SEANCE DU 22 NOVEMBRE 2000
ÉLECTIONS À L'ASSEMBLÉE
DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE
Discussion d'une proposition de loi organique
déclarée d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique (n°
439, 1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration
d'urgence, destinée à améliorer l'équité des élections à l'assemblée de la
Polynésie française. [Rapport n° 76 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Monsieur le président, monsieur le
rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j'étais, il y a peu, à la fin du
mois d'octobre, en Polynésie française où j'ai pu, de manière très concrète,
mesurer par moi-même, en parcourant ce territoire de Papeete à Rangiroa puis en
allant à Tikehau, l'importance, et la difficulté aussi, du débat que nous
allons avoir aujourd'hui.
En effet, la Polynésie est un territoire impressionnant, par ses dimensions,
ses distances, les modes de communication qui y sont nécessaires, mais aussi
par le caractère peu homogène de la répartition de la population.
L'on y constate aussi, et je voudrais d'emblée insister sur ce point, car j'en
ai recueilli le témoignage auprès de nombreux élus du territoire, plusieurs
déséquilibres en termes de fonctionnement, d'organisation et d'expression de la
démocratie.
Il y existe, d'abord, un déséquilibre à l'assemblée territoriale dans la
répartition des sièges de conseiller territorial. C'est l'objet de la
proposition de loi qui vous est soumise.
S'y ajoute un déséquilibre dans la place reconnue aux communes en Polynésie
française. Il résulte de la survivance de textes anciens en matière d'autonomie
communale. Les lois de décentralisation ne sont en effet pas applicables
aujourd'hui à la Polynésie, qui fonctionne encore sous le régime de la
tutelle.
S'agissant des élections pour les conseils municipaux, c'est, là encore, la
survivance d'anciens textes qui conduit à ce que l'opposition n'y soit pas ou
soit mal représentée. Et les nombreux maires de métropole comme d'outre-mer qui
assistent aujourd'hui, depuis les tribunes, à nos débats comprennent, j'en suis
persuadé, ce que je veux dire. En d'autres termes, aujourd'hui, les communes de
Polynésie sont dans la situation que connaissaient les communes de métropole
avant les lois de décentralisation.
Il y a donc en effet une source de déséquilibre dans l'organisation
territoriale de la Polynésie.
L'absence d'échelon intermédiaire entre les communes, d'une part, et le
gouvernement et l'assemblée territoriale, d'autre part, m'a également été
souvent présentée comme un déficit qu'il conviendrait de combler le cas
échéant.
S'agissant des aspects communaux, le Gouvernement souhaite, et l'ensemble des
parlementaires de Polynésie que j'ai rencontrés sur place en sont d'accord,
mettre en chantier la réforme du statut communal durant la présente
législature.
M. Jean-Jacques Hyest.
Oui !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Je sais, et M. Hyest me le confirmait encore ce matin
même, devant la commission des lois, que vous êtes nombreux ici à être
attentifs au devenir de la réforme communale en Polynésie française.
L'Association des maires de Polynésie et l'assemblée territoriale adhèrent
d'ailleurs à cette perspective, à laquelle il faudra donc donner prochainement
un contenu.
Plus généralement, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai perçu, en
Polynésie, une demande de démocratie, une demande d'affirmation de l'intérêt
général. C'est, je crois, tout simplement une demande de République qui
s'exprime.
Mais, pour revenir très directement à l'objet de cette séance, j'ai pu
constater que le renforcement de la représentativité des élus et l'équilibre
dans la répartition des sièges constituaient un objectif partagé par tous, à
Paris - le rapporteur M. Lanier va, j'en suis sûr, le démontrer une nouvelle
fois aujourd'hui - aussi bien qu'à Papeete, où je l'ai constaté moi-même.
La proposition de loi organique visant à améliorer l'équité des élections à
l'assemblée de la Polynésie française, déposée par le député M. Emile
Vernaudon, a été adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale le 22 juin
dernier.
Compte tenu du déséquilibre constaté, c'est un véritable « devoir démocratique
» qu'une réforme de la répartition des sièges à l'assemblée de la Polynésie
française intervienne avant les prochaines élections territoriales prévues en
mai 2001, et c'est pourquoi mon prédécesseur, M. Jean-Jack Queyranne, avait
déclaré l'urgence sur ce texte.
Dans son rapport, au nom de la commission des lois du Sénat, M. Lanier
rappelle que j'ai toujours été hostile à la transformation des règles du jeu à
quelques semaines des scrutins.
M. Lucien Lanier,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
C'est vrai
!
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Le député ne fera pas mentir le secrétaire d'Etat.
Monsieur le sénateur, vous avez en effet cité un débat de l'Assemblée nationale
qui concernait l'unification du mode de scrutin régional. Je vous confirme
cette position. En ce qui concerne la Polynésie, heureusement, nous sommes
encore à six mois, et non pas à quelques semaines, du scrutin territorial.
Mais, c'est surtout, et j'insiste sur ce point, la présence du consensus, tant
au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, sur la nécessité de corriger le
déséquilibre dans la représentation de la circonscription des Iles-du-Vent qui
nous conduit à souhaiter faire progresser la démocratie en Polynésie française
en rééquilibrant la représentation des différentes circonscriptions.
Chaque parlementaire de Polynésie a d'ailleurs déposé une proposition de loi
visant à corriger ce déséquilibre. Le constat est donc fait par tous. L'un de
mes excellents prédécesseurs, M. Perben, s'est d'ailleurs joint à cet exercice.
C'est une caution supplémentaire. Le Gouvernement n'est donc pas à l'initiative
de cette modification mais, s'agissant d'une question d'équité dans la
représentation des populations, il ne peut, bien sûr, que soutenir cette
démarche de rééquilibrage et il fera tout pour qu'elle s'applique le plus
rapidement possible.
Aujourd'hui, la représentation des habitants des différentes circonscriptions
électorales au sein de l'assemblée de la Polynésie française n'est pas
satisfaisante.
Le nombre des sièges de l'assemblée et leur répartition au sein de cinq
circonscriptions ont été fixés, je le rappelle, par la loi du 18 décembre 1985.
L'assemblée est composée de quarante et un membres, élus selon la répartition
suivante : Iles-du-Vent - Tahiti et Moorea pour l'essentiel - vingt-deux
conseillers ; Iles-sous-le-Vent, huit conseillers ; Iles Australes, trois
conseillers ; Iles Marquises, trois conseillers ; Iles Tuamotu-Gambier, cinq
conseillers.
Or, avec près de 165 000 habitants au dernier recensement de 1996, les
Iles-du-Vent représentent près de 74 % de la population mais ne disposent que
de 53,6 % des sièges. C'est la traduction de ce déséquilibre.
Il est donc indispensable de rééquilibrer la répartition des sièges au profit
des Iles-du-Vent.
Or, vous le savez - votre rapporteur M. Lucien Lanier l'a longuement développé
- la représentation des différentes circonscriptions doit répondre à deux
exigences fortes. La première, c'est le principe d'égalité, qui impose que le
suffrage de chaque électeur pèse d'un poids identique. La seconde exigence,
c'est que l'élection doit se faire sur des bases essentiellement
démographiques. Cela ne signifie pas, bien entendu, qu'une stricte
proportionnalité doit être respectée : la démocratie, chacun en conviendra,
n'est pas un exercice de mathématique.
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
Très bien !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Le Conseil constitutionnel a reconnu au législateur,
notamment dans la décision du 8 août 1985 sur la Nouvelle-Calédonie, la
possibilité de tenir compte également d'impératifs précis d'intérêt général.
On peut ainsi penser que la représentation d'archipels éloignés par un nombre
minimal d'élus s'inscrit dans cette jurisprudence, mais seulement en complément
de la prise en compte du poids démographique réel de ces îles.
Cette réforme n'est pas seulement un devoir démocratique ; elle est aussi une
exigence constitutionnelle.
En effet, pour le Conseil constitutionnel, le critère de la population reste
essentiel. Il a été appliqué tant pour l'élection de députés dans une décision
de juillet 1986 que pour l'élection des membres du conseil municipal de la
ville de Marseille. Il est également appliqué par le Conseil d'Etat pour le
contrôle du découpage cantonal.
Aussi - je ne crains pas de le rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs -
la nécessité de procéder à un rééquilibrage de la représentation au profit des
Iles-du-Vent est bien aujourd'hui une exigence constitutionnelle à satisfaire
avant les prochaines élections.
Ce diagnostic est largement partagé. J'en veux pour preuve la multiplication
des propositions de loi qui se sont fait jour, émanant - M. le rapporteur y
reviendra - de tous les parlementaires de Polynésie française. Ainsi, votre
collègue M. Gaston Flosse avait déposé une proposition de loi organique en ce
sens.
