Séance du 30 mars 2000
PRÉSOMPTION D'INNOCENCE
ET DROITS DES VICTIMES
Suite de la discussion d'un projet de loi
en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, en deuxième lecture, du
projet de loi (n° 222, 1999-2000), adopté avec modifications par l'Assemblée
nationale en deuxième lecture, renforçant la protection de la présomption
d'innocence et les droits des victimes. [Rapport n° 283 (1999-2000).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, globalement,
le Sénat peut se féliciter du rôle qu'il a joué dès la première lecture dans
l'évolution positive du projet de loi sur la présomption d'innocence et - on
oublie souvent de le rappeler - les droits des victimes. Même si un certain
nombre d'amendements votés par la Haute Assemblée pouvaient être considérés,
disons-le, comme des amendements d'appel à la discussion, ou à prise de
position de la part du Gouvernement et de l'Assemblée nationale, ils ont
cependant permis de faire avancer la réflexion et de modifier d'ores et déjà
considérablement ce texte. Je suis persuadé qu'à l'issue du débat au Sénat en
deuxième lecture nous aurons encore fait des avancées, sans doute en chemin
avec vous, madame la ministre, et en préparation des discussions ultérieures
que nous aurons avec l'Assemblée nationale.
A quelques grandes exceptions près, les amendements proposés par la commission
des lois en deuxième lecture sont de la même veine que ceux qui avaient été
présentés et souvent adoptés à l'occasion de la première lecture.
Ainsi, la mise en place d'un véritable juge des libertés doit être saluée et
soutenue, même si la dénomination retenue pose un problème de caractère
sémantique, puisque la protection des libertés, publiques notamment, relève
pour l'essentiel des juridictions administratives. Comme vous l'avez souligné
hier, madame la ministre, tous les magistrats, qu'ils soient de l'ordre
judiciaire ou de l'ordre administratif, sont à des titres divers protecteurs
des libertés. Rappelons que, aux termes de la Constitution, l'autorité
judiciaire est gardienne de la liberté individuelle.
Les dispositions que vous souhaitez voir introduites dans le code de procédure
pénale sont d'une grande portée, monsieur le rapporteur. En effet, d'une part,
le magistrat des libertés devient de fait le juge en charge de toutes les
questions liées à la liberté individuelle dans le cadre de l'instruction.
D'autre part, la possibilité pour le président du tribunal de grande instance
de déléguer à ce juge de la détention provisoire tous ses pouvoirs en matière
de liberté est d'une portée considérable.
Ainsi émerge, petit à petit, au sein de chaque tribunal de grande instance,
une fonction nouvelle qui est très visible et lisible et bien identifiée.
Toutes les autorisations liées au respect de la liberté individuelle seront
ainsi concentrées dans les attributions d'un seul magistrat, en fait un
vice-président ou un premier vice-président.
Cette nouvelle fonction deviendra sans doute, au fil des temps, une des plus
importantes et intéressantes fonctions pour les magistrats des juridictions de
première instance. Mais peut-être aurait-on pu pousser la logique jusqu'au bout
pour dégager parallèlement la même concentration de contrôle et d'autorisation
au niveau du président de la chambre d'accusation, chambre à laquelle aurait pu
être confié l'ensemble des appels afférents aux questions des libertés
individuelles. On aurait eu deux pôles, l'un en première instance, l'autre en
seconde instance. Ce n'est peut-être pas le moment, mais peut-être un jour y
réfléchirons-nous.
Ainsi, nous aurions deux magistrats bien identifiés, l'un en première
instance, l'autre en appel, en la personne du président de la chambre d'appel
de l'instruction, que l'on aurait pu dénommer, par parallélisme, chambre
d'appel des libertés, qui aurait en charge et en responsabilité les questions
majeures touchant à l'exercice et à la protection des libertés
individuelles.
Les dispositions assurant l'exercice des droits de la défense par les avocats
sont de nature à créer l'équilibre recherché. Elles n'appellent pas
d'observations particulières.
Auteur, avec M. Robert Badinter, d'un amendement adopté en première lecture
sur les pouvoirs de perquisition dans les cabinets d'avocats, je considère que
les modifications que vous proposez, monsieur le rapporteur, améliorent le
texte voté en première lecture par le Sénat, et la configuration imaginée par
l'Assemblée nationale sur le contrôle judiciaire effectif exercé sur les
avocats mérite, je crois, toute notre attention.
Un certain nombre d'entre eux souhaiteraient cependant que l'instance
disciplinaire du premier degré s'exerce à un niveau régional et non plus au
niveau de chaque barreau, pour avoir une certaine distanciation. Cela viendra
peut-être un jour. Chaque chose en son temps.
Abordons maintenant la question de la transformation de la chambre
d'accusation en chambre d'appel de l'instruction.
Comme le souligne fort justement notre rapporteur, M. Charles Jolibois, la
chambre d'accusation est davantage qu'une chambre d'appel. Elle est la
juridiction de contrôle de l'instruction, notamment par l'intermédiaire de son
président.
Mon maître, le professeur André Vitu, m'a d'ailleurs écrit en ce sens. Son
avis conforte, si besoin était, la question soulevée par la commission des
lois. En hommage à ce grand spécialiste, je me permets de vous lire la lettre
qu'il m'a adressée, en date du 18 mars 2000.
« Lors des débats parlementaires devant l'Assemblée nationale, le 10 février
dernier, Mme Lazerges, député, parlant au nom de la commission des lois, a
proposé et obtenu que soit substituée à la dénomination "chambre d'accusation"
celle de "chambre d'appel de l'instruction", au motif qu'avec l'institution
d'une cour d'assises d'appel, le renvoi aux assises et la mise en accusation
étant désormais décidés par le juge d'instruction, la chambre d'accusation
perdrait l'attribution qui justifiait son nom.
« Je proteste avec force contre cette mutation de terminologie qui n'est
conforme ni à la nature des choses ni à la logique.
