SEANCE DU 29 MAI 2001
M. le président.
Par amendement n° 12, M. Schosteck, au nom de la commission des lois, propose
d'insérer, avant l'article 1er, une division additionnelle ainsi rédigée : «
Chapitre 1er B. - Dispositions relatives à la délinquance des mineurs. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Cet
amendement a pour objet d'insérer dans le projet de loi un chapitre sur la
délinquance des mineurs.
La commission des lois vous proposera trois types de mesures : d'abord, des
mesures destinées à renforcer les sanctions contre ceux qui utilisent les
mineurs pour commettre des infractions, tant il est vrai que protéger nos
enfants, c'est savoir punir ceux qui les manipulent ; ensuite, des mesures
destinées à responsabiliser les parents, à leur faire comprendre le rôle
irremplaçable qu'ils ont à jouer dans l'éducation des enfants ; enfin, des
mesures destinées à améliorer l'efficacité de la justice des mineurs.
A mon tour, je souhaiterais formuler quelques remarques à la suite de propos
qui, tant lors de la discussion générale que voilà encore quelques instants,
ont été marqués, sinon par une caricature de nos propositions, du moins, comme
l'a excellemment relevé M. le président de la commission, par une
simplification abusive de celles-ci.
Tout le monde est convenu que la délinquance des mineurs était préoccupante,
qu'elle s'aggravait, qu'elle devenait de plus en plus violente. Tout le monde
est d'accord sur le constat, mais les seules propositions sur la table, ce sont
les nôtres.
Je le dis amicalement aux groupes de l'opposition : la commission des lois
n'est pas obtuse. Elle était prête à examiner vos solutions. Ceux de nos
collègues de la minorité sénatoriale qui sont membres de cette commission sont
bien placés pour savoir qu'il n'est pas dans ses habitudes d'expédier à la
va-vite et systématiquement les suggestions de l'opposition.
Seulement, rien n'est venu ! Vous vous contentez, chers collègues, de regarder
ce que nous faisons et de porter un jugement. J'ai entendu que certains de nos
amendements destinés à punir l'utilisation de mineurs par des majeurs
pourraient trouver grâce à vos yeux. J'en suis honoré et j'aimerais pouvoir
vous dire que, nous aussi, nous étions prêts à nous rallier à certains de vos
amendements sur le sujet. Mais vous n'avez rien proposé !
On nous a aussi dit que nos propositions étaient en contradiction avec tous
les travaux menés ici sur les conditions de détention dans les prisons.
Je m'efforcerai de démontrer, pendant l'examen des amendements, qu'une telle
assertion est fausse. Je souhaite surtout vous dire que, sur les prisons, nous
avons pris nos responsabilités. Jean-Jacques Hyest et Guy Cabanel ont fait un
travail remarquable, d'abord dans le cadre de la commission d'enquête, puis en
déposant une proposition de loi que nous avons inscrite à notre ordre du jour
réservé.
Si nous étions vraiment en campagne électorale, comme vous l'avez prétendu,
croyez-vous vraiment que nous aurions traité ce sujet-là dans notre ordre du
jour réservé ? Et maintenant, je vous le demande : où en est notre proposition
de loi ? Quand l'Assemblée nationale va-t-elle l'examiner ? Personne n'en sait
rien, et rien n'est prévu d'ici à la fin de la session.
Alors, vraiment, les leçons sur nos contradictions supposées, vous comprendrez
que nous ayons quelque mal à les accepter...
Sur la délinquance des mineurs comme sur les prisons, nous faisons des
propositions, nous réfléchissons et essayons d'avancer. Pour votre part, vous
nous attribuez des bons points ou des blâmes, plus souvent d'ailleurs des
blâmes que des bons points, il faut bien le reconnaître... Chacun est dans son
rôle, mais j'ai la faiblesse de penser que nos propositions, en ouvrant le
débat, en permettant la discussion, en mettant en évidence des difficultés
réelles, sont plus utiles à la justice des mineurs que les critiques que vous
nous adressez.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Le Gouvernement s'oppose à la modification de
l'architecture de l'ordonnance de 1945 et, plus fondamentalement, à la
modification de certaines de ses dispositions, notamment celles qui sont
relatives à la délinquance des mineurs, ainsi qu'à la modification de certaines
dispositions du code pénal. Je m'en suis déjà suffisamment expliqué pour me
contenter d'exprimer, en cet instant, un avis défavorable.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 12.
M. Gérard Delfau.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux
expliquer pourquoi je ne prendrai pas la parole à propos de la série
d'amendements de la droite sénatoriale visant à réformer l'ordonnance de 1945
sur l'enfance délinquante.
Ce n'est pas que je sacralise ce texte, au demeurant maintes fois remanié,
comme l'a rappelé notre collègue Robert Badinter ; mais je partage avec
beaucoup de sénateurs la conviction que la réponse actuelle à la délinquance
des mineurs n'est pas adaptée à l'aggravation rapide de la situation. Oui, il
est urgent de réagir, mais autrement que ne propose de le faire la commission
des lois, que l'on a connue mieux inspirée !
En effet, chacun des amendements proposés obéit à la même logique :
criminaliser les délits de mineurs ; multiplier les causes de mise en détention
provisoire ; accélérer encore l'arrivée de jeunes enfants et de préadolescents
dans un système pénitentiaire dont le Sénat lui-même a entrepris de dénoncer la
barbarie et le caractère criminogène.