Cette proposition de loi ne pouvait prospérer, compte tenu du risque
constitutionnel : l'assemblée territoriale avait certes formulé un voeu par une
délibération de mai 1999, mais il ne s'agissait que d'un voeu, et non d'un avis
formel sur la proposition de loi.
C'est pourquoi l'Assemblée nationale a pris l'initiative d'examiner la
proposition de loi déposée par M. Emile Vernaudon, qui attribue, à effectif de
l'assemblée constant, vingt-neuf sièges aux Iles-du-Vent au lieu de vingt-deux
actuellement, cinq sièges aux Iles-sous-le-Vent, deux sièges aux Iles
Marquises, deux sièges aux Iles Australes et 3 sièges aux Iles Tuamotu et
Gambier.
Aujourd'hui, la commission des lois du Sénat propose, en s'inspirant d'une
autre proposition qui avait été formulée par deux députés, M. Buillard,
représentant de la Polynésie française, et M. Perben, de porter à trente
sièges, soit huit sièges supplémentaires, la représentation des Iles-du-Vent
tout en maintenant le nombre de sièges actuellement attribués aux archipels. Ce
chiffre a été accueilli favorablement par l'assemblée de la Polynésie
française, comme elle me l'a rappelé lors de mon déplacement.
L'objectif est donc toujours de rechercher une solution qui permette d'aller
vers l'égalité des suffrages, en accordant une plus forte représentation aux
Iles-du-Vent tout en assurant une représentation des archipels éloignés pour
tenir compte des spécificités du territoire. La position adoptée par votre
commission a pour conséquence, à la différence du vote des députés, d'augmenter
le nombre de membres de l'assemblée territoriale.
La proposition de loi organique adoptée par l'Assemblée nationale le 22 juin
1999 et que vous examinez pour la première fois aujourd'hui peut être
considérée comme l'une des solutions susceptibles de répondre à l'ensemble des
objectifs fixés.
Tout en conservant le nombre actuel de sièges, soit quarante et un, la
redistribution des sièges permet de parvenir à un équilibre qui, de toute
façon, est plus satisfaisant que la situation actuelle. Elle est réalisée par
le transfert de sept sièges aux Iles-du-Vent, qui éliraient vingt-neuf
conseillers : vingt-deux plus sept. Elle assure, à sa manière, le rééquilibrage
démographique recherché. Les Iles-du-Vent disposeraient d'un peu plus de 70 %
des sièges pour près de 74 % de la population.
Les écarts par rapport à la moyenne seraient très sensiblement réduits. De ce
point de vue, les exigences du Conseil constitutionnel seraient satisfaites.
Les archipels continueraient de bénéficier d'une représentation supérieure à
celle que commanderait la simple proportionnalité par rapport à leur
population. Je ne crois pas que rééquilibrer ainsi la représentation des
circonscriptions les plus peuplées aille « à contre-courant de l'histoire »,
pour reprendre votre expression, monsieur le rapporteur. Elle va vers plus
d'équité et ce sont ces arguments qui avaient emporté l'adhésion de l'Assemblée
nationale. Le Gouvernement avait d'ailleurs accueilli favorablement une telle
solution.
Il est de toute façon indispensable de renforcer la légitimité de l'assemblée
délibérante de la Polynésie française qui, bientôt, verra son statut modifié,
conformément au voeu des deux assemblées, après l'approbation de la
modification constitutionnelle par le Congrès du Parlement qui avait été
envisagée voilà quelques mois et qui est différée.
En conclusion, le texte voté par l'Assemblée nationale constitue, à n'en pas
douter, un réel progrès par rapport à la situation actuelle. La discussion doit
toutefois se poursuivre entre les deux chambres.
Enfin, j'évoquerai deux amendements qui ont été déposés sur un sujet dont on
m'a beaucoup parlé lors de mon déplacement en Polynésie : la concomitance des
élections municipales et des élections territoriales. Ces amendements ont un
objectif là encore digne du plus grand intérêt sur le plan de la démocratie
locale. En effet, organiser le même jour des élections différentes peut
permettre de faciliter la gestion administrative des élections, d'en réduire
les coûts pour les candidats comme pour l'Etat et, c'est tout aussi important,
d'encourager les électeurs à se rendre aux urnes.
Permettez-moi de relever que si le Parlement n'avait pas été conduit à
repousser les élections en 1996 à la suite d'une proposition de loi de M.
Pierre Mazeaud, alors député, pour permettre - c'était tout à fait fondé - aux
élections territoriales de n'avoir lieu qu'après l'adoption du nouveau statut
de la Polynésie française, cette simultanéité des élections municipales et
territoriales aurait tout naturellement eu lieu en 2001.
Ces éléments doivent, comme les autres, être versés au débat. Le Gouvernement
s'en remettra, sur ce point, à la sagesse du Parlement.
Il reste envisageable, et j'en terminerai par là, que la représentation
nationale recherche - le Sénat va, j'en suis sûr, y contribuer cet après-midi -
une solution qui puisse recueillir une large adhésion et qui rende le scrutin
territorial en Polynésie française plus équitable tout en veillant à ne pas
corriger un déséquilibre en créant un autre déséquilibre dans l'indispensable
représentation des archipels. La démocratie commande, et c'est l'ensemble des
Polynésiens qui en bénéficieront.
(Applaudissements sur les travées
socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. le
rapporteur et M. Robert Laufoaulu applaudissent également.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pourquoi, oui,
pourquoi revenir sur un sujet dont nous avons déjà débattu voilà un an lors de
l'examen d'une proposition de loi organique présentée par notre collègue M.
Gaston Flosse, ici présent ?
Ce texte avait pour objet essentiel d'améliorer la répartition des sièges à
l'assemblée de la Polynésie française en tenant compte, d'une part, des
évolutions démographiques et, d'autre part, de l'impérieuse nécessité de
préserver un juste équilibre entre les divers archipels disposés, je le
rappelle, en cinq circonscriptions électorales, où se répartissent
quarante-huit communes. Equilibre, donc, qui se doit conforme au principe de
l'équité, qu'elle soit politique, sociale et, bien sûr, culturelle.
Cette proposition était adoptée par le Sénat le 23 novembre 1999. Le
Gouvernement avait affirmé par la voix de Daniel Vaillant, aujourd'hui ministre
de l'intérieur, son souhait « de concilier la nécessité de rééquilibrer la
représentation (...) sans pénaliser celle des archipels éloignés sous prétexte
qu'ils sont plus faiblement peuplés ». « Diminuer la représentation des
archipels irait à l'encontre de cette volonté de rééquilibrage », avait-il
également indiqué.
Les choses étaient d'autant plus claires que tout le monde constatait
l'urgence de cette proposition à l'approche du renouvellement de l'assemblée de
la Polynésie française prévu en mai 2001.
Qu'en a-t-il été ? Malgré ses prises de position très claires et extrêmement
précises, le Gouvernement s'est abstenu de donner suite au déroulement du
processus parlementaire entamé par le Sénat, sans présenter lui-même, comme il
l'avait d'ailleurs prévu, aucun contre-projet.
Ce n'est qu'après six mois d'attente que l'Assemblée nationale fut saisie du
sujet et adopta une proposition de loi organique, le 26 juin dernier, aux
dernières limites de la fin de la précédente session !
C'est ce texte qui nous est aujourd'hui soumis, inscrit à l'ordre du jour
prioritaire après déclaration d'urgence, et ce à moins de six mois de
l'échéance électorale de mai 2001 qui doit renouveler l'assemblée de la
Polynésie française.
Qu'il me soit seulement permis de remarquer la contradiction entre le constat
unanime d'une réforme indispensable et le cheminement laborieux de cette
dernière, la difficulté n'étant, à l'évidence, pas seulement d'ordre
technique.
Considérons avec sagesse le constat qui fait l'unanimité, c'est-à-dire la
nécessité de procéder à une nouvelle répartition des sièges de l'assemblée de
la Polynésie française.
A cet égard, je souscris pleinement, monsieur le secrétaire d'Etat, aux propos
que vous avez tenus tout à l'heure, en faisant un peu, au sujet de la proximité
de mai 2001, la réponse du berger à la bergère : je suis tout à fait convaincu
de l'absolue nécessité de procéder à une nouvelle répartition des sièges, mais,
en même temps, je pense que la déclaration d'urgence aurait pu être évitée
alors que nous sommes maintenant si près de mai 2001.
Procéder à une nouvelle répartition des sièges est en tout état de cause une
nécessité pour plusieurs raisons.