« Comme vous le savez, la chambre d'accusation a toujours possédé de
nombreuses attributions autres que celles de décider des mises en accusation :
juridiction d'appel des ordonnances rendues par les juges d'instruction - ce
qui est de loin sa fonction majeure - juridiction compétente en matière
d'extradition, de réhabilitation judiciaire et de discipline des officiers de
police judiciaire. Or, jamais il n'était venu à personne l'idée d'enlever à
cette chambre sa dénomination, pourtant tirée d'une fonction minoritaire parmi
celles qui lui sont conférées et qui la désigne depuis deux siècles.
« En outre, il est erroné de croire qu'avec la loi sur la présomption
d'innocence cette juridiction perdra tout pouvoir en matière de mise en
accusation. Quand le juge d'instruction aura décidé de clore son instruction
par un renvoi aux assises, l'accusé et le ministère public auront toujours le
droit de faire appel de cette ordonnance du juge et c'est la chambre
d'accusation qui ordonnera, s'il y a lieu, la mise en accusation. De même, sur
un renvoi ordonné par le juge au tribunal correctionnel, le parquet, en faisant
appel de cette décision du magistrat, pourra obtenir de la chambre
d'accusation, s'il y a crime, qu'elle ordonne la mise en accusation et le
renvoi aux assises.
« Pourquoi changer ce qui mérite d'être conservé ?
« Le "souci de logique et de cohérence" qu'invoque Mme Lazergues est
inexistant. Puis-je vous demander de faire connaître à vos collègues du Sénat,
en vue des débats du 29 mars, ces quelques considérations ? »
La dénomination chambre de l'instruction proposée par la commission me paraît
répondre tout à fait aux préoccupations exprimées par le professeur André Vitu,
que je fais miennes.
Le second point que je souhaitais aborder concerne l'appel des décisions de
cour d'assises.
Il est intéressant, tout d'abord, de souligner que l'Assemblée nationale et la
Chancellerie rejoignent enfin le Sénat sur ce point, comme sur certains autres.
La situation actuelle était, en effet, intolérable au regard, notamment, de la
convention européenne des droits de l'homme.
Cependant, à propos de l'ouverture du droit d'appel au ministère public et à
la victime, sauf en cas d'acquittement, je m'interroge encore sur le bien-fondé
de l'instauration d'une inégalité des armes, rejoignant en cela, pour une fois,
la position officielle du syndicat de la magistrature. En effet, aucune raison
juridique valable ne permet de justifier que seul l'accusé puisse relever
appel.
La partie civile doit pouvoir relever appel de l'arrêt civil statuant sur son
indemnisation si elle estime que celle-ci a été mal appréciée par la première
cour. L'appel sur les intérêts civils, dont l'appréciation ne relève que des
seuls magistrats professionnels, sans intervention des jurés, n'est pas de
nature à alourdir de manière excessive les charges de la juridiction d'appel.
L'accusé doit pouvoir relever appel des seuls intérêts civils, notamment parce
que c'est dans ce cadre que sont prononcées les déchéances d'autorité
parentale, mesures graves qui peuvent justifier un double regard.
En application du principe de l'égalité des armes consacré par la convention
européenne des droits de l'homme, rien ne permet d'interdire au ministère
public d'ouvrir une voie de recours à l'accusé. Il a été jugé qu'un appel
ouvert au seul ministère public - article 546 du code de procédure pénale -
n'était pas conforme aux principes généraux de notre droit. L'inverse est aussi
vrai.
L'appel
a minima
du ministère public doit être possible en cas
d'acquittement, ne serait-ce que dans l'intérêt des victimes. Les chroniques
criminelles font souvent état de condamnations contestables, mais aussi
d'acquittements juridiquement sujets à caution, par exemple dans les affaires
dites « de légitime défense ».
Il faudrait donc, me semble-t-il, aller jusqu'au bout de la logique et
instaurer l'égalité des armes devant la cour d'assises comme c'est le cas
devant les autres juridictions pénales. Pourquoi traiter différemment la cour
d'assises et la juridiction pénale ? Je ne suis pas convaincu. Je me demande
même si le dispositif proposé par la commission des lois - M. Badinter pourrait
peut-être nous donner son avis à ce sujet - est constitutionnel.
Le troisième point que je traiterai concerne le droit des victimes et la
constitution de partie civile.
Je souhaite revenir sur une question de fond que j'ai abordée dans la
discussion générale lors de la première lecture devant le Sénat et à laquelle
il n'a pas été répondu. L'insertion dans le projet de loi de deux nouveaux
articles m'y incite. Il s'agit, d'une part, de l'article 28
quinquies,
qui donne le droit aux associations combattant les discriminations fondées
sur le sexe ou les moeurs d'exercer les droits reconnus à la partie civile, et,
d'autre part, de l'article 28
quinquies,
qui instaure ce même droit pour
les associations de défense des victimes d'accident du travail ou de maladie
professionnelle.
Notre collègue député M. Pierre Albertini a élaboré dans le cadre de l'office
d'évaluation de la législation une étude très intéressante adoptée par cet
organisme et consacrée à l'exercice de l'appel par les associations - rapport
annexé au procès-verbal de la séance du 11 mai 1999 ; Sénat n° 343.
La prise en compte de la victime dans le procès pénal doit passer de
l'affirmation d'un principe à la réalité, ce qui n'est pas encore tout à fait
le cas dans notre pays. La reconnaissance du principe, désormais traditionnel
en France et inscrit dans l'article 1er, alinéa 2, du code de procédure pénale,
selon lequel l'action publique pour l'application des peines « peut aussi être
mise en mouvement par la partie lésée », permet concrètement à la victime de
surmonter l'inaction éventuelle du ministère public.
On peut cependant regretter, comme le fait M. Albertini, la multiplication des
textes conférant à des associations, selon des modalités souvent variables,
complexes, les droits reconnus à la partie civile, et se demander si elle a été
guidée par une ligne directrice ou si elle résulte, plus modestement, de
sollicitations successives.