Veut-on surpeupler les maisons d'arrêt de mineurs, déjà à la merci des caïds,
généraliser les centres de jeunes détenus, même rénové comme celui de
Fleury-Mérogis ?
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
C'est hors sujet !
M. Gérard Delfau.
La conséquence en est connue d'avance : la délinquance juvénile en serait
renforcée, puisque, selon les statistiques, 75 % des mineurs emprisonnés
récidivent au lendemain de leur libération. A l'inhumanité du remède s'ajoute
son inefficacité ! Mais le message, lui, restera : le Sénat déclare la guerre à
la partie la plus pauvre et la plus démunie de notre jeunesse, à celle des
banlieues, comme l'a écrit un quotidien national.
M. Jean Chérioux.
C'est lamentable !
M. Gérard Delfau.
Je concède volontiers que la formule est aujourd'hui excessive, rapportée aux
amendements. Mais ce premier pas sera forcément suivi d'autres si nous
n'inventons pas de solutions alternatives à l'enfermement.
Mais ici la droite peut rétorquer : Que propose le Gouvernement pour rendre
effective la « sécurité quotidienne » des citoyens ?
M. Nicolas About.
Rien !
M. Gérard Delfau.
Et, c'est vrai, la modestie des réponses apportées par le projet de loi
étonne, compte tenu de son intitulé.
De même, m'a laissé perplexe le fait que M. le ministre de l'intérieur, dans
sa réponse aux intervenants de la discussion générale, n'ait pas trouvé un mot
pour réagir à mes propos. Il est vrai que l'heure était tardive ! J'avais
pourtant tenté d'esquisser des pistes pour sortir de la spirale infernale que
nous connaissons déjà : répression, délinquance, enfermement.
Je ne me résigne pas plus à un débat biaisé, tel que le veut une partie de la
droite sénatoriale, qu'à une absence de discussion faute d'une réponse
suffisante du Gouvernement dans le projet de loi. C'est pourquoi je tiens à
revenir succinctement sur quelques prises de position.
D'abord, il ne faut plus légiférer : les textes existent. L'ordonnance de 1945
fournit un cadre équilibré à la protection de la jeunesse et à la sécurité
quotidienne. Il suffit de remarquer que chaque article visant à protéger le
mineur délinquant comprend dans sa deuxième partie un « toutefois » ou un «
cependant » qui donne au juge la possibilité de recourir à des sanctions plus
graves, y compris la prison. La preuve, ce sont ces chiffres terrifiants :
alors que les jeunes délinquants incarcérés étaient rares jusqu'à la fin des
années quatre-vingt et étaient tous des auteurs d'homicide, on en dénombrait 3
532 en 1997, selon le rapport des députés Lazerges et Balduyck ; le chiffre
bondit à 4 236 en 1999, soit une augmentation de 22,5 % !
M. Nicolas About.
C'est la génération Mitterrand !
M. Gérard Delfau.
Où en sommes-nous aujourd'hui, monsieur le ministre ? Bien sûr, pour 90 %
d'entre eux, il s'agit d'une détention provisoire, limitée généralement à moins
de deux mois.
Mais, justement, n'est-ce pas le début de l'engrenage pour ces jeunes, étant
donné l'impact de la prison sur leur personnalité ? Or, c'est ce phénomène que
les auteurs des amendements veulent amplifier. Inconcevable !
En vérité, nous n'avons pas besoin de nouveaux textes de loi : ce qui nous
manque, c'est la volonté collective, à tous les niveaux, de faire appliquer
ceux qui existent ; c'est une détermination affichée de faire régresser la
délinquance juvénile en sanctionnant, certes, chaque fois que c'est nécessaire,
mais surtout en donnant à ces jeunes les moyens de s'intégrer à notre société
d'adultes, par la formation professionnelle et l'emploi notamment.
D'où cette évidence : l'urgence, c'est de remobiliser les institutions
chargées de ce problème, de les amener à se décloisonner et à travailler avec
les élus. Point n'est besoin de transfert de compétences !
Si l'éducation nationale, grâce aux ministres Jack Lang et Jean-Luc Mélenchon,
tente courageusement de s'attaquer à la violence dans les collèges, l'on ne
peut que s'étonner du mutisme de la protection judiciaire de la jeunesse, la
PJJ, première concernée ; l'on ne peut que regretter l'immobilisme et la
bureaucratisation de la délégation interministérielle à la ville et s'inquiéter
du poids excessif pris par certains fonctionnaires de préfecture dans la
gestion des crédits attachés aux contrats locaux de sécurité et aux conseils
intercommunaux de prévention de la délinquance, les CIPD
(MM. Jean-Pierre
Fourcade et Jean-Jacques Hyest s'exclament)
ainsi que de la difficulté de
son administration à répondre à l'impulsion donnée par Mme Buffet, ministre de
la jeunesse et des sports.
Que dire des procureurs, surchargés et injoignables, et des juges pour
enfants, chez qui l'alourdissement des tâches renforce une propension ancienne
à éviter le dialogue avec les élus ? Comment, dans un tel contexte, pourra se
situer la police de proximité que vous mettez en place, à juste titre, dans les
quartiers ? Quelle sera son efficacité ?
Il y a trop d'éducateurs spécialisés, d'assistantes sociales, d'agents de
terrain, qui flottent et se découragent, faute d'orientations fermes et stables
de leur hiérarchie. De ce point de vue, les personnels des conseils généraux et
ceux des grandes villes qui se consacrent à des tâches de prévention souffrent
tout autant que ceux de l'Etat. Dans ce domaine, la décentralisation n'est pas
une réussite, ayons le courage de le dire. Et le maire-shérif n'y changera
rien, au contraire !