La première, c'est que rien n'a été fait depuis 1985 pour tenir compte
d'évidentes évolutions ; la deuxième raison est la progression démographique
très diversifiée que révèlent les recensements de 1988 et de 1996 ; la
troisième raison est la spécificité accrue des archipels ; la quatrième raison
est la transformation potentielle de la Polynésie française en « pays
d'outre-mer » ; enfin, la cinquième raison est, nous l'avons dit, la proximité
de l'élection de mai 2001 pour renouveler l'assemblée de la Polynésie
française.
Prenons la première raison : la répartition des sièges entre les cinq
circonscriptions électorales a été révisée trois fois - en 1952, en 1957 et en
1985 - pour tenir compte des évolutions démographiques.
Aucune révision n'est intervenue depuis 1985. Or, au cours de ces quinze
dernières années, l'évolution de la Polynésie française a été considérable, non
seulement démographiquement, mais aussi économiquement et socialement. La
fermeture du centre d'expérimentation du Pacifique en est la cause première, en
bien comme en moins bien !
Or, la révision du nombre de sièges à pourvoir dépend de trois paramètres :
tout d'abord, l'importance relative de la progression démographique au cours
des quinze dernières années ; ensuite, la part démographique de tel archipel
considéré au sein de la population totale de la Polynésie française ; enfin, la
nécessité d'une représentation minimale pour les archipels les moins peuplés
mais dont la spécificité doit être respectée.
L'application de ces trois critères fait apparaître l'évident besoin de
rééquilibrer les sièges de l'Assemblée au bénéfice des Iles-du-Vent,
c'est-à-dire des îles qui ont pour ville principale Papeete, capitale de la
Polynésie.
En effet, en nous fondant sur les deux recensements intervenus en 1988 et en
1996, nous constatons que les cinq archipels, circonscriptions électorales,
sont tous en progression démographique, mais d'une façon diversifiée, ce qui
tend à creuser des écarts non négligeables auxquels il convient de remédier.
Ainsi, et bien que son taux d'accroissement annuel se soit considérablement
réduit - de 8,5 % à 2,5 % - les Iles-du-Vent rassemblent encore près des trois
quarts de la population polynésienne, phénomène dû en grande part à l'attrait,
souvent illusoire, de la capitale Papeete.
Comparativement, la population des Iles-sous-le-Vent, dont l'île principale,
bien connue, est Bora-Bora, connaît un rythme de progression plus accéléré et
représente 12,2 % de la population d'ensemble, tandis que ce pourcentage
atteint 7 % pour les Iles Tuamotu et Gambier, 3,7 % pour les Iles Marquises et
3 % pour les Iles Australes.
Nous voici donc confrontés au principe constitutionnel de l'égalité des
suffrages et à l'impérieuse nécessité d'une application spécifique à la
Polynésie française.
En effet, le Conseil constitutionnel a fondé la jurisprudence de l'égalité des
suffrages sur trois critères : premièrement, la prise en considération des
évolutions démographiques ; deuxièmement, la prépondérance du critère
démographique pour la répartition des sièges ; troisièmement, la possibilité de
pondérer la répartition des sièges en considération des impératifs d'intérêt
général.
Jusqu'alors, ces trois critères ont été appliqués en métropole et en
Nouvelle-Calédonie, mais à des entités géographiquement groupées. Aucune
décision, à cet égard, n'a jusqu'alors concerné directement la Polynésie
française, à laquelle s'applique plus qu'ailleurs le troisième critère
susceptible de pondérer la répartition des sièges.
Rappelons une fois encore, pour mieux comprendre le contexte, que nous sommes
en présence d'étendues considérables : 4 200 kilomètres carrés seulement de
terres émergées, comportant 118 îles ou îlots au sein de 5,5 millions de
kilomètres carrés.
L'éloignement est de rigueur, non seulement par rapport à la métropole - 18
000 kilomètres de distance - mais aussi entre les archipels comme entre les
îles qui les composent. Cela correspondrait, en Europe, à une distance allant,
au Sud, de l'Espagne à la Bulgarie, et, au Nord, de l'Irlande à la Pologne.
Cette immense dispersion géographique et insulaire, à laquelle répond la
diversité de ses composants, économiquement et socialement, implique une
interprétation souple de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et
l'aménagement d'un équilibre réfléchi, hors des considérations d'intérêts
personnels - je m'empresse de le dire - garantissant certes l'importance
démographique, mais conjurant les risques d'une marginalisation des archipels
par rapport à Papeete, dont les conséquences seraient graves pour la cohésion
de la Polynésie française, laquelle est bien un impératif d'intérêt général.
Elle l'est d'autant plus que la Polynésie française est sur le point de
devenir un « pays d'outre-mer », seul de cette définition, conformément au
projet de loi constitutionnel voté en termes identiques par les deux
assemblées, projet qui devait être adopté par le Congrès prévu le 24 janvier
dernier, dont la réunion fut annulée, laissant ainsi le projet en attente.
Ajoutons enfin que l'une des raisons motivant l'urgence de la réforme, après
un certain attentisme du Gouvernement - et ne voyez aucune connotation
péjorative dans mon propos, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est juste un
constat que je dresse - reste l'échéance qui se rapproche promptement du
scrutin territorial de mai 2001, portant renouvellement de l'assemblée de la
Polynésie française.
Il convient, en l'occurrence, de bien constater que, malgré la déclaration
d'urgence et à la date où nous sommes, la réforme - vous l'avez d'ailleurs dit
vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat - ne peut intervenir effectivement que
moins de six mois avant la date du scrutin, ce qui contredit le principe
démocratique interdisant de modifier les règles électorales dans l'année
précédant le scrutin. On jouera donc sur le principe pour le mieux
transgresser. Mais il importe de le transgresser parce que, comme vous l'avez
dit vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, l'urgence prime. Il faut faire
quelque chose. Nous ne pouvons pas nous abstenir de faire quoi que ce soit sous
prétexte de l'existence de principes, lesquels principes ne sont d'ailleurs pas
des lois. En effet, cela irait à l'encontre même de la démocratie pleinement
appliquée. Vous avez d'ailleurs reconnu, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il y
avait là une exigence et, vous citant vous-même, vous avez considéré, compte
tenu de cette dernière, que vous ne vous contredisiez pas mais que vous suiviez
l'évolution des choses.
Il est donc navrant de voir que l'impératif d'une réforme aussi indispensable
s'est heurté à une phase d'inertie particulièrement déplorable.
Quoi qu'il en soit, le dispositif que préconise l'Assemblée nationale est
celui d'une proposition de loi organique, présentée par M. Vernaudon, député de
Polynésie, après qu'il eut proposé une première solution, particulièrement
drastique, suggérant une circonscription unique à la proportionnelle, solution
qui fut repoussée à juste titre et avec sagesse par l'Assemblée nationale
puisqu'elle brisait toute représentation institutionnelle des archipels dits «
éloignés ».
Le dispositif retenu en définitive par l'Assemblée nationale procède à une
redistribution des sièges entre les cinq archipels qui forment autant de
circonscriptions électorales.
Le nombre total des sièges à l'assemblée de la Polynésie française demeurerait
inchangé, soit quarante et un sièges, mais sept des sièges actuellement
attribués aux archipels éloignés seraient reportés sur les Iles-du-Vent,
c'est-à-dire sur Tahiti et sur Papeete.
Ainsi les Iles-sous-le-Vent, pourtant en expansion démographique, perdraient
trois sièges sur les huit qu'elles possèdent actuellement ; les Iles Tuamotu et
Gambier perdraient deux sièges sur cinq ; les Iles Marquises et les Iles
Australes perdraient un siège sur trois.
Or, ce dispositif, s'il reconnaît l'augmentation logique des Iles-du-Vent, qui
regroupent, je le rappelle, trois quarts de la population globale, présente
l'immense inconvénient de réduire en données absolues la représentation des
quatre autres archipels, circonscriptions électorales, ce qui va à
contre-courant de leur mouvement de renaissance démographique face au surcroît
de population de Papeete, souvent en proie au chômage.
Enfin, un tel dispositif marque, à un moment parfaitement inopportun, un
retour en arrière, dès lors que, depuis 1946, les archipels n'ont jamais perdu
de siège, bien au contraire, et que certains d'entre eux progressent, mouvement
qu'il convient de favoriser.
Un puissant mouvement de protestation, voire de sécession, ne manquerait pas
de voir le jour, particulièrement de la part des archipels aux spécificités les
plus affirmées, qui ont besoin d'être représentées et donc des'exprimer à
l'assemblée de la Polynésie française.