La situation n'est pas satisfaisante. L'excessive complexité des règles en
vigueur n'en facilite guère la compréhension.
Il faudra mettre tout cela à plat. Je formule cette remarque afin que la
commission saisisse peut-être cette opportunité au vol.
Madame le garde des sceaux, envisagez-vous de mettre à l'étude cette question
de fond et de proposer au Parlement un texte de clarification ou, au contraire,
estimez-vous qu'il faille laisser les choses glisser au fil de l'eau et la
législation foisonner de façon souvent désordonnée ?
Le texte en cours de navette renforce les droits des victimes avec, par
exemple, le droit pour la partie civile d'être assistée par un interprète, la
modification du serment prononcé par les jurés des cours d'assises afin que
celui-ci mentionne les intérêt de la victime. C'est très bien, mais ce n'est
pas suffisant.
A propos du droit sacré des victimes à obtenir réparation mais aussi et
surtout, pour certaines, du droit à comprendre, je me demande s'il n'y aurait
pas lieu de trouver des solutions. On voit bien, dans les grands procès sur les
catastrophes, que le juge pénal est au coeur du dispositif pour toutes sortes
de raisons, mais aussi parce qu'il donne à la victime l'occasion d'entendre,
d'essayer de comprendre et de commencer ou de terminer sa période de deuil ;
beaucoup de magistrats me l'ont dit.
S'agissant donc du droit sacré des victimes à obtenir réparation, je me
demande s'il n'y aurait pas lieu, surtout en termes de moyens, de trouver des
solutions pour que, en cas de catastrophe où les victimes sont nombreuses, les
problèmes importants, les expertises complexes et les enjeux en termes de
sécurité des transports majeurs, l'instruction et le procès puissent se
dérouler dans des délais raisonnables pour les victimes et pour l'opinion
publique.
A cet égard, la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc, que l'on vient de
commémorer, met en cause une entreprise relevant de l'Etat. Cet aspect des
choses ne doit pas contribuer à l'opacité de la procédure et à sa lenteur.
Le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Bonneville en charge
du dossier de cette catastrophe a-t-il été totalement déchargé de tout autre
dossier afin de se consacrer exclusivement à cette instruction ? Le parquet de
Bonneville a-t-il les moyens de suivre en temps réel cette affaire ?
Je sais qu'un juge a été nommé à Bonneville et je me demande même si vous
n'avez pas créé un poste au niveau du parquet. Quoi qu'il en soit,
l'instruction donne le sentiment, à tort ou à raison - la presse s'en est fait
l'écho tout récemment encore -, de piétiner, d'hésiter, et c'est déplorable.
Les victimes et l'opinion publique s'interrogent légitimement sur tous ces
points puisque, jusqu'ici, à ma connaissance, les autorités judiciaires ne leur
ont encore donné aucune réponse officielle et complète. Mais ce n'est pas
nécessairement vous, madame la ministre, qui devez répondre à ce sujet ; il y a
un procureur, un président, des chefs de cour.
J'en viens à un autre point - que je souhaite aborder rapidement - celui de la
suppression de la plupart des peines d'emprisonnement prévues dans la loi de
1881.
La survivance de dispositions aujourd'hui obsolètes n'a aucune conséquence en
France, mais elle en a dans d'autres pays. Dans ces derniers, la loi de la
République française sert de prétexte - j'en suis d'autant plus convaincu que
j'ai été sollicité, comme beaucoup d'autres sans doute, par un certain nombre
de personnes - aux atteintes portées délibérément à une liberté essentielle.
La Commission nationale consultative des droits de l'homme s'est prononcée à
l'unanimité pour la suppression des peines d'emprisonnement prévues par la loi
de 1881. Il ne s'agit pas d'accorder une faveur à la presse française ; il
s'agit d'éviter des dénis de justice ailleurs. Par conséquent, je souscris
totalement à l'initiative prise par notre rapporteur, notre excellent collègue
M. Jolibois.
J'aborderai maintenant l'un des sujets les plus épineux que nous aurons à
examiner : la réforme de la garde à vue.
En première lecture, j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer quelques questions de
fond à propos non pas de la présence, mais des conditions de la présence de
l'avocat dès la première heure. Je n'y reviendrai pas ; néanmoins, des
questions n'ont pas encore été réglées.
Venons-en maintenant à la complexe et délicate question de l'enregistrement
sonore des interrogatoires de garde à vue.
Mes propos ne seront peut-être pas jugés politiquement corrects par certains,
mais je crois que, sur ce point en tout cas, le travail s'est fait dans la hâte
et la confusion.
L'argument suprême serait que cela se fait ailleurs depuis longtemps. Et alors
? Est-ce un argument suffisant ? Peut-on d'ailleurs réellement faire des
comparaisons, notamment avec le système anglais, qui n'a absolument rien à voir
avec le nôtre ?
Nous imaginons tous, à condition, bien sûr, d'être de bonne foi, l'utilisation
qui pourrait être faite de cette nouvelle disposition - il n'y a qu'à lire les
journaux - de ce nouveau droit par les truands, sans compter les conséquences,
en matière de nullité, d'un mauvais fonctionnement, ne serait-ce que technique,
du système.
On sait bien ce que cela donne. La jurisprudence précise : « c'est une nullité
absolue. » Les personnes sont remises alors en liberté, ce qui suscite des
hurlements, légitimes d'ailleurs, de la part des victimes et de l'opinion
publique. Personne n'y comprend plus rien et, madame la ministre, c'est la
justice qui porte le chapeau !
Ne craignons pas de dire que cette mesure instaure - c'est ainsi en tout cas
que le ressentent les intéressés - en quelque sorte une présomption de
suspicion à l'encontre des policiers et des gendarmes, qui ne comprennent pas.
D'ailleurs, est-ce le moyen le plus efficace pour éviter les bavures qui
existent - même s'il ne faut pas en exagérer le nombre - et qu'il convient
absolument d'éradiquer ? Je n'en suis pas sûr.