En fait, la crise actuelle résulte de la confusion qui règne dans les
esprits...
M. le président.
Mon cher collègue, veuillez conclure. Vous savez que le règlement vous accorde
cinq minutes, je suis désolé !
M. Gérard Delfau.
Je connais le règlement du Sénat, monsieur le président, mais il s'agit d'un
débat important, et j'ai indiqué que je ne prendrai pas part à la suite de la
discussion !
M. le président.
Je vous prie de terminer rapidement.
M. Gérard Delfau.
La crise actuelle résulte de la confusion qui règne dans les esprits sur
l'objectif et les méthodes d'une politique d'intégration des jeunes et de
retour à la paix civile. Au cycle actuel, qui enchaîne répression, délinquance
et enfermement, il faut substituer quelques principes clairs, adoptés après un
débat public et portés ensuite à la connaissance de tous, afin que nul ne les
ignore.
Premier principe : respecter le jeune que l'on a devant soi, ne jamais
chercher à l'humilier, mais ne pas accepter non plus qu'il se sente
irresponsable ou, pire, qu'il se croie en situation d'impunité. Pour cela, il
faut pouvoir procéder si nécessaire à un éloignement temporaire du mineur, afin
de sanctionner l'acte délinquant sans briser les liens affectifs qui le
socialisent.
Entre la détention provisoire et le retour immédiat sur le lieu où a été
commise l'infraction, dans l'attente d'un hypothétique jugement - tant de
plaintes sont classées sans suite ! - toute une gamme de structures éducatives
reste à développer ou à inventer. La mise en réseau des établissements de la
PJJ et du secteur associatif ainsi que les internats que prévoit de créer le
ministère de l'éducation nationale - devraient fournir une bonne partie de la
réponse.
M. le président.
Monsieur Delfau, je vous rappelle que vous aviez droit à cinq minutes ; vous
avez la parole depuis sept minutes et demie. Vous pouvez parler pendant dix
minutes, mais il faudra que vos collègues le sachent !
Je suis là pour faire appliquer le règlement, vous le savez, mon cher collègue
; c'est tout ! Je vous prie de conclure.
M. Gérard Delfau.
Je conclus, monsieur le président.
Le deuxième principe, c'est que l'objectif final est bien la réintégration du
mineur délinquant dans le monde des adultes et non sa relégation définitive aux
marges de la société.
Le vecteur principal de cette conversion, c'est la formation professionnelle
débouchant sur l'emploi. Il faut profiter de l'embellie économique et de
l'impulsion donnée par les ministres Lang, Mélenchon et Buffet, ainsi que de
votre action, monsieur le ministre, et de celle de Mme la garde des sceaux,
pour réinventer l'articulation entre la PJJ, l'éducation nationale et les
centres de formation d'apprentis, les CFA, en proposant des métiers
correctement rémunérés et pourvus d'un vrai statut social.
Briser l'engrenage de la violence chez les jeunes, c'est donner de l'espoir à
ceux que leur naissance a placés au bas de l'échelle, et non leur offrir la
perspective du RMI ou des petits boulots dévalorisés, comme à leurs parents.
Je terminerai par le souhait, monsieur le ministre, que, sur votre initiative,
la question de la délinquance juvénile soit abordée autrement, soit abordée
longuement, sereinement, et non pas - et, sur ce point, je vous rejoins tout à
fait, monsieur le ministre - comme la commission des lois veut le faire.
M. le président.
Mon cher collègue, vous venez de me faire perdre toute mon autorité ! Je ne
sais plus comment je vais pouvoir faire respecter l'ordre.
Mais je compte sur votre bonne volonté à tous !
Mme Nicole Borvo.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
J'espère, monsieur le président, que nous ne serez pas obligé de me gronder
!
(Sourires.)
Je voudrais, moi aussi, prendre quelques minutes - ce qui m'évitera
d'intervenir sur cette kyrielle d'amendements - pour expliquer la position des
sénateurs et sénatrices communistes.
Je passe sur l'instrumentalisation politique d'un sujet aussi grave, puisque
j'ai peu de temps, pour me concentrer sur le fond.
D'emblée, je poserai clairement mon refus absolu de m'associer à la logique
des amendements, fondée exclusivement sur l'affrontement avec une jeunesse
devenue ennemie.
Je récuse cette approche qui consiste à traiter le problème de la délinquance
juvénile uniquement par la voie de mesures répressives et stigmatisantes à
l'égard des mineurs eux-mêmes ou de leurs parents.
Monsieur le rapporteur, contrairement à ce que vous affirmez, je ne vois guère
de solutions autres que sécuritaires dans l'arsenal que vous proposez : on n'y
trouve aucune mesure éducative, rien pour aider les familles en difficulté,
rien au sujet du suivi du traitement du mineur délinquant. On a vraiment du mal
à vous croire lorsque vous affirmez ne pas vouloir remettre en cause la
primauté des mesures éducatives sur laquelle repose l'ordonnance de 1945 !