J'ai pesé mes mots, monsieur le secrétaire d'Etat. En tout cas, mon collègue
Guy Allouche et moi-même avons constaté sur place ces différences entre les
archipels. Ainsi, les Iles Marquises sont effectivement très différentes des
Iles-du-Vent ou des Iles-sous-le-Vent, et nous ne pouvons pas les
sous-représenter.
Ajoutons que le scrutin proportionnel qui est actuellement en vigueur serait
peu compatible avec un nombre de sièges trop réduit dans certains archipels.
Enfin, les débats au Sénat, à l'automne 1999, ont révélé un front unanime pour
refuser toute solution qui réduirait la représentation des quatre archipels
autres que celui des Iles-du-Vent. En effet, le Gouvernement déclarait alors
que « diminuer la représentation des archipels irait à l'encontre de la volonté
de rééquilibrage », et notre excellent collègue Guy Allouche, spécialiste et
fin connaisseur des problèmes de la Polynésie, reconnaissait lui-même que « la
proposition Vernaudon minore et sous-représente gravement - j'insiste,
disait-il, sur ce mot - les archipels des Marquises, des Tuamotu et Gambier,
des Iles Australes et des Iles-sous-le-Vent. La spécificité polynésienne
commande - j'insiste sur ce terme, ajoutait-il - de ne pas toucher à la
représentation actuelle des archipels ». Il avait parfaitement raison ! Je
voulais, à dessein, citer ces déclarations de bon sens.
L'assemblée de la Polynésie française elle-même, consultée, donnait à cette
proposition - celle que je viens de citer, que l'on appelle « la proposition
Vernaudon » - un avis défavorable et dûment commenté.
Mais,
a contrario
, cette même assemblée a proposé une solution plus
nuancée, à savoir augmenter de huit sièges la dotation des Iles-du-Vent sans
réduire pour autant celles des quatre autres archipels, solution qui présente
l'avantage d'une extrême clarté et d'une grande simplicité.
Cette proposition a fait l'objet d'un mémorandum cosigné par l'assemblée de
Polynésie française, par le comité économique, social et culturel, par
l'association des maires de Polynésie française et par le président du parti
d'opposition, Boris Leontieff, ainsi que par deux des trois parlementaires de
Polynésie ; bref, par la quasi-totalité des élus, sauf ceux qui présentent ce
projet, à savoir M. Vernaudon et les indépendantistes.
Cette proposition a d'ailleurs été reprise - sans être retenue - devant
l'Assemblée nationale par Michel Buillard, député-maire de Papeete, et par
Dominique Perben, ancien ministre de l'outre-mer.
J'ai proposé à notre commission des lois de faire sienne cette proposition,
parce qu'elle permet, d'une part, de réduire substantiellement les écarts de
représentation d'un archipel à l'autre et de répondre mieux à la jurisprudence
du Conseil constitutionnel, et, d'autre part, de préserver une représentation
significative des archipels les plus éloignés.
Elle va donc dans le sens du rééquilibrage souhaité et du principe d'égalité
des suffrages.
En effet, l'écart maximum serait réduit d'un point par rapport à la situation
actuelle, passant de 3,38 à 2,47. Ces écarts sont nettement inférieurs à ceux
que le législateur avait admis en 1985 !
Ce dispositif porterait à quarante-neuf conseillers l'effectif global de
l'assemblée, ce qui est parfaitement acceptable pour une population de 220 000
âmes. Le nombre d'élus des Iles-du-Vent passerait ainsi de vingt-deux à trente,
les autres circoncriptions étant inchangées : Iles-sous-le-Vent, huit sièges ;
archipels de Tuamotu et Gambier, cinq sièges ; archipel des Marquises, trois
sièges ; Iles Australes, trois sièges.
C'est ainsi qu'est rédigé, par un amendement unique, l'article 1er de notre
proposition.
Quant à l'article 2 de la proposition de l'Assemblée nationale, il correspond
à une simple clarification formelle concernant le mode de scrutin de liste à la
proportionnelle à la plus forte moyenne.
En conclusion, la commission des lois vous propose d'abord d'augmenter de huit
sièges la dotation des Iles-du Vent, afin de réduire substantiellement les
écarts entre cette circonscription et les autres.
Elle vous propose ensuite de ne pas modifier la représentation des quatre
autres circonscriptions, afin de maintenir une représentation significative de
ces archipels.
Elle vous propose de répondre ainsi à la grande majorité des élus, qui ont
donné un avis favorable à la solution préconisée par la commission des lois.
Elle vous propose, enfin, d'affirmer l'urgence d'un rééquilibrage des sièges à
l'assemblée de la Polynésie française, qui, justement évalué, répond à un
besoin réel qui n'a pas été pris en considération depuis 1985.
En conséquence, la commission des lois vous propose de voter la présente
proposition ainsi amendée en son article 1er.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
Sénat a déjà été saisi d'une proposition de loi sur le sujet qui nous occupe
aujourd'hui. Il avait alors pris l'initiative de rééquilibrer la représentation
des Iles-sous-le-Vent, des Iles-du-Vent et des archipels, car il lui
paraissait, compte tenu de l'évolution démographique, que leur représentation
n'était pas homogène.
Pour des raisons que M. le rapporteur a excellement indiquées, le texte n'a
pas abouti et d'autres propositions ont été formulées.
Je passerai sur le fait que l'une d'entre elles envisageait d'instaurer une
circonscription unique : tout le monde a vite renoncé à cette solution,
estimant qu'il fallait une représentation spécifique des archipels et qu'il
convenait de préserver les circonscriptions telles qu'elles existaient depuis
1946. De ce point de vue, les propositions excessives ont donc été rejetées.
La proposition de loi votée par l'Assemblée nationale contient deux éléments
qui me paraissent étonnants.
En premier lieu, elle réduit, dans certains cas, la représentation à deux
sièges, mais garde le scrutin proportionnel. Or, pour l'élection des députés,
n'a-t-on pas reconnu qu'il fallait garder le scrutin majoritaire dès lors que
deux sièges étaient à pourvoir ? Voilà qui montre donc le sérieux du vote de
l'Assemblée nationale !
En second lieu, je note - pour m'en réjouir, cette fois, et je ne proposerai
aucune modification à ce sujet - que, alors que, en cas d'égalité des
suffrages, elle avait prévu de faire élire le plus jeune, en l'occurrence, on
fera élire le plus âgé. Comme quoi on est plus sage en Polynésie que, parfois,
en métropole ! L'Assemblée nationale n'est donc pas allée jusqu'au bout de ses
innovations, qui sont parfois curieuses.
M. Guy Allouche.
Les Polynésiens sont toujours jeunes !
M. Jean-Jacques Hyest.
Quel que soit leur âge, ils sont jeunes !
M. Pierre Fauchon,
vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation,
du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
C'est
comme au Sénat !
(Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est en effet vrai dans un certain nombre d'assemblées, notamment ici.
On peut discuter à perte de vue sur le critère démographique, essentiel selon
la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Toutefois, on peut en trouver
d'autres ! Aucune assemblée ne répond, en effet, au seul critère strictement
démographique, et nous savons très bien, par exemple, que, dans nos conseils
généraux, il est généralement admis qu'aucun canton ne peut représenter plus du
double d'habitants de la moyenne départementale, répondant ainsi à la
jurisprudence du Conseil d'Etat. Au demeurant, le Gouvernement ne propose des
modifications en la matière que lorsque cela l'arrange ! Et ce sont, monsieur
le secrétaire d'Etat, des habitudes prises par tous les gouvernements.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
« Les » gouvernements, en effet.
M. Jean-Jacques Hyest.
Oui, tous les gouvernements !
Par ailleurs, comme l'a dit M. le rapporteur - et je n'insisterai pas -,
diminuer la représentation des archipels me paraîtrait aller à l'encontre de la
politique globale d'aménagement du territoire de la Polynésie.
Il est vrai qu'il existe une volonté politique de rééquilibrer la population
entre les archipels et les Iles-du-Vent : tous souhaitent éviter la
concentration des populations à Tahiti et, au contraire, développer les
archipels. Ce n'est donc pas le moment, à mon avis, de diminuer leur
représentation.
Une proposition avait été faite par le Sénat pour augmenter la représentation
des Iles-du-Vent, et une nouvelle proposition, qui a recueilli l'avis favorable
de l'assemblée territoriale, nous est faite aujourd'hui. Je crois que, sur ce
point, nous pouvons suivre les propositions de la commission des lois.
