SEANCE DU 29 MAI 2001
M. le président.
Par amendement n° 13, M. Schosteck, au nom de la commission des lois, propose
d'ajouter, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 227-21 du code pénal est ainsi rédigé :
« I. - Dans le premier alinéa, les mots : "habituellement des crimes ou des
délits" sont remplacés par les mots : "un crime ou un délit".
« II. - Dans le second alinéa, après les mots : "mineur de quinze ans", sont
insérés les mots : "que le mineur est provoqué à commettre habituellement des
crimes ou des délits". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Cet amendement concerne la provocation d'un mineur à
commettre des crimes ou des délits.
Actuellement, seule la provocation d'un mineur à commettre « habituellement »
des crimes ou des délits est punis par le code pénal. Il nous paraît donc
souhaitable de punir toute provocation d'un mineur à commettre un crime ou un
délit. La provocation à commettre « habituellement » des crimes et délits
deviendrait alors une circonstance aggravante.
Il s'agit, me semble-t-il, d'un amendement de bon sens. En effet, il n'est pas
normal d'attendre qu'un majeur provoque un mineur à commettre « habituellement
» des crimes ou des délits pour le sanctionner.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Le texte actuel, qui réprime le fait pour un
adulte d'inciter un mineur à commettre des actes de délinquance, permet d'ores
et déjà d'appliquer des sanctions.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
« Habituellement » !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Par conséquent, le Gouvernement n'est pas
favorable à cet amendement.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Mais il y a le terme : «
habituellement » !
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 13.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
La provocation, telle qu'elle s'exerce dans la réalité, est déjà punissable
comme acte unique : c'est la complicité. Par conséquent, l'innovation apportée
consiste cette fois-ci à élever à sept ans l'habitude. C'est le passage de cinq
ans à sept ans.
La question que je pose - elle revient au défaut de méthode que j'évoquais
tout à l'heure - est la suivante : quel est, à l'heure actuelle, le nombre de
condamnations prononcées du chef de provocation tel qu'il existe dans la loi
actuelle et à quel niveau ? J'aimerais le savoir. Si les condamnations qui se
situent à trois ou quatre ans, pourquoi diable les porterions-nous à sept ans ?
Je dis cela parce que c'est le principe que chacun d'entre nous devrait
toujours conserver à l'esprit.
Il y a un nouveau code pénal, qui a été voté après des années de travaux par
le Parlement. N'y touchons que lorsque cela se révèle indispensable ! Ne
passons pas notre temps à ajouter constamment de nouvelles obligations ou à
modifier les dispositions du code pénal si ce n'est pas absolument nécessaire,
et disons que, dans trois ou quatre ans, nous procéderons à une révision de
l'ensemble de ce code ! Ce n'est pas la meilleure façon de légiférer,
croyez-moi !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je crois que le sens de l'amendement n'a pas été très bien
saisi : il s'agit - pardon de me répéter - de punir ceux qui incitent un mineur
à commettre un crime ou un délit et à ne pas attendre qu'il le fasse
habituellement ! Par conséquent, dès la première fois qu'un individu est
surpris à inciter un mineur à commettre un acte répréhensible, crime ou délit,
il est puni. Cette mesure me semble de nature à protéger les mineurs.
Il m'a été répondu qu'il s'agit là d'un fait déjà punissable dans la mesure où
l'individu est alors considéré comme complice ! Mes chers collègues, je relève
là une contradiction qui m'étonne quelque peu ! Cela va dans le sens inverse
des critiques que j'ai entendues et dont on m'abreuve ! Cela signifie que celui
qui aura incité va seulement être poursuivi pour complicité et qu'est accrédité
le fait que le mineur a bien commis le crime premier ou le délit premier. Or,
nous, nous proposons - nous nous préoccupons en effet véritablement de la
réinsertion du mineur et d'essayer de le sortir de la délinquance - de punir
celui qui l'aura incité.
M. Alain Joyandet.
Tout à fait !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
En effet, celui qui a commis le crime premier, c'est bien
celui qui a incité le mineur à commettre une mauvaise action !
(Très bien !
et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 13, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 1er.
Par amendement n° 14, M. Schosteck, au nom de la commission des lois, propose
d'insérer, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Après le douzième alinéa (11°) de l'article 222-12 du code pénal, il
est inséré un alinéa ainsi rédigé : "12° Par un majeur agissant avec l'aide ou
l'assistance d'un mineur".
« II. - Après le douzième alinéa (11°) de l'article 222-13 du même code, il
est inséré un alinéa ainsi rédigé : "12° Par un majeur agissant avec l'aide ou
l'assistance d'un mineur".
« III. - Après le neuvième alinéa (8°) de l'article 311-4 du même code, il est
inséré un alinéa ainsi rédigé : "9° Par un majeur agissant avec l'aide ou
l'assistance d'un mineur". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Il s'agit également de l'aggravation de certaines peines en
cas d'utilisation d'un mineur par un majeur : cet amendement tend à prévoir une
aggravation des peines encourues en cas de violence et de vol lorsque ces
infractions sont commises avec la participation d'un mineur agissant en qualité
d'auteur ou de complice.
En effet, il faut, nous semble-t-il, punir plus sévèrement ceux qui se servent
d'enfants ou d'adolescents pour commettre leurs forfaits.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Le fait de commettre une infraction en réunion
constitue déjà une circonstance aggravante et couvre donc ce cas de figure.
Cette disposition n'ajoute rien. Le Gouvernement est par conséquent défavorable
à cet amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 14.
M. Alain Vasselle.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Je tiens à faire une remarque d'ordre général sur l'ensemble des mesures
tendant à aggraver les peines.
Pour ma part, je me suis toujours interrogé et je m'interroge encore sur le
caractère dissuasif que peut réellement représenter l'aggravation des peines.
Pensez-vous vraiment que, par cette mesure, nous obtiendrons un véritable
résultat quant à la régression de la délinquance ? Je n'en suis pas
persuadé.
Je me demande s'il ne serait pas plus pertinent d'engager des mesures d'une
autre nature, plus en amont, auprès tant des parents que de ces enfants, sur le
plan de l'éducation. Le concours de l'éducation nationale auquel a fait
référence tout à l'heure M. Jean-Pierre Fourcade est certainement l'un des
éléments positifs des actions pouvant être menées en faveur des mineurs.
Cela étant, si l'on prend une mesure comme celle que propose M. le rapporteur,
c'est avec l'espoir de parvenir à un résultat positif, sur lequel je voulais
cependant m'interroger devant notre assemblée. Autant les explications de M.
Schosteck sur l'amendement précédent m'avaient totalement convaincu, parce
qu'il s'agissait de prévoir non pas seulement une aggravation de peine, mais
aussi une analyse de la situation, autant cet amendement me semble poser
question.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 14, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 1er.
Par amendement n° 137, MM. Hethener, Béteille, Joyandet, Karoutchi, de
Richemont et les membres du groupe du Rassemblement pour la République et
apparentés proposent d'insérer, avant l'article 1er, un article additionnel
ainsi rédigé :
« I. - L'article 132-11 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé
:
« Dans les cas prévus par la loi, la récidive d'une contravention de la
cinquième classe peut également constituer un délit. »
« II. - Après le douzième alinéa (11°) de l'article 222-13 du code pénal, il
est inséré un alinéa ainsi rédigé :
«
...°
Pour une personne qui, déjà définitivement condamnée pour la
contravention de cinquième classe de violences volontaires, commet ces faits
dans un délai d'un an à compter de la date à laquelle cette condamnation est
devenue définitive. »
« III. - L'article 322-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé
:
« Est également punie des peines prévues au premier alinéa la destruction, la
dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui dont il n'est
résulté que des dommages légers lorsqu'elle est commise par une personne
définitivement condamnée pour la contravention de cinquième classe de
destruction, dégradation ou détérioration volontaire d'un bien, dans un délai
d'un an à compter de la date à laquelle cette condamnation est devenue
définitive. »
La parole est à M. Hethener.
M. Alain Hethener.
Cet amendement vise les actes de petite délinquance et de délinquance
juvénile, c'est-à-dire ceux qui minent le moral de nos concitoyens : il s'agit
essentiellement de violences sur les personnes et d'actes de dégradation des
biens.
Or les violences dites légères, qui n'entraînent pas d'incapacité de travail
de plus de huit jours, et les dégradations causant un dommage léger sont
considérées comme des infractions de cinquième classe et sont souvent classées
sans suite.
Par conséquent, l'amendement n° 137 tend précisément à correctionnaliser ces
infractions lorsqu'elles se répètent, de manière que leurs auteurs n'éprouvent
pas un sentiment d'impunité presque totale. Lorsque les violences ou les
dégradations auront été perpétrées à plusieurs reprises dans la même année, une
sanction pénale pourra être prononcée - il n'y a là rien de systématique - si
le juge l'estime nécessaire. En dernier recours, des peines plus lourdes
pourront être décidées pour les individus les plus récidivistes.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
La commission a émis un avis favorable, estimant qu'il s'agit
d'une proposition de bon sens qui, au surplus, ne bouleverse pas l'échelle des
peines.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Défavorable.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 137.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Je rappellerai, là encore, quelle est la situation actuelle. Nous sommes loin
d'être dans un vide juridique : quand il s'agit de contraventions de cinquième
classe, la procédure est au contraire extrêmement rapide et efficace, la
tentation du classement existant à un autre niveau.
En effet, les peines applicables aux contraventions de cinquième classe sont
une amende allant de 3 000 francs à 6 000 francs inclusivement et un
emprisonnement de dix jours à un mois, ou l'une de ces peines. En cas de
récidive, les peines prévues sont une amende de 6 000 francs à 12 000 francs
inclusivement et un emprisonnement de un à deux mois, ou l'une de ces
peines.
Par conséquent, il existe une réponse pénale suffisante à ce type
d'infractions. Il suffit de la mettre en oeuvre, car la véritable question est
d'identifier l'auteur et de le condamner. C'est en vérité l'effectivité de la
répression qui est essentielle, et non pas, comme l'a dit tout à l'heure M.
Vasselle, l'accroissement du
quantum,
qui est inutile quand l'auteur de
l'infraction demeure inconnu.
M. Alain Vasselle.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Je veux réagir aux propos que vient de tenir M. Badinter.
J'ai noté que ceux qui s'opposent aux initiatives du Sénat sur ce texte
s'abritent volontiers derrière l'argument selon lequel les moyens de la police
ou de la justice et les crédits disponibles ne permettront pas, de toute façon,
une bonne application des mesures voulues par notre assemblée.
Cela pose un autre problème de fond que celui qui a été soulevé tout à l'heure
à propos des effets réels, sur le niveau de la délinquance, de la simple
aggravation des amendes. Mais s'il existe un dispositif législatif et qu'il ne
peut être appliqué parce que nous ne savons pas nous donner les moyens de la
politique que nous souhaitons mettre en oeuvre, nous aurons beau aggraver
toutes les peines et prévoir de nouvelles mesures, nous aurons vraiment perdu
notre temps.
De plus, nos administrés s'interrogeront sur la crédibilité du travail
législatif si celui-ci ne se traduit pas par des résultats réels et concrets,
et M. Hethener a eu raison d'insister sur ce point, même si certains peuvent
penser que la solution qu'il propose ne permettra pas forcément de régler tous
les problèmes.