Permettez-moi de relever au passage que, contrairement à ce qui a été dit, la
délinquance était très élevée en 1945, même si elle s'est amplifiée depuis et
concerne désormais des mineurs de plus en plus jeunes. A cette délinquance de
jeunes livrés à eux-mêmes, nos prédécesseurs avaient su répondre, à l'époque,
par un dispositif qui était à l'honneur de notre pays et qui consistait à ne
pas assimiler la délinquance des jeunes et celle des adultes.
Les solutions que vous préconisez reposent sur des présupposés dangereux et
sont souvent incohérentes. Je vous en donnerai quelques exemples.
Vous laissez croire à une impunité des mineurs délinquants. C'est faux ! La
réponse systématique aux actes de délinquance invalide totalement cette
approche. Mme la garde des sceaux a récemment indiqué que le taux de réponse
pénale aux actes de délinquance était de l'ordre de 80 % pour l'année 2000, à
telle enseigne qu'aux yeux de certains la justice des mineurs serait, à bien
des égards, plus sévère que la justice des majeurs - qui sont pourtant les
auteurs de 77 % des délits, on a trop tendance à l'oublier.
Alors, de grâce, ne rendons pas les enfants - que vous ne voulez plus appeler
ainsi ! - responsables de tous les maux de la société !
Par ailleurs, votre perception de la délinquance des jeunes et de la démission
des familles frise la caricature. A vous écouter, messieurs, j'ai parfois
l'impression d'être la seule à avoir jamais douté dans mon rôle de parent !
Bravo, messieurs ! Je vous félicite, car je ne pensais pas trouver au Sénat une
telle assemblée de pères absolument exemplaires !
Mais peut-être idéalise-t-on ses propres comportements, avec le temps !
M. Nicolas About.
C'est trop facile ! C'est de la démagogie !
Mme Nicole Borvo.
Vous raisonnez en fin de compte comme si l'enfant délinquant était toujours
celui de l'autre.
M. Nicolas About.
Pharisiens !
Mme Nicole Borvo.
Il y a en effet une certaine contradiction à décaler l'âge de l'indépendance
pour ses propres enfants et à proclamer une responsabilité pénale anticipée
pour ceux des autres.
M. Jean Chérioux.
Personne ne veut faire cela !
Mme Nicole Borvo.
Plus grave encore, vous laissez à penser que la délinquance serait le seul
fait des pauvres en stigmatisant les quartiers difficiles - je pense à
l'interdiction de circulation des mineurs sur certaines parties du territoire -
et en prévoyant la suppression des prestations familiales, mesure qui ne
représente un enjeu que pour les plus démunis. Les autres n'en ont cure !
M. Jean Chérioux.
C'est intolérable !
Mme Nicole Borvo.
Permettez-moi de douter qu'il en soit ainsi. Il serait peut-être judicieux de
regarder du côté de la grande délinquance,...
M. Nicolas About.
Proposez quelque chose !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Il serait également judicieux de regarder ce que nous avons
écrit !
Mme Nicole Borvo.
... pour laquelle on propose des mesures qui, précisément, visent à éviter
l'emprisonnement.
J'en viens à la question de la responsabilisation. Je constate qu'elle vise
exclusivement les parents et qu'à ce titre elle est loin de l'objectif de
responsabilisation collective que l'on pouvait espérer sur une question qui
concerne l'ensemble de la société !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Puis-je vous interrompre, madame Borvo ?
Mme Nicole Borvo.
Vous répondrez à l'ensemble de mon intervention !
Il m'apparaît pour le moins contradictoire d'utiliser à cet effet le mécanisme
du droit pénal, qui est par nature le plus déresponsabilisant puisqu'il
consiste à déléguer le règlement du conflit à des tiers, en l'occurrence la
police et la justice !
L'abaissement de la majorité pénale des mineurs constitue l'exemple le plus
probant de cette contradiction dans la mise en oeuvre de l'objectif de
responsabilisation tant des parents - la clause de non-responsabilité pénale
liée à l'âge est justement destinée à ne pas exonérer les parents ! - que des
enfants eux-mêmes.
En outre, dans la plupart des cas, sanctionner les parents n'est pas la bonne
solution. Pour ceux d'entre eux qui, par leur attitude, mettent en péril le
devenir de leurs enfants, vous savez que le code pénal prévoit déjà des
sanctions, sans même parler des placements d'enfants ! Toutes les personnes qui
sont en contact avec la délinquance juvénile insistent au contraire sur le fait
que les parents d'enfants délinquants ou potentiellement délinquants ont
surtout besoin d'être aidés et restaurés dans leur autorité et dans leur rôle
éducatif.
M. Nicolas About.
C'est ce que nous proposons !
M. Robert Bret.
Non !
Mme Nicole Borvo.
C'est l'inverse que vous proposez !
Vous affirmez que les solutions n'existent pas. Pourtant, l'ordonnance de 1945
met une large palette à la disposition des juges, point n'est besoin d'en
rajouter sur le plan législatif ! Ce qui fait défaut, ce sont les moyens pour
les mettre en oeuvre.
Il existe notamment un fort besoin d'éducateurs qualifiés : il est nécessaire
de susciter des vocations, car leur métier est difficile et nombre d'entre eux
ne sont pas « bien dans leur peau », aujourd'hui.
M. Nicolas About.
Vous êtes au Gouvernement, madame Borvo !
Mme Nicole Borvo.
Les structures d'encadrement sont en nombre trop limité. En outre, elles
coûtent cher, et il est difficile, face aux résistances locales, de leur
trouver un lieu d'implantation.
M. Nicolas About.
Que fait le Gouvernement ?
Mme Nicole Borvo.
