Séance du 19 janvier 2000
M. le président. Par amendement n° 238 rectifié, M. Charasse, Mme Pourtaud, MM. Dreyfus-Schmidt, Collomb, Lagauche, Weber et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 5, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Après l'article L. 321-12 du code de la propriété intellectuelle, il est inséré un nouvel article ainsi rédigé :
« Art. L. ... - La Cour des comptes peut contrôler les comptes et la gestion des sociétés de perception et de répartition des droits institués par l'article L. 321-1 du présent code, ainsi que de leurs filiales et des organismes qui en dépendent.
« II. - Après l'article L. 111-8-2 du code des juridictions financières, il est inséré un nouvel article ainsi rédigé :
« Art. L. ... - La Cour des comptes peut contrôler les comptes et la gestion des sociétés de perception et de répartition des droits institués par l'article L. 321-1 du code de la propriété intellectuelle, ainsi que de leurs filiales et des organismes qui en dépendent. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Si l'INA, dont nous venons de parler, est un organisme, par obligation, par nature, gestionnaire de droits collectifs, il n'est pas le seul dans ce cas, en France.
Comme vous le savez, le code de la propriété intellectuelle prévoit, reprenant d'ailleurs une législation ancienne qui doit dater de 1957, l'affiliation, obligatoire dans un certain nombre de cas, à des sociétés de collecte et de gestion de droits collectifs des artistes, auteurs, interprètes, compositeurs, chanteurs, etc. Ce sont des sociétés de droit privé avec une quasi-obligation d'adhésion. Elles ont reçu de la loi pour mission - c'est donc une mission de service public - de gérer les droits prévus des auteurs, compositeurs, artistes, interprètes, etc.
Depuis quelque temps, la presse se fait l'écho de comportements inquiétants et fâcheux d'un certain nombre de sociétés de collecte de droits, dont je précise au passage qu'elles brassent des milliards de francs, menant des politiques immobilières, des politiques d'investissements, et détenant des fonds sociaux, des fonds généraux, des fonds de ceci ou de cela. Toutes ces activités sont soumises au droit des sociétés et au contrôle de l'assemblée générale annuelle des actionnaires, lesquels, dans ce public très particulier des artistes et compositeurs, se déplacent peu, vous l'imaginez bien, pour venir aux assemblées générales.
Notre idée, reprenant d'ailleurs une demande ancienne de la Cour des comptes, c'est que la manière dont cette mission de service public est exercée par ces sociétés, qu'il s'agisse de la SACEM , de l'ADAMI, de la SPEDIDAM, de la SACD... - je pourrais en énumérer beaucoup - doit désormais être contrôlée, non pas tous les ans, mais quand il le faut, par la Cour des comptes.
Voilà quelques années, nous avons adopté des dispositions spéciales pour contrôler les associations de droit privé régies par la loi de 1901 qui font appel à la charité publique, si je puis dire. C'était, vous vous en souvenez, l'affaire de l'ARC. Depuis cette date, la Cour des comptes a reçu la mission du législateur de contrôler non seulement l'ARC, mais également toutes les associations analogues - Médecins du monde, Médecins sans frontières, Emmaüs, la Croix-Rouge, la Fondation de France, les Restaurants du coeur, le Secours populaire, le Secours catholique, etc.
Or, si ces associations caritatives brassent des millions, les sociétés collectrices de droits brassent, elles, des milliards ! A l'exception d'un article de journal, une fois de temps en temps, qui laisse supposer des horreurs, des sinécures, des gens qui vivent sur la bête, etc. - non pas forcément dans toutes ces sociétés, mais au moins dans certaines d'entre elles - nous ne savons rien, car le contrôle de la Cour des comptes est impossible.
L'amendement n° 238 rectifié vise donc tout simplement à prévoir, dans le code de la propriété intellectuelle, que ces sociétés, qui ont un caractère obligatoire et qui ont une mission de service public, seront désormais soumises au contrôle de la Cour des comptes - non pas tous les ans mais quand la Cour des comptes le décidera - et à compléter par une disposition analogue le code des juridictions financières qui réglemente les activités de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes.
