SEANCE DU 29 MAI 2001
SÉCURITÉ QUOTIDIENNE
Suite de la discussion
d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi (n° 296,
2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence,
relatif à la sécurité quotidienne. [Rapport n° 329 (2000-2001) et avis n° 333
(2000-2001).]
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l'examen
d'amendements tendant à insérer une division et des articles additionnels avant
l'article 1er.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, en cet instant du débat, je souhaiterais intervenir un peu
longuement, ce dont vous voudrez bien me pardonner. Cela m'évitera ensuite de
revenir sur les articles ou les amendements au fur et à mesure qu'ils seront
appelés en discussion.
La série d'amendements qui vont être abordés maintenant est de nature à
anéantir l'équilibre en remettant en cause l'ordonnance de 1945 sur l'enfance
délinquante.
Lors de l'intervention que j'ai prononcée à la fin de la discussion générale
et après un débat d'une grande hauteur de vue, auquel ont notamment contribué
M. Robert Badinter et M. Christian Bonnet, j'ai déjà indiqué pour quelles
raisons les propositions formulées dans ces amendements ne sont pas à mes yeux
de nature à remédier aux problèmes posés par la délinquance des mineurs. A
entendre plusieurs d'entre vous, j'ai d'ailleurs le sentiment que ma conviction
est partagée par des sénateurs qui n'appartiennent pas tous à l'opposition
sénatoriale.
Abaisser les seuils d'âge et rendre possible la condamnation pénale des
mineurs de plus de dix ans, sans doute pour faire avancer l'idée de leur mise
en prison, un jour, mettre de nouveau en détention provisoire les mineurs de
plus de treize ans, punir les parents de mineurs délinquants et les considérer
comme des corrupteurs et des délinquants eux-mêmes, enfin aggraver les peines
et aller plus vite dans les condamnations pénales des mineurs, voilà clairement
ce qui est proposé. Les Français apprécieront l'évolution en faveur des
libertés publiques et d'une meilleure intégration sociale qui en découlerait
!
Bref, ceux qui présentent ces amendements participent de cet esprit qui veut
que, loin de s'interroger sur les causes de cette délinquance et sur les moyens
d'y remédier, car c'est là une volonté pleinement partagée, on considère que la
seule réponse, c'est la répression, le bâton, et l'on donne l'impression de
vouloir mettre en coupe réglée tous nos jeunes, en faire les boucs émissaires
et les responsables de toutes les formes de la violence.
Le Gouvernement ne partage pas cette courte vue, qui prépare, je puis vous
l'assurer, des lendemains qui déchanteraient, car l'éducation d'un jeune ne
peut se faire qu'à partir de repères forts, qui passent, certes par la
sanction, mais aussi et d'abord par l'éducation, la compréhension, l'amour de
la vie, l'espérance en la possibilité d'un avenir meilleur, parce que voulu par
tous, par le respect des autres.
Ainsi que je l'indiquais à la fin de la discussion générale, « la réponse
n'est ni exclusivement policière, ni judiciaire, elle est d'abord dans la
prévention. Quand un enfant de dix ans commet un crime, comprend-il son geste ?
Comment rétablir l'autorité parentale ? Comment faire en sorte que la violence
ne soit pas autant médiatisée ? La vraie réponse à ces interrogations serait
bien évidemment que ces crimes ne soient pas commis ! »
Je crois que les concepts fixés en 1945, grâce notamment à l'action du général
de Gaulle et donnant la priorité à l'éducation des mineurs délinquants, gardent
toute leur valeur et toute leur actualité.
Au demeurant, vous le savez, l'ordonnance de 1945 a été modifiée plus de dix
fois - les deux dernières en 1996 et en 1998 - pour suivre l'évolution des
préoccupations du monde d'aujourd'hui.
Marylise Lebranchu a parfaitement démontré que nous disposons aujourd'hui d'un
dispositif juridique équilibré, qui repose sur la responsabilité du mineur en
fonction de son âge et de son développement, sur la prédominance des mesures
éducatives, mais aussi sur l'effectivité de la condamnation pénale du mineur de
plus de treize ans en matière délictuelle et criminelle.