En tout état de cause, la grande question posée par le biais de cet amendement
est celle des moyens dont dispose la justice pour appliquer réellement les
textes. Je suis élu local, et combien de fois n'ai-je pas entendu les gendarmes
se demander à quoi bon continuer à poursuivre et à arrêter les délinquants
mineurs puisque, de toute façon, il s'agit d'affaires qui seront classées sans
suite ? Nous pourrons aggraver les peines et faire tout ce que nous voulons,
mais si cela ne débouche sur rien, nous n'aurons pas avancé d'un centimètre.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 137, accepté par la commission et repoussé
par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 1er.
M. le président.
Par amendement n° 15, M. Schosteck, au nom de la commission des lois, propose
d'insérer, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le deuxième alinéa de l'article 10 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février
1945 relative à l'enfance délinquante est complété par deux phrases ainsi
rédigées : "Lorsque les parents ou les personnes civilement responsables ne
comparaissent pas sans excuse valable, le juge peut prononcer une amende civile
dont le montant ne peut excéder 3 750 euros. Il est fait mention de cette
procédure dans la convocation". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Trop souvent, les parents d'enfants délinquants convoqués
devant le juge des enfants ou le tribunal pour enfants ne défèrent pas à la
convocation. L'amendement tend donc à permettre au juge de prononcer une amende
civile contre ces parents qui refusent de comparaître.
Je rappelle, pour l'histoire, que cette proposition a été formulée par des
députés de la majorité dite plurielle, Mme Lazerges et M. Balduyck, dans le
cadre de la mission interministérielle sur la prévention et le traitement de la
délinquance des mineurs que nous avons déjà évoquée à plusieurs reprises. Je
cite ces éminents collègues : « Certains parents ne se déplacent plus devant
les juridictions pénales lorsqu'ils sont convoqués en qualité de civilement
responsables de leur enfant. Ils manifestent ainsi, à l'égard de leur enfant,
un désintérêt coupable, et, à l'égard de la société qui est amenée à intervenir
pour faire face à la situation de leur enfant, une irresponsabilité qu'il
convient de sanctionner. »
La commission des lois demande donc avec une particulière insistance au Sénat
d'adopter cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Le Gouvernement, fidèle à la logique qu'il a
adoptée tout à l'heure, ne désire pas alourdir le dispositif répressif de
l'ordonnance de 1945 relative à l'enfance délinquante, d'autant que les
dispositions du code de procédure pénale permettent déjà d'entendre, à titre de
témoins, les parents qui ne se seraient pas présentés à l'audience du juge ou
du tribunal pour enfants, et de les sanctionner le cas échéant.
Si par cet amendement vous souhaitez, monsieur le rapporteur, souligner la
non-application des dispositions actuellement en vigueur, on peut alors douter
de l'application de textes plus répressifs demain !
M. Jean-Jacques Hyest.
Parfois, quand les témoins ne viennent pas, cela ne se passe pas de la même
manière !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je tiens à répondre à la dernière assertion de M. le
ministre et, en même temps, à M. Alain Vasselle, qui s'interrogeait tout à
l'heure sur l'opportunité d'alourdir les peines.
Le problème n'est pas nouveau : Montesquieu disait en substance que ce qui
empêchait le plus les criminels de récidiver, c'était non pas la rigueur de la
peine, mais la certitude d'être pris.
Cela renvoie à des observations précédentes : que l'Etat se donne les moyens
de prendre tous ceux qui commettent des actions répréhensibles, et nous
n'aurons plus besoin de légiférer.
Enfin, qu'il me soit permis de rappeler, parce que je n'y ai peut-être pas
suffisamment insisté, que l'on nous fait le reproche de nous pencher sur les
questions de sécurité alors même que nous examinons non pas une proposition de
loi, mais un projet de loi, c'est-à-dire un texte déposé sur l'initiative du
Gouvernement. Celui-ci a donc conscience, comme nous, de l'importance du sujet.
Pour notre part, ce que nous souhaitons, c'est que l'on ne dise pas, comme à
l'opéra : « Marchons, marchons », sans avancer. Nous voulons progresser !
(MM. Blanc et Chérioux applaudissent.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 15, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 1er.
Par amendement n° 16, M. Schosteck, au nom de la commission des lois, propose
d'insérer, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 552-6 du code de la sécurité sociale est complété par un alinéa
ainsi rédigé :
« Dans le cas où un enfant donnant droit aux prestations contrevient de
manière réitérée à un arrêté d'interdiction de circuler pris en application de
l'article L. 2212-4-1 du code général des collectivités territoriales, le juge
des mineurs peut ordonner que les prestations soient, en tout ou partie,
versées à une personne physique ou morale qualifiée, dite tuteur aux
prestations sociales. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Cet amendement traite du problème des prestations
familiales.
Actuellement, ces dernières peuvent être versées à un tuteur aux prestations
sociales pour qu'il en fasse usage au bénéfice des enfants - je me permets
d'insister lourdement sur ce point - lorsque ceux-ci ne sont pas entretenus
convenablement par leurs parents.
L'amendement n° 16 tend à prévoir la même mesure lorsqu'un mineur contrevient
à plusieurs reprises à un arrêté d'interdiction de circulation édicté par un
maire, disposition qui permet de ramener chez lui un enfant lorsqu'il erre seul
entre minuit et six heures du matin. Il s'agit ici de responsabiliser les
parents.
M. Alain Vasselle.
Très bien !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Il ne s'agit nullement d'un amendement visant à
sanctionner les agissements de mineurs, et le Gouvernement est en outre opposé
à la prise d'arrêtés interdisant la circulation de ces derniers. J'émets donc
un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 16.
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Je tiens à souligner que la disposition proposée par la commission des lois va
tout à fait dans le sens des mesures éducatives prévues par l'ordonnance de
1945. S'opposer à cet amendement revient donc à aller à l'encontre de cette
ordonnance.
(M. Vasselle applaudit.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 16, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 1er.
Par amendement n° 75 rectifié, M. About et les membres du groupe des
Républicains et Indépendants proposent d'insérer, avant l'article 1er, un
article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Après l'article 227-17 du code pénal, il est inséré un article ainsi
rédigé :
«
Art. ...
- Le fait, pour une personne qui exerce l'autorité parentale
sur un mineur, d'avoir laissé ce mineur commettre une infraction pénale, par
imprudence, négligence ou manquement graves et réitérés à ses obligations
parentales, est passible des mêmes peines que si elle s'était rendue coupable
de complicité.
« Ces peines peuvent être assorties d'un sursis avec mise à l'épreuve selon
les modalités prévues aux articles 132-40 à 132-53. Cette mise à l'épreuve
consiste, pour la personne condamnée, en une obligation d'éducation et de
surveillance renforcées dudit mineur, en particulier pour éviter que ce dernier
ne manque l'école sans motif légitime ou qu'il ne quitte le domicile parental
après certaines heures, qu'il ne fréquente certaines personnes ou certains
lieux qui lui sont manifestement néfastes. Elle peut également s'accompagner
d'une obligation de formation à la responsabilité parentale.
« L'exécution de ces obligations est vérifiée par le juge de l'application des
peines, qui peut se faire assister par un travailleur social du service
pénitentiaire d'insertion et de probation.
« En cas de récidive du mineur, le juge examine la réalité des mesures
d'éducation et de surveillance prises par les personnes ayant sur lui autorité.
En cas de manquements graves constatés, le juge peut prendre une ou plusieurs
des mesures suivantes :
« 1° La mise sous tutelle des prestations familiales, conformément à l'article
L. 552-6 du code de la sécurité sociale ;
« 2° La révocation du sursis accordé à ces personnes, selon les mêmes
modalités que celles prévues aux articles 132-47 à 132-51 du code pénal ;
« 3° Le retrait total ou partiel de l'autorité parentale, suivant les
modalités définies par les articles 378 à 379-1 du code civil ;
« 4° La nomination d'un tuteur, spécifiquement chargé du mineur, en
application de l'article 380 du code civil. »
« II. - Dans l'article L. 552-6 du code de la sécurité sociale, après les mots
: "dans l'intérêt des enfants", sont insérés les mots : "ou encore lorsque les
parents ne respectent pas les obligations de formation ou de surveillance de
leurs enfants, décidées par le juge, en vertu de l'article additionnel après
l'article 227-17 (
cf.
I ci-dessus) du code pénal. »
La parole est à M. About.
M. Nicolas About.
Cet amendement pourrait être qualifié d'éducatif ou de préventif, puisqu'il a
pour objet de permettre aux parents, aidés d'éducateurs, de se ressaisir en vue
d'assumer avec efficacité l'éducation et l'encadrement de leurs jeunes enfants,
dès que ceux-ci ont commis leurs premiers délits.
En effet, le long débat qui nous occupe à l'occasion de l'examen d'un texte
traitant également des fusils de chasse ou des cartes bleues n'aurait pas été
nécessaire si le problème de l'éducation des jeunes enfants délinquants
primaires avait été pris en considération.
Bien entendu, l'amendement que je soumets au Sénat ne vise absolument pas les
grands adolescents qui attrapent leur mère au collet pour lui dérober sa carte
bleue et la forcer à en révéler le code secret : il s'agit de rappeler aux
parents qu'ils ont un rôle à jouer quand leurs jeunes enfants perpètrent leurs
premiers délits. Que l'on ne tente donc pas de me prêter d'autres intentions
!
M. Alain Vasselle.
Très bien !
M. Nicolas About.
Si les parents font preuve de carence éducative grave et si leurs enfants
commettent des délits ou des crimes, ils doivent encourir les mêmes peines que
s'ils s'étaient rendus coupables de complicité. Tel n'est pas le cas, mais ils
doivent être rendus passibles des mêmes peines.
La condamnation assortie du sursis - cette faculté est certes toujours
ouverte, mais en l'occurrence le sursis devra être de règle - permet la mise à
l'épreuve. Le juge, mû par la volonté de sensibiliser les parents aux problèmes
et aux besoins de leurs jeunes enfants, leur imposera alors un certain nombre
d'exigences.
En cas de récidive de l'enfant ou de non-respect des obligations rappelées par
le juge, les parents pourront bien entendu se voir infliger une série d'autres
mesures, telles que la mise sous tutelle des allocations familiales, évoquée
tout à l'heure, la révocation du sursis, le retrait de l'autorité parentale ou,
tout simplement, la nomination d'un tuteur chargé du mineur. Nous sommes là
très loin du tableau apocalyptique que M. le ministre ou d'autres intervenants
ont dressé tout à l'heure à propos de ce texte, qui viserait, à les en croire,
à drainer les enfants vers la prison !
Non, nous souhaitons les laisser auprès de leurs parents, mais nous voulons un
réaction dès les premiers faits, quitte à ce que des personnes viennent aider
les parents, mais en rappelant surtout à ces derniers la gravité des actes
commis par leurs enfants. Mes chers collègues, aujourd'hui, les parents s'en
moquent ; ils ne se présentent même plus quand ils sont convoqués. D'ailleurs,
les enfants, eux aussi, s'en moquent. On en a même vu certains, récemment
encore à la télévision, réclamer des peines dont ils savent qu'elles ne sont
jamais appliquées : « Monsieur le juge, donnez-moi donc un TIG, ma soeur en a
eu un, et elle ne l'a jamais exécuté ! » Voilà ce que l'on entend.
Non, vraiment, il faut responsabiliser les parents, leur faire comprendre la
gravité des faits commis par leurs enfants car, bien souvent, ils n'en ont
aucune idée eux-mêmes.
Mes chers collègues, merci d'avance de voter cet amendement : en soutenant cet
amendement, ce sont les enfants que vous soutiendrez.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
La commission des lois a répondu à l'appel de M. About et a
émis un avis favorable sur un amendement qui tend, en effet, à responsabiliser
les parents en prévoyant qu'ils peuvent être punis des peines prévues en cas de
complicité - cette fois, il s'agit bien de complicité - lorsqu'ils ont laissé
leur enfant commettre une infraction pénale.