Voilà, monsieur le président, l'objet de l'amendement n° 238 rectifié qui, au fond, transpose à ces sociétés prévues par le code de la propriété intellectuelle ce qui se passe depuis 1990 ou 1991, à la suite de l'affaire de l'ARC en particulier, pour les grandes associations qui font appel à la générosité du public.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Hugot, rapporteur. La commission émet un avis favorable, monsieur le président.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Contrairement à la commission, le Gouvernement émet un avis défavorable.
Le contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits par la Cour des comptes n'est pas une idée nouvelle.
M. Michel Charasse. Ah !
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Cette proposition a déjà été faite à plusieurs reprises, et j'ai eu déjà l'occasion d'exprimer mon désaccord sur ce point, comme mes prédécesseurs, même si je partage parfaitement le souci qui vient d'être rappelé par M. Charasse, qui est exprimé par le groupe socialiste et qui est partagé par la commission.
La loi du 3 juillet 1985 a donné aux sociétés de gestion collective un statut juridique uniforme, celui des sociétés civiles régies par le code civil et des dispositions particulières qui tiennent compte de leurs spécificités. Ces sociétés sont en effet des organismes de droit privé, dirigés par des personnes de droit privé, gérant des fonds privés et ne faisant pas appel public à l'épargne ; elles n'exercent pas d'activité de service public. Le contrôle de leur activité est assuré par les mesures générales prévues au bénéfice des associés...
M. Michel Charasse. L'ADAMI !
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. ... par le code civil et les mesures spéciales introduites par le législateur de 1985 dans ce qui est devenu, par la suite, le code de la propriété intellectuelle.
M. Michel Charasse. L'ADAMI !
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Le titre II du livre III de ce code dispose notamment que ces sociétés sont débitrices d'une obligation d'information au ministère de la culture.
Cette disposition a permis d'établir avec les sociétés de perception et de répartition des droits des relations permettant de mettre en place un contrôle administratif de leur activité en plus du contrôle formel de leur activité financière récemment renforcé par des dispositions réglementaires qui imposent une présentation normalisée et simplifiée de leurs activités de perception...
M. Michel Charasse. L'ADAMI !
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. ... et de répartition des sommes revenant aux titulaires de droit.
M. Michel Charasse. L'ADAMI !
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Il faudrait aussi, monsieur Charasse, puisque vous citez l'ADAMI, revenir sur les conséquences qu'a entraînées la création de l'ADAMI, qui, en effet, a posé problème, en particulier pour un certain nombre d'adhérents de l'ADAMI.
M. Michel Charasse. Bien sûr !
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Il est temps, toutefois, de faire un bilan de l'application des dispositions de la loi de 1985 et de vérifier que ce dispositif est suffisant. J'ai donc la même préoccupation que l'auteur de l'amendement.
A ce titre, j'ai décidé de demander à l'Inspection générale de l'administration des affaires culturelles de conduire un travail d'évaluation des modalités de gestion, de fonctionnement et de contrôle interne de ces sociétés.
Sans préjuger les conclusions de ces travaux, dont je tiendrai bien entendu le Parlement informé, je m'attends à recevoir des préconisations conduisant, notamment, à mieux encadrer la présentation des documents comptables et de compte rendu d'activité de ces sociétés afin d'assurer une meilleure transparence de leur gestion, et sur le renforcement des droits d'information et des pouvoirs de contrôle interne des associés et ayants droit eux-mêmes.
Si ce type de mesures appelle une modification du dispositif législatif en vigueur, je proposerai que le Gouvernement dépose un projet de loi en ce sens.