Quelle est notre marge de manoeuvre en la circonstance ? Je crois qu'il faut
éviter qu'une seule circonscription ne puisse prendre toutes les décisions sans
tenir compte des autres. N'oubliez pas, monsieur le secrétaire d'Etat, que,
dans la loi sur la coopération intercommunale, nous avions fixé des règles pour
qu'une collectivité n'impose pas ses vues à une autre ! En l'occurrence, nous
devons donc prendre en compte le critère démographique et éviter qu'une seule
circonscription n'impose ses vues aux autres, qui auraient ainsi l'impression
d'être abandonnées.
C'est pourquoi nous soutiendrons la proposition qui nous est faite d'augmenter
la représentation des Iles-du-Vent, sans diminuer pour autant la représentation
des archipels. Cela me paraît tout à fait équilibré et conforme à tous les
principes que j'évoquais tout à l'heure.
Au-delà de cette réforme, qui intervient peut-être un peu tard compte tenu de
la date des prochaines élections, nous sommes attachés, vous le savez bien,
monsieur le secrétaire d'Etat, au statut des communes de Polynésie - cela me
paraît d'une urgence absolue - mais aussi à l'évolution du statut de la
Polynésie française, pour en faire un pays d'outre-mer.
Même si cela ne dépend pas uniquement de nous, nous espérons être
prochainement en mesure d'accorder à la Polynésie un statut moderne, à l'instar
de ce que nous avons fait pour la Nouvelle-Calédonie.
(Applaudissements sur
les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicain et Indépendants,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Collin.
M. Yvon Collin.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'objet du texte qui nous est soumis cet après-midi a le grand mérite d'être
clair, louable et intangible : il s'agit tout simplement de conférer davantage
de démocratie à l'assemblée de la Polynésie française.
Bien entendu, cela ne signifie pas, dans mon esprit, qu'elle en soit
actuellement exempte ! Heureusement, notre République ne connaît dans son
fonctionnement institutionnel que la démocratie ; mais, en certains points de
son territoire, celle-ci, à l'évidence, peut être perfectible.
C'est le cas pour la Polynésie. C'est un constat largement partagé : il existe
un déséquilibre entre la répartition des sièges au sein de l'assemblée
territoriale et les réalités démographiques. En effet, lorsque les trois quarts
de la population ne sont représentés que par à peine plus de la moitié des élus
d'une assemblée, vous en conviendrez, mes chers collègues, des aménagements
sont nécessaires.
Dans notre pays, les institutions, guidées par un principe fort - « Un homme :
une voix » - favorisent le suffrage universel et sa traduction en termes de
souveraineté nationale.
Le Conseil constitutionnel veille d'ailleurs au respect du facteur
démographique dans l'organisation du découpage électoral. Selon plusieurs de
ses décisions, si l'intérêt général peut justifier une représentation minimale
de certains territoires peu peuplés, la population d'une circonscription ne
peut s'écarter de plus de 20 % de la population moyenne des circonscriptions du
département.
En ce qui concerne la Polynésie, l'éloignement géographique de certains
archipels et leur densité de population justifient, en effet, l'atténuation du
facteur démographique.
Toutefois, le dernier recensement montre que la Polynésie s'écarte trop des
limites posées par le Conseil constitutionnel. En effet, les Iles-du-Vent sont
nettement sous-représentées puisque chaque conseiller élu de cet archipel
représente environ 7 400 habitants, contre moins de 2 200 pour l'élu des Iles
Australes.
C'est pourquoi il est aujourd'hui, à l'évidence, nécessaire de procéder à une
redistribution des sièges au sein de l'assemblée de la Polynésie française.
Mes chers collègues, les nombreuses propositions de loi déposées en ce sens
démontrent l'existence d'un consensus, du moins sur le principe, car,
s'agissant des moyens pour y parvenir, j'ai cru comprendre que les avis
divergeaient.
En ce qui concerne les radicaux de gauche, le texte présenté par le député
Emile Vernaudon, soutenu par le Gouvernement et approuvé par la majorité de
l'Assemblée nationale, recueille naturellement leur entière adhésion, et ce
pour une raison simple : ce texte se rapproche le plus du principe que
j'évoquais à l'instant, à savoir « un homme, une voix ». En effet, en portant
le nombre de conseillers des Iles-du-Vent à vingt-neuf à partir d'un
prélèvement de sièges sur ceux des autres îles, la proposition de loi aboutit,
à l'évidence, à un meilleur ratio.
Un élu représenterait 5 610 personnes dans les Iles-du-Vent, 5 368 dans les
Iles-sous-le-Vent, 5 123 dans les Iles Tuamotu et Gambier, 4 032 dans les Iles
Marquises et 3 282 dans les Iles Australes. Dans ces conditions, on serait
proche d'une représentativité élective très en rapport avec les réalités
démographiques.
Concrètement, les Iles-du-Vent récupèrent légitimement sept sièges, tandis que
les autres îles conservent deux sièges au minimum, ce qui, au regard de la
densité démographique de certaines îles, apparaît tout à fait honorable.
Aux Iles Tuamotu et Gambier, le recensement de 1996 montre que, sur cet
archipel, 70 % des électeurs sont concentrés sur huit îles, toutes situées au
nord-ouest, dans un rayon de 100 kilomètres environ. Trois conseillers
territoriaux suffisent donc pour représenter l'ensemble de l'archipel.
Aux Iles Australes, la répartition des 6 563 habitants sur les cinq îles
montre que 62 % des habitants sont regroupés sur deux îles ; donc, là aussi,
deux conseillers territoriaux suffisent pour être à l'écoute de l'ensemble de
la population.
Aux Iles Marquises, 79 % des électeurs vivent sur les trois plus grandes îles
des six qui composent l'archipel. Avec la proposition de loi d'Emile Vernaudon,
le rapport de représentativité serait d'un conseiller pour trois îles.
Aux Iles-sous-le-Vent, ce sont cinq îles qui concentrent la majorité de la
population ; donc, une fois encore, la représentativité de l'archipel serait
assurée puisque nous aurions un conseiller par grande île.
Avec une représentation maintenue à hauteur de quarante et un sièges pour
l'assemblée territoriale, les îles polynésiennes faiblement peuplées conservent
une représentativité en mesure, me semble-t-il, de répondre à leurs
attentes.
Certes, afin de ne pas froisser la population des circonscriptions auxquelles
on soustrait des sièges, la solution de facilité consisterait - je l'entends
bien - à augmenter le nombre total d'élus de l'assemblée.
Cependant, outre l'augmentation des dépenses de fonctionnement inhérente à ce
procédé, l'assemblée pourrait à terme devenir pléthorique. Imaginons que ce
choix fasse jurisprudence et qu'à chaque hausse de la population on augmente le
nombre de conseillers ! Compte tenu de l'évolution toujours croissante de la
population en Polynésie, cette solution ne paraît pas raisonnable.
C'est pourquoi le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, qui
privilégie la sagesse et, surtout, qui flatte le principe de l'égal suffrage,
pilier de notre fonctionnement démocratique, est pour nous, radicaux de gauche,
la meilleure voie.
« L'amour de la démocratie est celui de l'égalité », disait Montesquieu. Le
gage de la démocratie en Polynésie sera le choix de l'équité.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Flosse.
M. Gaston Flosse.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
voilà presque exactement un an, nous avions discuté d'une proposition de loi
que j'avais présentée avec mes collègues du RPR.
Cette proposition avait pour objet de rééquilibrer, sur le plan démographique,
la représentation des différentes circonscriptions électorales de la Polynésie
française, qui correspondent à chacun de nos archipels.
Ma proposition visait, de manière très simple, à augmenter le nombre de sièges
attribués à la circonscription des Iles-du-Vent, la plus peuplée.
Notre rapporteur, M. Lucien Lanier, avait exposé pourquoi la commission avait
estimé que l'augmentation du nombre d'élus des Iles-du-Vent devait être de six,
pour revenir aux écarts qui prévalaient en 1985, date de la dernière
modification dans la répartition des sièges, qui résultait du projet qui avait
été présenté au Parlement par le ministre de l'outre-mer de l'époque, M.
Lemoine.
Dans sa sagesse, la commission avait estimé que les ratios qui étaient bons en
1985 pouvaient le rester en 1999.
Certes, notre collègue Guy Allouche avait souhaité que le nombre de sièges des
Iles-du-Vent soit encore plus important - quatorze, je crois - comme
d'ailleurs, au nom du Gouvernement, M. Daniel Vaillant, alors ministre des
relations avec le Parlement.
Mais l'un et l'autre, mes chers collègues, avaient exprimé une position très
claire : la réforme est nécessaire et elle doit se faire par la seule
augmentation du nombre d'élus des Iles-du-Vent, aucun archipel ne devant
souffrir une diminution de sa représentation. C'est bien, cher Guy Allouche, ce
que vous aviez dit, n'est-ce pas ?...
