean-Léonce Dupont.
Ces amendements sont ainsi libellés :
« Supprimer l'article 15
septies. »
La parole est à M. Dubrule, pour défendre l'amendement n° 46.
M. Paul Dubrule.
Donner plus de moyens aux musées de France pour acquérir des oeuvres est une
idée que je fais mienne, mais le moyen proposé n'est pas satisfaisant. Vous
parvenez, madame la ministre, aux même conclusions, avec des motivations
cependant différentes.
Notre amendement tend donc à supprimer le prélèvement de 1 % sur le produit
brut des jeux dans les casinos, prélèvement censé dégager des recettes fiscales
supplémentaires destinées à financer l'acquisition des trésors nationaux.
Cette mesure est critiquable à bien des égards.
Tout d'abord, elle ne ferait qu'aggraver la pression fiscale que subissent les
casinos français, déjà parmi les plus taxés d'Europe. Il faut savoir que ce 1 %
peut représenter jusqu'à 20 % des bénéfices d'un casino. Quant à ceux qui ne
font pas de bénéfices, ils risqueraient fort, avec ce prélèvement,
d'enregistrer des pertes !
Il faut savoir également que, sur les 170 casinos que compte la France, 150
sont situés dans des villes de moins de 20 000 habitants, où ils sont
essentiels à la vie économique, sociale et culturelle.
(M. Sueur
s'esclaffe.)
Dès lors, il n'est pas opportun de créer une nouvelle taxe - la septième ! -
concernant ces établissements, surtout quand le ministre de l'économie et des
finances prépare la modification de leur régime de taxation, qui ferait passer
de 52 % à 56 % le pourcentage du prélèvement sur les jeux.
Le pré-rapport de la Cour des comptes sur les casinos critique fortement, et à
juste titre, la complexité du dispositif fiscal déjà existant, qu'une nouvelle
taxe ne ferait qu'aggraver.
Les casinos jouent un rôle culturel, et toute nouvelle taxe réduirait leur
marge de manoeuvre dans ce domaine. Les sommes consacrées aux activités
culturelles locales seraient réduites, ce qui irait à l'inverse du but visé.
Cette mesure ne peut avoir que des conséquences négatives sur la vie
économique locale de tous les départements bénéficiant de la présence de
casinos. En effet, ces établissements représentent un produit d'appel non
négligeable et génèrent des emplois ainsi que des recettes pour les
collectivité locales.
C'est pourquoi nous proposons de supprimer l'article 15
septies
du
projet de loi.
M. le président.
La parole est à Mme la ministre, pour présenter l'amendement n° 58.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Plusieurs arguments
conduisent à la suppression des articles 15
septies
et 15
octies
; ils viennent d'être évoqués et je n'en citerai que deux.
Tout d'abord, la loi organique du 1er août 2001 prévoit l'extinction des
comptes d'affectation spéciale avant 2006 : le dispositif proposé ne
présenterait donc qu'un caractère transitoire, impropre à résoudre les
difficultés d'acquisition des trésors nationaux.
J'ajoute que, comme on l'a déjà souligné, le rendement estimé de cette mesure
serait en réalité de l'ordre de 113 millions de francs - 17 millions d'euros -,
ce qui est très éloigné du montant de 600 millions de francs qui avait été
évoqué.
Les deux articles concernant les casinos perdent de leur intérêt compte tenu
du dispositif significatif que vous venez d'adopter, sur proposition de
Gouvernement, et qui est destiné à atteindre le même objectif.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Léonce Dupont, pour présenter l'amendement n° 65.
M. Jean-Léonce Dupont.
Je crois que se dégage un assez large accord sur la suppression de cet
article.
Je dirai simplement que, si surgissait à nouveau l'idée d'une perception sur
les jeux, la distinction devrait être faite entre, d'une part, les casinos et
tout ce qui est lié au monde du cheval, qui sont effectivement des activités
hautement créatrices d'emplois et de richesses, et, d'autre part, les simples
jeux de loterie et de pari, derrière lesquels il n'y a que très peu
d'emplois.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements identiques n°s 45, 58 et
65 ?
