SEANCE DU 19 AVRIL 2001
POLLUTION PAR LES NAVIRES
Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de
loi (n° 207, 2000-2001), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale
en deuxième lecture, relative à la répression des rejets polluants des navires.
[Rapport n° 252 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Monsieur le
président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les
naufrages qui se répètent au large de nos côtes -
Erika, Ievoli Sun,
Balu
- ou au large des côtes de nos partenaires européens - je pense
notamment aux Danois - sont très graves, et ils ont motivé une mobilisation à
l'échelle tant de notre pays que de l'Europe, et même de l'Organisation
maritime internationale, l'OMI, pour une meilleure sécurité maritime.
Ils ne sauraient nous faire oublier que des pollutions intentionnelles et
délibérées affectent au quotidien notre patrimoine maritime.
Des déballastages, des dégazages, contre lesquels cette proposition de loi
permettra de lutter avec plus d'efficacité, sont toujours effectués
illégalement en mer par des capitaines de navire peu scrupuleux et peu soucieux
de l'environnement, et ce malgré tous les efforts déployés par les services de
l'Etat pour les repérer et les sanctionner.
Ces pratiques sont d'autant plus inacceptables qu'elles ne visent qu'à
économiser le coût du nettoyage des cuves dans un port. Elles s'inscrivent dans
un système qui privilégie la recherche du moindre coût au détriment de
l'environnement et qui rogne sur le contrôle, l'entretien et la remise en état
des navires ou sur les conditions de travail des marins, au mépris des risques
de naufrage ou d'accident.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui prévoit des mesures
dissuasives pour empêcher et, le cas échéant, sanctionner ces rejets illicites
d'hydrocarbures en mer.
Cette proposition a été améliorée sur plusieurs points par la Haute Assemblée
en première lecture, améliorations sur lesquelles j'ai émis un avis favorable.
Ces propositions ont d'ailleurs largement été reprises par l'Assemblée
nationale. Le travail parlementaire a ainsi largement clarifié et complété le
dispositif prévu afin de le rendre plus efficace et plus ferme, ce dont le
Gouvernement ne peut que se féliciter.
Une telle action doit, bien entendu, s'accompagner d'une politique
d'investissement et de modernisation concernant la capacité de réception de nos
ports.
De nombreux ports sont déjà équipés, tout particulièrement les ports
pétroliers, comme ceux du Havre, de Marseille, de Dunkerque ou de Nantes -
Saint-Nazaire. J'ai diligenté une mission en vue de recenser les installations
existantes et de prévoir un programme d'équipement.
Cette mission m'a remis son rapport. Il ressort de ce travail mené par mes
services et ceux du ministère de l'environnement que, au-delà de la question
des installations, il convient avant tout d'améliorer la gestion de l'existant
et son adéquation aux besoins au niveau des tarifs, conditions d'utilisation et
heures d'ouvertures, notamment. Nous avons donc engagé des discussions port par
port avec les intéressés pour voir dans quelles conditions, notamment
économiques, optimiser la gestion de ces installations.
Bien entendu, pour être efficaces, de telles mesures doivent s'intégrer dans
une démarche globale d'amélioration de la sécurité maritime. Cette démarche,
vous le savez, c'est la mienne depuis 1997. Elle s'est traduite notamment par
l'augmentation des moyens mis en oeuvre pour atteindre cette sécurité et par le
renforcement de la réglementation internationale, ce que nous sommes en passe
d'obtenir, même si cela fait toujours l'objet d'une bataille.
Il faut aujourd'hui que le Parlement européen se prononce sur le premier
paquet « Erika », comme l'a fait le Conseil des ministres des transports en
décembre 1997 lorsque nous en assumions la présidence. Je pense que nous
pouvons renforcer la sécurité maritime à l'échelle européenne et à l'échelle
internationale en améliorant la réglementation internationale.
Cette présidence nous a permis de trouver un accord politique ambitieux sur
l'agrément des sociétés de classification, sur le renforcement du contrôle des
navires et sur l'élimination progressive mais réelle, dès 2003, des navires à
simple coque dans un délai comparable à celui qui a été arrêté aux
Etats-Unis.
Ce sujet fait en ce moment l'objet de discussions complémentaires à l'OMI.
Nos discussions avec le Parlement européen nous ont permis d'enrichir et
d'améliorer le texte dans le sens souhaité par les parlementaires, qui
examineront à nouveau ces textes, en deuxième lecture, en séance plénière, à
Strasbourg, le 14 mai prochain.
La présidence suédoise se doit d'être aussi dynamique que nous avions essayé
de l'être pour finaliser l'accord que nous avions élaboré entre le Conseil, la
Commission et le Parlement. C'est un point que j'ai rappelé fermement, ainsi
que la commissaire, Mme Loyola de Palacio, lors de la dernière réunion des
ministres des transports européens, à Luxembourg.