C'est pourquoi notre texte avait été adopté à l'unanimité des suffrages
exprimés.
Le ministre, comme notre collègue socialiste, avait en outre souhaité que la
réforme électorale soit définitivement adoptée dans un délai rapide, dans le
souci qu'elle puisse être mise en application, selon l'usage républicain, plus
d'un an avant les élections à l'assemblée de la Polynésie française, fixées en
mai 2001.
Or, notre proposition n'a jamais été mise à l'ordre du jour de l'Assemblée
nationale !
Et, tout à coup, en juin dernier le Gouvernement a déclaré l'urgence sur une
proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale par M. Emile Vernaudon,
député RPR devenu RCV et dont l'audience auprès du parti socialiste est
inversement proportionnelle à son importance électorale.
(Sourires.)
C'est cette proposition de loi que la commission a examinée la semaine
dernière.
Contrairement à toutes les déclarations faites dans notre enceinte, en
particulier par le ministre Daniel Vaillant et par notre collègue Guy Allouche,
contrairement au voeu de l'assemblée de la Polynésie française, de notre
conseil économique, social et culturel, de l'association des maires de
Polynésie, la représentation des archipels éloignés est réduite de manière
drastique.
Les Iles Marquises et les Iles Australes n'auraient plus que deux
représentants, les Tuamotu et Gambier et les Iles-sous-Vent, dont la population
a augmenté de plus de 20 % entre les recensements de 1988 et de 1996,
perdraient respectivement deux et trois représentants.
Les sept sièges ainsi « gagnés » - je préfère dire « volés » - aux archipels
éloignés seraient affectés aux Iles-du-Vent.
Le résultat est que la spécificité polynésienne d'archipels à forte
personnalité, dispersés sur quelque 5 millions de kilomètres carrés d'océan,
disparaît dans la négation de leur réalité géographique, historique,
sociologique, culturelle, au nom d'une pseudo-égalité de représentation dont le
seul critère est un constat démographique déjà dépassé.
Pourquoi un tel « assassinat des archipels » ? Je reprends là l'expression de
M. Lucien Kimitete, maire de Taiohae, conseiller des Iles Marquises, membre
d'un parti d'opposition à ma majorité, le Fetia Api, mais uni à celle-ci dans
la même condamnation de la loi Vernaudon.
Eh bien ! tout simplement parce que l'objet de ce texte n'est pas l'équité,
n'est pas la justice, n'est pas la prise en compte des besoins de la Polynésie
française, mais seulement l'espoir de changer la majorité.
M. Vernaudon et ses alliés indépendantistes ne peuvent persuader les
Polynésiens qu'ils ont la capacité de gouverner ?
Qu'à cela ne tienne ! Il suffit de modifier la loi électorale, de telle sorte
qu'elle réponde à la demande. Peu importe qu'elle sacrifie l'avenir de la
Polynésie !
Ne croyez pas, mes chers collègues, que je dénonce des faits imaginaires !
Permettez-moi de citer une dépêche de l'Agence France-Presse du 12 avril 2000
: « Le premier secrétaire du PS, François Hollande, a apporté mercredi son
soutien à une proposition de loi organique pour réformer le mode de scrutin aux
élections territoriales en Polynésie française émanant de trois partis de
l'opposition au gouvernement de Gaston Flosse.
« Le texte, qui ferait de la Polynésie une seule circonscription électorale au
lieu de cinq, permettrait, selon ses auteurs, de renverser la majorité
actuelle. »
J'en viens à la déclaration vidéo de M. Hollande lors du congrès du Ai'a Api à
Tahiti : « Il y a aussi la nécessité d'une voie électorale qui permette une
véritable alternance en Polynésie ; la proposition qu'a déposée Emile et qui a
fait l'objet déjà de discussions doit permettre justement de régler une des
questions majeures pour la Polynésie, c'est-à-dire le fait que le pouvoir soit
véritablement attribué à ceux qui ont légitimité à travers des élections libres
et permettant l'expression de tous. »
Vous apprenez ainsi, mes chers collègues, comme l'ont appris avec stupeur mes
concitoyens de Polynésie, que les élections ne sont pas libres en Polynésie
française ! Eh oui, monsieur le secrétaire d'Etat !
Quelle caricature de la Polynésie a-t-on pu faire au chef d'un parti important
dans la vie nationale pour qu'il puisse s'exprimer de la sorte ?
Par ailleurs, M. Vernaudon déclarait à la tribune de l'Assemblée nationale, le
22 juin dernier : « Cette proposition de circonscription unique a laissé
espérer en Polynésie qu'un changement démocratique allait enfin se produire,
car l'application de la proportionnelle intégrale à l'ensemble de la Polynésie
signifiait la défaite assurée de la majorité locale actuelle. Je vous rappelle
d'ailleurs que la circonscription unique était revendiquée dans le mémorandum
conclu par les leaders des mouvements progressistes polynésiens, dont moi-même.
»
Mais la modification du régime électoral ne suffit évidemment pas, puisqu'on
se propose maintenant d'y ajouter une nouvelle manipulation du scrutin, en
dissociant les élections municipales en Polynésie de celles de métropole pour
les fixer à la même date que les élections territoriales - lorsque vous êtes
venu en Polynésie, monsieur le secrétaire d'Etat, vous vous êtes déclaré opposé
à la simultanéité des dates de ces élections.
Quel aveu !
Pourquoi ne pas aller directement au résultat recherché, en nommant les élus
locaux au lieu de laisser le peuple les désigner ? Ce serait plus simple !
M. Guy Allouche.
La prochaine fois !
M. Gaston Flosse.
Malgré cela, vous n'y réussirez pas, mon cher collègue !
Mais quittons ce terrain de politique politicienne,...
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Merci, monsieur le sénateur !
M. Gaston Flosse.
... où l'on se préoccupe, à quelques mois des élections, du meilleur système
électoral pour renverser une majorité que les Polynésiens ont choisie.
Restons donc sérieux, comme l'est le rapport de notre collègue Lucien Lanier,
auquel je n'ai rien à ajouter, et que j'approuve entièrement. Il respecte la
Polynésie, il respecte ses élus, il respecte les Polynésiens. Il est un hommage
à la raison et à la démocratie.
Votons donc à l'unanimité les propositions de la commission.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Mes chers collègues, à travers vous, je veux adresser un salut amical et
fraternel à tous nos compatriotes polynésiens qui sont représentés certes par
notre collègue M. Flosse mais aussi par de nombreux maires qui nous font
l'amitié d'assister aujourd'hui à nos travaux ainsi qu'à notre ancien collègue
et ami Millaud, qui est présent dans les tribunes. Il est heureux que l'examen
de cette proposition de loi organique ait lieu aujourd'hui au Sénat alors que
se tient le congrès de l'Association des maires de France auquel participent
nos collègues qui sont maires en Polynésie.
Mes chers collègues, s'il est un constat qui fait l'unanimité, c'est bien
celui de réformer le plus rapidement possible l'effectif global et la
répartition des sièges au sein de l'assemblée territoriale de la Polynésie
française.
La mise en oeuvre de cette réforme est laborieuse. Chacun conviendra que si
des difficultés d'ordre technique se posent, elles sont mineures au regard des
problèmes politiques soulevés. Est-il possible de les surmonter ? Je suis
convaincu que oui et qu'un compromis peut et doit être recherché. Pour ma part,
au nom du groupe socialiste au nom duquel je m'exprime, je m'efforcerai de vous
présenter ce qui me paraît être le fondement d'un compromis acceptable parce
que politiquement et juridiquement fondé.
J'ai lu l'excellent rapport de notre collègue, M. Lucien Lanier, fin
connaisseur de la Polynésie, mais peut-être sommes-nous allés en quelque sorte
sur les mêmes bancs d'école... Nous avons appris la Polynésie ensemble. Je lui
adresse mes félicitations pour la qualité de ce rapport dont les données sont
utiles à la compréhension des difficultés.
Notre rapporteur rappelle nos débats précédents et fait état de mes
déclarations, tant en commission qu'en séance publique. Je l'en remercie et je
ne peux que confirmer ce que je déclarais alors.
Qu'il me permette cependant d'apporter les précisions suivantes.
S'il est exact que ce débat est beaucoup trop tardif, qu'il faut veiller,
comme nombre d'entre nous l'ont dit, y compris l'actuel secrétaire d'Etat alors
député, à ne pas modifier un mode de scrutin dans les mois qui précèdent une
élection, on ne peut que reconnaître, mes chers collègues, qu'aujourd'hui nous
modifions non pas le mode de scrutin mais l'effectif de l'assemblée
territoriale polynésienne et, sur ce point, il y a un consensus. Monsieur
Lanier, le reproche n'est donc pas fondé !