Tels sont les points dont nous pourrions débattre ensemble pour trouver des
solutions réelles, et non pas pour renforcer la législation ni transformer le
débat en opération politique.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Jean Chérioux.
Que venez-vous de faire vous-même, sinon une déclaration politicienne ?
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Ayant entendu les interventions de Mme Borvo et, auparavant,
de M. Delfau, je veux faire part de ma stupéfaction.
Je voudrais bien que l'on me montre une seule phrase qui contienne un mot
justifiant les accusations que l'on nous adresse. Où a-t-on parlé
d'emprisonnement ? Nous avons parlé de renforcer les dispositions et la
philosophie de l'ordonnance de 1945.
Vous venez, madame Borvo, d'évoquer la palette de mesures qui sont offertes au
juge. Ce que nous proposons, c'est précisément d'élargir cette palette.
M. Robert Bret.
C'est bien ce que l'on vous reproche !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Il ne s'agit pas de prévoir un emprisonnement selon des
règles qui seraient définies ici, et seulement ici. Il s'agit d'élargir les
moyens qui sont offerts au juge. C'est le juge des enfants qui décidera
d'utiliser ou non la palette des moyens que nous voulons élargir.
C'est bien de faire des procès d'intention, mais il faudrait tout de même lire
les textes et contester ce qui est écrit,...
M. Gérard Delfau.
Nous avons lu le rapport !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
...et non ce que vous supposez que l'on aurait pensé, ce qui
n'est pas tout à fait la même chose.
Vous avez également parlé des pauvres, madame Borvo. Je vous laisse la
responsabilité de vos propos. Là encore, je voudrais que l'on me démontre
comment nous avons pu, dans le rapport, laisser passer une telle phrase. Je ne
me souviens pas qu'elle ait été écrite, mais, si elle l'avait été, je
souhaiterais que vous me la montriez ; je me ferai un plaisir de la rectifier.
Jamais - est-il besoin de le dire ? - nous n'avons formulé une telle
proposition.
Mme Nicole Borvo.
Et les allocations familiales ?
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je m'expliquerai sur ce point le moment venu ! Je vous invite
à lire attentivement ce que nous proposons.
Enfin, vous avez dit que les moyens étaient insuffisants. Certes, mais c'est à
M. le ministre qu'il faut adresser cette remarque.
(Applaudissements sur les
travées du RPR. - M. Bonnet applaudit également.)
M. Jean-Pierre Fourcade.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
En tant que maire d'une grande ville qui connaît de nombreux problèmes
particuliers, confronté à la délinquance quotidienne, comme le sont, notamment,
la police, la gendarmerie, le parquet et le juge des enfants, j'ai été
abasourdi par ce que j'ai entendu voilà quelques instants.
Monsieur le ministre, je n'ai pas été convaincu par votre demande de retrait
car, aux yeux de l'opinion publique, quelles que soient les tendances
politiques, elle est incompréhensible. Nous constatons sur le terrain une
augmentation considérable de la délinquance des jeunes. Nous voyons bien que
toutes les procédures qui sont mises en place ne permettent pas de l'endiguer.
Nous essayons d'agir, dans le cadre des contrats locaux de sécurité, avec
l'appui de l'éducation nationale. Je souhaite rendre hommage à l'appui
qu'apportent les chefs d'établissement de l'enseignement public et de
l'enseignement privé à l'application des contrats locaux de sécurité,...
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade.
...et cela a été pour moi une découverte. Je tiens à le dire car ils sont,
comme nous, sensibles au problème de l'aggravation de cette délinquance.
(MM. Delfau et Souvet applaudissent.)
Aussi, monsieur le ministre, vous ne pouvez pas vous en tirer en disant qu'il
y a un problème mais que nous verrons plus tard. En effet, le sentiment
d'insécurité et de violence qui se développe ne peut pas continuer à
empoisonner notre société.
Trois raisons me conduisent à voter les amendements de la commission, et donc
à accepter l'adjonction dans votre texte - qui, reconnaissez-le, était un peu «
faiblard », un peu mince quand il est arrivé de l'Assemblée nationale - de ce
nouveau chapitre sur l'ordonnance de 1945.
Première raison : quand on examine les statistiques, on constate que la
délinquance des mineurs progresse trois à quatre fois plus vite que le reste de
la délinquance. On ne peut rester impuissants face à un tel mécanisme. En
effet, les forces de police ne sont pas bien formées pour lutter contre cette
délinquance, les parquets sont encombrés et la plupart des plaintes sont
classées sans suite. Dans ma commune, 75 % des plaintes sont classées sans
suite. En outre, on incite nos concitoyens à ne pas déposer plainte et on se
contente d'une inscription sur la main courante. Or personne ne lit les mains
courantes. A cet égard, si j'ai une adjonction à demander à la commission,
c'est de permettre aux maires de prendre connaissance des mains courantes, ce
que je fais à titre contractuel et occasionnellement. C'est ainsi que l'on voit
réellement l'importance de la délinquance et l'aggravation des problèmes
concernant les jeunes. Par conséquent, nous ne pouvons pas ne rien faire dans
un texte qui, aux termes mêmes de son intitulé, est relatif à la sécurité
quotidienne.