Sur ce volet, comme sur notre action à l'OMI ou auprès du fonds international
d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, le
FIPOL, les progrès sont sensibles, mais nous continuons à faire pression sur
nos partenaires pour poursuivre le renforcement de la sécurité en
responsabilisant les opérateurs, en améliorant le suivi des navires et en
créant cette agence européenne de sécurité maritime.
Je souhaite profiter de cette occasion, mesdames, messieurs les sénateurs,
pour faire devant vous le point sur les opérations de traitement du
Levoli
Sun
. J'ai approuvé il y a plus de trois semaines la proposition de
traitement de l'épave du
Levoli Sun
, conduite par le consortium Smit
Tak.
Cette solution, approuvée à l'unanimité par le comité de pilotage et par le
collège des experts constitués auprès du secrétaire général de la mer, consiste
à pomper les produits toxiques - fioul et styrène - et à relâcher à faible
débit contrôlé l'alcool isopropylique et le méthyle-éthyle-cétone, compte tenu
de l'absence de risque pour les hommes et pour l'environnement - tout le monde
est formel sur ce point.
Depuis jeudi dernier, le navire de pompage, le
Smit Pioneer
, est sur
zone, à l'aplomb de l'épave. Après avoir effectué les réglages et tests de son
système de positionnement dynamique - le navire de pompage doit rester à
l'aplomb de l'épave même lorsque la mer bouge - et du robot sous-marin, il a
réalisé une première investigation sous-marine : l'épave n'a pas bougé, aucune
brèche supplémentaire n'a été observée, aucun obstacle flottant n'a été repéré
à proximité de l'épave.
Les investigations engagées depuis samedi ont permis d'engager le repérage des
cuves et des points de perçage sur la coque. A cet égard, sans que les
opérations de perçage aient commencé à ce jour, des essais de guidage de
l'outil de perçage ont été réalisés dans les meilleures conditions et avec
succès, m'a-t-on dit.
Pendant toutes les opérations de perçage puis de pompage, le
Smit Pioneer
disposera d'un navire de soutien, le
Banckert
, qui participe à la
sûreté des opérations dans la zone du chantier et qui est équipé d'un
dispositif antipollution.
L'
Alcyon
se rend régulièrement sur zone pour effectuer des prélèvements
d'air et d'eau qui se sont révélés négatifs depuis le début des opérations. Des
moyens aériens et navals, français et britanniques, sont en alerte
permanente.
La fin de ce chantier est toujours prévue avant le début de la saison
estivale.
Notre patrimoine maritime, nos plages ne doivent plus subir les souillures
d'armateurs indélicats qui sacrifient la sécurité des hommes et l'environnement
à la recherche du moindre coût pour asseoir leurs bénéfices.
Nous avons collectivement, je crois, une responsabilité devant la population
et les générations futures, qui sont en droit d'attendre des élus et des
pouvoirs publics une action ferme et déterminée contre ce type de comportements
à tous points de vue condamnables. Je compte donc sur vous, mesdames, messieurs
les sénateurs, pour soutenir cette proposition de loi et contribuer ainsi à sa
mise en oeuvre dès cet été.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 10 janvier dernier,
nous étions appelés à examiner, en première lecture, une proposition de loi de
notre collègue député, M. Gilbert Le Bris, concernant la répression des rejets
polluants des navires, c'est-à-dire essentiellement, je le rappelle pour
mémoire, la pollution due à la vidange en pleine mer, au mépris des lois
internationales, des ballasts des navires.
Les ballasts sont des compartiments destinés au transport soit
d'hydrocarbures, soit de produits chimiques liquides ou gazeux, d'où les termes
de marine « déballastage » ou « dégazage » pour qualifier ces vidanges, qui
peuvent provenir du nettoyage des machines du navire ou bien des containers
vidés de leur cargaison.
Ces vidanges, interdites en mer, doivent s'effectuer dans les ports, outillés
à cet effet, mais, bien sûr, moyennant des frais non négligeables non seulement
pour la vidange elle-même, mais aussi pour l'immobilisation du navire le temps
nécessaire aux opérations de nettoiement.
Nombre de navires cherchent par conséquent à se dérober au coût de ces
opérations par des vidanges sauvages et subreptices en pleine mer, dont le
nombre, en s'accroissant, multiplie la pollution, particulièrement dans les
mers fermées, telle la Méditerranée.
Ces dégazages sauvages tendent à se multiplier, tout d'abord parce que la
chance d'éviter d'être repéré en flagrant délit est assez grande pour être
tentée, mais surtout parce que les amendes prévues pour les délinquants
s'avèrent beaucoup moins onéreuses que les coûts d'une opération légale dans un
port approprié. La règle « pas vu, pas pris » s'impose donc le plus
souvennt.
A ce fâcheux état de fait, il convient de remédier d'urgence par une
dissuasion intelligente et adaptée, autant que par une jurisprudence homogène
dans la répression.