Ce que l'on interdit depuis une réforme de 1987, votée par la droite et par la
gauche, c'est la détention provisoire en matière délictuelle des mineurs de
treize à seize ans. Et nombre d'entre vous sont, me semble-t-il, contre la
détention provisoire !
La répression et la condamnation pénale existent, vous le savez.
En 2000, près de 4 000 mineurs, 3 996 exactement, ont été détenus, contre 3
271 en 1996. Sur les quatre premiers mois de l'année 2001, plus de 700 mineurs
ont été incarcérés. Ce sont des chiffres sans précédent !
En réalité, aujourd'hui, ce qui me paraît important, c'est non pas tant
d'abaisser les seuils d'âge ou de réformer telle ou telle partie du texte que
de faire en sorte que les décisions qui sont prises par le procureur et les
juges des enfants soient effectives, comprises des familles, des jeunes et de
l'opinion publique.
Il n'existe pas de réponse magique à la délinquance des mineurs qui puisse
être apportée par la loi, et vous le savez bien !
C'est d'abord à la société tout entière de se mobiliser. Nous devons nous
attacher à porter nos efforts sur la poursuite et la construction de réponses
éducatives appropriées.
Trop de décisions restent inexécutées, faute de structures nécessaires ou
parce que ceux qui doivent les mettre en service ne sont pas en nombre
suffisant ou se sentent insuffisamment soutenus.
Il faut donc construire, faire fonctionner les structures créées, développer
les possibilités de placer les jeunes délinquants dans des centres ayant une
structure éducative très forte. Les collectivités locales peuvent en ce domaine
jouer un rôle déterminant pour faciliter la mise en place de ces structures.
A ce jour, 40 centres de placement immédiat et 42 centres d'éducation
renforcée existent.
Le Gouvernement, comme il l'a indiqué au conseil de sécurité intérieure du 30
janvier 2001, tiendra les engagements qui ont été pris.
A la fin de l'année 2001, il y aura 50 centres de placement immédiat et 100
centres d'éducation renforcée.
Ce ne sont pas les gouvernements précédents qui ont fait pareil effort ;
pourtant, les chiffres de la délinquance des mineurs étaient déjà bien présents
!
Si toutes les causes qui peuvent concourir à la transgression et au passage à
l'acte des mineurs doivent être prises en compte - crise sociale, crise de
l'autorité parentale, éclatement des familles, échec scolaire - nous savons
aussi que, lorsque toutes les autres réponses ont échoué, la meilleure réponse
à cette délinquance est une réponse pénale prononcée sans discontinuité ni
temps mort, au plus près possible de l'action de constatation de l'infraction
effectuée par les services de police ou de gendarmerie.
C'est ce qui se fait depuis 1999. La généralisation sur l'ensemble du
territoire national du traitement en temps réel des procédures mettant en cause
des mineurs est désormais une réalité. Elle a conduit au développement des
procédures dites « rapides », qui représentent à ce jour 60 % de l'ensemble des
saisines des juges des enfants. Je parle là des déférements et des convocations
par officier de police judiciaire.
Il faut amplifier ce mouvement. Le Gouvernement s'y emploie.
Mieux lutter contre les violences des jeunes et leur absence de repères, c'est
aussi une affaire de pratiques professionnelles.
A cet égard, nous entendons bien, Marylise Lebranchu et moi-même, rendre
encore plus cohérentes et mieux coordonnées les actions des services d'enquête
et de la justice.
Me fondant sur des actions entreprises au début de l'année sur seize sites
difficiles, j'ai demandé à ce que des initiatives fortes soient prises en
commun pour renforcer nos actions sur des lieux où la présence de bandes de
mineurs et, souvent, la prédominance d'une économie souterraine entretiennent
une grave insécurité.