Aujourd'hui, quel est le lot quotidien d'un gendarme ou d'un policier ? Dans
les banlieues difficiles, face aux truands et aux gens du crime organisé, et,
surtout, dans une société qui n'a plus le sens de la loi, de la ligne blanche,
sauf trop souvent à l'encontre des agents de la force publique, les policiers
et les gendarmes - c'est en tout cas comme cela qu'ils le ressentent - à tort
ou à raison - exercent un métier particulièrement complexe et difficile et de
plus en plus dévalorisé. Leurs missions se compliquent de réformes en
réformes.
On ne leur explique rien. De trop nombreux textes s'accumulent et sont autant
de chausse-trapes, sources de nullité d'enquêtes préliminaires ou
d'instructions. Ce sont celles qui font hurler l'opinion publique et, encore
une fois, c'est la justice qui porte le chapeau ! Si l'on prend beaucoup de
précautions, d'ailleurs justifiées la plupart du temps, pour engager le
dialogue avec de nombreuses catégories d'agents de la fonction publique - deux
ministres ont récemment « sauté » parce que, d'un côté les enseignants, de
l'autre les agents d'un ministère que connaît bien M. Charasse, ont manifesté
dans la rue - les policiers et les gendarmes ne sont pas traités de la même
manière, peut-être parce qu'ils n'ont ni le droit de faire grève ni le droit
d'obstruction !
Il serait souhaitable non pas de se contenter d'auditionner quelques
responsables nationaux des syndicats, mais de faire preuve de pédagogie et de
concertation, pour la mise en oeuvre de certaines mesures législatives et
réglementaires justifiées, avec l'ensemble des exécutants sur le terrain.
Quand on a adopté - je ne sais plus en quelle année - les dispositions
relatives à la garde à vue, on a constaté, pour la gendarmerie, que 30 % en
moins des affaires étaient élucidées. La mesure proposée ne risque-t-elle pas
d'avoir le même type de conséquences ?
Où est passé le procureur de la République ?
M. Michel Charasse.
C'est une question qui se pose tous les jours !
M. Hubert Haenel.
D'après le code de procédure pénale, il est censé diriger la police judiciaire
et contrôler la garde à vue. N'aurait-il pas fallu s'intéresser également à cet
aspect-là ? J'y reviendrai tout à l'heure. Pourquoi accordez-vous un rôle plus
important aux avocats ? Parce que les procureurs de la République n'ont pas les
moyens d'exercer tous efficacement le contrôle de la garde à vue.
La solution préconisée par la commission des lois consiste à proposer que cet
enregistrement soit non pas systématique, mais réalisé à la demande de la
personne, son avocat préalablement consulté, et qu'il ne puisse être écouté au
cours de la procédure qu'en cas de contestation, par la personne gardée à vue,
du contenu du procès-verbal d'interrogatoire. Pour séduisante qu'elle soit
intellectuellement parlant, une telle solution ne manquera pas, à mon avis,
d'avoir des effets pervers. De plus, j'y insiste, les personnes les plus
fragiles, les « pauvres types », n'en bénéficieront pas. C'est une arme offerte
aux « petites frappes » et aux truands, à tous les délinquants chevronnés ;
c'est l'assistance à délinquance organisée.
Peut-être aurait-il mieux valu être logique jusqu'au bout et décider
l'enregistrement audiovisuel de la garde à vue, à condition toutefois d'en
fixer la nature juridique et les conséquences - un procès verbal, M. Charasse
reviendra tout à l'heure sur ce point à l'occasion de ses amendements - et,
même, de prévoir la possibilité, pour la personne en garde à vue, de demander -
pourquoi pas ? - à tout moment l'intervention du procureur de la République,
voire d'un avocat, celle d'un médecin est déjà prévue.
Comme vous l'avez souligné hier, madame la ministre, quel sera le statut de
cet enregistrement ? Qu'il soit sonore ou audiovisuel, si l'on veut qu'il ait
des conséquences, il faut qu'il ait un statut, il faut qu'il y ait des
garanties.
En outre, qui vous garantira que l'enregistrement ne sera pas copié et qu'il
ne sera pas relaté dans la presse le lendemain ? On peut déjà y trouver les
procès verbaux ! Si l'on pouvait, en plus, écouter sur une radio périphérique
l'interrogatoire d'une personne en garde à vue, ce serait encore pis !
M. Michel Charasse.
Il est évident que cela va arriver !
M. Hubert Haenel.
Autre question, l'impact budgétaire d'une telle réforme de la garde à vue
a-t-il été évalué - c'est le rapporteur spécial du budget de la justice qui
vous parle - du point de vue du budget tant de la police nationale que de la
gendarmerie nationale et de la justice ? Combien coûtera l'aménagement des
locaux, l'achat et l'entretien du matériel, le personnel supplémentaire
nécessaire ? Le ministre de l'intérieur l'évalue à 2 000 policiers. Mais il n'y
a pas que des policiers, il y a des gendarmes, bien sûr, et cela aura
nécessairement des coûts supplémentaires dans le budget de la justice.
Y a-t-il eu, madame la ministre, un arbitrage interministériel pour répartir
entre les trois budgets des ministères concernés le coût de cette mesure ?
Je vais vous faire part d'une anecdote. Des magistrats m'ont raconté que, lors
de la mise en place de l'enregistrement de la garde à vue de mineurs, dans un
certain nombre de cas,...
M. Michel Charasse.
Il faut s'adresser aux conseils généraux !
M. Alain Gournac.
Exactement !
M. Hubert Haenel.
... si l'on se tourne vers les conseils généraux, on vous répond que c'est la
justice qui doit payer. La justice, elle, n'est pas d'accord !
M. Louis de Broissia.
Ce sont les conseils généraux qui paient !
M. Michel Charasse.
Bien sûr, la gendarmerie n'aurait pas de crédits !
