Séance du 30 mars 2000
M. le président. « Art. 10 ter. - L'article 145 du même code est ainsi modifié :
« 1° Les premier et deuxième alinéas sont remplacés par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Le juge de la détention provisoire saisi par une ordonnance du juge d'instruction tendant au placement en détention de la personne mise en examen fait comparaître cette personne devant lui, assistée de son avocat si celui-ci a déjà été désigné, et procède conformément aux dispositions du présent article.
« Au vu des éléments du dossier et après avoir, s'il l'estime utile, recueilli les observations de l'intéressé, ce magistrat fait connaître à la personne mise en examen s'il envisage de la placer en détention provisoire.
« S'il n'envisage pas de la placer en détention provisoire, ce magistrat, après avoir le cas échéant ordonné le placement de la personne sous contrôle judiciaire, procède conformément aux deux derniers alinéas de l'article 116 relatifs à la déclaration d'adresse.
« S'il envisage d'ordonner la détention provisoire de la personne, il l'informe que sa décision ne pourra intervenir qu'à l'issue d'un débat contradictoire et qu'elle a le droit de demander un délai pour préparer sa défense. » ;
« 2° Dans les quatrième et cinquième alinéas, les mots : "le juge d'instruction" sont remplacés par les mots : "le juge de la détention provisoire" ;
« 3° Dans l'avant-dernier alinéa, les mots : "aux deuxième et troisième alinéas" sont remplacés par les mots : "au sixième alinéa". »
Par amendement n° 93, MM. Haenel, Gélard et les membres du groupe du Rassemblement pour la République et apparentés proposent :
I. - Après le troisième alinéa du 1° de cet article, d'insérer un alinéa ainsi rédigé :
« En toute matière, le juge des libertés qui envisage de placer en détention provisoire une personne mise en examen s'enquiert auprès du chef d'établissement de la maison d'arrêt de la distribution intérieure et de l'état des effectifs au regard des capacités d'accueil de l'établissement. L'ordonnance motivée de placement en détention provisoire comprendra également les raisons pour lesquelles ce magistrat envisage de soustraire la personne au régime de l'emprisonnement individuel de jour et de nuit. »
II. - En conséquence, dans le premier alinéa du même 1°, de remplacer le chiffre : « quatre » par le chiffre : « cinq ».
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. La volonté de lutter en faveur de la détention individuelle pour les personnes placées en détention provisoire a fait l'objet d'une large unanimité à l'Assemblée nationale. Néanmoins, si tous les parlementaires se sont accordés sur la nécessité de la favoriser enla consacrant dans l'article 13 septies du présent projet de loi, Mme la garde des sceaux a rappelé que cette disposition existait déjà à l'article 716 du code de procédure pénale sans être appliquée pour autant.
Le problème est pris à l'envers, puisqu'il est proposé de construire en aval des maisons d'arrêt alors qu'il conviendrait de lutter en amont contre des placements excessifs en détention provisoire. Certains articles de ce projet de loi tendent à élever les seuils ou à limiter les durées des détentions. Il convient pourtant de mettre en place également un verrou supplémentaire en prévoyant que le juge des libertés s'enquière de la distribution intérieure de la maison d'arrêt afin qu'il prenne pleine conscience de la mesure qu'il prescrit : auparavant, le juge d'instruction prescrivait la détention provisoire sans avoir une totale conscience de la mesure qu'il prenait en s'en remettant à l'administration pénitentiaire.
En première lecture, un amendement de cette nature avait été défendu ; il prévoyait que la détention provisoire ne pourrait être envisagée faute de place disponible. Le présent amendement, sans aller jusqu'à ce point, prévoit que le juge des libertés devra au moins faire figurer dans son ordonnance motivée les raisons pour lesquelles il compte ne pas respecter le principe de l'emprisonnement individuel de jour et de nuit.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable, bien qu'elle soit sensible à cette préoccupation que, au fond, nous partageons tous.
Nous avons, je le rappelle, donné trois ans au Gouvernement pour réaliser l'encellulement individuel des personnes placées en détention provisoire.
En conséquence, tel qu'il est rédigé, l'amendement proposé est difficilement applicable.
Je précise en outre que la distribution intérieure dans les maisons d'arrêt ressortit non pas à l'autorité judiciaire, mais au pouvoir exécutif.
Dans des situations d'urgence, obliger un juge à s'assurer qu'une cellule est libre est une procédure assez difficile à mettre en oeuvre.
C'est pourquoi la commission des lois a estimé qu'il fallait attendre le bilan qui sera réalisé dans trois ans, lorsqu'il sera obligatoire, aux termes de la loi, de mettre toute personne placée en détention provisoire dans une cellule individuelle.