M. Philippe Richert,
rapporteur.
La commission fait siens les arguments développés et donne
donc un avis favorable sur ces amendements de suppression du prélèvement de 1 %
sur les casinos.
J'ajouterai une simple remarque. Nous avons tous entendu que ce prélèvement
supplémentaire serait insupportable. Or je crois savoir que Bercy prévoit, pour
un avenir proche, des prélèvements bien plus importants sur les jeux. Dès lors,
les arguments qui ont été énoncés perdent quelque peu de leur pertinence.
Cela étant, sur le fond, il nous paraît tout à fait utile de supprimer ce
prélèvement de 1 %.
M. Ivan Renar.
A Bercy, on tend le poing tous les matins contre Mme Tasca !
(Sourires.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 45, 58 et 65.
M. Roger Besse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Besse.
M. Roger Besse.
Je me réjouis de la position qui vient d'être affirmée par le Gouvernement.
Je voudrais appuyer l'argumentation de fond développée par mon collègue M.
Dubrule, à laquelle je souscris pleinement, en ajoutant un argument qui n'a pas
encore été invoqué et qui me semble mériter de l'être.
J'ignore l'impact des recettes produites par les casinos sur les budgets de
grandes villes telles que Lyon ou Nice ou par des casinos très importants comme
celui de Divonne-les-Bains.
En revanche, je sais que ces recettes représentent un élément majeur dans la
fiscalité de petites communes qui bénéficient de la présence d'un casino sur
leur territoire. Ces petites communes ont souvent investi et, partant, souscrit
des engagements financiers en tenant compte de ces recettes réputées sûres. Les
priver brutalement, aujourd'hui ou demain, d'une partie de ces ressources
reviendrait à compromettre leur équilibre budgétaire ou, à tout le moins, à les
contraindre à accentuer une pression fiscale qu'elles s'efforcent par ailleurs
de contenir. Je donnerai un exemple pour illustrer mon propos.
La station thermale de Chaudes-Aigues, dans le Cantal, qui abrite la source
d'eau la plus chaude d'Europe, a également, depuis peu, le privilège d'avoir un
casino, lequel lui assure bon an mal an une recette de 1,3 million de francs,
somme qui représente 23 % des recettes fiscales de cette commune de 1 000
habitants. Grâce à cet apport, Chaudes-Aigues a pu entreprendre la
réhabilitation de son établissement thermal, menacé de fermeture par l'exigence
des nouvelles normes.
Priver ces petites communes d'une partie de leurs recettes ne manquerait pas
de rompre un équilibre budgétaire déjà très précaire. Je sais d'ailleurs qu'il
en va ainsi pour toutes les petites communes thermales qui possèdent un casino.
C'est notamment le cas, dans mon département, de la commune de Vic-sur-Cère,
qui tire 17 % de ses recettes fiscales de son casino.
Je vous demande donc, mes chers collègues, de faire vôtres ces arguments, qui
relèvent du bon sens. Ce faisant, nous dirons non à une aggravation de la
fiscalité déjà très lourde qui pèse sur les casinos et nous prendrons en compte
les impératifs liés à l'aménagement du territoire : nous ne devons pas
compromettre des activités économiques considérées comme essentielles dans nos
zones rurales, que nous savons tous vulnérables et fragiles.
Pour ces motifs, je souhaite l'adoption de l'amendement n° 45.
M. le président.
Je mets aux voix les trois amendements identiques n°s 45, 58 et 65, acceptés
par la commission.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président.
En conséquence, l'article 15
septies
est supprimé.
Je constate que ces amendements ont été adoptés à l'unanimité.
M. Ivan Renar.
A l'Assemblée nationale, rien ne va plus ; au Sénat, faites vos jeux !
(Sourires.)
Article 15 octies