M. Hubert Haenel.
Mes chers collègues, plusieurs solutions s'offrent à nous.
Nous pouvons supprimer l'amendement pour nous donner le temps de la mise à
plat, de la réflexion et de la concertation, pour bien imaginer toutes les
conséquences d'une telle mesure. Ne nous laissons pas tétaniser, comme c'est
trop souvent le cas, par la mode ou la vogue de ce que l'on appelle le «
politiquement correct ».
Le sujet est majeur, certes, pour les personnes gardées à vue - il faut
reconnaître qu'il y a des bavures, que nous devons à tout prix éviter - mais
aussi pour les victimes, pour la sûreté des personnes et des biens, pour
l'image de marque de nos policiers et de nos gendarmes, qui exercent des
fonctions éminentes. Pourquoi chaque policier ou chaque gendarme est-il perçu
comme une espèce de tortionnaire ? C'est tout de même un peu curieux !
M. Michel Charasse.
C'est la mode entretenue par la presse !
M. Hubert Haenel.
Autre solution, il appartiendrait sans doute au Sénat, monsieur le rapporteur,
de prendre l'initiative de constituer un groupe de travail mixte, associant
policiers, gendarmes et avocats, ou une mission d'information sur les
conditions de la garde à vue sous tous ses aspects. Ce serait faire preuve de
bonne législation, car cette question très importante ne peut pas être traitée
dans la vitesse et la précipitation.
Je souhaite beaucoup, monsieur le rapporteur et cher ami Charles Jolibois, que
le discernement et la sagesse dont vous faites toujours preuve vous conduisent
à prendre en considération cette solution, sans exclure de revoir - car je n'y
suis pas opposé - mais à froid, les conditions de la garde à vue pour se faire
une opinion complète et objective sur le sujet.
Si je ne devais pas être entendu, le groupe du Rassemblement pour la
République voterait donc l'amendement de suppression que j'ai déposé, mais je
pense qu'il y a peut-être d'autres solutions. J'ai d'ailleurs fait quelques
ouvertures.
J'en viens à une autre question concernant toujours les relations entre
autorité judiciaire et police judiciaire.
Aux termes des dispositions législatives du code de procédure pénale, que je
ne vous rappellerai pas, la police judiciaire est placée sous la direction du
procureur de la République dans son ressort, sous le contrôle de la chambre
d'accusation et du procureur général qui habilite les OPJ. Tout cela est plus
ou moins théorique selon les configurations et les usages nationaux et
locaux.
Cependant, l'autorité judiciaire est absente de l'inspection générale de la
police nationale quand celle-ci enquête sur le fonctionnement d'un service de
police judiciaire ou sur le comportement, dans l'exercice de ses fonctions,
d'un APJ et d'un OPJ.
Pour remédier à cette situation paradoxale, le Sénat a adopté, sur mon
initiative, en première lecture, un amendement créant une inspection générale
de la police judiciaire, placée sous l'autorité du ministre de la justice et
associant, je le précise, des fonctionnaires de la police nationale et des
militaires de la gendarmerie.
Toutefois, étant donné que, dans ce domaine, ce n'est jamais le bon moment -
on connaît la ritournelle ! -, Mme la rapporteuse de la commission des lois de
l'Assemblée nationale a supprimé cette disposition d'un trait de plume et,
semble-t-il, madame la ministre, avec l'accord du Gouvernement. Cet amendement
n'avait pas de place dans ce texte, alors que, s'agissant du fonctionnement de
la police judiciaire, nous sommes, je crois, au coeur de la présomption
d'innocence !
La conférence nationale des procureurs généraux a souligné, à l'unanimité, la
pertinence de cet amendement en relevant : « C'est, à notre avis, un excellent
moyen pour renforcer le contrôle de l'autorité judiciaire pour les OPJ, sans
bouleverser l'organisation traditionnelle des services de police et de
gendarmerie. » Le dernier membre de phrase mérite d'être pris en considération
!
Certes, la commission des lois reprend l'idée en l'atténuant. La formule
proposée par le rapporteur, même si elle est en retrait par rapport à
l'amendement adopté en première lecture, constitue cependant une avancée qui
est non négligeable, mais qui posera bien des problèmes de protocole et autres
lorsqu'il faudra mettre ce dispositif en application. On connaît bien la
musique !
Je voudrais qu'on m'explique un jour d'où viennent les réticences et quelles
sont les véritables motivations pour ne pas aller jusqu'au bout de la logique.
Faute d'avoir été assez hardis sur ce point, comme sur quelques autres, un
jour, à chaud, à l'occasion d'une grosse bavure faisant un gros scandale, nous
réglerons mal ce type de question. L'affaire Foll est encore dans tous les
esprits, je n'y reviendrai donc pas.
Lorsque j'évoque ces graves dysfonctionnements, je ne pense pas seulement aux
bavures, je pense aussi à l'intrusion de considérations politiciennes dans les
enquêtes préliminaires, sans rapport avec la procédure.
Ne perdons pas de vue non plus l'objectif poursuivi par le ministère de
l'intérieur - que je ne discute pas - d'étendre la qualification d'OPJ à
quasiment tous les gardiens de la paix justifiant d'une certaine ancienneté. Ce
sera, bien sûr, la même chose pour les gendarmes. La qualification sera donc
quasiment banalisée.
Ayons donc toujours à l'esprit, en traitant ce sujet, tous les pouvoirs
attachés à la qualification d'OPJ : arrestation, placement en garde à vue,
perquisition dans certaines conditions, etc. L'autorité judiciaire doit être
présente dans les enquêtes disciplinaires diligentées à l'encontre des OPJ et
des APJ lorsque les faits reprochés ne sont pas détachables du service. Il n'y
a donc pas confusion du tout, comme je l'ai entendu dire hier par nos amis de
la police, qui étaient dans une pièce à côté.
