Séance du 27 juin 2000
VENTES VOLONTAIRES DE MEUBLES
AUX ENCHE`RES PUBLIQUES
Adoption des conclusions
d'une commission mixte paritaire
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 344,
1999-2000) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur
les dispositions restant en discussion du projet de loi portant réglementation
des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Luc Dejoie,
rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.
Monsieur le
président, madame le ministre, mes chers collègues, après quelques années de
réflexion, de gestation et de discussion, la réforme - prévue depuis longtemps
- de la profession de commissaire-priseur doit normalement toucher à sa fin
aujourd'hui.
La commission mixte paritaire s'est réunie le 17mai dernier, sous la
présidence de M. Jacques Larché, président de la commission des lois au Sénat.
Ne restaient alors simplement en discussion - ou encore, suivant les avis - que
quatorze articles.
La question la plus délicate était celle de l'indemnisation des
commissaires-priseurs. Un accord a pu être trouvé, même si des divergences ont
subsisté sur le fondement de cette indemnisation, mais je ne m'étendrai pas sur
ce sujet, sauf éventualité particulière.
Par conséquent, les commissaires-priseurs, à raison de la suppression de leur
droit de présentation, seront indemnisés sur la base de 50 % de la valeur de
leur office, valeur limitée, bien sûr, à l'activité des ventes volontaires.
Toutefois, alors que la marge de modulation prévue était de 15 %, il a été
admis que l'on pouvait aller jusqu'à 20 % en plus ou en moins, en fonction de
la situation particulière de l'office et, éventuellement, du titulaire. Le
Gouvernement et l'Assemblée nationale s'en tenaient à 15 % ; après discussion,
nous sommes arrivés - péniblement - à 20 %.
Par ailleurs, le projet de loi, tel qu'adopté par l'Assemblée nationale,
préconisait que l'on remonte à l'année 1992 pour déterminer la valeur de
l'office, ce qui n'était pas très habituel, pour ne pas dire plus. Il a été
admis par la commission mixte paritaire que la période de référence pour le
calcul serait les cinq dernières années, comme le souhaitait le Sénat.
Conformément à une autre proposition du Sénat, les professionnels seront
représentés au sein de la commission d'indemnisation, qui sera présidée par un
conseiller d'Etat et qui comprendra en nombre égal des représentants des
professionnels et des fonctionnaires désignés par le garde des sceaux, ministre
de la justice.
En ce qui concerne le conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères
publiques, élément important de la réforme, la composition finalement retenue
par la commission mixte paritaire est la suivante : onze membres seront nommés
par le garde des sceaux, ministre de la justice, pour quatre ans, et siégeront
aux côtés de six personnes qualifiées et de cinq représentants des
professionnels, dont un expert. Comme l'avait souhaité le Sénat, le président
du conseil des ventes sera élu par les membres du conseil en leur sein.
Un autre point délicat, mais important, concernait les ventes aux enchères sur
Internet, aujourd'hui en plein développement, comme chacun le sait.
Après moult discussions, la commission mixte paritaire a adopté le dispositif
suivant : le fait de proposer, en agissant comme mandataire du propriétaire, un
bien aux enchères publiques à distance par voie électronique pour l'adjuger au
mieux-disant des enchérisseurs constitue une vente aux enchères publiques
soumise aux dispositions de la nouvelle loi ; en revanche, les opérations de
courtage aux enchères réalisées à distance par voie électronique et se
caractérisant par l'absence d'adjudication et d'intervention d'un tiers dans la
conclusion de la vente d'un bien entre les parties ne seront soumises aux
dispositions de la nouvelle loi que si elles portent sur des biens
culturels.
Permettez-moi de vous faire remarquer qu'il s'agit là de la mise en place d'un
système à deux vitesses.
M. Charles Revet.
Eh oui, comme toujours !
M. Luc Dejoie,
rapporteur.