Nous ne doutons pas, madame le garde des sceaux, que tous les efforts seront faits dès le vote de ce projet de loi, s'il est adopté, pour atteindre cet objectif. D'ailleurs, aux termes même de ce texte, il devrait y avoir moins de monde en prison et moins de personnes placées en détention provisoire.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Moi non plus, je ne peux pas être favorable à l'amendement de M. Haenel. J'en comprends certes les préoccupations, mais il ne me semble pas réaliste. En effet, je ne crois pas que l'on puisse exiger, avant la décision de placement en détention, que le magistrat qui envisage de prendre cette décision prenne contact avec l'établissement pénitentiaire où la personne risque d'être incarcérée.
Si les capacités d'accueil de la maison d'arrêt ne permettent pas de respecter le principe de l'emprisonnement individuel, qui est un principe auquel nous adhérons tous, il ne semble pas qu'il incombe au juge de prendre la responsabilité d'ordonner qu'il sera fait exception à ce principe selon des critères qu'il paraît difficile d'établir.
La réponse à la préoccupation de M. Haenel, ce sont les dispositions de ce projet de loi qui l'apportent : en effet, non seulement le placement en détention provisoire sera limité - sur ce point, l'Assemblée nationale et le Sénat sont d'accord -, mais, en outre, l'amendement du Gouvernement sur les libérations conditionnelles, si le Sénat l'adopte, aura un effet de ricochet.
Nous réformons la libération conditionnelle d'abord et avant tout pour permettre une meilleure réinsertion des détenus dans la société, bien sûr, et éviter la récidive ; mais cela aura pour conséquence de diminuer la population pénale. Ainsi, aussi bien en amont qu'en aval, cette loi aura des effets sur la population pénale.
J'ajoute que le Gouvernement poursuit le même objectif que le Parlement, à savoir l'encellulement individuel. A cette fin, il a d'ailleurs décidé d'engager les fonds nécessaires pour financer la réalisation de dix nouveaux établissements pénitentiaires, dont trois figurent déjà dans le dernier collectif.
Nous entendons non pas créer des places supplémentaires pour incarcérer toujours plus de détenus, mais fermer les établissements les plus vétustes et les remplacer par des établissements modernes. Les places supplémentaires qui seront créées à cette occasion, parce que les établissements nouveaux disposeront d'une capacité supérieure aux anciens, seront consacrées à l'encellulement individuel. C'est là un engagement que je prends devant le Sénat ; c'est la politique que je poursuis.
Evidemment, il nous faudra encore - j'espère que nous en aurons les moyens dans les budgets ultérieurs - poursuivre cet effort afin d'atteindre, dans des délais que j'espère les plus brefs possible, cet objectif d'encellulement individuel.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 93.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les explications et les justifications qui viennent de nous être données ; elles sont de nature à convaincre les membres du groupe du RPR de retirer l'amendement n° 93 au bénéfice de l'engagement que vient de prendre Mme le garde des sceaux.
Vous me permettrez d'ajouter un bref commentaire à cette occasion. Madame le garde des sceaux, vous avez eu une heureuse initiative en invitant l'ensemble des élus locaux et les parlementaires à visiter les maisons d'arrêt et les centres de détention.
J'ai noté que le Gouvernement a décidé solennellement de s'engager à procéder à la reconstruction ou à la réhabilitation d'un certain nombre d'établissements de détention.
Cela étant, dois-je comprendre que cette action englobera également les maisons d'arrêt ? Selon le constat que j'ai pu faire au cours des visites que j'ai effectuées, ce sont en effet les maisons d'arrêt qui affichent les conditions de détention les plus déplorables et dont les directeurs disposent des moyens les plus faibles.
L'urgence commande qu'au minimum des moyens techniques et du personnel qualifié soient affectés à ces établissements, afin d'améliorer les conditions de vie en leur sein. Lorsqu'on sait que des détenus qui ne sont pas encore jugés vivent à huit, neuf ou dix dans une cellule, quand on sait l'état dans lequel se trouvent les douches, les parties communes, quand on connaît l'exiguïté des surfaces dans lesquelles les détenus doivent se déplacer, réellement, on peut penser que c'est indigne d'un pays comme le nôtre.
Comme en son temps on a su établir un plan d'humanisation de certains établissements, je pense qu'il serait plus que temps aujourd'hui de mettre en oeuvre un plan d'humanisation des maisons d'arrêt.
Je ne doute pas que c'est la volonté du Gouvernement et j'espère que l'on en trouvera la traduction dans la prochaine loi de finances. Il aurait été presque heureux qu'on la trouve dans le cadre des contrats de plan. Cela aurait peut-être permis de progresser sur ce dossier.
Cela étant, je retire l'amendement n° 93.
M. le président. L'amendement n° 93 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 10 ter .
(L'article 10 ter est adopté.)
Articles additionnels après l'article 10 ter