Nous avançons cependant à petits pas. La preuve, vous avez, monsieur le
rapporteur, fait adopter par la commission des lois deux amendements importants
: fixation par le procureur de la République d'un délai pendant lequel une
enquête préliminaire doit se dérouler ; obligation pour les OPJ, dans le cadre
d'une enquête préliminaire d'initiative policière, d'aviser le procureur de la
République dès qu'une personne identifiée est soupçonnable. C'est en quelque
sorte la consécration du « temps réel ». L'application immédiate des décisions
prises par la chambre d'accusation à l'encontre d'OPJ, qui est une excellente
chose, évitera à l'avenir que parfois le ministère de l'intérieur ne soit tenté
de « narguer » l'autorité judiciaire.
Dois-je d'ailleurs souligner un paradoxe ?
Nous n'hésitons pas à prévoir les enregistrements des gardes à vue, la
présence de l'avocat dès la première heure de la garde à vue, etc. Mais lorsque
l'on veut renforcer le contrôle de l'autorité judiciaire, on s'en remet à une «
pirouette » !
Il est curieux que la tendance soit à « plus d'avocat » dans la garde à vue et
qu'aucune disposition ne traite de la place majeure, effective et non pas
théorique, que doit avoir le parquet, donc des magistrats, dans ce contrôle.
Faire monter en puissance le rôle de l'avocat dans la garde à vue, oui, mais,
je l'ai dit en première lecture, si tous les barreaux sont en mesure de faire
respecter la déontologie et si, parallèlement, les procureurs de la République
sont en mesure d'exercer tous leurs pouvoirs de contrôle sur les conditions de
garde à vue des personnes qui sont placées en quelque sorte sous « main de
justice ». Les OPJ ne sont-ils pas des « mandataires » de l'autorité judiciaire
par l'habilitation qu'ils reçoivent d'un seul, à savoir le procureur général,
pour pouvoir exercer les pouvoirs attachés à leur qualification ?
Depuis des années, je réclame, en vain, une mission d'information pour mettre
à plat objectivement et sereinement des points, complexes et délicats, j'en
conviens.
Les relations entre le ministère de la justice et le ministère de l'intérieur
au regard du fonctionnement de la police judiciaire ne sont pas toujours
simples. Il faudra sans doute attendre, là encore, des révélations, un
scandale. Nous n'en étions pas loin dans le fonctionnement des services de
sécurité et de police judiciaire en Corse. « Tout le monde a eu chaud ! »,
comme on dit familièrement. Un jour viendra où, toutes affaires cessantes, nous
nous précipiterons pour créer une commission d'enquête, comme nous venons de le
faire pour les prisons.
J'achèverai mon intervention par quelques remarques rapides sur la
responsabilité des décideurs publics.
M. Michel Charasse.
Ah !
M. Hubert Haenel.
Nous ne pouvons que nous féliciter, même si l'ensemble des démarches
d'initiative sénatoriale n'ont pas encore abouti à un texte de loi, que les
appels du Sénat au Gouvernement aient été entendus par vous, madame la
ministre.
Réjouissons-nous que l'essentiel des dispositions de la proposition de loi de
notre éminent collègue Pierre Fauchon, amendées par l'Assemblée nationale,
soient rapidement adoptées.
On peut cependant regretter que, sans garantie aucune ni de l'Assemblée
nationale ni du Gouvernement, nous prenions le risque, monsieur le rapporteur,
en adoptant la suppression de l'article 15
quinquies,
de voir s'évanouir
les dispositions concernant la protection accordée aux maires agissant en
qualité d'agents de l'Etat.
M. Michel Charasse.
C'est incroyable !
M. Hubert Haenel.
Cet article additionnel, proposé par notre collègue Michel Charasse, avait été
adopté en première lecture, avec l'accord du Gouvernement, me semble-t-il.
M. Michel Charasse.
Oui !
M. Hubert Haenel.
Certes, ces dispositions paraissent avoir davantage leur place dans la
proposition de loi tendant à préciser la définition des délits non
intentionnels, mais on a vu pire ! Certes, la cour administrative d'appel de
Bordeaux, le 5 mars 1998, a admis cette protection en application de l'article
11 du statut des fonctionnaires, mais une décision isolée vaut-elle
jurisprudence ? De toute façon, si cela va sans dire, c'est encore mieux en le
disant. Et, comme on dit dans nos campagnes : « Un tiens vaut mieux que deux tu
l'auras. »
Enfin, vous nous proposez fort justement d'insérer dans ce projet de loi,
monsieur le rapporteur, un article additionnel permettant aux associations
départementales des maires affiliées à l'AMF, l'association des maires de
France, d'exercer les droits reconnus à la partie civile dans toutes les
instances introduites par des élus municipaux à la suite d'injures, d'outrages,
de menaces ou de coups et blessures à raison de leurs fonctions. Cette mesure
me paraît tout à fait adaptée ; soulignons cependant la différence de nature
entre une association de maires et certaines associations.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, telles sont
les observations que je souhaitais formuler, au nom du groupe du Rassemblement
pour la République. A l'exception de l'amendement concernant l'enregistrement
de la garde à vue, et pour des raisons sur lesquelles je ne reviendrai pas,
nous voterons l'ensemble des autres dispositions en souhaitant, comme l'a fait
notre éminent rapporteur, Charles Jolibois, qu'à l'issue de la navette, madame
la ministre, un accord soit trouvé entre le Gouvernement, l'Assemblée nationale
et le Sénat. Ce sera enfin la preuve, comme j'en exprime le souhait depuis des
années du haut de cette tribune, que le débat sur la justice peut s'apaiser.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, en réponse aux différents orateurs, je souhaiterais faire quelques
brèves remarques.
Je répondrai d'abord à M. Haenel, seul orateur qui est intervenu ce matin pour
clore la discussion générale.
M. Haenel a suggéré qu'un groupe de travail évalue les conséquences concrètes
de l'application du projet de loi que nous sommes en train d'examiner. Monsieur
le sénateur, j'ai dit, dans mon discours introductif, que serait créé un tel
groupe de travail et qu'il comprendrait évidemment des magistrats du siège et
du parquet, ainsi que des policiers ; cela me paraît tout à fait
indispensable.
