SEANCE DU 29 MAI 2001
M. le président.
La parole est à M. du Luart, auteur de la question n° 1064, adressée à M. le
ministre de l'agriculture et de la pêche.
M. Roland du Luart.
Je souhaite demander à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche s'il
envisage de modifier la réglementation relative à l'abattage des bovins dans
l'optique de l'action d'éradication de l'encéphalopathie spongiforme bovine.
Actuellement, en effet, dès lors qu'un seul animal au sein d'un troupeau est
atteint d'ESB, la totalité dudit troupeau est abattue. Cette mesure, fondée sur
une application particulièrement stricte du principe de précaution, est surtout
destinée à rassurer les consommateurs. Or l'abattage total d'un troupeau,
malgré les indemnités allouées à l'éleveur, occasionne un grave préjudice à ce
dernier et peut même mettre en péril l'existence de l'exploitation, compte tenu
de la grande difficulté que représente la reconstitution d'un cheptel bovin,
surtout lorsque celui-ci était d'une haute qualité génétique.
Dès lors, ne pourrait-on envisager d'épargner les jeunes animaux nés après
l'interdiction de l'alimentation des bovins par des farines animales,
c'est-à-dire après 1996 ?
J'aimerais, monsieur le ministre, connaître la position de l'Agence française
de sécurité sanitaire des aliments sur ce sujet, car je crois qu'elle devait
trancher ces jours-ci.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le sénateur, comme
c'est la première fois que je m'exprime devant la Haute Assemblée depuis la
parution du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur le sujet que
vous avez évoqué, je voudrais en profiter non pas pour faire une mise au point,
car ce n'est pas nécessaire, mais pour indiquer que j'ai été très attristé et
même choqué que l'on ait pu me faire dire que j'avais mis en cause les
fonctionnaires du Sénat.
Je parle ici devant certains d'entre eux, qui pourront répercuter le message :
à aucun moment je n'ai mis en cause les fonctionnaires du Sénat. J'y insiste,
ce n'était ni dans mon esprit ni dans mes propos ; je veux que les choses
soient claires entre nous sur ce point, car j'ai été parlementaire et peut-être
le redeviendrai-je, dans cette assemblée ou dans une autre plus probablement,
puisque les places sont ici beaucoup plus chères !
(Sourires.)
Je
voulais donc que les choses soient nettement dites : en aucun cas, dans mon
esprit, il n'était question de mettre en cause le travail accompli par les
fonctionnaires du Sénat, même si je ne retire rien aux propos que j'ai tenus
sur la manière dont les choses se sont passées.
Par ailleurs, j'ai entendu avec beaucoup d'intérêt, à l'issue de la
publication de ce rapport, M. le président Poncelet indiquer qu'il proposerait
une modification du règlement du Sénat sur deux points. Je n'ai rien à ajouter
aux déclarations du président du Sénat, néanmoins j'estime non pas que cela
confirme ce que j'avais dit, mais que cela révèle qu'un dysfonctionnement à mon
avis dommageable était bien survenu. En tout cas, c'est ainsi que j'ai compris
les propos de M. le président Poncelet.
En réponse maintenant à votre question, monsieur le sénateur, je puis vous
assurer que je travaille depuis plusieurs mois sur le problème que vous avez
évoqué. Je suis absolument convaincu que l'abattage systématique des troupeaux
est un lourd traumatisme pour les éleveurs chez qui l'on découvre un cas d'ESB.
C'est aussi un risque économique, dans la mesure où ils ont ensuite beaucoup de
mal à restaurer la qualité, notamment sur le plan génétique, du cheptel pour
lequel ils avaient investi pendant des années. Il s'agit donc d'un traumatisme
à la fois affectif et économique.
Au demeurant, et même si ce n'est pas l'essentiel, c'est également un
traumatisme pour les finances publiques, car nous indemnisons ces éleveurs le
plus correctement possible. Je crois d'ailleurs que jamais personne n'a mis en
cause la qualité de cette indemnisation, et ce pour une raison simple : nous
l'avions plutôt surévaluée, parce que nous voulions inciter les éleveurs, par
une approche financière qui soit le plus généreuse possible, à déclarer les cas
qu'ils constatent, plutôt qu'à chercher à les dissimuler.
Il s'agit donc d'un traumatisme à la fois affectif, économique et financier,
que je suis absolument désireux de réparer.
Cela étant, compte tenu du fait qu'un manque de confiance persiste parmi les
consommateurs puisque, d'après les informations dont nous disposons, les achats
de viande bonine sont encore inférieurs de 15 % à ce qu'ils étaient avant la
crise, nous sommes dans l'obligation de ne pas prendre de mesures qui ne soient
fondées sur un fait scientifique ou sur une amélioration des connaissances.
Adopter une autre attitude entraverait la reprise de confiance des
consommateurs.
Je veux dire par là que si je décide aujourd'hui,
ex abrupto,
qu'il n'y
a plus abattage de la totalité du troupeau mais que l'on se contente, comme
vous le proposez, d'une cohorte d'âge, donc d'un nombre limité de têtes de
bétail, les consommateurs risquent de s'interroger sur les raisons d'un tel
relâchement du dispositif.
C'est pour cela que j'ai besoin de l'avis de l'agence française de sécurité
sanitaire des aliments, l'AFSSA, que j'ai sollicitée voilà plusieurs mois déjà
en lui demandant de me fournir des raisons objectives et scientifiques pour
revenir sur l'abattage total du troupeau.
