Séance du 26 octobre 1999







M. le président. « Art. 4. _ Il est inséré, après l'article 40 du code de procédure pénale, un article 40-1 ainsi rédigé :
« Art. 40-1 . _ Le procureur de la République notifie par écrit la décision de classement de l'affaire au plaignant, ainsi qu'à la victime lorsque celle-ci est identifiée. Cette décision est motivée en distinguant les considérations de droit et de fait.
« La décision précise les conditions dans lesquelles la victime, le plaignant ou la personne ayant dénoncé les faits peuvent, selon les cas, soit engager des poursuites par voie de citation directe ou de plainte avec constitution de partie civile, ainsi que les conditions dans lesquelles elles peuvent bénéficier de l'aide juridictionnelle, soit exercer un recours contre la décision de classement dans les conditions prévues aux articles 48-1 à 48-5.
« Cette décision rappelle également les dispositions du code pénal et du code de procédure pénale relatives aux dénonciations calomnieuses et aux constitutions de partie civile abusives ou dilatoires. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 28 rectifié, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit la première phrase du premier alinéa du texte présenté par l'article 4 pour l'article 40-1 du code de procédure pénale :
« Le procureur de la République notifie par écrit à l'auteur de la plainte ou de la dénonciation ainsi qu'à la victime, lorsqu'elle est identifiée, sa décision de ne pas poursuivre. »
Par amendement n° 64, Mme Derycke et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, dans la première phrase du premier alinéa du texte présenté par l'article 4 pour l'article 40-1 du code de procédure pénale, de remplacer les mots : « au plaignant » par les mots : « à l'auteur de la plainte ou de la dénonciation ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 28 rectifié.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. J'ai le sentiment assez plaisant que nous allons sans doute pouvoir nous mettre un peu plus facilement d'accord : il s'agit, cette fois, du problème de la dénomination des classements sans suite, qui, à la réflexion, nous paraît être devenue - alors que ce n'était pas le cas il y a dix ou quinze ans - tout à fait inadaptée.
En effet, la notion de classement sans suite n'a plus la signification qu'elle avait autrefois. Elle recouvre maintenant des réalités qui sont très différentes, puisque les solutions de rechange aux poursuites auxquelles nous sommes, vous comme nous, madame le garde des sceaux, si attachés, aboutissent formellement à un classement, alors qu'elles constituent, en réalité, une véritable réponse de la société face à la délinquance. D'ailleurs, dans bien des cas, cette réponse nous paraît mieux adaptée, préférable à l'envoi à des audiences surchargées qui, souvent, ne permettent pas de traiter les affaires avec la même attention.
Il semble donc souhaitable de faire disparaître la notion de classement sans suite du code de procédure pénale, où elle avait été introduite en 1985. A cette époque, les procédures pouvant être substituées aux poursuites, comme la médiation, n'existaient pas ou presque. Mais aujourd'hui, elles se développent considérablement, et nous avons voté des textes qui permettent, avec la composition pénale, d'étendre leur champ d'application.
Par conséquent, il faut éviter de maintenir cette expression de « classement sans suite », qui donne lieu, ensuite, à l'établissement de statistiques un peu démoralisantes. Certes, il y trop de classements sans suite véritables, mais il n'y en a tout de même pas autant que l'on peut en dénombrer par le biais de cette dénomination, qui ne correspond plus à la réalité du traitement du contentieux pénal.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 64.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous remarquons que la commission a bien voulu reprendre notre proposition, en prévoyant que doivent être avisés par écrit l'auteur de la plainte ou de la dénonciation ainsi que la victime. Mais, pour le reste, nous ne sommes pas du tout d'accord.
Bien entendu, si son amendement était repoussé, la commission accepterait le nôtre. Toutefois, l'amendement de la commission - et c'est ce en quoi nous n'avons pas satisfaction - prévoit que l'on parle non plus des « classements sans suite », mais des « décisions de ne pas poursuivre ». Or, nous ne sommes pas d'accord sur ce point.