Le système est judicieux, puisqu'il prévoit une possibilité de sursis avec
mise à l'épreuve, et il est cohérent avec notre position, puisque nous avons
souhaité responsabiliser davantage les parents en prévoyant que les allocations
familiales pourront être versées, en cas de besoin, entre les mains d'un
tuteur.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Pour ceux qui prendraient nos débats en cours,
je serai amené à redire de temps en temps que le Gouvernement ne peut être que
défavorable à un amendement visant à amender un texte auquel il est
défavorable. En somme, le Gouvernement est doublement défavorable !
Cela étant, monsieur le rapporteur, vous ne pouvez faire reproche au
Gouvernement de ne pas traiter de questions qu'il ne souhaitait précisément pas
traiter et de ne pas consentir à des amendements qui tendent à modifier
l'ordonnance de 1945 que le Gouvernement ne souhaite pas modifier par ce projet
de loi !
Que cette question fasse l'objet de la commission d'enquête dont vous avez
pris l'initiative de la création, c'est très bien, mais pas dans la
précipitation et pas sous cette forme.
Monsieur Schosteck, ne me faites pas le reproche de ne pas avoir prévu ce que
j'ai dit que nous ne ferions pas !
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 75 rectifié.
M. Alain Vasselle.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Je voterai cet amendement, que je trouve excellent.
Mais je veux relever, dans la bouche de M. le ministre, une réaction qui
laisserait penser que le Sénat prend des initiatives législatives de manière
inconsidérée, qu'il n'a pas suffisamment réfléchi en l'occurrence et qu'il
serait préférable de créer une commission spéciale avant de légiférer.
Cela signifierait que nous devons laisser la prérogative de la réflexion au
Gouvernement ou à l'Assemblée nationale et que ce n'est qu'une fois que le
Gouvernement a donné son aval au travail de la commission que le Sénat peut
commencer son travail législatif.
Monsieur le ministre, j'espère que vos propos dépassent votre pensée. Sinon
faut-il comprendre que vous contestez au Sénat son pouvoir d'initiative
législative et que, chaque fois qu'il en usera, vous vous opposerez
systématiquement à l'entreprise au motif qu'elle ne correspondra pas à la
démarche du Gouvernement ?
Pourtant, vous avez bien intitulé votre texte « projet de loi relatif à la
sécurité quotidienne ». La délinquance des mineurs n'est-elle pas un problème
de sécurité quotidienne ? Ne sommes-nous pas confrontés, au quotidien, à cette
forme d'insécurité quotidienne, en qualité de maires, de parents, de voisins ou
de responsables de l'éducation de nos enfants, soit par l'éducation nationale,
soit au sein des associations ?
Je me permets donc de relever cette remarque dans la bouche du ministre de
l'intérieur, car je ne la comprends pas et je suis persuadé que celles et ceux
qui prendront le temps de lire le
Journal officiel
seront surpris que le
ministre chargé d'assurer la sécurité sur le territoire, avec les maires que
nous sommes et avec les préfets, ne prenne pas plus en considération le fruit
du travail parlementaire qui, à mon avis, correspond à une attente très forte
des Français.
M. Louis de Broissia.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. de Broissia.
M. Louis de Broissia.
Monsieur le ministre, vous m'offrez involontairement l'occasion de manifester
mon étonnement.
Nous sommes saisis d'un texte relatif à la sécurité quotidienne. Le problème
se pose de savoir si le Parlement et le Gouvernement n'ont pas deux conceptions
différentes de la sécurité.
Je vais avoir le grand plaisir de vous accueillir prochainement à Dijon, où
vous rencontrerez M. le préfet, le président du conseil général que je suis,
ainsi que les élus locaux. Or je puis vous assurer que, dans mon département,
nous avons la même conception de la sécurité, une sécurité pour tous, surtout
s'agissant de la sécurité de proximité. D'ailleurs, si la population de mon
département était consultée par sondage, l'insécurité due à la délinquance des
mineurs arriverait en tête des préoccupations.
Certes, vous pouvez considérer - c'est votre responsabilité nationale - que
les armes à feu et les cartes bleues constituent un problème important, urgent,
à traiter.
Mais, à partir du moment où votre projet de loi est « relatif à la sécurité
quotidienne », convenez que les représentants des collectivités territoriales
que nous sommes aux termes de l'article 24 de la Constitution expriment leurs
préoccupations concernant la sécurité quotidienne. Pour moi, il n'y a pas la
sécurité décidée d'en haut et la sécurité décidée d'en bas : c'est la sécurité
pour tous que nous voulons !
Dans mon village de cent quatorze habitants, quand on commence à voler un,
puis deux vélos - c'est arrivé il y a quelques mois - la brigade de gendarmerie
enquête. Quand je vais déclarer un vol de vélo dans un commissariat de police à
Paris, on me rit au nez. (
M. le ministre proteste.)
Cela m'est arrivé,
je peux en parler savamment ! Si je viens déclarer le vol d'une voiture, on
commencera à peine à s'intéresser à moi...
Mais si la notion de sécurité pour tous est un détail pour vous
(M. le
ministre proteste de nouveau)
pour nous, la délinquance des mineurs ne peut
pas être traitée comme un détail. C'est même l'un des éléments majeurs de
l'inquiétude des Français.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
L'amendement de M. About n'est pas sans poser des problèmes.
J'en comprends bien l'inspiration : il s'agit, face à la délinquance des
mineurs, dont on a suffisamment souligné la gravité, de mieux responsabiliser
les parents. Personne ne pourrait discuter le bien-fondé de l'intention. En
revanche, les modalités proposées n'appellent pas le même jugement. En effet,
après une lecture attentive de l'amendement, on comprend qu'il s'agit de
répondre dès le premier acte pour ensuite, éventuellement, faire jouer la
responsabilité des parents. Mais dans la pratique, comment les choses se
déroulent-elles ? Dès le premier acte, il y a identification du mineur. Cela
veut dire que le mineur, aujourd'hui, est conduit d'abord devant le procureur
de la République ou devant son délégué. Ensuite, s'il y a lieu - pour les cas
déjà plus importants il est vrai, mais très communément - le mineur passe
devant le juge des enfants.
Il y a donc, dès cet instant, une réponse, et elle est liée à
l'identification.
De manière générale, tous les magistrats des mineurs vous le confirmeront,
depuis quatre ou cinq ans, le niveau de la réponse pénale n'a cessé d'augmenter
pour atteindre, dans la partie de la région parisienne la plus touchée par la
délinquance des mineurs, c'est-à-dire la Seine-Saint-Denis, un taux de 80 %.
A partir de là, que va faire le juge ? Evidemment, quand l'enfant lui est
présenté, il va aussitôt - c'est toujours le cas - faire diligenter une enquête
sociale et, mieux encore, entendre les parents.
(M. Nicolas About lève les
bras au ciel.)
Je vous en prie, mon cher collègue, je parle de ce qu'est la
pratique quotidienne, que j'ai pu vérifier.
Le juge convoque donc les parents, et c'est à l'occasion de l'audition du
mineur et de ses parents, que le juge va précisément prononcer les paroles de
responsabilité que vous souhaitez.
Si, et c'est exactement l'hypothèse que vous avez évoquée, le juge constate
une carence parentale totale - parce que c'est bien ce dont il est question -
ou suffisamment grave, une décision de justice peut intervenir. Mais vous
n'allez tout de même pas demander que le parquet poursuive des parents qui se
trouvent eux-mêmes confrontés à un adolescent qui les défie, qui sort quand il
veut, en proférant les propos que l'on sait.
M. Nicolas About.
C'est trop tard !
M. Robert Badinter.
Vous n'allez pas, en plus, faire traduire en correctionnelle les parents pour
une infraction qu'aura commise leur enfant rebelle.
Donc, les choses étant ce qu'elles sont, et s'agissant des plus jeunes,
puisque c'est ceux-là que vous évoquez, les parents sont devant le juge, qui
peut d'ores et déjà prendre toutes les mesures nécessaires concernant l'enfant.
Pourquoi voulez-vous ajouter cette poursuite pénale supplémentaire et, je le
redis, aussi tardive qu'inutile ?
En ce qui concerne maintenant le principe de légalité, qui domine toujours, je
le rappelle, le droit pénal, je ne vois pas très bien comment on pourrait
déceler les éléments constitutifs d'une infraction dans le fait d'avoir laissé
un mineur commettre une infraction pénale. Ou on est un complice ou, pis encore
et très souvent, un receleur, et là on tombe sous le coup de la loi pénale,
mais, « laisser commettre », cela signifie avoir laissé le mineur sortir à une
heure où il n'aurait pas dû sortir. Mais croyez-vous vraiment que les parents «
laissent » sortir le mineur ?
Quant au manquement grave aux obligations parentales, il entraîne
immédiatement le retrait de l'autorité parentale et le placement de l'enfant,
autant de mesures que nous connaissons bien et qui sont déjà à la disposition
du juge. Pourquoi toujours ajouter des textes aux textes, toujours aller dans
le sens de l'inflation législative ? Non, ce n'est pas la peine ! Croyez-moi,
il y a même un délit concernant le défaut d'exercice de l'autorité parentale,
qui a les conséquences que l'on sait sur le comportement de l'enfant.
Mon cher collègue, tout cela, vous l'avez déjà. Alors, non, pas de textes
inutiles ! Pour ma part, je ne vous suivrai pas. Je comprends, encore une fois,
votre finalité, mais il est répondu à votre préoccupation, très fermement et
très complètement, par les juges des enfants et les procureurs en charge de ces
questions.
M. Nicolas About.
Il n'y a jamais de peines appliquées aux parents !
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Permettez-moi simplement un parallèle : un maire qui, par imprudence,
négligence ou manquement grave et réitéré à ses obligations de maire, aurait
laissé faire l'un de ses agents, sera poursuivi et condamné. (
Marques
d'approbation sur les travées du RPR.)
Il en sera de même pour un directeur
d'hôpital ou un directeur d'école, notamment. Tout responsable peut donc être
poursuivi et condamné, mais pas les parents !
M. Alain Vasselle.
Excellente remarque !
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est déjà dans le code !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 75 rectifié, accepté par la commission et
repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 1er.
Par amendement n° 76, M. About propose d'ajouter, avant l'article 1er, un
article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 321-6 du code pénal, il est inséré un article ainsi rédigé
:
«
Art. ... -
Peut être complice de recel toute personne qui, ayant
autorité sur un mineur qui vit avec elle, et bien qu'alertée par un train de
vie dont le niveau découle manifestement d'un trafic ou d'un recel, a laissé ce
mineur se livrer habituellement à des crimes ou à des délits contre les biens
d'autrui, par imprudence, négligence ou manquement grave à ses obligations
parentales.
« Les peines encourues sont les mêmes que celles prévues à l'article 321-1.
Elles peuvent toutefois être assorties par le juge d'un sursis avec mise à
l'épreuve, selon les mêmes modalités que celles prévues aux deuxième, troisième
et quatrième alinéas de l'article additionnel après l'article 227-17 du code
pénal. »
La parole est à M. About.
M. Nicolas About.
Cet amendement relève du même esprit que le précédent. Ceux qui assument des
responsabilités de terrain savent que, dans nombre de familles, se trouvent de
jeunes, de très jeunes dealers qui ont quelquefois des niveaux de vie
manifestement sans rapport avec les vingt francs d'argent de poche qu'on leur
donne chaque semaine.