Contrairement à ce que je souhaitais, des dispositions
spécifiques concerneront les biens culturels - qui, il faut le savoir,
représentent moins de 50 % du marché des enchères dans notre pays - tandis que
les autres biens seront soumis à d'autres dispositions. Ce système à deux
vitesses n'est pas, intellectuellement, idéal !
En ce qui concerne les nouvelles modalités de vente, conformément à l'exposé
des motifs du projet, il s'agissait de supprimer le monopole, de supprimer le
droit de présentation afin de libéraliser la profession. Mais cette
libéralisation s'est immédiatement traduite par une série de mesures qui
enfermaient la nouvelle profession dans des règles extrêmement précises, ce que
nous n'avions pas manqué de faire apparaître lors des discussions.
Aux termes du système auquel nous sommes finalement parvenus, les avances
consenties par les commissaires-priseurs à un client ne seront soumises à
aucune réglementation. C'était, bien sûr, ce que souhaitait le Sénat, et tel
nous semblait être, au demeurant, l'esprit même de la loi.
En revanche, en ce qui concerne une autre modalité de l'organisation des
ventes, à savoir le prix garanti qui serait versé par le commissaire-priseur en
cas d'adjudication d'un bien, il faudra prendre une assurance destinée à
couvrir la différence entre le prix garanti et le montant des enchères
obtenues.
C'est une disposition un peu spéciale, puisqu'elle ne jouera que s'il y a
adjudication. Cela signifie que, s'il n'y a pas adjudication, l'assurance
souscrite ne servira à rien, et que le propriétaire du bien initial gardera la
propriété de son bien. Il suffirait alors, diraient des méchantes gens dont je
ne veux pas être, que la plus petite enchère possible soit portée pour que
l'assurance puisse jouer. En effet, il y aurait adjudication, et donc paiement
par l'assurance de la différence entre le prix garanti et le montant minimal de
cette adjudication.
Par ailleurs, le texte initial tel qu'adopté par l'Assemblée nationale opérait
une distinction importante entre les professionnels français et les
professionnels européens, à telle enseigne que les premiers étaient lourdement
sanctionnés s'ils transgressaient la loi, alors que les seconds bénéficiaient
d'une sorte de mansuétude, créant de la sorte une inégalité entre ceux qui
pratiquent les ventes aux enchères publiques. Finalement, nous nous sommes mis
d'accord : les Français et les ressortissants de l'un des pays européens
subiront, en cas de défaillance, le même traitement.
Une autre disposition, concernant le droit de reproduction, avait été défendue
et soutenue par la commission des finances de notre assemblée : en définitive,
seuls seront exonérés du droit de reproduction les catalogues pour les ventes
judiciaires, mais non ceux qui sont relatifs aux ventes volontaires.
Tels sont les points essentiels qui ont fait l'objet d'une ultime discussion
au sein de la commission mixte paritaire et sur lesquels nous sommes parvenus à
un accord.
Selon certains, cela fait cinq ans, voire huit ans - je ne prendrai pas parti
dans cette querelle - que le chantier est ouvert. Il est heureux que nous
puissions, aujourd'hui, y mettre un terme.
Qu'il me soit simplement permis de souhaiter, pour conclure, que le
Gouvernement veuille bien publier très rapidement - c'est-à-dire dans les deux
ou les trois semaines à venir, soit avant les vacances - les décrets qui
permettront la mise en application de cette réforme si attendue.
Mes chers collègues, après ces explications, je vous propose d'adopter ce
projet de loi tel qu'il ressort des délibérations de la commission mixte
paritaire du 17 mai dernier.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse d'être aujourd'hui dans cet
hémicycle pour défendre de nouveau le projet de loi portant réglementation des
ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, projet présenté et
défendu par Mme Elisabeth Guigou, puis par Mme Catherine Trautmann.
Comme vous, je me félicite, monsieur le rapporteur, que la commission mixte
paritaire, réunie le 17 mai dernier, ait pu parvenir à un accord sur un projet
de réforme, certes difficile, mais dont les débats devant votre assemblée,
comme ceux qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale, ont démontré l'importance
des enjeux pour l'avenir de la profession de commissaire-priseur et le
développement du marché de l'art en France.