Tel est l'objet - c'est même le besoin, je le rappelle une fois de plus - de
cette heureuse proposition de loi, sur laquelle les positions du Sénat et de
l'Assemblée nationale sont fortement convergentes, et sur laquelle le Sénat est
appelé à se prononcer aujourd'hui en deuxième lecture.
Dès la première lecture, le Sénat avait apporté des modifications non
négligeables au texte que nous soumettait l'Assemblée nationale. Je les énonce
dans leurs grandes lignes.
D'abord, il s'agissait de tenir compte de l'intégration dans le code de
l'environnement des textes législatifs réprimant la pollution.
Ensuite, il convenait de durcir les sanctions proposées en première lecture
par l'Assemblée nationale, en multipliant par quatre, au lieu de trois, le
montant maximal des amendes, de façon à les rendre efficaces et plus que
symboliques.
Enfin, il fallait normaliser les jurisprudences, encore beaucoup trop
disparates en la matière, en précisant les attributions respectives des
tribunauxx compétents concernant la poursuite, l'instruction et le jugement.
Le Sénat avait donc précisé la compétence du tribunal de grande instance de
Paris pour le jugement des infractions survenues dans la zone économique
exclusive et en haute mer pour les seuls navires français.
Il avait précisé la compétence de certains tribunaux spécialisés du littoral
maritime désignés par décret pour le jugement des infractions commises dans les
eaux territoriales, c'est-à-dire 12 milles à partir de la côte.
Il avait par ailleurs prévu une compétence concurrente des ministères publics
du tribunal de grande instance de Paris, des tribunaux de grande instance
spécialisés et des tribunaux territoriaux qualifiés, concernant la poursuite et
l'instruction.
Le Sénat avait, en outre, adopté quatre articles additionnels.
Le premier portait sur la responsabilité pénale des personnes morales. M.
Badinter avait, à juste titre, beaucoup insisté sur ce point en commission des
lois.
Le deuxième article additionnel traitait de la possibilité d'incriminer les
armateurs à l'origine de la pollution, sans qu'il soit nécessaire d'apporter la
preuve, comme l'exige la législation actuelle, d'un ordre écrit. Quel armateur
donnerait à son capitaine l'ordre de commettre une infraction ?
Le troisième article additionnel prévoyait que les frais d'immobilisation du
navire ayant servi à commettre les infractions sont à la charge de l'armateur,
au sens du terme générique.
Enfin, le dernier article additionnel, qui résultait d'un amendement de notre
excellente collègue Mme Heinis, portait sur la désignation d'une nouvelle
infraction en matière de pollution maritime. Il tendait à introduire un nouvel
article dans le code de l'environnement réprimant le déversement de déchets en
mer autres que les hydrocarbures ; je pense, par exemple, aux plastiques ou
tout simplement aux ordures provenant des bateaux.
J'en viens aux travaux de l'Assemblée nationale en deuxième lecture.
Elle a majoritairement approuvé les modifications apportées par le Sénat.
Elle a néanmoins adopté un amendement rédactionnel - l'article 5 - visant à
mieux clarifier encore la compétence des tribunaux de grande instance
spécialisés du littoral maritime, compétence exclusive pour les jugements
concernant les eaux territoriales.
En outre, l'Assemblée nationale a adopté un amendement de suppression de
l'article 8. Cet article additionnel relatif aux déversements d'ordures avait
été introduit par le Sénat sur l'initiative de Mme Heinis et accepté par le
Gouvernement, cela malgré l'avis défavorable de la commission des lois, non
parce qu'il concernait le déversement d'ordures et de déchets, mais parce que
cette infraction est déjà plus durement et plus efficacement sanctionnée par
l'article L. 218-18 du code de l'environnement, en application de la convention
Marpol, qui est applicable à tous les navires sans distinction de taille.
Enfin, l'Assemblée nationale a adopté un amendement - l'article 9 - visant à
étendre les possibilités du contrôle par les douanes des navires dans la zone
contiguë - 12 milles à 24 milles - quatrième zone où peuvent s'exercer les
pouvoirs de police. Il s'agit de modifier l'article 62 du code des douanes pour
étendre le contrôle douanier aux navires de plus de 1 000 tonneaux de jauge
brute, l'actuelle limitation de tonnage étant préjudiciable à la prévention des
risques de pollution.
Les modifications qui ont été apportées en deuxième lecture par l'Assemblée
nationale sont parfaitement fondées. En conséquence, je vous propose d'adopter
conforme la proposition de loi qui nous est soumise en seconde lecture.
Votre décision à cet égard permettrait d'entamer sans retard la mise en oeuvre
de cette proposition, dont l'urgence n'est plus à démontrer, tant ont tendance
à se multiplier les pollutions sauvages de la mer.
La mer est en danger, prenons-en conscience. Rien ne doit retarder les mesures
que nous devons instaurer pour la défendre !
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la
discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du
Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
Article 5