Par conséquent, il me paraît important de rappeler que peut être complice de
recel toute personne qui a une autorité sur un mineur, qui vit avec lui et qui,
alertée par un train de vie incroyable et manifeste, par imprudence, négligence
ou manquement grave, permet à cet état de fait de perdurer.
C'est un repère, un signal extrêmement fort : lorsque, tout d'un coup, un
enfant dispose de biens qu'il n'a manifestement pas les moyens d'acquérir, tout
parent digne de ce nom devrait commencer à s'y intéresser.
Alors, je propose qu'il soit donné au juge, de la même façon que dans
l'amendement précédent, la possibilité de prononcer un sursis avec mise à
l'épreuve pour rappeler aux parents qu'ils ont à surveiller leurs enfants et à
essayer de mettre fin à ce type de comportement, sans parler même de recel.
On me dira qu'il y a tout ce qu'il faut dans les textes. Mais pas du tout !
Là, ce que je demande, c'est que l'on puisse poursuivre les parents pour des
faits se rapprochant de la complicité et non pas simplement pour manquement,
car il faut que les parents prennent conscience de la gravité des faits commis
par leurs enfants.
Enfin, dans cette société, quelqu'un va-t-il redevenir un jour responsable des
enfants ? Les enseignants ne le sont plus. Les policiers ne le sont plus, ils
en ont plus qu'assez qu'on leur ramène tous les jeunes délinquants. En tant que
parlementaire, j'ai pu passer une journée dans les services d'un parquet. Toute
la journée, ce ne fut que classement sans suite sur classement sans suite.
Alors, ne nous dites pas que les enfants sont poursuivis : ce n'est pas vrai,
c'est du délire, et les parents non plus. Par conséquent, il faut bien, à un
moment donné, redire à ceux qui sont les premiers responsables des enfants car,
après tout, ils les ont faits : intéressez-vous à ce que font vos enfants,
intervenez et, si vous avez besoin d'aide, on vous en donnera. Mais on va aussi
voir si vous faites des efforts pour veiller sur vos enfants.
Enfin, mes chers collègues, ce sont tout de même les parents qui sont les
premiers responsables de ce qu'ils laissent faire à leurs propres enfants,
surtout lorsqu'il s'agit de jeunes enfants.
M. Christian Bonnet.
Très bien !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Cet amendement n° 76, qui porte sur le recel, est dans le
prolongement de l'amendement n° 75 rectifié. La commission y est évidemment
favorable.
Je rappelle à cette occasion à ceux qui penseraient que ces amendements de
notre collègue About ont été improvisés et rédigés rapidement sur un coin de
table, qu'ils découlent d'une proposition de loi qu'il avait déposée il y a
plus d'un an et que j'ai cosignée. Il n'y a donc là nulle improvisation.
M. Nicolas About.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. About.
M. Nicolas About.
Nous avions d'ailleurs bien préparé cette proposition de loi. J'en avais même
soumis le texte à des magistrats pour savoir si elle présentait un certain
intérêt.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Le Gouvernement, comme sur l'amendement
précédent, émet un avis défavorable.
Mais permettez-moi, à cet instant, de répondre à M. Vasselle. J'ai moi-même pu
faire la démonstration que, quand une initiative parlementaire émane du Sénat,
elle peut trouver un écho positif. J'en veux pour preuve l'initiative prise par
M. Fauchon, que je me suis efforcé de faire avancer et que Mme Guigou a mené à
son terme.
Par ailleurs, monsieur About, vous ne pouvez pas dire que le Gouvernement n'a
pas essayé de faire avancer la proposition de loi relative aux sectes, dont
j'espère bien qu'elle aboutira.
Je ne rejette en aucune manière les initiatives parlementaires. Au contraire !
Mais il est contradictoire, selon moi, de présenter des amendements alors même
que, de vos rangs, émane l'idée de la création d'une commission d'enquête
parlementaire sur ces sujets.
Je le dis encore une fois, vous ne pouvez que me donner acte du fait que,
lorsqu'une initiative est émise, et qu'elle est partagée - et , sur ces sujets,
elle est souvent partagée - sa discussion peut avancer avec l'appui du
Gouvernement.
Je me permets maintenant de dire à M. de Broissia que je suis élu depuis
longtemps dans un arrondissement de Paris qui n'est pas sans réunir certaines
caractéristiques, peut-être plus problématiques que celles d'une commune de
cent quatorze habitants en Côte-d'Or et que je me rendrai, bien évidemment, à
l'invitation de M. François Rebsamen, nouvellement élu maire de Dijon. Monsieur
le sénateur, je serais heureux que vous puissiez vous joindre à nous et
j'espère qu'à cette occasion nous pourrons discuter des problèmes d'insécurité,
notamment dans votre commune de cent quatorze habitants.
Bourguignon moi-même, je connais bien la Côte-d'Or. De ce point de vue, ne
nous donnons pas de leçons les uns aux autres. La sécurité pour tous, c'est
notre préoccupation à tous.
La question qui est débattue cet après-midi trouvera, peut-être, une réponse
après le travail de la commission d'enquête parlementaire mais elle ne rentre
pas dans le champ d'application du texte présenté par le Gouvernement, qui vise
à répondre concrètement par des dispositions législatives aux problèmes liés à
l'insécurité quotidienne.
Certes, ce projet de loi, que j'ai préparé, ne concerne pas certains sujets
parce qu'il ne s'agit pas, comme je l'ai dit, d'une grande loi d'orientation.
Mais je ne crois pas que l'on puisse lutter contre l'insécurité uniquement avec
des textes législatifs.
J'éprouve donc quelques réserves par rapport aux initiatives que vous
souhaitez prendre par voie d'amendements. Encore une fois, je ne crois pas que
ces amendements, notamment ceux que vient de défendre M. About, et sur lesquels
le Gouvernement émet un avis défavorable, répondent aux problèmes posés.
La délinquance des mineurs est un problème réel, et il faut appliquer les
textes en vigueur. L'autorité des parents pose également un problème réel,
comme je l'ai souvent évoqué dans ma mission ministérielle, et il faut étudier
les questions de la responsabilisation des parents, de leur incapacité,
parfois, à élever leurs enfants ou à avoir le sentiment de leur responsabilité.
Mais, excusez-moi de vous le dire, je ne crois pas que ce soit par des textes,
que de nombreux parents n'auront même pas l'occasion de lire, que l'on résoudra
le problème.
M. Alain Joyandet.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet.
A défaut de remédier à ce problème, l'initiative de la commission des lois du
Sénat a le grand mérite de poser sur la place publique la question de
l'insécurité au quotidien et d'aborder le sujet, qui est lié, de la délinquance
des mineurs.
Monsieur le ministre, vous déclarez vouloir encourager les initiatives
parlementaires et les exemples que vous avez cités, nous vous en donnons acte,
prouvent que vous savez parfois le faire. Toutefois, sur ce sujet, on a le
sentiment que vous rejetez tout en bloc. L'initiative sénatoriale a pourtant
été longuement réfléchie.
On a le sentiment, depuis la semaine dernière,...
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Pas avant 1997 !
M. Alain Joyandet.
... que, sur ces problèmes, il y a une forme d'accord. Sur le diagnostic, nous
sommes presque d'accord, monsieur le ministre. Sur le fond, nous abordons ces
questions de la même manière. Malgré tout, les solutions que nous proposons,
tant sur l'information des maires que sur la délinquance des mineurs, ne sont
pas retenues.
Le Gouvernement ne rejette pas nos propositions sur le fond. Il nous oppose
systématiquement le manque de moyens. Pour l'information des maires, par
exemple, il nous a été dit qu'elle était trop compliquée et qu'elle demandait
des moyens trop importants.
S'agissant de la délinquance des mineurs, vous faites valoir, monsieur le
ministre, que la loi n'est pas un moyen. Cette affirmation est assez grave
d'autant plus que, au fond, nous partageons le même avis sur la délinquance des
mineurs, sur la nécessité d'agir.
Nous proposons un certain nombre de solutions. Vous nous dites qu'elles sont
mauvaises, mais que vous n'avez pas les moyens pour les mettre en oeuvre.
Je souligne pourtant, comme nous l'avons dit dans la discussion générale, que
les budgets des ministères de l'intérieur et de la justice cumulés coûtent
moins cher à la nation que la mise en oeuvre des 35 heures en année pleine.
Si, face à un problème de société aussi important que celui de la délinquance
des mineurs, le Gouvernement ne nous oppose que des arguments relatifs aux
moyens et ne nous contredit pas sur le fond, nos collègues et la commission ont
raison de nous proposer un certain nombre d'amendements mûrement réfléchis.
S'il ne reste plus qu'à débattre du problème des moyens, il faudra que chacun
manifeste sa réelle volonté de résoudre un problème de société sur lequel il ne
faut plus tarder de légiférer.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Je dirais volontiers que, s'il s'agit de la question des moyens mis à la
disposition de la justice, je serai toujours prêt et à tout moment à en
réclamer davantage.
Quant à la répartition globale des dépenses budgétaires, pardonnez-moi mais je
m'interroge souvent sur l'utilité d'un porte-avions au nom glorieux, en me
demandant à quoi il servira dans les décennies à venir compte tenu de
l'évolution des techniques militaires. Mais tel n'est pas l'objet du débat.
Le problème est le suivant : les amendements peuvent-ils contribuer à réduire
la délinquance des mineurs et correspondent-ils bien à ce que l'on est en droit
d'attendre d'un code pénal ?
S'agissant du présent amendement, monsieur About, vous êtes trop bon juriste
pour ne pas savoir que le recel, c'est profiter de l'argent qui est le produit
de l'infraction, ce n'est pas déceler, à partir d'un train de vie
extraordinaire, le fait que l'enfant mineur se trouve en situation, peut-être,
de délinquant. Ce n'est pas du tout la même chose. On ne peut donc pas
s'engager sur la voie du recel en ce cas.
A cette occasion, je suis heureux de répondre à l'argument de M. Gélard, qui a
évoqué le fait que, s'agissant d'un maire ou de tel ou tel responsable, la
réitération des infractions pouvait conduire à la poursuite. Je rappelle que,
s'agissant des parents, l'article 227-17 du code pénal précise : « Le fait, par
le père ou la mère légitime, naturel ou adoptif, de se soustraire sans motif
légitime à ses obligations légales au point de compromettre gravement la santé,
la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant mineur est puni de deux
ans d'emprisonnement et de 200 000 francs d'amende... »
Lorsqu'on est en présence d'un mineur qui se livre habituellement à des crimes
ou des délits, que son train de vie découle manifestement d'un trafic ou d'un
recel, on est bien dans un de ces cas qui sont visés par l'article que je viens
d'évoquer.
La moralité du mineur étant gravement compromise, si le parquet veut
poursuivre, il peut le faire. Si on lui donne un texte de plus et qu'il
n'entend pas poursuivre, il ne poursuivra pas.
Je préfère donc laisser les choses en l'état et dire que le parquet - qui, je
ne sais pas pourquoi, semble faire l'objet de procès dans cet hémicycle depuis
quelque temps - fait tout ce qu'il peut pour mener avec les moyens dont il
dispose, une lutte très difficile face à une délinquance dont nous mesurons
tous les jours ce qu'elle est.
M. Nicolas About.
On ne met pas en cause le parquet, il n'a pas assez de magistrats !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Nous, on a créé des postes ! Vous ne l'avez pas
fait.
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Je crois que ce débat renforce les propositions de la commission des lois et
l'attitude de celle-ci.