Ce texte, j'en suis persuadée, sera un outil de redynamisation du marché
français et donnera aux commissaires-priseurs les moyens juridiques et
économiques de concurrencer les principales sociétés de ventes étrangères.
Quatre questions se posaient principalement avant la réunion de la commission
mixe paritaire.
La première portait sur l'indemnisation des commissaires-priseurs, son
fondement juridique et ses modalités d'indemnisation.
S'agissant du fondement du droit à indemnisation, je rappelle qu'il convient
de considérer que le droit à indemnisation des commissaires-priseurs trouve sa
cause dans la rupture de l'égalité devant les charges publiques, en raison de
la suppression partielle d'un monopole imposé au législateur par le droit
communautaire.
En conséquence, l'indemnisation prévue à l'article 35 du texte a pour objet
d'indemniser non la perte d'un droit patrimonial mais la dépréciation de valeur
du droit de présentation de leurs successeurs par les commissaires-priseurs, du
fait même de la suppression du monopole d'activité sur les ventes volontaires
aux enchères publiques.
Eu égard aux divergences précédemment exprimées et aux discussions vives sur
cette question, je mesure la portée de l'accord auquel est, en définitive,
parvenue la commission mixte paritaire.
Comme je l'ai déjà souligné, le texte issu de la commission mixte paritaire
m'apparaît également satisfaisant sur les modalités du calcul de
l'indemnisation, visées à l'article 36-1. D'une part, il permet de prendre en
compte une période de référence plus courte pour le calcul de la valeur de
l'office, donc plus proche de la réalité de l'activité économique des offices ;
d'autre part, il offre la possibilité de moduler, de manière plus large, le
montant des indemnités, de façon à mieux prendre en considération les
situations particulières pouvant résulter de circonstances exceptionnelles.
En définitive, ces deux mesures sont de nature à garantir aux
commissaires-priseurs une indemnisation plus équitable dans certains cas
particuliers.
Le deuxième point en discussion concernait la commission nationale
d'indemnisation, sa composition et sa présidence.
La commission mixte a réussi, là encore, et je l'en remercie, à parvenir, avec
l'article 18, à une solution équilibrée, qui, sans porter atteinte à la nature
d'autorité de régulation du marché du conseil des ventes, pose, comme le
souhaitaient les commissaires-priseurs, le principe de la parité, d'une part,
des représentants des professionnels et, d'autre part, des fonctionnaires
désignés par le garde des sceaux.
La troisième question concernait l'insertion des articles 11 et 12, qui, dans
le cadre d'une libéralisation des ventes aux enchères, permettent aux
commissaires-priseurs d'offrir de nouvelles garanties à leurs clients.
Comme vous le savez, l'article 11 autorise les futures sociétés de ventes
volontaires à garantir au vendeur un prix minimal d'adjudication. Ce mécanisme
est garanti par la souscription par la société de vente d'un contrat auprès
d'une entreprise d'assurance ou d'un établissement de crédit, qui, en cas de
non-respect par la société de vente de ses engagements initiaux, procède au
remboursement de la différence entre le prix d'adjudication et le prix
garanti.
En définitive, la commission mixte paritaire a cru pouvoir maintenir ce
mécanisme - je crois que c'est une bonne chose - qui devrait avoir pour effet,
dans le futur, de développer ce type de services auprès de la clientèle.
En revanche, s'agissant de l'avance sur le prix d'adjudication consentie au
vendeur, telle qu'elle est prévue à l'article 12, le texte retenu par la
commission mixte paritaire n'impose plus le recours obligatoire à un organisme
d'assurance ou de crédit. Il a été considéré que chacune des parties pouvait
librement apprécier les capacités financières de son contractant et que le
caractère obligatoire d'une garantie par un organisme tiers ne s'imposait pas
dans tous les cas.