La conduite de telles opérations doit s'appuyer sur un vrai partenariat. Dans
une société où la délinquance des jeunes est aussi vivement ressentie, tout
doit être fait pour que l'action des services d'enquête et de la justice se
trouve confortée par la mobilisation de tous les acteurs et élus locaux. Les
maires doivent également aider et promouvoir des actions nouvelles, tout
spécialement en matière de prévention, telles que les maisons des parents ou
l'aide au travail scolaire, qui permettent de soutenir les familles dans
l'éducation de leurs enfants.
Pour parvenir à cette nécessaire coproduction, il n'est nul besoin de procéder
à une révision de notre dispositif législatif, révision qui s'avérerait
purement démagogique. Il convient, en revanche, de mettre en place des moyens
d'action renforcés, pour lesquels tous les acteurs, et notamment les
collectivités locales, dans le cadre de leurs compétences, doivent se
mobiliser.
Ainsi, la question qui nous est maintenant posée est de savoir si les
nombreuses modifications de l'ordonnance de 1945 proposées cet après-midi sont
nécessaires pour répondre au problème de société auquel nous sommes confrontés,
celui d'une délinquance violente qui est souvent le fait de mineurs de plus en
plus jeunes.
J'observe que, sur ce problème difficile, deux façons d'agir ou de réagir
s'opposent.
D'un côté, on nous propose toute une série d'amendements visant à modifier
fondamentalement - et je dirai : sans la moindre précaution - l'ordonnance de
1945, amendements à propos desquels on peut craindre, en outre, que le remède
ne soit pire que le mal ou, tant il est rude, que personne n'ose jamais
l'ordonner.
D'un autre côté, et sur les mêmes travées, plusieurs éminents représentants de
la majorité sénatoriale - MM. de Raincourt, Arthuis, Cabanel et de Rohan -,
constatant que « ce phénomène constitue à l'évidence un défi majeur pour notre
société, qui ne peut laisser sur le bas-côté une partie de sa jeunesse ni
laisser sans protection les victimes de cette délinquance, le plus souvent
elles-mêmes mineures », proposent simultanément la création d'une commission
d'enquête, dont le mandat serait notamment la préparation d'un débat
parlementaire en vue du dépôt d'un projet ou d'une proposition de loi.
Il existe, me semble-t-il, à tout le moins, une contradiction de méthode. On
ne peut pas raisonnablement vouloir engager un travail d'analyse et de
réflexion sur ce problème de société et, avant même d'avoir entamé ce travail,
vouloir bouleverser le texte qui règle toute la matière. A moins que cette
double procédure engagée de manière concomitante ne traduise une hésitation
plus fondamentale sur ce que l'on peut et doit raisonnablement faire dans ce
domaine.
Si la volonté du Sénat est bien d'abord d'apporter une contribution aux
réponses que la société doit rechercher pour réduire cette forme de
délinquance, le Gouvernement est naturellement prêt à participer à la
réflexion. Car il est vrai que peut être utile une réflexion sur la délinquance
juvénile, sur ces causes, sur ses manifestations, sur son évolution ainsi que
sur les moyens d'y porter remède et de réussir la réinsertion de ces jeunes.
En revanche, le Gouvernement est totalement hostile à toute démarche visant
purement et simplement à mettre à bas un dispositif qu'il faut d'abord
appliquer complètement et efficacement.
Gardons-nous de modifier brutalement, dans des matières aussi difficiles, des
dispositifs qui ont été soigneusement pesés, qui ne sont pas de simples règles
de procédure, mais qui touchent aux comportements humains pendant cette phase
psychologique si délicate de l'enfance et de l'adolescence.
J'en appelle, en conséquence, très solennellement à la sagesse de votre
assemblée pour que celle-ci décide, dès le début de cette séance, le retrait de
ces amendements sur la délinquance des mineurs, et permette ainsi que s'engage
une réflexion approfondie sur les causes mêmes de cette délinquance comme sur
les voies et moyens ouvrant concrètement la voie à une amélioration des
réponses que notre société est susceptible d'apporter pour mieux la prévenir
et, si elle se manifeste, pour en éviter la récidive.
