SEANCE DU 9 OCTOBRE 2001
M. le président.
« Art. 31. - I. - Après le premier alinéa de l'article L. 321-4-1 du code du
travail, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« Dans les entreprises où la durée collective du travail des salariés est
fixée à un niveau supérieur à trente-cinq heures hebdomadaires ou supérieur à 1
600 heures sur l'année, l'employeur, préalablement à l'établissement du plan de
sauvegarde de l'emploi et à sa communication en application de l'article L.
321-4 aux représentants du personnel, doit avoir conclu un accord de réduction
du temps de travail portant la durée collective du travail des salariés de
l'entreprise à un niveau égal ou inférieur à trente-cinq heures hebdomadaires
ou à 1 600 heures sur l'année.
« A défaut, il doit avoir engagé des négociations tendant à la conclusion d'un
tel accord. A cet effet, il doit avoir convoqué à la négociation les
organisations syndicales représentatives dans l'entreprise et fixé le lieu et
le calendrier des réunions. Il doit également leur avoir communiqué les
informations nécessaires pour leur permettre de négocier en toute connaissance
de cause et avoir répondu aux éventuelles propositions des organisations
syndicales.
« Lorsque le projet de plan de sauvegarde de l'emploi est présenté au comité
d'entreprise ou, à défaut, aux délégués du personnel, sans qu'aient été
respectées les conditions prévues au deuxième ou troisième alinéa du présent
article, le comité d'entreprise, ou à défaut les délégués du personnel,
peuvent, jusqu'à l'achèvement de la procédure de consultation prévue par
l'article L. 321-2, saisir le juge statuant en la forme des référés en vue de
faire prononcer la suspension de la procédure. Lorsque le juge suspend la
procédure, il fixe le délai de la suspension au vu des éléments qui lui sont
communiqués. Dès qu'il constate que les conditions fixées par le deuxième ou le
troisième alinéa du présent article sont remplies, le juge autorise la
poursuite de la procédure. Dans le cas contraire, il prononce, à l'issue de ce
délai, la nullité de la procédure de licenciement. »
« II. - A l'article L. 321-9 du même code, les mots : "L. 321-4-1, à
l'exception du deuxième alinéa," sont remplacés par les mots : "L. 321-4-1, à
l'exception des deuxième, troisième et quatrième alinéas,". »
L'amendement n° 175, présenté par M. Gournac, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Supprimer cet article. »
La parole est à M. Gournac, rapporteur.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Notre commission propose d'adopter un amendement de
suppression de cet article - article parfois appelé « amendement Michelin » -
que le Sénat avait supprimé en première lecture et que l'Assemblée nationale a
rétabli sans apporter pour autant de réponse aux difficultés d'application
mises en évidence par le Sénat.
Pourtant, il existe de nombreuses objections à l'application d'un tel
dispositif.
Votre rapporteur rappelle en particulier - j'indique à ce propos à nos
collègues du groupe communiste républicain et citoyen et du groupe socialiste
que je ne parle pas en mon nom personnel, mais au nom de la commission, dont je
suis le rapporteur - votre rapporteur, dis-je, rappelle en particulier que les
conditions de la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail sont
complexes puisqu'elles nécessitent de recourir à la flexibilité, aux aides
publiques ainsi qu'à la maîtrise des salaires. Or il n'est pas certain qu'une
entreprise qui envisage un plan social ait les moyens d'entreprendre un tel
chantier.
Enfin, il convient de mentionner - car c'est important - la faiblesse de la
représentation syndicale dans certaines entreprises, qui constitue un obstacle
supplémentaire.
Les auditions réalisées par la commission fin juin ont montré que les
partenaires sociaux partageaient son scepticisme concernant cet article 31.
M. Marc Blondel, en particulier
(Murmures sur les travées socialistes)
,
a considéré que les mesures d'aménagement du temps de travail prévues dans les
plans sociaux altéraient la logique initiale du dispositif des 35 heures, qui
devait s'appliquer à tous les salariés. Il a considéré que le fait de lier le
plan social et les 35 heures constituait « presque un aveu que les 35 heures
n'ont pas réussi à faire ce que nous souhaitions ».
M. Gilbert Chabroux.
Oui !
M. Alain Gournac,
rapporteur.
C'est lui qui l'a dit, ce n'est pas moi !
Sur le plan strictement juridique, la portée de la nullité de la procédure de
licenciement n'est pas non plus précisée.