On nous dit : c'est prématuré, ce n'est pas étudié, ce sera examiné plus tard,
etc. Cela signifie que les problèmes de sécurité ne seront pas abordés, et
c'est grave.
Le rôle majeur en matière de sécurité incombe à l'Etat et au Gouvernement.
C'est le Gouvernement qui est responsable en premier lieu de la sécurité
publique. Si l'on s'aperçoit qu'il y a des dysfonctionnements, le Gouvernement
s'en explique, bien évidemment. Mais il est du rôle du Parlement de mettre en
oeuvre les moyens législatifs permettant au Gouvernement de mieux agir.
C'est ce que nous tentons de faire aujourd'hui, monsieur le ministre.
Autrement, le problème sera renvoyé à plus tard, c'est-à-dire à des époques où
l'on n'aura pas plus le temps de régler les problèmes de sécurité.
M. Nicolas About.
Comme le droit de la famille et comme le reste !
M. Louis Souvet.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Souvet.
M. Louis Souvet.
Je suis étonné que le ministre de l'intérieur puisse tenir des propos selon
lesquels ce n'est pas avec des textes que l'on va régler les problèmes,
notamment en ce qui concerne les parents.
Monsieur le ministre, les textes ne sont pas faits pour les parents ; ils sont
faits pour ceux qui ont à les utiliser. Quand on prévoit que les peines
encourues sont les mêmes que celles de l'article 321-1 du code de procédure
pénale, on donne, me semble-t-il, au juge les moyens d'action qui lui
permettront de se prononcer et de condamner.
C'est la raison pour laquelle je voterai l'amendement de M. About.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 76, accepté par la commission et repoussé par
le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 1er.
Par amendement n° 17, M. Schosteck, au nom de la commission des lois, propose
d'ajouter, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Dans tous les textes en vigueur, les mots : " juge des enfants " sont
remplacés par les mots : " juge des mineurs ".
« II. - Dans tous les textes en vigueur, les mots : " tribunal des enfants "
sont remplacés par les mots : " tribunal des mineurs ". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Cet amendement a valeur symbolique. Nous considérons que ces
appellations que nous proposons sont mieux adaptées à la situation
d'aujourd'hui.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Défavorable.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 17.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
C'est une question, non pas symbolique, mais qui, curieusement, sensibilise
les magistrats chargés des problèmes de la délinquance des enfants et des
mineurs.
Lorsque vous les écoutez, vous mesurez qu'ils préfèrent, à l'appellation
proposée, qui n'est juridiquement pas inexacte, celle de « tribunal pour
enfants » ou de « juge des enfants ». Mais c'est surtout à cette dernière
qu'ils sont attachés, et ce pour deux raisons.
La première est que le mot « enfant » traduit mieux la prépondérance des
mesures éducatives. Il ne faut jamais oublier que le droit pénal des mineurs et
surtout des jeunes mineurs repose sur le traitement éducatif, l'ultime recours
étant la sanction pénale. Le juge des enfants, qui est en première ligne,
préfère montrer par là le caractère éducatif de son approche du problème de la
délinquance des enfants ou des mineurs.
La seconde raison est que de telles appellations ont leurs lettres de noblesse
dans notre droit. L'expression « tribunal pour enfants » remonte à un siècle.
Nous y sommes attachés et elle a aussi une portée symbolique. Je ne pense pas
qu'il faille la modifier. Certes, il y a bien, me direz-vous, la cour d'assises
des mineurs. Mais elle ne peut pas être par définition la cour d'assises des
enfants. Elle ne peut donc pas avoir d'autre dénomination. Vous remarquerez,
monsieur le rapporteur, que l'expression « cour d'assises » n'a pas été
modifiée lorsqu'un deuxième degré de juridiction a été créé en matière
criminelle. Nous y sommes habitués et attachés de par une culture judiciaire
qui nous est propre.
Ne changeons donc pas les dénominations de « juge des enfants » et de «
tribunal des enfants ». D'un point de vue juridique, elles sont parfaitement
fondées. De plus, la convention de New York définit le mineur comme un enfant
âgé de moins de dix-huit ans. En outre, je rappelle, s'il en était besoin, que
les traités internationaux, dans notre Constitution, l'emportent sur le droit
interne. Ces dénominations sont donc conformes aux conventions internationales
et à notre tradition. Enfin, elles marquent bien cette dimension éducative à
laquelle nos magistrats sont attachés. Laissons donc les choses en l'état.
M. Christian Bonnet.
A dix-huit ans, ce sont de sacrés gaillards, pour des enfants !
M. Jean-Jacques Hyest.
Ce ne sont plus des enfants !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 17, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 1er.
Par amendement n° 18, M. Schosteck, au nom de la commission des lois, propose
d'insérer, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le deuxième alinéa de l'article 2 de l'ordonnance n° 45-174 du 2
février 1945 relative à l'enfance délinquante est ainsi rédigé :
« Ils pourront cependant, lorsque les circonstances et la personnalité du
délinquant paraissent l'exiger, prononcer à l'égard du mineur âgé de plus de
dix ans une condamnation pénale conformément aux dispositions des articles 20-2
à 20-5. Aucune peine d'emprisonnement, avec ou sans sursis, ne pourra être
prononcée contre un mineur de treize ans ».
« II. - Dans l'article 18 de la même ordonnance, le mot : "treize" est
remplacé par le mot : "dix".
« III. - Dans l'article 20-3 de la même ordonnance, le mot : "treize" est
remplacé par le mot : "dix".
« IV. - Le premier alinéa de l'article 20-5 de la même ordonnance est ainsi
rédigé :
« Les dispositions des articles 131-8 et 131-22 à 131-24 du code pénal
relatives au travail d'intérêt général sont applicables aux mineurs de dix à
dix-huit ans. Les dispositions des articles 132-54 à 132-57 du code pénal
relatives au sursis assorti de l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt
général sont applicables aux mineurs de treize à dix-huit ans.
« V. - Dans le premier alinéa de l'article 20-7 de la même ordonnance, le mot
: "treize" est remplacé par le mot : "dix".
« VI. - Dans le deuxième alinéa de l'article 21 de la même ordonnance, le mot
: "treize" est remplacé par le mot : "dix".
« VII. - Dans le second alinéa de l'article 22 de la même ordonnance, le mot :
"treize" est remplacé par le mot : "dix". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Cet amendement a pour objet de permettre le prononcé d'une
peine à l'encontre d'un mineur âgé de dix à treize ans.
Contrairement à ce que l'on a prétendu lors de la discussion générale et
après, ainsi que dans une certaine presse, cet amendement ne change rien - j'y
insiste - aux règles relatives à la responsabilité pénale des mineurs.
Aujourd'hui déjà, un mineur de moins de treize ans peut être poursuivi devant
une juridiction pénale. La seule chose que nous demandons est que le tribunal
puisse prononcer une peine.
Pourquoi proposons-nous une telle mesure ? Nous pensons que, dans certains
cas, elle permettra au juge de rompre l'ancrage de très jeunes mineurs dans la
délinquance.
De plus, vous savez très bien que des mineurs âgés de treize à dix-huit ans ou
de jeunes majeurs utilisent de très jeunes enfants pour commettre des
infractions, précisément parce que ces derniers n'encourent pas de peines. Nous
devons donc décourager ce type de comportement.
Enfin, notre amendement vise à créer un choc salutaire chez les mineurs âgés
de dix à treize ans. En effet, leur comparution devant une juridiction peut
contribuer à leur faire prendre conscience de la gravité des actes qu'ils ont
commis.
Je ne suis pas certain qu'il soit justifié de crier à la dérive sécuritaire
pour une telle mesure, d'autant que, je l'ai déjà dit plusieurs fois et je le
répète avec force, une peine d'emprisonnement ne pourrait être prononcée à
l'égard de ces mineurs. Il est donc exact que le régime des peines applicables
aux majeurs n'est pas pleinement adapté à la situation des jeunes mineurs.
C'est pourquoi nous devons poursuivre notre réflexion sur ce point, afin
d'envisager des peines spécifiques.
Nous proposons, par exemple, que ces mineurs puissent être condamnés à une
activité d'intérêt général. On pourrait également envisager à l'avenir
certaines interdictions : de rencontrer certaines personnes ou d'aller dans
certains lieux. On pourrait également envisager une réparation qui,
aujourd'hui, n'est pas une peine. La confiscation de la chose qui a servi à
commettre l'infraction ou qui en est le produit est également très adaptée à la
situation de ces enfants.
Nous devons également avoir une réflexion approfondie sur l'hypothèse de
centres réservés aux mineurs, très encadrés, orientés vers l'éducation et la
formation. Nous ne disons pas autre chose. Le placement dans de telles
structures pourrait être prononcé alors à titre de peine, ce qui aurait une
valeur plus symbolique.
Pour conclure sur le sujet, je voudrais vous lire quelques propos tenus par
Mme le professeur Dekeuwer-Defossez, juriste renommée, qui illustrent assez
bien notre objectif sur cet amendement :
« L'ambiguïté du système institué par l'ordonnance de 1945 est
particulièrement mise en lumière par les psychologues qui relèvent la
difficulté des acteurs à reconnaître l'existence d'une faute à sanctionner.
« De fait, il est par essence contradictoire de reconnaître officiellement
l'existence d'une transgression et de n'en tirer comme conséquence que des
mesures qui ne sont pas en elles-mêmes des sanctions, comme par exemple une
obligation d'assiduité scolaire.
« Ainsi finit-on par observer que les jeunes poursuivis pour des
contraventions au code de la route (défaut de port du casque...) sont bien plus
sévèrement punis que pour des délits. Manifestement, le primat de la justice
protectionnelle a fini par rendre illisible la place de la justice pénale. »
Ce professeur de droit poursuit : « Ainsi observe-t-on une véritable solution
de continuité entre les mesures sans guère de connotation répressive et
l'emprisonnement. (...) Le bon dosage entre contrainte et liberté ne semble pas
avoir été trouvé. Pour reprendre un exemple donné par un juge des enfants :
"Concernant la crédibilité des services, si l'on place autoritairement un
mineur, ce n'est pas pour qu'il parte en vacances aussitôt et qu'on lui demande
en plus de choisir entre les Alpes et les Pyrénées". »
Mes chers collègues, je voudrais bien que l'on nous fasse la grâce de penser
honnêtement que cet amendement n'est pas « sans pitié pour les mineurs de
banlieue ». Il tend au contraire à leur donner une chance d'échapper à un fatal
engrenage.
(M. Gélard applaudit.)
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Le Gouvernement s'oppose, vous le savez, à
alourdir le dispositif pénal de l'ordonnance de 1945, puisqu'il préfère, lui,
pour cette tranche d'âge, entre dix et treize notamment, parier sur
l'efficacité de mesures éducatives, si elles sont effectives.
Je souligne par ailleurs que M. Schosteck, dans la brillante démonstration
qu'il a faite pour défendre cet amendement, a souhaité, d'une certaine manière,
poursuivre la réflexion. Poursuivre une réflexion, ce n'est pas vraiment,
a
priori,
légiférer tout de suite ! Cela prouve bien qu'il y a toujours
effectivement une incertitude et, de ce point de vue, sans fermer la réflexion,
je pense qu'à ce stade le moment n'est pas venu de légiférer sur cette
question, même si les problèmes sont réels.
Je veux aussi dire qu'il existe aujourd'hui ce que vous avez appelé de vos
voeux, monsieur Schosteck, à savoir des mesures de placement tout à fait
possibles. Elles sont d'ailleurs mises en oeuvre par ce gouvernement à travers
l'édification des établissements que vous n'aviez pas mis en place.