A défaut de ce retrait, le Gouvernement ne pourra qu'émettre un avis
défavorable sur les différents amendements remettant en cause tout l'édifice
voulu en 1945, et qu'il nous faut ensemble d'abord appliquer dans le cadre
d'une mobilisation collective renforcée.
Telle est, mesdames, messieurs les sénateurs, l'intervention globale que je
souhaitais faire au moment où nous reprenons cette discussion, et qui me
permettra d'être beaucoup plus cursif au fur et à mesure de l'examen des
différents amendements proposés, à moins que je ne sois entendu et qu'ils ne
soient retirés.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du
RDSE.)
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Monsieur le ministre, je ne sais pas
si nous vous avons entendu, mais nous vous avons écouté avec attention et, pour
ma part, j'ai relevé dans votre propos un certain nombre d'expressions tendant
à qualifier notre démarche qui ne correspondent en aucune manière à ce que nous
avons l'intention de faire : « brutalement », « sans précaution », etc.
Quoi que vous en pensiez, la commission a travaillé de manière tout à fait
sérieuse : nous avons réfléchi à un certain nombre de décisions possibles. Le
cas échéant, nous avons pu d'ailleurs constater quelques divergences entre
nous. Et pourquoi pas ? Après tout, cela arrive dans toutes les majorités !
N'est-ce pas, monsieur le ministre ?
(Sourires.)
En tout cas, je
n'éprouve aucune gêne à évoquer ces divergences.
Dans votre propos, monsieur le ministre, je reconnais une technique à la fois
habile et habituelle. L'habileté, de votre part, n'est pas pour nous étonner.
Cette technique, à laquelle ce gouvernement a effectivement régulièrement
recours, consiste à dire : « Il y a un problème ; il ne faut pas le traiter ;
nous allons d'abord essayer d'approfondir la réflexion sur les causes, les
analyser, les comprendre. Et puis, lorsque toute cette tâche aura été menée à
bien, on aboutira peut-être à quelques décisions. »
Alors, la commission, à tort peut-être, a considéré que la réflexion était
achevée et que la terrible tension que créent certaines situations dans
l'opinion publique exigeait une réponse.
Vous avez évoqué l'ordonnance de 1945. Mais l'ordonnance de 1945 a déjà été
changée à plusieurs reprises et mérite d'être modifiée à nouveau tout
simplement parce que, depuis 1945, la société a changé ! En 1945, la
délinquance des mineurs, par rapport à ce qu'elle est actuellement, n'était, si
j'ose dire, qu'une aimable plaisanterie. Et pourtant, c'était la période si
difficile des lendemains de la guerre ! Mais il n'y avait pas d'assassinats
commis par des mineurs, pas de vols systématiques, pas de troubles dans les
écoles. L'ordonnance de 1945 était parfaitement adaptée à cette France qui
redémarrait.
Il se trouve que les choses ont changé !
Les causes, nous les connaissons, mais ce n'est pas en supprimant les familles
recomposées - et comment le faire ? - ou les tours de banlieue - et comment le
faire ? - que nous parviendrons à des résultats immédiats. Or, des résultats
immédiats, c'est bien ce que nous souhaitons.
J'ajoute qu'il n'y a pas de contradiction formelle entre le fait de prendre
dès maintenant un certain nombre de décisions et l'initiative de ceux que vous
avez cités - et à qui nous donnons un accord complet - tendant à faire en sorte
d'approfondir encore la réflexion.
Pour l'essentiel, la commission - je parle sous le contrôle de M. le
rapporteur - maintiendra son point de vue. La majorité du Sénat décidera.
Mais la gravité du problème est telle que ne pas apporter dès à présent des
réponses précises et concrètes, intéressant aussi bien les mineurs que leurs
parents, serait, je le crois, très mal compris.
Permettez-moi, enfin, de relever, pour le critiquer, un de vos derniers
propos. Vous avez laissé supposer qu'un jour nous voudrions mettre les moins de
treize ans en prison. Qu'est-ce qui vous autorise à dire cela ? Rien ! C'est
une impression, c'est un commentaire, et ce commentaire, je le conteste
formellement.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants et du RPR.)
Division additionnelle avant l'article 1er