Pour tous ces motifs, instaurer aujourd'hui un contrôle de la Cour des comptes sur ces sociétés n'est pas la bonne solution et constituerait une décision prématurée par rapport aux réflexions en cours que je souhaite poursuivre dans la sérénité, dans la responsabilité de chacun des partenaires mais, en même temps, en tenant compte de l'avancée qui a caractérisé, au cours de la dernière période, la présentation comptable et la connaissance des situations financières, un audit ayant été réalisé pour chacune des sociétés de perception.
Depuis que je suis au ministère de la culture, ce dernier se préoccupe vivement de cette question, et je ne voudrais pas que, à l'occasion de l'examen de ce projet de loi relatif à l'audiovisuel, on prenne une décision qui risquerait de neutraliser le travail remarquable qu'effectue aujourd'hui la responsable de l'inspection générale, Mme Mariani-Ducray.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 238 rectifié.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, le dépôt de cet amendement a déclenché un véritable traumatisme, qui se ressent d'ailleurs parfaitement dans les propos de Mme le ministre.
Mais, madame le ministre, de quoi avez-vous peur ?
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Je n'ai pas peur !
M. Michel Charasse. En fait, vous venez de nous expliquer que la Cour des comptes était une horreur. Dans ce cas, je vous dis qu'il faut vite la supprimer et dispenser les élus locaux d'avoir à répondre devant les chambres régionales des comptes ! (M. de Broissia applaudit.)
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Ce n'est pas la même chose !
M. Michel Charasse. Avez-vous peur de la transparence ? Estimez-vous normal que l'on demande à un élu local de justifier une somme de 2 000 francs, alors que, dans le même temps, des milliards de francs peuvent circuler librement, sans contrôle ?
Depuis huit jours, j'ai été soumis à diverses pressions, à propos de cet amendement, par les organismes concernés. J'ai eu avec eux un véritable dialogue à la Pierre Dac : pourquoi voulez-vous nous contrôler, on est très clair ? Eh bien ! puisque vous êtes clair, vous ne risquez rien. Mais puisqu'on est clair, ce n'est pas la peine ! Mais puisque vous êtes clair, vous ne risquez rien !... Ça suffit !
Si, véritablement, le contrôle de la Cour des comptes est une horreur, alors qu'on l'a imposé à toutes les grandes associations qui font appel au public, il faut qu'on m'explique ce qui se cache derrière tout cela.
M. Louis de Broissia. Absolument !
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Monsieur Charasse, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Michel Charasse. Bien volontiers, madame le ministre.
M. le président. La parole est à Mme le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. D'abord, monsieur Charasse, je ne peux pas laisser dire ici que je suis contre la transparence. Il suffit de se reporter à mes propos tout au long de ce débat sur l'audiovisuel pour se convaincre du contraire.
J'aimerais, ensuite, que vous reconnaissiez que les dispositions qui sont mises en oeuvre sont bien réelles et qu'elles font l'objet d'un travail attentif.
Comme vous, je n'ai pas apprécié un certain nombre de démarches,...
M. Michel Charasse. Y compris dans cette maison !
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. ... c'est vrai, et y compris auprès de la ministre.
Cela étant, je vous rappelle que ces sociétés de perception ne font pas appel à l'épargne publique, qu'il s'agit donc non pas de refuser la transparence, mais de respecter ce qui est aujourd'hui leur statut.
Une fois que le rapport aura été remis, nous verrons quelles mesures peuvent être prises.
Pour l'instant, essayons de garder notre sérénité. Si l'on est contre la disposition proposée, on est accusé de refus de transparence, alors qu'une action est menée en ce sens. Et si l'on ne répond pas, c'est dommageable à la fois à la réputation de ces sociétés de perception et à la crédibilité des arguments employés.
Je me suis personnellement engagée, monsieur Charasse, à ce que le rapport de l'inspection générale soit transmis au Parlement. Voilà une preuve de transparence !
En l'instant, je préfère que l'on n'anticipe pas en adoptant un amendement qui viendrait interrompre le travail aujourd'hui engagé et trancher une question de droit qui n'est pas si évidente à traiter.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Charasse.