J'en viens à la deuxième raison qui me conduit à voter ces amendements. En
1974, le gouvernement auquel j'appartenais a réduit l'âge de la majorité de
vingt et un ans à dix-huit ans. Cela a fait l'objet de beaucoup de
commentaires. Nous nous étions alors demandé, monsieur le ministre, si nous ne
devions pas, par homothétie, abaisser l'âge de treize ans fixé dans
l'ordonnance de 1945. En effet, l'évolution a été considérable, notamment en
raison du développement de la télévision et du cinéma. De même que l'on
abaissait la majorité civique de vingt et un à dix-huit ans, il aurait été
normal d'abaisser de quelques années l'âge prévu dans l'ordonnance de 1945. La
commission propose de le fixer à dix ans. Doit-il être fixé à onze ans, à douze
ans, je n'en sais rien. En tout cas, il était logique de réduire également ce «
cliquet » de treize ans, qui bloque actuellement toutes les procédures. Par
conséquent, je voterai les dispositions ayant pour objet d'abaisser cet âge. Je
prendrai un exemple. Dans le contrat local de sécurité de ma collectivité, j'ai
institué une procédure de discussion avec la police, la gendarmerie et
l'éducation nationale pour les gamins qui font des bêtises. Lorsqu'ils sont
âgés de moins de treize ans, le procureur me dit qu'il est impossible de s'en
occuper car ils sont protégés par l'ordonnance de 1945. Cette disposition est
absurde. L'amendement de la commission vise à remédier à cette situation.
Enfin, il est une troisième raison pour laquelle je soutiens cette série
d'amendements. Je suis navré de voir ici que l'on nous fait un procès au motif
que nous serions anti-jeunes. Pas du tout ! Il ne faut pas faire un amalgame
entre les jeunes qui font des bêtises et ceux qui n'en font pas. La plupart des
jeunes n'en font pas.
Par conséquent il est faux d'affirmer que nous abaissons l'âge et modifions
les procédures parce que toute la jeunesse bascule dans la délinquance.
Réalisant sur le terrain de nombreuses opérations en faveur des jeunes, je peux
affirmer qu'ils sont heureux eux-mêmes que l'on puisse faire le départ entre
ceux qui sont convenables, ceux qui respectent les vieilles dames - car nombre
d'entre elles sont volées, renversées ou violentées - et les autres. Faire un
amalgame entre une politique anti-jeunes et une politique de répression plus
forte, plus précise et plus rapide de la délinquance juvénile est un mauvais
procès, qu'on ne peut faire au Sénat !
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants. - M. Laffitte applaudit également.)
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Le moins que l'on puisse dire est que les membres du groupe socialiste et
notamment celui qui intervient en cet instant s'expriment peu. En commission
des lois, ils sont souvent, au contraire, fort présents. Si, à cet égard, je
fais part à la Haute Assemblée de mes réserves sur la procédure telle qu'elle a
été engagée, c'est pour des raisons très sérieuses.
La première est que l'augmentation de la délinquance juvénile à laquelle nous
sommes tous confrontés est sans doute le plus complexe des problèmes graves que
notre société doit traiter. Vous le savez comme moi, l'ordonnance de 1945 a
fait l'objet de nombreuses réformes. Le principe méthodologique consiste, avant
d'engager une réforme profonde - car celle que vous proposez est profonde - à
procéder à des auditions et à des investigations poussées. En effet, disons-le
très clairement, il faut beaucoup réfléchir avant d'agir dans ce domaine. Nous
ne sommes pas démunis. Nous disposons de textes, de moyens, même si la pratique
appelle à certains égards des modifications.
Si j'affirme qu'il n'est pas possible de procéder sans d'abord faire entendre
la voix de ceux qui, sur le terrain, sont confrontés immédiatement à ces
problèmes - et ce ne sont pas seulement les maires, ce sont aussi les
magistrats et les policiers chargés des problèmes de l'enfance, et plus encore
ceux qui participent à la protection judiciaire de la jeunesse - c'est parce
que nous avons toujours suivi cette méthode. Je n'ai pas besoin de rappeler
qu'en 1996, au moment où M. Toubon a entrepris la réforme de l'ordonnance de
1945, on a procédé à des auditions dont ceux qui les ont entendues se
souviennent encore avec le plus vif intérêt. Ensuite, on a légiféré.
Tout à l'heure, M. le rapporteur a cité, et je l'en remercie, l'exemple de ce
que le Sénat avait mis en oeuvre s'agissant de la situation carcérale, qui
appelle bien des améliorations. Une commission d'enquête avait été créée. Celui
qui vous parle a été le premier à déposer une demande de création d'une telle
commission. Elle a été ensuite largement ralliée. Nous avons mené des travaux
très importants, qui ont fait l'objet d'un important rapport, sous la
présidence de M. Hyest, le rapporteur étant M. Cabanel. De ces travaux a
résulté, après quelques mois de réflexion, une proposition de loi.
En l'occurrence, s'agissant d'un problème aussi important, sinon plus, que
celui qui concerne les prisons, pourquoi commencerions-nous par décider, au
lieu d'écouter ceux qui sont sur le terrain, de réfléchir puis de proposer ?
C'est une question tout à fait essentielle. Pourquoi faudrait-il procéder
ainsi, à cet instant, par des amendements dont j'aurai l'occasion de démontrer
l'un après l'autre soit l'inutilité, soit l'aspect malvenu, soit, ce qui est
plus grave encore, l'atteinte profonde qu'ils portent à l'édifice de 1945 ?
Rien ne nous y oblige !