Il est vrai que la médiation, chère à M. le rapporteur, n'existe pas, mais on peut recourir à d'autres procédures. Ainsi, le procureur a déjà la possibilité de classer provisoirement une affaire, à condition que l'intéressé, par exemple, dédommage la victime ou rembourse la collectivité locale dont il avait utilisé les employés à des fins personnelles.
Le problème, c'est que cette solution peut ne pas donner satisfaction aux plaignants.
Dès lors, je pense que cette formule n'est pas bonne. On ne demande pas seulement au procureur de poursuivre ou de ne pas poursuivre, on lui demande de donner la suite correspondant à la plainte et aux directives générales qui sont données.
Par conséquent, nous ne sommes pas favorables à la proposition de la commission. Il s'agit d'une idée qui semble chère à M. Fauchon, si j'en crois son rapport, mais je me permets d'insister auprès de lui : doit-on accepter que le procureur donne n'importe quelle suite à une plainte, même si cette suite paraît tout à fait insuffisante eu égard à ce que l'on attend de lui, à savoir des poursuites devant un tribunal ? La médiation est une bonne chose, mais elle peut ne pas paraître suffisante à la victime, qui n'acceptera pas forcément de se contenter d'un dédommagement.
L'expression « classement sans suite » doit donc être maintenue dans le texte, car on ne peut se contenter de faire référence aux « décisions de ne pas poursuivre ». Nous verrons d'ailleurs plus loin, à la section V, que le texte traite non pas de tous les classements sans suite, mais seulement de certains d'entre eux.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 64 ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il est, à mon sens, satisfait par l'amendement de la commission. (M. Dreyfus-Schmidt s'esclaffe.)
Cela étant, je n'ai pas bien compris les explications de M. Dreyfus-Schmidt, et je persiste à penser qu'il faut retenir l'expression « décision de ne pas poursuivre ». Cela ne préjuge pas du fond ; il s'agit simplement d'une formulation qui correspond mieux à la réalité et qui, encore une fois, permet d'éviter ce fâcheux aspect d'affichage de l'expression « classement sans suite ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La médiation, c'est une poursuite ?
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 28 rectifié et 64 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je voudrais tout d'abord indiquer que je suis tout à fait favorable à l'amendement n° 28 rectifié, qui vise à substituer l'expression : « décision de ne pas poursuivre » à l'expression : « classement sans suite ».
En effet, la formule : « classement sans suite » recouvre des réalités très variées, qu'il s'agisse de classements sans suite purs et simples pour des raisons d'opportunité, de classements sans suite pour des raisons juridiques ou de classements faisant suite à une procédure de médiation ou de réparation pénale. Dans ce dernier cas, le moins que l'on puisse dire est que le parquet a bien réservé une suite à la procédure, même si cette suite ne consiste pas en des poursuites pénales.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je signale d'ailleurs que, dans la dernière édition des chiffres clés de la justice d'octobre 1999, l'expression « classements sans suite » est réservée aux classements sans suite « secs », c'est-à-dire décidés en pure opportunité. Les chiffres que j'ai donnés l'autre jour font état d'un peu plus de 250 000 cas de ce genre, tandis que 4,9 millions de plaintes ont été enregistrées.
Par conséquent, l'expression : « décision de ne pas poursuivre » me semble préférable. Elle présente par ailleurs l'avantage d'englober la procédure de composition pénale décidée par la loi du 27 juin 1999, qui ne constitue ni une poursuite ni un classement sans suite.
Je suis également favorable à l'amendement n° 64, qui me paraît devoir renforcer la cohérence du dispositif. Il me semble normal que les personnes ayant dénoncé une infraction au procureur soient avisées de la décision de celui-ci ne pas poursuivre, afin de leur permettre, le cas échéant, de la contester.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 28 rectifié.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Madame le garde des sceaux, vous avez donné l'exemple de la composition pénale, qui suppose l'accord des deux parties. J'en suis d'accord, mais bien d'autres exemples pourraient être cités qui ne supposent pas l'accord de la victime ou du plaignant. On dira qu'il y a eu poursuite, même s'il n'y a pas eu de citation devant le tribunal ou d'ouverture d'information. Les plaignants pourraient tout de même souhaiter avoir leur mot à dire sur la décision qui est prise par le procureur si la poursuite leur paraît insuffisante.