D'une part, j'attends de l'AFSSA qu'elle tire les leçons du programme
expérimental de 48 000 tests que nous avons mis en oeuvre en 2000 sur les
animaux à risque, notamment s'agissant du « protocole troupeau ». En effet,
vous le savez, monsieur le sénateur, chaque fois que l'on trouve un cas d'ESB,
des tests sont pratiqués sur l'ensemble du troupeau avant abattage total. Or, à
ma connaissance, à ce stade, dans tous les troupeaux abattus en France, nous
n'avons pas trouvé un seul autre cas d'ESB. Il appartient néanmoins à l'AFSSA
de nous le confirmer.
D'autre part, j'attends de l'AFSSA le bilan des tests systématiques auxquels
nous procédons depuis le 1er janvier sur les têtes de plus de trente mois.
L'AFSSA doit donc nous dire si ces deux données nouvelles, l'une
expérimentale, l'autre systématique, sont de nature à permettre d'alléger le
dispositif.
J'attends cet avis au plus tard pour la mi-juin. Cependant, monsieur le
sénateur, les derniers entretiens que j'ai eus avec les scientifiques et les
responsables de l'AFSSA me confirment que nous disposerons de cet avis avant.
Je peux vous assurer que, s'il existe la moindre opportunité pour permettre
d'alléger le dispositif, le Gouvernement la saisira.
M. Roland du Luart.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart.
Monsieur le ministre, je vous remercie des propos que vous avez tenus en
réponse à la question que je vous ai posée. Je partage à 100 % votre analyse.
Cependant, il est un point sur lequel nous divergeons légèrement. En effet, si
je suis de ceux qui reconnaissent que les indemnisations sont correctes au
regard des cotisations sociales comme de la fiscalité, beaucoup reste à faire
car, dans certains départements, on fiscalise les indemnités, reprenant d'une
main ce que l'on a donné de l'autre. Je peux vous en apporter la preuve, c'est
arrivé encore récemment dans mon département.
En ce qui concerne l'AFSSA, tant mieux si, dans quelques jours, nous en savons
plus et souhaitons que jamais le consommateur ne puisse douter de nouveau. Nous
devons tous contribuer à rétablir sa confiance.
Justement, l'occasion m'en est donnée avec votre mise au point sur le rapport
sénatorial. Pour avoir été l'un des vice-présidents de la commission d'enquête,
j'ai beaucoup participé à ses travaux, et je puis vous dire qu'au sein de cette
maison la commission d'enquête a travaillé de façon exemplaire. Les sénateurs
ont beaucoup participé, les fonctionnaires ont énormément collaboré et nous
avons procédé à un nombre considérable d'auditions.
Ce que j'ai personnellement déploré, c'est cette polémique car, franchement,
le travail a été mené de façon rigoureuse. Certains journalistes ont tronqué la
vérité. Un compte rendu de ce rapport est même paru dans un journal du matin
avant même la tenue de notre conférence de presse. Je n'arrive pas à comprendre
d'où vient cette fuite.
Mais il y avait une réelle volonté de contribuer à faire émerger la vérité sur
un dossier très délicat, sans accabler qui que ce soit, mais simplement pour
éclairer l'opinion publique.
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Je me félicite que nous
puissions avoir ce matin ce débat, intéressant et cordial. Cependant, monsieur
le sénateur, j'ai beaucoup de mal à vous rejoindre sur l'accusation que vous
portez contre les journalistes.
Quand j'ai été reçu, pendant deux heures, par la commission d'enquête
parlementaire, l'ambiance était très positive, très constructive ; j'ose à
peine me flatter de ce que l'on m'a félicité de mon attitude dans la gestion de
la crise, parce que je ne voudrais pas mettre en difficulté ceux qui l'ont
fait, mais c'est une réalité objective.
Quant aux conclusions du rapport, elles sont parfaites, elles ont fait l'objet
d'un débat et d'une délibération ; je n'ai rien à dire, sauf peut-être une
divergence sur un point.
Quand j'ai ce dialogue avec les responsables de la commission d'enquête, avec
le président, avec le rapporteur ou avec vous-même, monsieur le sénateur, on me
dit qu'il n'est pas question de m'offusquer, de me contrarier ou de m'accuser,
et encore à l'instant, monsieur le sénateur, vous affirmez votre total
désaccord avec l'interprétation « tronquée » des journalistes.
Mais l'interprétation des journalistes n'est pas tronquée, monsieur le
sénateur. Le rapport contient bel et bien des accusations contre le ministère
de l'agriculture qui m'ont choqué parce qu'elles reposaient, je vous le dis
franchement, sur une contrevérité. On a fait dire au ministre de l'agriculture
et à ses représentants dans les réunions interministérielles des choses qu'ils
n'ont pas dites pour justifier une démonstration. C'est ce qui m'a choqué.
Il y a un décalage entre l'audition, les conclusions et certains passages du
rapport qui, à mon avis, n'ont pas été maîtrisés. Cela reste une part de
mystère.
M. Roland du Luart.
Tout est enregistré !
M. le président.
Je vous en prie, nous n'allons pas ouvrir un débat ce matin sur ce sujet.
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Mais il est intéressant,
monsieur le président, que nous nous expliquions cordialement et de manière
très détendue afin d'aller au fond des choses.
Pour le reste, monsieur le sénateur, je suis tout à fait formel, nous avons
pris toutes les dispositions, y compris législatives, pour que le traitement
tant fiscal que social des indemnisations perçues au titre de l'ESB soit
neutre. Donc, s'il y a la moindre difficulté d'application sur le terrain, je
vous demande de me le signaler, parce qu'il n'y a aucune raison que ce soit le
cas.
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