Si le Sénat a été la première assemblée parlementaire à adopter une
proposition de loi organique - celle de notre collègue M. Gaston Flosse, en
novembre dernier - il faut reconnaître que notre collègue député M. Emile
Vernaudon avait déposé, bien avant Gaston Flosse, une proposition de loi ayant
le même objet. Certes, l'Assemblée nationale n'en a pas débattu, mais j'avais
déclaré que la proposition de Gaston Flosse, lors de notre débat de novembre
dernier, prenait en quelque sorte le contre-pied de celle d'Emile Vernaudon. Il
n'y a rien d'anormal à cela. Oserais-je dire que c'est le silence de Gaston
Flosse qui aurait alors étonné plus d'un d'entre nous ! Il a eu raison, et
c'est très légitime, de déposer à son tour une proposition de loi organique.
Je me dois également de rappeler que, si effectivement l'assemblée
territoriale a débattu du sujet, a formellement adopté un voeu et a avancé des
propositions de nouvelle répartition, elle l'a fait à partir du texte de M.
Vernaudon et non de celui de M. Flosse. Il convenait de rétablir la chronologie
exacte des faits.
Quant à l'Assemblée nationale, elle n'a pas pu être saisie de la proposition
de loi de Gaston Flosse qui comportait un risque d'inconstitutionnalité tenant
au non-respect de la procédure d'examen de ce type de disposition.
Reproche est fait par notre rapporteur - sans polémique mais il est fait tout
de même - au Gouvernement de n'avoir pas respecté l'engagement pris devant nous
de déposer un texte dans le cadre du projet de loi organique statutaire qui
devait suivre la réunion du Parlement en congrès à Versailles pour modifier la
Constitution et faire de la Polynésie française un pays d'outre-mer.
Il est exact que le secrétaire d'Etat à l'outre-mer avait pris l'engagement
devant le Sénat de déposer ce texte, mais après la réforme de la Constitution à
Versailles ! Or, qui n'a pas voulu de cette réunion du Congrès et qui n'a pas
convoqué le Parlement à Versailles ? Je crois pouvoir dire, sans aucun risque
de me tromper, que ce n'est sûrement pas Lionel Jospin ! Je le dis sans
polémique mais, là aussi, nous devons rétablir la vérité.
Parlant du Congrès réuni à Versailles, permettez-moi, monsieur le secrétaire
d'Etat, d'ouvrir une parenthèse - si tant est que le terme soit approprié -
pour dire combien je regrette que nous n'ayons pas encore modifié, non
seulement le statut de la Polynésie française, mais également une disposition
importante relative au corps électoral en Nouvelle-Calédonie. A ce jour, rien
ne peut nous laisser espérer une prochaine réunion du Congrès. Je veux espérer
que ce retard, ô combien fâcheux et regrettable, ne sera pas une source de
graves difficultés, voire de conflits nouveaux tant au sein de la population
néo-calédonienne qu'au sein des institutions politiques de cette collectivité
publique.
Pour en revenir au débat d'aujourd'hui, il faut bien admettre qu'il n'est pas
aisé d'assurer une juste représentativité d'une assemblée démocratique et de
conforter ainsi sa légitimité. Nous en mesurons les uns et les autres les
difficultés et, pourtant, nous devrons parvenir à un accord. Je le redis et je
ne cesserai de le dire, l'accord est indispensable dans l'intérêt de la
population et de l'assemblée territoriale elle-même.
Ces difficultés sont-elles à ce point insurmontables ? Je dis non ! Certes, il
y faut de la volonté politique et surtout veiller à ce que les critères retenus
pour la juste répartition des sièges soient objectifs, qu'ils tiennent compte
des données démographiques, de la représentation du territoire, c'est ce que
nous rappelle la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Le principe d'une réforme urgente faisant l'objet d'un consensus, il est grand
temps de parvenir à une solution de nature à emporter la conviction de toutes
les parties. J'ai déposé avec mes collègues du groupe socialiste un amendement
de compromis. Je veux croire - mais nous verrons au fil de la discussion - que
notre débat nous permettra de parvenir à cette fin.
Je voudrais dire à notre rapporteur que, si je le crois sincère lorsqu'il
parle lui aussi de compromis et d'accord en commission mixte paritaire, je ne
suis pourtant pas sûr qu'il nous facilite la tâche en proposant au Sénat, comme
il vient de le faire, de prendre en considération la proposition au demeurant
légitime de nos collègues MM. Buillard et Perben. Je n'en suis pas sûr et je me
devais de vous le dire.
Je ne m'attarderai pas sur l'évolution démographique de la Polynésie
française, qui n'échappe à personne tant elle est une donnée indiscutable.
Notre rapporteur en fait la démonstration dans son rapport écrit. Cette réalité
démographique doit être au coeur de nos préoccupations.
Pour autant, nous devons veiller à ne pas pénaliser les archipels éloignés,
qui n'ont pas connu la même progression de leur population ou qui ont vu un
nombre significatif de Polynésiens aller vers d'autres archipels, notamment
ceux des Iles-du-Vent et des Iles-sous-le-Vent.
J'évoque volontairement les archipels éloignés pour bien les distinguer de la
situation géographique et démographique particulière des Iles-du-Vent et des
Iles-sous-le-Vent. Notre rapporteur a pris le soin de rappeler le propos de M.
Daniel Vaillant qui, siégeant au banc du Gouvernement, a confirmé ce que je
viens de dire. Mais il lui a aussi parlé d'archipels éloignés. Et ce matin, en
commission des lois, je me suis permis de dire : « Qu'est-ce que la Polynésie,
si ce n'est un ensemble de cinq archipels ? Seulement, deux sont assez
rapprochés, les trois autres le sont moins ! »
M. Gaston Flosse.
Vous jouez sur les mots !
M. Guy Allouche.
Non, je ne joue pas sur les mots !
Voilà quelques semaines, j'avais reçu au Sénat une importante délégation de
Polynésie - une délégation pluraliste, j'insiste sur ce terme - et nous en
avons longuement parlé. Je redirai ce que j'ai dit à cette délégation en
réponse à une question posée par deux membres de cette délégation, Boris
Léontieff et Lucien Kimitete - qui sont vos opposants, cher Gaston Flosse : je
ne suis pas favorable à une quelconque pénalisation de la représentation des
archipels éloignés. C'est ce qui me sépare de la proposition de mon collègue
député M. Vernaudon, même si je reconnais et je respecte ses motivations et ses
propositions.
Parce que nous sommes allés sur place, Lucien Lanier et moi-même, nous avons
entendu plus d'une fois les représentants de ces trois archipels nous dire : «
Ne touchons pas à la représentation ! » Je veux donc rester fidèle à ce qui a
été dit et aux déclarations que j'ai faites.
Nous ne parlons donc pas d'archipels éloignés ; nous parlons toujours de la
spécificité de la Polynésie française - la superficie, l'éloignement de la
métropole, l'éloignement des archipels entre eux, des particularismes
économique, social, culturel - mais j'ajoute qu'il existe aussi des
spécificités au sein de cette spécificité polynésienne. C'est pourquoi il nous
faut prendre certaines dispositions, et nous ne pourrons pas ne pas en tenir
compte.
Les deux derniers recensements de la population polynésienne de 1988 et 1996
ne se sont pas traduits par un réajustement du nombre de conseillers à
l'assemblée territoriale. Le moment est venu d'en tenir compte et de porter
l'effectif à un nombre qui soit représentatif, raisonnable, adapté à la
situation nouvelle.
Certe, notre collègue Gaston Flosse et notre rapporteur nous disent que,
depuis le recensement officiel de 1996, il y a eu une progression
démographique, et, cela, nous n'avons aucun moyen de le contester. Mais nous
légiférons et nous avons tous appris que nous devions, autant que faire se
peut, légiférer sur le fondement de chiffres officiels. Nous nous devons donc
de nous fonder sur le recensement officiel et, même si un recensement
complémentaire nous aurait facilité la tâche, nous ne devons pas en faire un
préalable à toute évolution.
J'ajoute que, par comparaison avec la population de Nouvelle-Calédonie ou,
même, avec celle de Corse, une assemblée territoriale de cinquante et un
membres - puisque c'est le nombre que je propose - n'aurait rien d'excessif.
Chacun sait que l'assemblée de Polynésie française a déjà des pouvoirs
importants et que, dans quelques mois, lorsque la Polynésie sera - je l'espère
- devenue un pays d'outre-mer, de nouvelles compétences, qui seront encore plus
importantes, lui seront dévolues.