J'ai donné tout à l'heure l'exemple, en m'excusant de ne pas en trouver d'autre, d'une personne non citée en correctionnelle parce qu'elle aurait accepté de rembourser le préjudice qu'elle aurait causé. Or, cela peut ne pas suffire à la victime. Dans ce cas, s'agit-il ou non d'une décision de ne pas poursuivre ?
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 28 rectifié, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 64 n'a plus d'objet.
Par amendement n° 29, M. Fauchon, au nom de la commission, propose, dans la seconde phrase du premier alinéa du texte présenté pour l'article 40-1 du code de procédure pénale, de supprimer les mots : « en distinguant les considérations de droit et de fait ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Préciser dans le texte qu'il faut distinguer les considérations de droit et de fait relève du raffinement. Nous savons qu'il ne faut pas surcharger d'obligations les procureurs, lesquels motivent les décisions de non-poursuite en cochant des cases dans des formulaires. Leur demander de rédiger ces décisions, alors que l'on a déjà bien du mal à obtenir que les jugements soient convenablement motivés, nous paraît excessif.
Ne chargeons donc pas trop la barque, et ne demandons pas davantage de précisions. La portée de cet amendement de simplification est d'ordre purement pratique.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je ne suis pas favorable à cet amendement, car il me semble opportun que les décisions de ne pas poursuivre soient motivées en droit et en fait.
Les motivations en droit concernent les classements sans suite pour des motifs juridiques, mais alors la motivation prend également en compte des éléments de fait. Il est est ainsi lorsque le classement est justifié par la prescription : les faits en cause ont été commis il y a un certain temps - c'est un élément de fait - et le délai écoulé est supérieur à la durée de la prescription prévue compte tenu de la nature contraventionnelle, délictuelle ou criminelle de ces faits - c'est un élément de droit.
De même, un classement décidé à la suite, par exemple, d'une plainte déposée pour escroquerie au motif que l'infraction n'est pas caractérisée suppose l'application d'une règle de droit - c'est la définition légale du délit d'escroquerie - aux faits dénoncés.
Une motivation de pur fait intervient, quant à elle, par exemple, en cas de classement justifié par l'absence d'identification de l'auteur ou par des motifs de pure opportunité, tels que le retrait de la plainte ou la réparation du préjudice.
Cette distinction entre le fait et le droit peut, bien sûr, ne pas apparaître avec suffisamment de clarté dans les courriers actuellement adressés aux victimes. L'inscription de cette obligation dans la loi permettrait de remédier à cette situation.
Telles sont les raisons pour lesquelles je suis opposée à cet amendement.
Je pense toutefois que, s'il était adopté, une solution pourrait être trouvée lors de la navette. L'exigence d'une distinction entre les considérations de droit et de fait pourrait sans doute être présentée différemment, en insistant, par exemple, sur les motifs juridiques ou d'opportunité justifiant le classement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 29.
Mme Dinah Derycke. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Le projet de loi vise précisément à faire évoluer les pratiques, afin de rapprocher la justice de nos concitoyens. Aussi est-il important que les juges fassent apparaître les considérations de droit et de fait qui les ont amenés à ne pas poursuivre - puisque tels sont les termes qui ont été retenus.
Tout cela s'inscrit dans une optique de transparence et de responsabilisation du magistrat, et il nous paraît donc tout à fait utile de maintenir cette disposition.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Depuis très longtemps, les membres du parquet ont l'habitude de classer avec, par exemple, la mention : « insuffisamment caractérisé ». Or, cela ne suffit justement pas. Nous voulons que les personnes intéressées soient mieux informées, d'où cette proposition de distinguer considérations de droit et de fait.
J'avoue que je ne comprends pas qu'un praticien du droit aussi distingué que M. le rapporteur puisse la rejeter.
M. Gérard Delfau. Moi non plus !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 29, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Monsieur le rapporteur, il m'apparaît qu'il convient de réserver l'amendement n° 30 au même titre que, précédemment, les amendements n°s 21 et 22.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. En effet, monsieur le président.
M. le président. Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
En conséquence, le vote sur l'article 4 est également réservé jusqu'après l'examen de l'article 5.

Article 5