Enfin, j'éprouve une grande satisfaction à voir retenue, à l'article 2
bis,
une définition originale du périmètre de la nouvelle réglementation
pour les ventes sur les réseaux. En effet, le texte pourra garantir, sur les
sites de ventes électroniques organisés en France, un domaine sécurisé, d'une
part, pour les véritables ventes aux enchères et, d'autre part, pour les
transactions portant sur des biens culturels, qui nécessitent une protection
juridique particulière, comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner.
Monsieur le rapporteur, vous vous préoccupez de l'instauration de ce que vous
appelez un système à deux vitesses. Je crois que le mécanisme auquel nous
arrivons répond à la préoccupation, que nous partageons, d'une vigilance
particulière à l'égard des transactions portant sur des biens culturels.
Au regard des dérapages constatés dans les pratiques des ventes de certains
sites sur Internet, dont la presse s'est fait récemment l'écho, je ne puis que
me réjouir de la solution retenue par la commission mixte paritaire.
En effet, le dispositif m'apparaît également de nature à protéger l'ensemble
des consommateurs, à préserver la qualité et le sérieux des transactions du
marché de l'art en France et, enfin, à protéger notre patrimoine national,
sans, toutefois, entraver le développement des transactions dans ce secteur
d'activité en pleine expansion.
La commission des lois du Sénat, et plus particulièrement son rapporteur, M.
Luc Dejoie, ainsi que M. Yann Gaillard ont travaillé avec une grande conviction
et une volonté commune de faire aboutir une réglementation rénovée des ventes
volontaires de meubles aux enchères publiques, qui était trés attendue. Je les
remercie pour le travail ainsi accompli.
Je ne doute pas que le présent texte offrira aux futures sociétés de ventes
les outils juridiques et financiers nécessaires pour envisager leur avenir dans
un monde ouvert et où la France doit pouvoir retrouver la place qui lui
revient. Tel est, en tout cas, le souhait du Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Luc Dejoie,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Luc Dejoie,
rapporteur.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers
collègues, la présentation des conclusions d'une commission mixte paritaire
doit généralement se faire sans discussion, puisque c'est le résultat d'un
accord, et mes collègues ont pu remarquer que je n'ai pas voulu parler, si ce
n'est de manière allusive, du fondement de l'indemnisation des
commissaires-priseurs à la suite de la suppression de leur droit de
présentation.
Je constate, madame la ministre - je ne le regrette pas ! -, que vous avez
volontairement insisté sur le fait qu'il s'agissait, selon vous, d'une rupture
de l'égalité devant les charges publiques, alors que le Sénat, notamment, avait
très clairement précisé qu'il s'agissait d'une expropriation et que c'est sur
ce fondement qu'il y avait lieu d'indemniser les commissaires-priseurs.
Madame la ministre, avec tout le respect que je dois au Gouvernement et à
vous-même, permettez-moi de vous dire que ce n'est pas parce que trois
ministres successifs ont fait des affirmations gratuites, sans aucune
démonstration, que la loi sera changée. La Constitution n'est pas entre les
mains de tel ou tel ministre, non plus que le droit de propriété, consacré par
la Constitution. Or, à l'évidence - la jurisprudence constante depuis un siècle
et demi est là pour le démontrer - il s'agit bien d'une expropriation. C'est
donc sur cette base que l'on doit indemniser les commissaires-priseurs.
Que le Gouvernement ne veuille pas l'admettre pour des raisons non pas
juridiques, mais peut-être liées à une certaine idéologie, pourquoi pas ? Après
tout, chacun a le droit de parler ! Mais que l'on n'essaie pas de nous faire
croire que la vérité sera changée par ces affirmations réitérées. Je tiens à le
réaffirmer : le droit de propriété et la Constitution resteront en place quels
que soient les propos tenus par tel ou tel.
Je n'aurais pas voulu en parler ; j'avais évité de le faire ; j'y ai été forcé
; mais, finalement, je ne le regrette pas !
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement,
lorsqu'il examine après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la
commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur
l'ensemble du texte.
Je donne lecture du texte de la commission mixte paritaire :