En effet, même si les problèmes sont examinés et débattus aujourd'hui, force
est de constater en toute bonne foi qu'ils ne datent pas d'hier. J'entendais
tout à l'heure M. About dire qu'il manquait des magistrats. Je me suis permis
de lui poser la question : que n'en avez-vous fait le constat avant ? Mais 1997
n'est pas si loin !
M. Josselin de Rohan.
Vous avez été au pouvoir pendant quatorze ans !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Nous créons des postes de magistrats et nous
donnons de nouveaux moyens à la justice. Certes, cela est encore insuffisant -
M. Badinter le disait - mais ne reprochez pas à un gouvernement qui augmente
considérablement les moyens de la justice de le faire quand d'autres avant lui
n'ont rien fait !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
On pouvait espérer que ce débat ne
prendrait pas une allure polémique. Mais, puisque c'est le cas, monsieur le
ministre, attendez-vous à des réponses !
Permettez-moi de vous dire que votre majorité a été en charge de l'Etat et du
pouvoir pendant, hélas ! quatorze ans sur les vingt ans qui viennent de
s'écouler.
M. Robert Badinter.
Je dirais plutôt : heureusement ! Pourquoi dites-vous : « hélas » ?
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Parce que je le regrette. Je ne peux
pas dire autre chose !
Mme Nicole Borvo.
Ce n'est pas de la polémique ?
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Puisque vous évoquez les budgets de
la justice, permettez-moi de vous rappeler qu'en 1983 - ou était-ce 1984 ou
1985 ? - le budget de la justice a été à peine supérieur au déficit des usines
Renault, qu'il a fallu combler, et inférieur au déficit d'Air France, qu'il a
fallu aussi combler et en catastrophe !
Alors, je vous en prie ! Si vous voulez faire quelques rappels quant au modèle
de gestion que vous prétendez incarner, allez au fond des choses et assumez la
part de responsabilité qui vous revient !
(Très bien ! et applaudissements
sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Les déficits, vous les avez bien creusés !
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 18.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Avant d'aller plus loin sur un article additionnel essentiel, je voudrais
simplement faire remarquer à notre éminent président de la commission des lois
qu'il faut toujours comparer ce qui est comparable et, par conséquent, comparer
les budgets de la justice aux budgets de la justice ! Regardez leur évolution
sur vingt ans. Vous verrez quand sont intervenues les augmentations majeures.
Mais nous aurons l'occasion de reprendre cette discussion quand nous
examinerons le budget de la justice.
J'en viens, monsieur le rapporteur, à l'objet de cet amendement, que vous avez
présenté avec élégance et, je dois le dire, beaucoup de modestie. Mais je dois
vous ramener à sa véritable portée. Il me suffit, pour cela, d'en lire le
premier paragraphe concernant les juridictions pour mineurs : « Ils pourront
cependant, lorsque les circonstances et la personnalité du délinquant
paraissent l'exiger, prononcer à l'égard du mineur âgé de plus de dix ans » -
je dis bien dix ans, donc jusqu'à treize ans - « une condamnation pénale... »
Et vous prétendez que ce n'est pas une révolution du fait qu'il n'est pas
question de condamner à l'emprisonnement, et que d'autres condamnations sont
possibles ! Pardonnez-moi de vous dire que cela en est une au contraire !
En effet, au regard des dispositions fondamentales de l'ordonnance de 1945, et
sans faire de cette dernière un totem de notre droit, je vous rappelle que
l'inspiration et la volonté constantes du législateur, depuis un demi-siècle,
ont été, s'agissant de ce qu'il faut bien appeler ici l'enfance - nous parlons
d'enfants de dix ans - et plus précisément de l'enfance délinquante, non
seulement de faire prévaloir les mesures d'éducation, mais d'interdire les
sanctions pénales. Vous aviez raison tout à l'heure quand vous disiez qu'il ne
s'agissait pas d'irresponsabilité. C'est vrai que le public à cet égard confond
très souvent la situation d'irresponsabilité et la condition actuelle du mineur
de dix ans.
La vérité dans le droit français est autre. Vous avez d'abord, avant l'âge de
sept ou huit ans, l'absence de discernement, qui exclut toutes poursuites.
Vous avez ensuite la mise en oeuvre de ce qu'on appelle « l'imputabilité »,
qui veut, si l'enfant de dix ans commet une infraction, que sa commission lui
soit imputée et qu'il soit déféré au juge des enfants. Ce n'est pas une absence
de réponse, c'est simplement l'approche qui a toujours existé et qui doit
demeurer pour ces enfants de dix à treize ans, à savoir l'absence de
condamnation, les mesures d'éducation, de surveillance et de traitement - elles
sont énumérées à l'article 10 de l'ordonnance.
Avant que le Sénat se prononce, et bien que je sois convaincu à l'avance de sa
décision, je voudrais lui rappeler comment les choses se passent lorsque le
mineur de dix, onze ou douze ans est identifié. Il est présenté au parquet ou
au représentant délégué du parquet ; c'est là le premier acte de ce que
j'appellerai sa rencontre avec la justice. Croyez-moi, ce n'est pas rien pour
un enfant de cet âge.
A partir de là, et s'il y a lieu, après que le magistrat du parquet a pris les
premières mesures - je pense notamment à la réparation et à la rencontre avec
la victime qui sont pratiquées actuellement - se déroule le deuxième acte,
c'est-à-dire le fait de déférer le mineur devant le magistrat du siège - le
juge des enfants - qui prendra alors les mesures qui s'imposent et qui sont
complexes.
Il faut en effet procéder à une enquête sur le milieu familial de l'enfant,
sur la condition de l'enfant à l'école, et, souvent, à une investigation
d'ordre psychologique.
Tout cela doit être fait pour que s'engage ce que l'on appelle à juste titre
le traitement de celui qui, en cet instant, est plus un enfant en danger qu'un
délinquant.
Cela demande du temps, de l'attention, des moyens et du dévouement ; les
magistrats des enfants peuvent en témoigner. En tout cas, cela n'appelle pas de
condamnation pénale.
Considérez ce que vous proposez : c'est inapplicable ! Fort heureusement, vous
vous arrêtez au seuil de l'emprisonnement, et je vous en sais gré. Mais vous
vous demandez alors quelles sanctions pourront être appliquées. Vous avez gardé
la possibilité de prononcer une peine d'amende, mais une amende pour l'enfant
de dix, onze ou douze ans, cela signifie qu'elle sera à la charge de ses
parents ! Comment voulez-vous que l'enfant comprenne ? Et pour ce qui est des
parents, je n'ai pas besoin de dire qu'ils sont, dans tous les cas, civilement
responsables.
Dès lors, vous évoquez une autre possibilité : le travail d'intérêt
général.
Je rappellerai simplement que celui qui vous parle est celui qui a introduit
dans notre droit le travail d'intérêt général. Je me souviens très bien du
moment où, avec MM. Séguin, Toubon et Ducoloné, j'ai mis la dernière main à
cette innovation importante de notre code. Et pourquoi croyez-vous que nous
ayons arrêté son application à seize ans - et le Sénat avec nous puisqu'il a
adopté ce texte à l'unanimité me semble-t-il ? Pourquoi n'avons-nous pas songé
à appliquer le travail d'intérêt général aux mineurs de treize à seize ans par
exemple ? Parce que c'est impossible ! En effet, des dispositions du code du
travail interdisent le travail des jeunes avant cet âge, que celui-ci soit
ordonné par un magistrat ou qu'il soit effectué dans n'importe quelle
entreprise. Voyez les conventions internationales : elles interdisent le
travail avant la fin de l'âge scolaire, quinze ans. Donc, le texte relatif au
travail d'intérêt général est, par nature, inapplicable aux enfants de
dix-treize ans.
Alors, que reste-t-il dès lors ?
Il reste ce qui est le coeur même du droit de l'enfance, c'est-à-dire les
mesures de surveillance, les mesures d'éducation, et vous en revenez
pratiquement à ce que vous déclarez insuffisant parce qu'il n'est pas possible
d'aller au-delà.
Vous dites : oui, mais il restera l'avantage que représente la comparution
devant le tribunal et la condamnation pénale - la condamnation pénale d'un
enfant de dix ans ! Celui-ci verra alors la loi dans toute sa majesté.
Vous n'avez pas, comme moi, connu les audiences de mineurs. Moi, je peux vous
dire que ce n'est pas la place d'un enfant de onze ans que d'être amené par la
main, devant un tribunal, devant le président, le juge des enfants, les
assesseurs, le procureur, l'avocat, le greffier, tous en robe... Ce n'est pas
là qu'il mesurera la nécessité de satisfaire à la loi. C'est dans l'entretien
direct avec le procureur, dans l'entretien avec le juge des enfants, dans la
relation directe avec eux que s'inscrit l'unique chance que nous ayons de
l'arracher à son destin.
Je vais vous dire ce qui arrivera après qu'il aura comparu devant le tribunal.
Comme, heureusement, il sera impossible d'exercer à son encontre des mesures de
contrainte physique, il rentrera le soir chez lui. Ce garçon de onze ou douze
ans s'identifiera alors à ceux qu'ils voient à la télévision, aux jeunes voyous
délinquants que l'on défère devant le tribunal. Il aura passé cette épreuve et,
croyez-moi, loin, de lui avoir fait sentir la majesté de la loi, vous l'aurez «
mithridatisé » et il apparaîtra au regard de ses copains comme une espèce de
chevalier confirmé de cette délinquance contre laquelle nous luttons. Vous lui
assurez une sorte de promotion.
Tout cela est contraire et à l'intérêt des enfants et à nos propres intérêts,
contraire à l'inspiration de l'ordonnance de 1945, absolument contraire à
l'effort que nous voulons tous entreprendre.
Je suis convaincu que si nous avions procédé à des auditions de magistrats des
enfants, ils auraient dit, mieux que moi, ce que je vous dis à l'instant.
Je terminerai simplement en confessant qu'à l'âge où je suis j'ai toujours
vécu obsédé par la parabole biblique du frère de l'ombre. Je crois, en effet,
que chacun de nous, lorsque la vie l'a épargné, lorsque la vie lui a été douce,
doit savoir qu'il existe, quelque part dans le monde, un frère dans l'ombre qui
n'a connu aucune des chances, aucun des privilèges, aucune des possibilités
que, lui, aura connu ; et ce frère de l'ombre, il ne doit pas l'oublier au
meilleur moment de son existence.
Ceux qui comparaîtront devant le tribunal, ce ne seront pas, bien entendu, ces
beaux enfants que je voyais tout à l'heure en traversant le jardin du
Luxembourg, ce seront les autres, les frères de l'ombre.
Je vous le demande donc de toutes mes forces : ne faites pas cela ! Ne votez
pas cet amendement, mes chers collègues ! Ne permettez pas que l'on condamne
pénalement en France un enfant de dix ans !
(Applaudissements sur les
travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Je voudrais faire quelques rappels.
Tout d'abord, l'ordonnance de 1945 a été rédigée dans un contexte historique
qui n'est plus le nôtre.
L'enfant de 1945 n'est pas l'enfant de 2001. La société était tout autre. Elle
était encore assez largement rurale. Le village avait encore sa place. L'enfant
était encore encadré et pris en charge par la communauté tout entière. Ce
n'est, malheureusement, plus le cas.