Par ailleurs, votre rapporteur attire l'attention sur les remarques formulées
à nouveau par les professeurs de droit à l'occasion de leur audition par la
commission. Il nous a été rappelé, en effet, que, depuis quinze ans, la
jurisprudence avait établi que « tout devait être dans le plan social ». Or non
seulement vous le débaptisez, mais, ce faisant, vous portez atteinte à ce
principe d'unité. En pratique, ce n'est pas applicable !
En effet, imaginons une entreprise qui envisage un plan social. Il lui faudra
ouvrir une négociation sur les 35 heures, et donc consulter le comité
d'entreprise au titre du livre IV du code du travail, comme vous le savez.
Les représentants des salariés pourront dès lors en conclure que des
licenciements économiques sont en préparation, ce qui les amènera à demander
l'application des dispositions du livre III.
La jurisprudence a établi que la signature d'un accord doit être précédée de
la consultation des partenaires sociaux. Dans le cas, que l'on ne peut exclure,
où l'accord ne serait pas signé et donnerait lieu à une nouvelle négociation,
il y aurait ainsi concomitance entre la procédure de consultation et la
procédure de négociation. Comme le soulignait Jean-Emmanuel Ray, « le bon sens
exigerait que, si nous voulons maintenir l'amendement Michelin, il soit intégré
dans le plan social et non placé dehors ».
En attendant, et devant la confusion que ne manquerait pas d'occasionner
l'application d'une telle disposition, la commission a adopté une solution
encore plus claire, puisqu'elle vous propose d'adopter un amendement de
suppression de cet article.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Le Gouvernement est, bien
entendu, opposé à cet amendement, puisque la négociation sur les 35 heures peut
permettre d'éviter des licenciements.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 175.
M. Roland Muzeau.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Une fois encore, par amendement, la commission des affaires sociales propose
de supprimer la disposition de ce projet de loi obligeant, tout d'abord,
l'employeur à conclure ou, à défaut, à engager des négociations sur la
réduction du temps de travail avant l'établissement d'un plan social, et
permettant, par ailleurs, au comité d'entreprise ou au délégué du personnel de
saisir le juge en référé pour obtenir la suspension de la procédure.
Contrairement à la majorité sénatoriale, nous pensons que, grâce aux 35
heures, il est possible non seulement de préserver des emplois mais également
d'en créer.
Ce n'est pas une croyance, c'est un fait : les chiffres de l'emploi en ont
témoigné, même si M. Seillière a feint de l'ignorer lors de son audition.
Alors, pourquoi refuser de se servir de cet instrument - comme d'autres,
d'ailleurs, telle la réduction du volume des heures supplémentaires - s'il peut
éviter certains licenciements, si ce n'est par simple posture idéologique ?
Nous ne pouvons recevoir les arguments avancés pour demander la suppression de
la disposition dite « amendement Michelin », disposition qualifiée d'« inutile,
de source de complication car retardant les licenciements et permettant des
manoeuvres dilatoires ».
Tout en étant conscients de la portée relative de cet article, en raison
principalement de la généralisation de la durée légale à 35 heures, nous
voterons contre sa suppression.
M. Gilbert Chabroux.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Chabroux.
M. Gilbert Chabroux.
L'article 31 a effectivement pour origine l'« amendement Michelin », déposé
par Odile Saugues, députée du Puy-de-Dôme et ancienne salariée de l'entreprise
Michelin.
Cet amendement a suscité des polémiques. Il est, en effet, au coeur du
dispositif de soutien à la création d'emplois en ce qu'il exige que la
réduction du temps de travail fasse obligatoirement partie des moyens mis en
oeuvre préalablement à toute réduction d'emplois.
Il est vrai que cette disposition n'aura qu'une durée de validité limitée dans
le temps. Il nous paraît cependant fondamental - l'expérience le démontre - de
rappeler en attendant à tous les employeurs et salariés que la réduction du
temps de travail doit non seulement être appliquée - c'est la loi - mais aussi
participer aux mesures de sauvegarde de l'emploi. Sur le plan national, elle y
participe d'ailleurs déjà pleinement, comme en témoigne le nombre d'emplois
créés et sauvegardés.
Par ailleurs, je voudrais rappeler que les plans de sauvegarde de l'emploi
conduisent au versement d'aides publiques dont le coût financier et social est
important pour la collectivité nationale.
Ce rappel me semble nécessaire. Le non-respect de la loi doit être sanctionné
et la nullité de la procédure de licenciement doit pouvoir être prononcée par
le juge.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 175, repoussé par le Gouvernement
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 31 est supprimé.
Article 31
bis
(précédemment réservé)