Cinquante et un membres, c'est un effectif très satisfaisant. Je vous rappelle
pour mémoire qu'au fil des débats et des propositions de lois, ce nombre a
augmenté de quatre, puis de six et, enfin, de huit. Je vous propose, pour ma
part, une augmentation de dix sièges par rapport à l'effectif actuel : de
quarante et un, nous passerions donc à cinquante et un.
J'ai d'ailleurs eu le plaisir de constater que, par un avis officiel rendu le
9 mai 2000, l'assemblée territoriale de Polynésie française elle-même a «
envisagé » l'hypothèse d'un accroissement du nombre de conseillers à cinquante
et un - c'est une hypothèse qu'elle n'a pas écartée - avec une répartition qui
tienne compte précisément des poussées démographiques dans trois des cinq
archipels, comme j'y faisais allusion à l'instant.
C'est dire que ce que je propose aujourd'hui, une assemblée de cinquante et un
membres, me semble être la base d'un bon compromis quant à l'effectif total de
la nouvelle assemblée territoriale. Vous voyez, chez Gaston Flosse, que j'ai
réduit mes prétentions parce que je veux aboutir à un accord avec nos collègues
députés.
Par ailleurs, Gaston Flosse ne m'en voudra pas de dire - cela a été publié
dans le bulletin des commissions - que, mercredi dernier, lors de notre réunion
de commission, il ne s'est pas montré hostile - je ne dis pas qu'il l'a
approuvé - à ce nombre de cinquante et un. Voilà déjà ce qui pourrait
constituer un point d'accord.
Quant à la répartition au sein des cinq archipels, je propose que deux sièges
de droit soient attribués à chaque archipel pour garantir sa représentation
territoriale. Les quarante et un sièges restants seront ou seraient répartis à
la proportionnelle et à la plus forte moyenne sur la base de la population
totale de chaque archipel, officiellement recensée en 1996. Les critères
territorial et démographique sont les fondements constitutionnels d'une juste
et équitable représentativité d'une assemblée politique.
Dans ces conditions, le groupe socialiste a déposé un amendement qui détermine
le rééquilibrage suivant : trente-trois sièges pour les Iles-du-Vent - contre
vingt-deux auparavant - sept sièges pour les Iles-sous-le-Vent - elles en
comptaient huit auparavant, et je reconnais donc que cet archipel en perd un,
mais rien n'est fermé - trois sièges pour les Iles Australes, cinq sièges pour
les Iles Tuamotu et Gambier et trois pour les Marquises.
Nos collègues députés et le Gouvernement ont clairement exprimé, lors du débat
à l'Assemblée nationale, leur souhait de parvenir à un rapprochement des points
de vue, sinon à un accord lors de la navette. Certes, l'urgence est déclarée ;
raison de plus pour que le Sénat adresse un signe, fasse un geste en direction
de nos collègues avant la réunion, la semaine prochaine, de la commission mixte
paritaire.
Avant de conclure, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
souhaite dire un mot sur la concomitance des élections municipales et
territoriales en mai 2001. Notre collègue Yvon Collin en a parlé, M. le
secrétaire d'Etat y a fait allusion dans son intervention : ces échéances vont
se dérouler à quelque deux mois d'intervalle. Notre amendement vise simplement
à rapprocher le renouvellement des conseils municipaux et territoriaux, afin de
prendre en considération les difficultés matérielles inhérentes à la géographie
de la Polynésie française. Nous sommes animés par la volonté de favoriser cette
participation des citoyens polynésiens et d'éviter, autant que faire se peut,
un doublement des dépenses pour ces campagnes électorales.
La légitimité de la prochaine assemblée de Polynésie ne doit prêter à aucune
controverse. Elle doit reposer sur l'application de règles simples, objectives,
adaptables, fondées sur le respect des principes d'équité et de
proportionnalité, sans pour autant méconnaître la spécificité géographique de
ce territoire.
Ces caractéristiques essentielles ont guidé l'élaboration de la solution que
je vous propose d'adopter, qui est de nature à assurer un compromis
satisfaisant. Ainsi que vous le disiez, monsieur le secrétaire d'Etat, et,
comme je le crois également, la démocratie en sortira gagnante. Tous ensemble,
nous aurons contribué à renforcer l'adhésion de nos compatriotes polynésiens à
une institution locale qui devra s'atteler à l'évolution statutaire de ce futur
pays d'outre-mer.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Je répondrai très brièvement, monsieur le président,
car l'ordre du jour du Sénat est chargé. Mais on ne parle pas tous les jours de
la Polynésie française au Sénat.
Monsieur le rapporteur, vous avez parfaitement analysé les termes de ce débat
: vous avez dressé un constat que tous les groupes de votre assemblée admettent
et relevé les divergences sur les modalités pour résorber le déséquilibre. Ces
divergences sont-elles irréductibles ? L'avenir nous le dira.
Vous avez également souligné que l'urgence primait. Certes, mais elle ne prime
pas sur les principes, même s'il est vrai qu'il est important en effet que le
Parlement adopte cette proposition de loi à « distance républicaine » des
prochaines échéances électorales en Polynésie.
Quoi qu'il en soit, monsieur le rapporteur, votre analyse de ce texte va tout
à fait dans le bon sens, même s'il me faudra sans doute vous dire tout à
l'heure que vous vous êtes peut-être arrêté au milieu du gué s'agissant du
rééquilibrage nécessaire des sièges à l'assemblée territoriale de Polynésie
française.
M. Hyest a évoqué la nécessité de ce rééquilibrage. Il l'a fait en se référant
notamment aux règles qui ont été mises en place pour les établissements publics
de coopération intercommunale. C'est une référence intéressante. Au sein des
communautés de communes ou d'agglomération, nous avons les uns et les autres su
établir des équilibres entre plusieurs collectivités ; après tout, c'est une
bonne école.
M. Collin a également évoqué l'exigence démocratique, je crois qu'il a même
parlé d'évidence démocratique. Je souscris tout à fait à cette obligation.
Monsieur Flosse, vous avez rappelé l'identité des archipels. Je voudrais vous
dire très courtoisement que personne n'a le monopole de la défense des
archipels. Je crois que le Gouvernement, M. Jean-Jack Queyranne pendant
plusieurs années, moi-même aujourd'hui, avons écouté et entendu les différentes
positions sur ce délicat dossier du rééquilibrage de la représentation au sein
de l'assemblée territoriale. Chacun d'entre nous a bien entendu aussi le cri
des communes des archipels polynésiens confrontés à l'isolement, à
l'éloignement, à la faiblesse de leurs moyens et à des risques climatiques
considérables. Ce cri des maires des communes polynésiennes, je l'ai en
particulier entendu à Mataiva et à Tibéhau, quand je m'y suis rendu il y a
quelques semaines.
Les maires souhaitent, bien sûr, que les archipels ne soient pas mal
représentés ou sous-représentés à l'assemblée territoriale. C'est un fait
incontestable, et je salue les nombreux élus de Polynésie qui sont présents
dans les tribunes aujourd'hui.
J'ai entendu aussi des maires me dire qu'ils souhaitent que leurs communes
soient dotées de moyens, afin de les rendre plus autonomes. Ces maires veulent
oeuvrer avec plus de moyens, au plus près des citoyens de leur commune, donc
des citoyens des archipels.
Je les ai entendus également évoquer la nécessité d'instaurer un meilleur
équilibre entre les différents niveaux de responsabilités en Polynésie
française.
Je les ai par ailleurs entendus demander au Gouvernement que je représente,
dans cette enceinte, devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que la
République fasse respecter ces équilibres.
S'agissant ensuite de la concomitance des scrutins, monsieur Flosse, vous avez
employé le terme de « manipulation ». A cet égard, je voudrais vous demander
simplement de méditer sur la question suivante : qui dispose des moyens
financiers de mener, à deux mois d'intervalle, une campagne électorale sur un
territoire aussi vaste que celui de la Polynésie française ?
Un certain nombre d'élus de toutes tendances, de toutes sensibilités ont, très
légitimement, posé cette question. Il était normal qu'elle soit évoquée
publiquement devant le Parlement et que le Gouvernement se fasse l'écho de
cette attente citoyenne.
Enfin, M. Guy Allouche a fait sur ce dossier une approche très mesurée, se
montrant une nouvelle fois à l'écoute de l'ensemble des élus polynésiens, de
leurs représentants au Parlement.
Sur ce sujet, n'en doutez pas, mesdames, messieurs les sénateurs, M. Allouche
sera l'homme de la sagesse et je souhaite qu'il ne soit pas isolé.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
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