Lorsque la communauté immédiate, la famille, n'est plus en mesure de remplir
cette mission, c'est à la société de le faire. Mais elle ne doit pas le faire
selon la vision quelque peu idyllique que M. Badinter vient de nous présenter
quand il a parlé de l'entretien entre le juge des enfants et un mineur de
treize ans. Les choses ne se passent pas ainsi : je suis désolé.
A l'heure actuelle, lorsqu'un mineur de treize ans a commis un délit ou un
crime, dans la plupart des cas, malheureusement, l'affaire est classée sans
suite. On ne va pas plus loin. Il faut de multiples récidives avant que ces
infractions soient prises en compte. Or, et cela a été dit, à l'heure actuelle,
la délinquance n'est plus l'affaire des enfants de quinze ans, seize ans ni
même treize ans. La délinquance commence à onze ans ou douze ans, on le
constate tous les jours. Et parce que la justice manque de moyens, parce que
les juges pour enfants ne sont pas assez nombreux, que les assesseurs ne sont
pas assez nombreux, qu'il n'y a pas, bien souvent, l'équipement nécessaire, on
se lave les mains et l'on dit : « les dix-treize ans, on verra plus tard,
lorsqu'ils auront treize ans ! » C'est de cela que l'on ne veut plus. On veut
au contraire, par l'instrument de la justice, par la sanction pénale, éviter la
dégradation du jeune de dix-treize ans.
Vous nous avez décrit, tout à l'heure, monsieur le président de la commission
des lois, le cas du jeune « mithridatisé » - ce peut être un gamin de onze ans
- revenant auprès des siens, fier de s'être livré à la délinquance, d'avoir
commis un délit.
On ne peux plus laisser courir les choses ainsi ou alors, demain, nous en
arriverons à un point tel que ce seront les moins de treize ans qui nous
dirigeront !
Mme Nicole Borvo.
Jusqu'à quel âge veulent-ils leur voler leur enfance ? Jusqu'à cinq ans ?
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Sans vouloir paraphraser une réplique célèbre dans un débat
non moins célèbre, j'essaierai néanmoins de rassurer M. Badinter en lui disant
qu'il n'est pas le seul à se préoccuper des « frères de l'ombre », ou en tout
cas à y penser, qu'il n'en a donc pas le monopole.
M. Robert Badinter.
Je ne le prétends pas. Je souhaite même le contraire.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Bien entendu !
Nous avons, sur la rédemption, des conceptions qui peuvent être différentes et
nous essayons modestement de préciser la nôtre.
Nous sommes en train de parler d'un principe, à savoir la possibilité de
prononcer une peine, dans certaines circonstances, à l'égard d'un mineur de dix
à treize ans. Si tout le monde accepte d'entrer dans la discussion -
apparemment, c'est le cas -, nous pouvons en approfondir les modalités.
Nous savons pertinemment que le code du travail interdit le travail des
mineurs jusqu'à la fin de l'obligation scolaire tout en ménageant une exception
pour des petits travaux de vacances effectués par des mineurs de quatorze à
seize ans.
Mais ne jouons pas sur les mots, réfléchissons calmement.
Demander à un enfant de nettoyer le mur qu'il a tagué, est-ce vraiment un
travail que le code réprouve ? Demander à un enfant de faire les courses d'une
personne âgée qu'il aurait molestée, est-ce contraire au code du travail ? On
peut utiliser un autre mot que « travail » pour qualifier la peine que nous
proposons.
M. Jean-Jacques Hyest.
Réparation !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Tout le monde voit bien le type d'activité ou de tâche que
nous visons.
Nous ne parlons pas de faire travailler un enfant au sens du code du travail,
nous voulons que l'on puisse le condamner à une activité dans l'intérêt de la
collectivité, de manière solennelle et devant un tribunal.
Vous l'ignorez peut-être, mes chers collègues, mais une telle mesure peut déjà
être décidée dans le cadre de la médiation réparation, puisque le procureur
peut proposer une mesure ou une activité dans l'intérêt de la collectivité.
M. Robert Bret.
Eh bien alors, si cela existe !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Eh oui ! Aucune limite d'âge n'est prévue, de sorte qu'une
telle activité peut théoriquement être envisagée même pour des mineurs de moins
de dix ans.
Mme Nicole Borvo.
Eh bien alors !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Oui, mais nous sommes plus restrictifs. Nous proposons qu'une
telle activité puisse être ordonnée en tant que peine.
Aujourd'hui, que se passe-t-il ? On ne peut rien faire contre un mineur de
moins de dix-huit ans. Mais, dès qu'il a dix-huit ans, attention ! On se
dépêche, on frappe, on sanctionne, et ce pour la première fois. Il faut essayer
d'aller progressivement. Comme je l'ai déjà dit dans mon propos introductif, le
dispositif que nous proposons interviendra sous le contrôle du juge : c'est lui
qui appréciera, en fonction des circonstances, de la personnalité de l'enfant,
la mesure qui devra être prise. Laissons-lui en la possibilité ! Augmentons
simplement la palette des décisions pouvant être prises. En tout cas, il peut
advenir que des jeunes soient impressionnés par la solennité du moment.
Mme Nicole Borvo.
Il est faux de dire que l'on ne peut rien faire actuellement.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 18, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 1er.
Par amendement n° 19, M. Schosteck, au nom de la commission des lois, propose
d'ajouter, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le second alinéa de l'article 122-8 du code pénal, le mot : "treize"
est remplacé par le mot : "dix". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Il s'agit d'un amendement de conséquence.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Défavorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 19, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 1er.
Par amendement n° 20, M. Schosteck, au nom de la commission des lois, propose
d'ajouter, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 4 de l'ordonnance n°
45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, le mot : "sept" est
remplacé par le mot : "cinq". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Il s'agit de permettre la retenue à disposition d'un officier
de police judiciaire d'un mineur de treize ans.
Aujourd'hui, les mineurs de dix à treize ans ne peuvent être placés en garde à
vue ; ils peuvent cependant être retenus à disposition d'un officier de police
judiciaire pendant une période de dix heures renouvelable une fois sous
certaines conditions, lorsqu'il existe des indices qu'ils ont commis un crime
ou un délit puni d'au moins sept ans d'emprisonnement.
Cet amendement tend à permettre l'utilisation de cette procédure lorsque
l'enquête porte sur des faits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement et non
plus de sept ans. Cette procédure pourra ainsi être utilisée pour certaines
infractions, comme le vol aggravé, qui sont punies de cinq ans
d'emprisonnement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Pour les mêmes raisons, le Gouvernement émet un
avis défavorable sur cet amendement, qui prévoit une sorte de préjugement.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 20, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 1er.
Par amendement n° 21, M. Schosteck, au nom de la commission des lois, propose
d'insérer, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le quatorzième alinéa (3°) de l'article 8 de la même ordonnance est
ainsi rédigé :
« 3° Soit prononcer un avertissement et rappeler au mineur les obligations
résultant de la loi ;
« II. - 1° Dans la première phrase du deuxième alinéa de l'article 21 de la
même ordonnance, les mots : "admonester le mineur" sont remplacés par les mots
: "prononcer un avertissement et rappeler au mineur les obligations résultant
de la loi".
« 2° Dans la seconde phrase du même alinéa, les mots : "d'une admonestation"
sont remplacés par les mots : "d'un avertissement". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Les termes « admonester » et « admonestation », qui sont
utilisés dans l'ordonnance de 1945, nous paraissant aujourd'hui quelque peu
désuets, voire anachroniques au regard de la situation de la délinquance
juvénile, nous proposons d'y substituer la notion d'avertissement, assorti d'un
rappel des obligations résultant de la loi.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Défavorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 21, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé, est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 1er.
Par amendement n° 22, M. Schosteck, au nom de la commission des lois, propose
d'insérer, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 8-3 de la même ordonnance, il est inséré un article 8-4
ainsi rédigé :
«
Art. 8-4. -
En matière correctionnelle, lorsqu'un mineur a déjà été
poursuivi, que les diligences et investigations prévues par l'article 8 ont
déjà été accomplies, le cas échéant à l'occasion d'une procédure antérieure,
que les charges réunies sont suffisantes et que l'affaire est en état d'être
jugée, le procureur de la République peut utiliser à l'égard de ce mineur la
procédure de rendez-vous judiciaire définie au présent article.
« Après avoir constaté l'identité du mineur qui lui est déféré, lui avoir fait
connaître les fait qui lui sont reprochés et avoir recueilli ses déclarations,
le procureur de la République peut inviter le mineur à comparaître devant le
tribunal des mineurs dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours ni
supérieur à deux mois. Il lui notifie les faits retenus à son encontre ainsi
que le lieu, la date et l'heure de l'audience. Cette notification, mentionnée
au procès-verbal dont copie est remise au mineur, vaut citation à personne.
« L'avocat choisi ou le bâtonnier est informé, par tout moyen et sans délai,
de la date et de l'heure de l'audience ; mention de cet avis est portée au
procès-verbal. L'avocat peut à tout moment consulter le dossier.
« Si le procureur de la République estime nécessaire de soumettre le mineur
jusqu'au rendez-vous judiciaire devant le tribunal à une ou plusieurs
obligations du contrôle judiciaire, il le traduit sur-le-champ devant le juge
des mineurs ou le juge d'instruction. Ce magistrat peut, après audition du
mineur, son avocat ayant été avisé et entendu, s'il le demande, prononcer cette
mesure dans les conditions prévues à l'article 11-2.
« Lorsqu'il est saisi en application du présent article, le tribunal des
mineurs peut prononcer les mesures prévues aux 1° à 6° de l'article 8.
« Le tribunal des mineurs peut, s'il estime que la complexité de l'affaire
nécessite des investigations supplémentaires approfondies, renvoyer le dossier
au procureur de la République. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Cet amendement tend à permettre la saisine directe du
tribunal des mineurs par le procureur de la République.
L'un des problèmes essentiels de la justice des mineurs tient à ce que la
décision intervient trop longtemps après les faits et perd ainsi toute
signification. En 1996, une loi a institué des procédures plus rapides, mais
les systèmes mis en place semblent trop complexes et sont peu utilisés.
Nous proposons, par conséquent, de permettre au procureur, lorsque le mineur
concerné est déjà connu et qu'un dossier de personnalité a déjà été établi,
d'envoyer directement ce mineur en jugement devant le tribunal pour mineurs,
sous certaines conditions précises, bien entendu.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
La modalité de comparution dite « de rendez-vous
judiciaire » est déjà prévue dans l'article 8-2 de l'ordonnance de 1945. Le
texte proposé raccourcit toutefois les délais de comparution en instaurant pour
tout mineur la possibilité d'un contrôle judiciaire.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement ne peutqu'émettre un avis
défavorable.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 22.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Au-delà de son aspect procédural, cet amendement induit une modification tout
à fait substantielle de l'ordonnance de 1945.
Déjà, en 1996, s'était manifestée la volonté de veiller à ce que la procédure
ne connaisse pas de retard et que l'on puisse recourir à la comparution à délai
rapproché pour éviter que la réponse au délit n'intervienne tardivement. Une
disposition en ce sens avait été votée à l'époque.
Je rappelle que cette procédure repose sur un principe. Lorsque l'officier de
police judiciaire a déclenché la procédure de convocation au parquet, le
ministère public, s'il considère que les éléments d'enquête de personnalité
liés à de précédentes investigations sont suffisants et s'il estime qu'il
existe des éléments suffisamment précis quant aux faits, demande au juge des
enfants de l'autoriser à faire comparaître dans un délai rapproché - de un mois
à trois mois - le mineur devant le tribunal.