M. Michel Charasse. Je ne vois pas en quoi le travail de transparence qui est en cours serait interrompu en quoi que ce soit par la Cour des comptes. Je dirai même qu'il n'y a pas meilleur facteur de transparence dans la République que la Cour de comptes.
J'ajoute que l'adhésion à ces sociétés est obligatoire, que pour quitter l'une d'entre elles il faut obligatoirement adhérer à une autre, qu'elles s'accordent entre elles pour gêner certaines adhésions et empêcher la fuite de leurs clients, bref, qu'il y a une espèce d'organisation très particulière - je me garderai de la qualifier ; de crainte d'être désagréable envers Mme le ministre - qui fait que je ne vois pas en quoi le contrôle de la Cour des comptes serait si dangereux !
Ce contrôle n'interrompra rien du tout : nous le supportons dans nos communes ; l'Etat le supporte pour ses propres comptes ; l'ensemble des entreprises publiques le supportent ; toutes les grandes associations qui font appel au public et que je citais tout à l'heure - l'ARC, entre autres - le supportent maintenant. Il n'y a donc pas de raison que ces sociétés qui brassent des milliards de francs ne le supportent pas.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous sommes dans une situation quelque peu particulière.
Nous avons contresigné cet amendement avec Michel Charasse parce que nous pensons que c'est un vrai problème et que nous sommes a priori favorables à un contrôle par la Cour des comptes de ces sociétés. Mme la ministre nous a expliqué les raisons pour lesquelles elle n'y est pas favorable. Quant à la commisison, elle y est favorable. Encore une fois, j'aimerais, si je puis dire, calmer le jeu.
Pour l'instant, le vote éventuel de cet amendement par le Sénat n'interrompra rien, car la loi ne sera pas votée ce soir.
M. Michel Charasse. Exactement !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'enquête pourra donc continuer pendant la navette jusqu'au vote définitif de cette loi, qui n'est évidemment pas pour demain, voire arriver à son terme.
J'ai été sensible à l'argument selon lequel il s'agit de sociétés privées gérant des fonds privés et ne faisant pas appel aux fonds publics.
M. Michel Charasse. Comme l'ARC !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est vrai, mais - car il y a un « mais » - le recours à ces sociétés est rendu obligatoire par la loi. Autrement dit, ce n'est pas volontairement que les auteurs déposent leurs oeuvres à la SACEM ou à telle autre société, et, en toute sincérité, je crois que cet aspect des choses justifie que la Cour des comptes puisse exercer un contrôle.
En l'état actuel, cet amendement que nous avons déposé et auquel la commission est favorable n'arrête rien. Et avant la fin de l'examen de ce texte, nous pourrons sans doute avoir connaissance du résultat de cette enquête que nous vous sommes reconnaissants d'avoir demandée, madame le ministre.
M. Ivan Renar. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Moi aussi, je suis pour la transparence et pour que le bon droit l'emporte. Cela dit, j'ai bien entendu Mme la ministre. J'ai également entendu, tout à l'heure, M. Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles, indiquer que, dans le cadre d'un groupe d'études, on travaillait ici sur ces mêmes problèmes.
Je me pose la question de savoir si nous devons, dans ce débat, aborder les questions de ce type et dans l'examen de cette loi relative à la liberté de communication, aborder tous les problèmes. Je reste perplexe.
Aussi, si l'amendement est maintenu, mes collègues et moi-même nous abstiendrons.
M. Michel Pelchat. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Pelchat.
M. Michel Pelchat. Je ne suis pas sûr qu'il soit opportun de prendre une décisiosn de cette nature dans le projet dont nous discutons.
Aussi, mon groupe s'absiendra également dans cette affaire.
M. Dreyfus-Schmidt l'a dit, peut-être aurons-nous davantage de précisions sur l'enquête qu'a engagée Mme le ministre lors de la seconde lecture de ce texte.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 238 rectifié, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 5.
Article 5 bis