S'agissant de l'impact budgétaire de la sonorisation, je peux d'ores et déjà
vous donner quelques chiffres.
Ainsi, dans les juridictions, l'équipement des salles en sonorisation
reviendrait à environ 40 millions de francs ; pour les services de police et de
gendarmerie, l'impact budgétaire de l'équipement en sonorisation - équipement
et achat de cassettes - serait de l'ordre de 60 millions de francs. Il reste
évidemment à affiner les évaluations s'agissant des personnels.
Je tiens, monsieur le sénateur, à revenir sur vos remarques concernant la
charge de travail du juge d'instruction auquel a été attribué le dossier sur
l'accident du tunnel du Mont-Blanc.
J'ai été très étonné, monsieur le sénateur, que vous, si fin connaisseur des
questions de justice, vous vous adressiez au garde des sceaux pour demander si
le juge d'instruction ne devrait pas être déchargé d'une partie de ses dossiers
et s'il ne devrait pas se voir adjoindre, dans cette affaire particulière, un
autre juge d'instruction.
Je rappellerai que l'indépendance des magistrats du siège, acquise depuis la
Révolution française, implique que le garde des sceaux n'intervient en aucun
cas dans l'attribution des dossiers, encore moins dans leur saucissonnage ou
dans le dessaisissement du juge d'instruction de certains des dossiers dont il
a la charge.
M. Hubert Haenel.
Je suis d'accord.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Par conséquent, il appartient au seul juge
d'instruction de demander le concours d'un autre juge s'il l'estime nécessaire.
Il lui a été rappelé récemment par le premier président de la cour d'appel que
cette possibilité lui était offerte. Il appartient en outre uniquement au chef
de cour, qui dispose des moyens humains nécessaires pour renforcer le tribunal
de Bonneville, avec un substitut placé, un juge placé, de décider s'il doit
affecter à la juridiction de Bonneville des moyens humains supplémentaires.
Ainsi, le premier président a, à tout moment, la possibilité de désigner un
autre juge d'instruction du ressort pour décharger le juge d'instruction en
charge du dossier.
M. Hubert Haenel.
C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
En a-t-il les moyens ? Je réponds « oui », car
l'attribution de ces moyens relève de ma responsabilité. J'ai créé un poste
supplémentaire de substitut placé ; j'ai affecté en surnombre un juge
d'instruction ; j'ai accordé des crédits de fonctionnement supplémentaires ;
j'ai affecté des moyens informatiques - je pense notamment au logiciel destiné
à numériser les dossiers, ce qui permettra d'en donner des copies sur CD-Rom
aux avocats, qui ont évidemment beaucoup de difficultés à s'y retrouver dans ce
dossier extrêmement volumineux.
Dans le cadre de mes responsabilités, j'ai organisé le suivi international du
dossier en liaison étroite avec les autorités judiciaires italiennes. Plusieurs
réunions de travail se sont tenues entre Paris et Rome. Naturellement, le suivi
de l'indemnisation des victimes est assuré par un comité qui regroupe les
autorités chargées de l'enquête, les assureurs et l'Institut national d'aide
aux victimes et de médiation, l'INAVEM, et qui se réunit tous les quinze jours.
Bien évidemment, la Chancellerie y apporte un concours actif afin de permettre
aux victimes d'être renseignées et d'effectuer correctement toutes leurs
démarches. Voilà ce que je souhaitais dire pour dissiper toute ambiguïté.
M. Hubert Haenel.
Me permettez-vous de vous interrompre, madame le garde des sceaux ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je vous en prie, monsieur Haenel.
M. le président.
La parole est à M. Haenel, avec l'autorisation de Mme le garde des sceaux.
M. Hubert Haenel.
Je savais - je l'ai d'ailleurs dit dans mon intervention - que des moyens
supplémentaires avaient été accordés, mais la question de fond est de savoir à
qui la représentation nationale doit s'adresser. Imaginez que je pose la
question au premier président ou au procureur général : ils vont « m'envoyer
sur les roses », si j'ose dire.
Vous me dites que vous ne pouvez pas répondre. Il y a donc un problème.
Certes, j'en conviens, madame le garde des sceaux, vous avez rappelé la règle,
règle à laquelle j'adhère absolument.
Certes, j'en conviens également, vous avez fait tout ce qui était en votre
pouvoir pour essayer de traiter le problème. Mais reste la question de savoir à
qui, localement, la représentation nationale peut s'adresser dans un tel cas
?
M. Michel Charasse.
Le rapporteur spécial du budget peut intervenir !
M. le président.
Veuillez poursuivre, madame le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je suis toujours très heureuse lorsque me sont posées
des questions qui me permettent de dissiper des malentendus. Mais, dans la
formulation de votre question, monsieur Haenel, vous auriez pu, vous, établir
une distinction, parce que la confusion est souvent faite par des commentateurs
entre ce qui relève de la responsabilité des magistrats, d'une part, et de
celle de la Chancellerie, d'autre part. Votre question m'a donné l'occasion de
faire une mise au point. Par conséquent, je vous en remercie.
Revenons-en à la discussion du présent projet de loi.
Nous examinons un texte important, sur lequel un travail commun, que je tiens
à saluer, a été effectué. Plusieurs intervenants, M. Jacques Larché, M.
Jolibois, M. Badinter, ont souligné à quel point ce projet de loi était le
résultat d'une coproduction entre le Gouvernement, l'Assemblée nationale et le
Sénat. C'est une bonne chose s'agissant d'un texte qui intéresse au premier
chef tous nos concitoyens et vis-à-vis duquel nous pouvons essayer de dépasser
certaines oppositions.
Depuis un an et demi que ce texte est examiné, une maturation s'est effectuée
et des apports importants ont été enregistrés.