D'abord, il serait souhaitable que l'on élargisse la proposition de création
de commission qui a été déposée par d'importantes personnalités de la majorité
sénatoriale à tous les aspects de la mise en oeuvre de l'ordonnance de 1945.
Comme l'a dit tout à l'heure M. Fourcade, les parquets sont surchargés, les
juges des enfants sont accablés de nombreux dossiers, la protection judiciaire
de la jeunesse appelle des renforts, la police demande aussi que ses efforts
soient pris en considération. Tout cela est exact. Il faut en prendre la
mesure.
Ce que l'on vous demande en ce moment, c'est d'abord de légiférer et, ensuite,
de procéder aux auditions.
M. Alain Vasselle.
Vous, vous souhaitez faire comme pour les retraites !
M. Robert Badinter.
Cela ne me semble pas une bonne méthode. Je ne crois pas que l'on doive ainsi
toucher à des textes très complexes s'agissant d'une réalité si importante. Il
ne s'agit rien de moins, pour le Sénat, que d'oeuvrer comme il convient et
comme nous l'avons fait à propos des prisons. Le problème est là, attaquons-le
dans le cadre de la commission et abstenons-nous de faire voter - car vous
allez les voter - ces amendements afin de pouvoir ensuite, lorsque l'Assemblée
nationale les aura refusés, dire que vous, vous avez agi et accuser la majorité
de carence en ce domaine. C'est déjà du débat électoral. Ce n'est pas ce qui
doit être pris en considération quand il s'agit de l'ordonnance de 1945.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - MM. Delfau et Bret
applaudissent également.)
M. Jean-Jacques Hyest.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Puisqu'un chapitre est réservé à la délinquance des mineurs et à la
répression, moi non plus je n'interviendrai pas sur chaque amendement, bien que
les propositions de la commission des lois comportent des éléments très
différents.
Tout d'abord, elle traite des majeurs qui se servent de mineurs et, à cet
égard, l'arsenal répressif n'est sans doute pas suffisant. Monsieur le
ministre, chacun peut voir parfois dans de bonnes émissisons de télévision - il
en existe quelques-unes ! - ce qui se passe avec des mineurs, et sous la
menace. Un enfant a même dit : « On se retrouve à la Seine si on ne va pas
fracturer les horodateurs de la Ville de Paris. » Ceux qui sont en cause, ce
sont non pas les mineurs, mais les majeurs qui se servent d'eux. Et on sait
depuis très longtemps qu'il en est ainsi. On importe ces mineurs, on les
transporte. Il existe aussi, nous le savons bien, d'autres formes
d'exploitation des personnes. En l'occurrence, c'est surtout la protection des
mineurs qui est en question.
La commission traite également de l'aspect de la responsabilisation des
parents. Si la tutelle aux prestations familiales fonctionnait comme elle le
devrait - car les textes existent ! - nous n'aurions pas besoin de demander au
juge de s'en occuper. En fait, on doit bien constater que cela ne fonctionne
pas très bien.
Par ailleurs, deux dispositions, en fait trois, concernent la réforme de
l'ordonnance de 1945. La première, c'est l'abaissement de treize ans à dix ans
de l'âge à partir duquel une peine non privative de liberté pourra être
prononcée à l'encontre d'un mineur. Il ne s'agit pas de l'abaissement de l'âge
de la responsabilité puisque celle-ci peut être invoquée avant. On l'oublie
toujours. Pour ma part, je ne crains rien de plus que la confusion. Il arrive,
hélas ! qu'un gamin de dix ans tue son copain, comme cela s'est passé
récemment, dans des conditions vraiment affreuses, en Grande-Bretagne. Quelle
peine va-t-on alors appliquer ? Je demande à chacun d'y réfléchir.
Ensuite, pour les multirécidivistes - c'est en effet un peu de cela qu'il
s'agit - la commission propose de prévoir, dans des circonstances très
précises, la possibilité de placer en détention provisoire les mineurs âgés de
treize à seize ans en matière correctionnelle.
Je ne peux pas dire qu'il ne s'agit pas là d'une mesure nécessaire dans la
mesure où M. le ministre a lui-même expliqué que l'on mettait de plus en plus
de jeunes en détention provisoire, puisque leur nombre a augmenté.
Par conséquent, le débat me paraît un peu paradoxal : il y a, d'un côté, ceux
qui considèrent qu'il faut faire quelque chose de sérieux, mais sans trouver
les solutions pour régler vraiment ce problème ou pour améliorer la situation
de la justice des mineurs, et ceux qui, d'un autre côté, disent qu'il ne faut
de toute façon pas toucher à l'ordonnance de 1945 et que le souhait de le faire
ne peut être inspiré que par la méchanceté et par un réflexe anti-jeunes !
Néanmoins, nous constatons tous les jours, non seulement dans les grandes
villes mais également dans nos villages, une dégradation progressive du
comportement des jeunes, qui sont laissés seuls, et dont les parents sont là ou
ne sont pas là. Je n'adresse d'ailleurs aucun reproche, et ce n'est pas
forcément dans les milieux dits « défavorisés » que les choses se passent ainsi
; cela peut exister dans toutes les classes de la société ! Il y a aussi, en
effet, une forme d'absence de la part de parents aisés qui se débarrassent de
leurs enfants sur l'éducation nationale ou sur d'autres structures. Je crois
donc que, entre les couches de la société, les risques sont partagés. Cessons
par conséquent de nous jeter à la figure des problèmes de classe sociale, de
justice de riches ou de pauvres !