Il convient de souligner que c'est le juge des enfants qui maîtrise le
dispositif, et cela n'est pas sans raisons. Ce n'est pas le procureur qui
décide : il demande seulement à ce qu'il soit procédé selon cette démarche plus
rapide. Le juge des enfants est, en effet, celui qui doit, pendant cette
période, demeurer à même de décider s'il y a lieu de procéder à telles
investigations complémentaires, de prendre telles mesures d'assistance ou de
surveillance. C'est bien le juge qui exerce le contrôle du processus éducatif
et de la surveillance.
Dès lors que vous nous proposez d'éviter le passage devant le juge des
mineurs, vous permettez qu'il y ait comparution rapprochée sans que le juge des
enfants ait pu se prononcer sur le bien-fondé ou le mal-fondé de cette
procédure au regard de la personnalité du mineur.
C'est en ce sens que, selon moi, vous transformez substantiellement la
procédure telle qu'elle a été prévue dans l'ordonnance de 1945 et modifiée il y
a peu, en 1996, alors que M. Toubon était garde des sceaux.
Et à quelle nécessité cela répond-il ? Nous ne savons même pas si les
magistrats demandent une telle modification.
En outre, au regard de l'inspiration de l'ordonnance de 1945, vous prenez le
risque de transformer la procédure à l'encontre des mineurs en un déroulement
impliquant uniquement le parquet et le tribunal, ce qui revient à l'aligner sur
la procédure correctionnelle, moyennant quelques simples adaptations à la
condition du mineur.
Ce n'est pas la bonne voie. Ce qu'il faut, c'est laisser au juge des enfants,
lorsqu'il y a lieu, la maîtrise nécessaire pour prendre les mesures qui
s'imposent.
Voilà pourquoi le groupe socialiste ne votera pas cet amendement.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je veux seulement rappeler que le tribunal des mineurs est
présidé par le juge des mineurs.
M. Robert Badinter.
Mais cela ne permet pas le passage préalable par le juge des mineurs !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 22, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 1er.
Par amendement n° 23, M. Schosteck, au nom de la commission des lois, propose
d'insérer, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 11 de la même ordonnance est ainsi modifié :
« I. - La deuxième phrase du premier alinéa est ainsi rédigée : "Le mineur âgé
de treize à seize ans pourra être détenu provisoirement en matière
correctionnelle, soit en cas de non-respect du contrôle judiciaire, soit
lorsqu'il a déjà fait l'objet de deux condamnations pour crime ou délit et que
la peine encourue est d'au moins cinq ans d'emprisonnement."
« II. - Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« En matière correctionnelle, la durée de la détention provisoire d'un mineur
âgé de moins de seize ans ne peut excéder quinze jours. Toutefois, à
l'expiration de ce délai, la détention peut être prolongée, à titre
exceptionnel, par une ordonnance motivée conformément aux dispositions de
l'article 137-3 du code de procédure pénale et rendue après un débat
contradictoire organisé conformément aux dispositions du sixième alinéa de
l'article 145 du même code, pour une durée n'excédant pas quinze jours ; la
prolongation ne peut être ordonnée qu'une seule fois. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Il s'agit de prévoir la détention provisoire des mineurs de
treize à seize ans en matière correctionnelle.
En 1987, le législateur a supprimé toute possibilité de placement en détention
provisoire des mineurs de treize à seize ans en matière correctionnelle. La
conséquence inaperçue de cette mesure a été de faire disparaître le contrôle
judiciaire pour ces mineurs puisque le non-respect de ce contrôle ne pouvait
plus être sanctionné.
L'amendement tend donc à prévoir la possibilité de placer en détention
provisoire les mineurs de treize à seize ans en matière correctionnelle dans
des circonstances très précises : en cas de non-respect du contrôle judiciaire
ainsi que dans le cas d'un mineur déjà condamné deux fois pour crime ou délit
et encourant au moins cinq ans d'emprisonnement.
J'ai la conviction que cet amendement ne conduira pas à jeter en prison
quantité de mineurs. En revanche, il permettra à nouveau aux juridictions des
mineurs d'utiliser le placement sous contrôle judiciaire.
Je vous rends attentifs à ce point, mes chers collègues : le contrôle
judiciaire peut être particulièrement utile compte tenu des obligations qui
sont susceptibles d'être imposées dans ce cadre. Néanmoins, les juges ne
l'utilisent pas parce qu'ils ne peuvent pas sanctionner en cas de non-respect
de ces obligations.
Je ne pense pas que cette proposition soit aussi choquante que certains
tenteront tenter de la faire croire ; je crois, au contraire, qu'il faut être
de mauvaise foi pour l'affirmer.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Je ne voudrais pas apparaître comme étant de
mauvaise foi, mais je rappelle à M. Schosteck que l'année 1987, celle où fut
donc supprimée la détention provisoire pour les mineurs, se situe entre 1986 et
1988. Même si, depuis 1981, la gauche a gouverné plus que la droite, ce que
vous regrettez, monsieur le président de la commission, la droite a aussi pris
des dispositions que vous remettez aujourd'hui en cause.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
La supériorité de la droite, c'est
qu'elle corrige ses erreurs !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Le Gouvernement considère que le rétablissement
de la détention provisoire pour les mineurs de treize à seize ans n'apporterait
rien de bon et il émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 23.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je ne suis pas sûr qu'il ne faille rien changer en ce qui concerne la justice
des mineurs et il me paraît hâtif d'affirmer que toute modification à cet égard
est malvenue.
Cependant, en l'espèce, plutôt que rétablir la détention provisoire, l'urgence
me semble être de trouver une solution en vue du placement dans des
établissements appropriés.
En effet, recourir à la solution de la détention provisoire serait, à mes
yeux, en contradiction avec ce que nous avons déploré concernant la situation
des quartiers des mineurs dans nos prisons, à quelques très rares exeptions
près.
Tant qu'on aura pas trouvé de solution pour que la détention des mineurs ne se
fasse pas dans les conditions actuelles, soit les juges se refuseront à prendre
une telle décision, quelle que soit la gravité des actes commis - il peut tout
de même s'agir de mineurs de treize ans ! - soit ils la prendront, mais avec
tous les risques que cela comporte.
Autant les autres propositions me paraissent mériter d'être étudiées - un
certain nombre d'avancées sont sans doute envisageables -, autant je ne peux
voter celle-ci eu égard à la situation profondément déplorable des quartiers
des mineurs, de l'avis de tous ceux qui les ont visités.
En tout état de cause, les cas où la détention provisoire serait possible
seraient strictement limités. Par conséquent, cela ne résoudra pas le problème.
Il faudrait donc vraiment trouver d'autres solutions.
Je rappelle aussi que, lorsqu'on a créé les centres d'éducation renforcée,
certaines belles âmes - et les belles âmes sont toujours du même côté ! - ont
jugé que c'était scandaleux.
Quoi qu'il en soit, je suis extrêmement réservé sur cet amendement compte tenu
de la situation des prisons françaises et, notamment, des quartiers de mineurs,
lorsqu'ils existent.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Mes propos feront directement écho à ceux de M. Hyest, qui, je le rappelle, a
présidé la commission d'enquête sur les prisons. Les travaux de cette dernière
nous ont permis de mesurer combien le problème de la détention des mineurs dans
les prisons françaises se posait de façon véritablement dramatique.
Le taux de récidive chez les mineurs condamnés, - certes, ils ont été
condamnés, mais ce sont aussi des détenus - est extrêmement élevé et, en l'état
actuel de nos prisons, il me paraît impossible de considérer comme une avancée
une disposition qui aboutirait à réformer ce qui a été fait à la demande de M.
Chalandon en 1987, et conservé depuis.
La priorité que je souhaite voir accorder dans les mois qui viennent à la
réforme des prisons et des conditions d'incarcération - surtout dans les
maisons d'arrêt, qui sont à cet égard les plus pernicieuses - doit demeurer
notre objectif.
Comme M. Hyest, j'estime que, en l'état actuel de nos prisons, la proposition
de la commission ne va pas dans le bon sens au regard de la prévention de la
délinquance des mineurs.
Je rappelle enfin que, en matière criminelle, le placement en détention
provisoire est évidemment possible.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
J'ai bien pris soin d'expliquer que notre amendement visait
le deuxième temps : la détention provisoire peut intervenir après que, dans un
premier temps, il y a eu non-respect du contrôle judiciaire.
M. Robert Bret.
Mais nous l'avions bien compris !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Cela étant, nous sommes sensibles aux arguments qui ont été
avancés, notamment par Jean-Jacques Hyest. Sans doute est-il possible
d'améliorer la rédaction pour viser plus spécifiquement ce deuxième temps, afin
d'éviter toute ambiguïté.
Je me propose donc de retirer l'amendement n° 23 et de renvoyer à la
commission d'enquête dont les présidents des groupes de la majorité sénatoriale
ont demandé la création la discussion de cette question particulièrement
sensible qu'il est utile d'approfondir.
Je rappellerai que la commission d'enquête que présidait Jean-Jacques Hyest -
je parle sous son contrôle - a rendu ses conclusions il y a un an, et que l'on
attend encore que des mesures concrètes soient prises. C'est dommage !
Soyons donc modestes, et restons conscients de l'importance du suivi des
travaux de nos commissions.
M. Jean-Jacques Hyest.
Tout a fait ! Nous allons continuer !
M. le président.
L'amendement n° 23 est retiré.
Par amendement n° 24, M. Schosteck, au nom de la commission des lois, propose
d'ajouter, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 11-1 de la même ordonnance, il est inséré un article 11-2
ainsi rédigé :
«
Art. 11-2
. - Les mineurs de treize à dix-huit ans pourront faire
l'objet d'un contrôle judiciaire ordonné, selon les cas, par le juge des
mineurs, le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention dans
les conditions prévues à l'article 138 du code de procédure pénale.
« Toutefois, le contrôle judiciaire ne pourra être ordonné à l'encontre d'un
mineur de seize ans que lorsque les faits sont punis d'au moins trois ans
d'emprisonnement. Dans ce cas, seules les obligations mentionnées aux 1° à 7°,
9° et 10° de l'article 138 du code de procédure pénale pourront être ordonnées.
»
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Il s'agit de prévoir explicitement, dans l'ordonnance de
1945, le contrôle judiciaire pour les mineurs de treize à dix-huit ans.
Cependant, pour les mineurs de treize à seize ans, ce contrôle ne pourrait
être prononcé que lorsque la peine encourue est d'au moins trois ans
d'emprisonnement. En outre, le juge ne pourrait prononcer que certaines mesures
de contrôle judiciaire. Il paraît vain, par exemple, d'imposer à un mineur de
treize à seize ans le versement d'une caution !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Défavorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 24, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 1er.
Par amendement n° 25, M. Schosteck, au nom de la commission des lois, propose
d'ajouter, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le deuxième alinéa de l'article 14 de la même ordonnance, après les
mots : "assister aux débats", sont insérés les mots : "la victime, qu'elle soit
ou non constituée partie civile,". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Par cet amendement, nous entendons assurer la présence de la
victime à l'audience.
En effet, l'article 14 de l'ordonnance de 1945, qui énumère la liste des
personnes admises à assister aux audiences, ne mentionne pas la victime, ce qui
est particulièrement choquant.
La jurisprudence a résolu le problème en assimilant la victime à un témoin. Il
paraît cependant préférable de prévoir explicitement la possibilité pour la
victime d'être présente, car la confrontation d'un mineur avec sa victime peut
avoir un effet positif en lui faisant prendre conscience de la gravité de
l'acte commis.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Défavorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 25, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 1er.
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