Dès le départ, le projet de loi du Gouvernement devait maintenir un équilibre
délicat entre la nécessité de mieux garantir les droits et libertés
individuels, spécialement en cas de procédures de contrainte, et la nécessité
de ne pas compromettre la recherche de la vérité et, naturellement,
l'efficacité de l'enquête.
Il revient évidemment à chacun d'apprécier cet équilibre, mais, en tout cas,
le texte du Gouvernement allait dans ce sens et les apports de l'Assemblée
nationale et du Sénat l'ont précisé en respectant toujours ce principe.
C'est ainsi que l'Assemblée nationale, en première lecture, a bien renforcé la
procédure du témoin assisté, qui permet à une personne d'être auditionnée en
présence de son avocat sans être mise en examen. Elle a également bien
renforcé, sur le fondement d'un rapport demandé par le Premier ministre, les
dispositions existant à l'égard des victimes, et je m'en félicite. Là encore,
il y a eu un effet de maturation. Lorsque le projet de loi a été déposé à
l'Assemblée nationale, le rapport de Mme Lienemann n'était pas encore déposé,
et c'est le Sénat qui a introduit le principe de l'appel tournant en cour
d'assises.
Au cours de discussions précédentes, j'avais indiqué pourquoi il me paraissait
difficile de reprendre le projet de mon prédécesseur. Je me souviens que la
discussion du projet introduit par M. Toubon avait duré extrêmement longtemps
et que bien des questions n'avaient pas été réglées, comme celle de la
motivation des décisions de la cour d'assises. En tout cas, je le reconnais, ce
débat a fait mûrir les esprits et, lorsque j'ai estimé nécessaire de présenter
une autre modalité moins coûteuse en moyens humains, j'ai été heureuse qu'après
avoir fait circuler cette note sur l'appel tournant le Sénat ait lui-même
proposé ce principe.
D'ailleurs, le fait que le Sénat ait lui-même proposé ce principe en première
lecture a permis que l'Assemblée nationale vote l'amendement que je lui ai
proposé pour décrire le dispositif, et cela en vingt minutes ! Miracle des
consensus soudains ! Je ne peux, naturellement, que m'en réjouir.
Au cours de cette deuxième lecture au Sénat, je crois que nous allons encore
accomplir un progrès considérable avec la réforme profonde de la libération
conditionnelle. Il me semble en effet percevoir à cet égard une volonté
politique nouvelle.
Cette volonté, c'est bien sûr celle du Gouvernement, alors qu'elle ne s'était
plus manifestée en la matière depuis dix-sept ans : Robert Badinter a rappelé
hier que le projet de réforme qu'il avait présenté datait de 1983 mais que,
sous l'effet de certaines circonstances, rien ne s'était produit depuis. Cela
étant, je me plais à souligner que cette volonté politique du Gouvernement est
soutenue par le Sénat.
J'ai informé, voilà une quinzaine de jours, M. le rapporteur de l'orientation
qu'était susceptible de prendre le Gouvernement sur la base du rapport Farge.
Je suis très heureuse que la réflexion de la commission l'ait conduite à
rejoindre l'analyse du Gouvernement ; puisque nous présentons en effet deux
amendements extrêmement voisins, pour ne pas dire identiques.
Ainsi, un accord s'est fait jour sur de très nombreux points, en particulier
sur la cour d'assises, sur le nouveau régime des libérations conditionnelles
et, plus généralement, sur la nécessité de renforcer la présomption d'innocence
et les droits des victimes. Cet accord est fondé sur la qualité du travail
parlementaire et du dialogue constructif qui s'est noué entre le Sénat,
l'Assemblée nationale et le Gouvernement. Dans ces conditions, la mise au point
d'une position commune aux deux assemblées paraît à portée de main, et je m'en
félicite.
Bien sûr, des critiques ont été émises au cours de cette discussion
générale.
L'enregistrement sonore des gardes à vue, notamment, a suscité plusieurs
remarques, en particulier de la part de MM. Hoeffel, Joly, Bonnet et de
Broissain. Je rappelle que le Gouvernement n'avait pas proposé cette mesure :
elle résulte de l'adoption, à l'Assemblée nationale, d'un amendement d'origine
parlementaire. J'ai d'ailleurs exprimé hier, dans mon intervention liminaire,
des interrogations personnelles, qui sont aussi celles du Gouvernement et que
j'avais déjà formulées devant l'Assemblée nationale. J'espère que nos débats
nous permettront de progresser.
Quant à la présence de l'avocat à la première heure, elle ne me paraît pas
mériter les critiques qui lui sont adressées. Au demeurant, ce sont les mêmes
critiques que l'on a entendues lorsque, en 1993, la présence de l'avocat à la
vingtième heure de la garde à vue a été instituée.
M. Bonnet a estimé que la part réservée aux victimes était limitée dans le
projet de loi. Permettez-moi de vous dire, monsieur le sénateur, que cette
critique est paradoxale puisque ce projet est précisément, après le projet de
loi tendant à réprimer la délinquance sexuelle, le premier texte général de
procédure pénale qui reconnaît explicitement dans notre droit les droits des
victimes. Le titre II du projet ne leur est-il pas entièrement consacré ? Je
rappelle que les dispositions de ce titre II prévoient notamment l'information
des victimes sur leurs droits dès le début de l'enquête, le droit pour la
partie civile de demander des actes, au même titre que le parquet ou la
personne mise en examen, et d'intervenir dans le procès en posant directement
des questions au prévenu ou aux témoins. Tous les champs d'intervention, me
semble-t-il, sont couverts : l'accueil, l'écoute, l'intervention.
Bien sûr, je ne suis pas revenue, au cours de cette brève réponse, sur tous
les points évoqués dans la discussion générale, qui a été très riche et très
utile. J'espère que l'examen des amendements nous permettra de réduire encore
le champ des désaccords entre l'Assemblée nationale et le Sénat afin que cet
important texte de loi puisse être mis en oeuvre rapidement.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la
discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du
Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
Article 1er