Monsieur le ministre, je serais d'accord avec votre discours s'il reflétait la
réalité. Or, moi, je vous dis que tel n'est pas le cas ! Nous connaissons, en
effet, des cas de mineurs qui ont commis des actes graves, n'ayant pas été
suffisamment réprimés : au bout de six mois, ils comparaissent devant le juge
des enfants - à l'instar de la cour d'assises des mineurs, demain, ce sera le
juge des mineurs.
Je ne parle pas de la détention provisoire qui devrait, selon moi, faire
l'objet d'un traitement particulier compte tenu de l'expérience des maisons
d'arrêt dépourvues de quartiers pour mineurs. La détention me paraît, en effet,
une solution plus dangereuse qu'autre chose.
Donc, je vous conjure, les uns et les autres, de cesser de vous invectiver en
considérant que vous êtes les seuls à détenir la vérité. Il est clair qu'il
faut procéder à certains approfondissements. Pour ma part, sauf exception -
toujours possible - je milite en faveur d'une sanction adaptée à l'égard du
jeune qui a commis un premier délit pas trop grave. C'est ainsi qu'on évitera
la récidive. Or, dans notre société, on attend que le jeune ait fait cinq, six,
voire dix bêtises pour exercer une répression parfois trop forte, de sorte que
l'on passe complètement à côté de l'objectif. Ce jeune est alors perdu pour de
nombreuses années, voire définitivement.
C'est pourquoi le groupe de l'Union centriste, compte tenu de tous les
arguments qui ont été développés, pense que les deux mesures proposées pour les
mineurs ne sont pas suffisantes et ne répondent pas à une vue d'ensemble de la
délinquance des mineurs et de la répression qui devrait intervenir. Il
n'attribuera pas non plus un satisfecit au Gouvernement parce qu'on a trop
tardé pour réagir devant la montée de la délinquance des mineurs.
Pour toutes ces raisons, mon groupe s'abstiendra sur ces amendements, tout en
soutenant ceux qui visent à responsabiliser les adultes, dans l'attente, bien
entendu, monsieur le président de la commission des lois, de cette commission
d'enquête qui s'avère, aujourd'hui, encore plus indispensable.
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n'ai pas
le fétichisme des lois, et en particulier pas celui de l'ordonnance de 1945 qui
a été modifiée de multiples fois. Les lois sont faites non pas pour dresser des
tentes pour le sommeil mais pour évoluer en fonction des nécessités.
Je voudrais souligner que, dans le contexte de 1945 - je m'en souviens bien,
puisque j'avais huit ans à l'époque - la délinquance juvénile, n'en déplaise à
Mme Borvo, n'existait pas comme maintenant. A l'époque, il y avait des règles
de socialisation qui ont disparu. L'« initiation » du jeune à devenir un adulte
était assurée par l'école, par la famille, par les parents et par la pression
sociale dans son ensemble.
Nous n'avons plus, à l'heure actuelle, ce processus initiatique, cette
socialisation. Or sans ces mécanismes, tout devient possible : la délinquance
peut croître, et c'est l'édifice social tout entier qui branle sur ses
bases.
Il est donc plus que temps de traiter le problème - et de le faire dans
l'urgence - parce que nous avons trop tardé à aborder les véritables questions
de fond.
Monsieur le ministre, cela faisait pourtant des années que nous tirions la
sonnette d'alarme : lors de l'examen du budget de la justice, plus
particulièrement du budget de la protection judiciaire de la jeunesse, nous
disions chaque année que, malgré des efforts, nous irions dans le mur si nous
continuions sur la même voie. C'est la raison pour laquelle, l'année dernière,
nous avons refusé, ici même, de voter le budget de la justice.
Il est temps de taper du poing sur la table. Puisque les parents n'assurent
plus le rôle initiatique, puisque l'école ne peut pas le faire, puisqu'il n'y a
plus de structures pour socialiser les enfants, il faut que la société prenne
le problème en main.
Si les solutions que nous avons proposées ne sont peut-être pas parfaites,
elles ont au moins le mérite d'exister, de poser les problèmes et d'apporter
une réponse à la demande d'une population anxieuse.
Chez moi, tous les jours, une voiture brûle. Chez moi, tous les jours, des
gamins s'assemblent dans les halls d'immeuble, et les gens n'osent alors plus
entrer ou sortir après vingt heures de peur d'être agressés ou rackettés, la
police n'osant pénétrer dans aucun de ces lieux. Tous les jours, il y a des
tentatives de racket sur des jeunes et des sacs à main de vieilles dames
arrachés.
Et on ne fait rien, et on dit que c'est normal ! C'étaient auparavant des
gamins âgés de quatorze ans qui se livraient à ces méfaits. Maintenant, ils ont
douze ans, voire dix ans ! Bien sûr, ils feront l'objet d'une admonestation du
juge ; mais ils rentreront chez eux comme des caïds, et ils recommenceront.
En fin de compte, maintenant, c'est l'acte de délinquance qui devient l'acte
de socialisation de notre société ! Monsieur le ministre, on ne peut plus
accepter cela !
Les mesures proposées sont peut-être insuffisantes, imparfaites, incomplètes,
mais elles ont le mérite d'exister. C'est la raison pour laquelle le groupe du
Rassemblement pour la République les votera.
(Applaudissements sur les
travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 12, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, une division additionnelle ainsi rédigée est insérée dans le
projet de loi, avant l'article 1er.
Articles additionnels avant l'article 1er