Séance du 26 octobre 1999







M. le président. « Art. 5. _ Il est inséré, après l'article 48 du même code, une section 5 ainsi rédigée :

« Section 5

« Des recours contre les classements sans suite

« Art. 48-1 . _ Dans le cas prévu à l'article 40-1, toute personne ayant dénoncé des faits au procureur de la République et n'ayant pas qualité pour se constituer partie civile peut, si elle justifie d'un intérêt suffisant, former un recours contre la décision de classement prise à la suite de cette dénonciation.
« Ces dispositions sont applicables aux décisions de classement sans suite prises en application des dispositions de l'article 80.
« Le recours est adressé au procureur général dans le mois suivant la notification du classement ou, à défaut de notification, à l'expiration d'un délai de huit mois à compter de la dénonciation. Le procureur général peut alors enjoindre au procureur de la République d'engager des poursuites. Dans le cas contraire, le procureur général avise la personne dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article 40-1.
« Dans un délai d'un mois à compter de la notification de la confirmation du classement par le procureur général ou, à défaut de réponse de ce dernier, à compter d'un délai de deux mois suivant la saisine du procureur général, le requérant peut saisir la commission de recours compétente.
« Art. 48-2 . _ Les commissions de recours sont compétentes sur le ressort de plusieurs cours d'appel.
« Elles sont composées de magistrats du parquet des différentes cours d'appel situées dans leur ressort, désignés pour cinq ans par les assemblées générales des magistrats du parquet des cours d'appel intéressées. Dans les mêmes formes, il est procédé à la désignation de membres suppléants. Les magistrats titulaires désignent parmi eux le président et le vice-président de la commission.
« Un décret fixe le nombre des commissions de recours, leur ressort territorial, leur siège et le nombre de magistrats de chaque cour d'appel qui les composent.
« Les magistrats de la cour d'appel dans le ressort de laquelle un recours a été formé ne siègent pas lors de l'examen de ce recours.
« Art. 48-3 . _ Sous peine d'irrecevabilité, le recours formé devant le procureur général en application du troisième alinéa de l'article 48-1 doit faire l'objet d'une requête motivée adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception et à laquelle est joint soit l'avis de classement du procureur de la République, soit la copie de la dénonciation adressée initialement à ce magistrat lorsque celle-ci est restée sans réponse.
« La saisine de la commission de recours doit également faire l'objet, à peine d'irrecevabilité, d'une requête motivée adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception et à laquelle sont joints l'avis de classement du procureur de la République ainsi que la décision confirmative du procureur général ou, si ce dernier n'a pas répondu dans le délai de deux mois, la justification du recours qui lui a été adressé.
« Art. 48-4 . _ La commission statue sur dossier, au vu des avis de classement du procureur de la République et du procureur général, et des documents qui lui ont été adressés par le requérant. Elle peut se faire communiquer, s'il y a lieu, copie de la procédure d'enquête ou d'instruction faisant apparaître l'infraction dont la poursuite est sollicitée. Elle peut également demander au requérant ou au procureur général des éléments d'information supplémentaires.
« La commission statue par une décision motivée qui est notifiée au procureur de la République, au procureur général et au requérant. Cette décision n'est pas susceptible de recours.
« Si la commission estime que la poursuite est justifiée, elle demande au procureur de la République de mettre en mouvement l'action publique.
« Art. 48-5 . _ Quand la commission estime qu'elle a été abusivement saisie par un requérant, elle peut demander au ministère public de citer celui-ci devant le tribunal correctionnel. Le tribunal peut condamner l'auteur du recours abusif à une amende civile dont le montant n'excède pas 10 000 francs.
« Art. 48-6 . _ Les recours formés sur le fondement des articles 48-1 et suivants suspendent, au seul bénéfice du ministère public, la prescription de l'action publique à l'égard des faits dénoncés. »
Je suis saisi de sept amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 31, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit cet article :
« Il est inséré, après l'article 40 du code de procédure pénale, un article 40-2 ainsi rédigé :
« Art. 40-2. - Toute personne ayant dénoncé des faits au procureur de la République peut former un recours hiérarchique contre la décision de ne pas poursuivre prise à la suite de cette dénonciation.
« Le recours est adressé au procureur général dans les mois suivant la notification de la décision ou, à défaut de notification, à l'expiration d'un délai de huit mois à compter de la dénonciation. Le procureur général peut alors enjoindre au procureur de la République d'engager des poursuites. Dans le cas contraire, le procureur général avise la personne dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article 40-1. »
Par amendement n° 65, Mme Derycke et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, dans le premier alinéa du texte présenté par l'article 5 pour l'article 48-1 du code de procédure pénale, après les mots : « à l'article 40-1 », d'insérer les mots : « et en l'absence de plaignant ou de victime ».
Par amendement n° 66, Mme Derycke et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, dans le premier alinéa du texte présenté par l'article 5 pour l'article 48-1 du code de procédure pénale, de supprimer les mots : « , si elle justifie d'un intérêt suffisant, ».
Par amendement n° 67, Mme Derycke, M. Charasse et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de remplacer les trois premiers alinéas du texte présenté par l'article 5 pour l'article 48-2 du code de procédure pénale par les deux alinéas suivants :
« Il est institué une commission de recours dans chaque cour d'appel.
« Elle est composée de magistrats du parquet n'appartenant pas à la cour d'appel du ressort, désignés pour cinq ans par l'assemblée générale des magistrats du parquet des cours d'appel désignés par le garde des sceaux ainsi que, pour les affaires de chaque département, de quatre citoyens figurant sur la liste départementale du jury criminel et désignés par tirage au sort. »
Par amendement n° 68, Mme Derycke et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit le début de la deuxième phrase du premier alinéa du texte présenté par l'article 5 pour l'article 48-4 du code de procédure pénale : « Elle se fait communiquer copie... »
Par amendement n° 69, Mme Derycke et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, après le premier alinéa du texte présenté par l'article 5 pour l'article 48-4 du code de procédure pénale, d'insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La commission peut entendre le requérant, à la demande de ce dernier, éventuellement assisté de son avocat. »
Par amendement n° 70, MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt proposent de compléter le dernier alinéa du texte présenté par l'article 5 pour l'article 48-4 du code de procédure pénale par les mots suivants : « et la juridiction saisie alloue, sur sa demande, au requérant une indemnité représentative des frais engagés à bon droit par lui. »
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 31.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Nous en arrivons à l'examen du dispositif que le projet de loi nous présente à propos de ce que l'on appelait jusqu'à présent le « classement sans suite ».
Le texte, dans le souci sans doute louable de permettre aux personnes concernées de comprendre les motivations du classement sans suite et de s'élever éventuellement contre celui-ci, leur ouvre des voies de recours, mais il le fait dans des conditions qui nous semblent singulièrement compliquées.
Permettez-moi de donner lecture du texte du projet de loi, car chacun en sera édifié :
« Art. 48-1. - Dans le cas prévu à l'article 40-1, toute personne ayant dénoncé des faits au procureur de la République et n'ayant pas qualité pour se constituer partie civile » - ce n'est donc pas tout le monde, cela ne fait d'ailleurs pas tellement de monde - « peut, si elle justifie d'un intérêt suffisant, former un recours contre la décision de classement prise à la suite de cette dénonciation.
« Ces dispositions sont applicables aux décisions de classement sans suite prises en application des dispositions de l'article 80.
« Le recours est adressé au procureur général dans le mois suivant la notification du classement ou, à défaut de notification, à l'expiration d'un délai de huit mois à compter de la dénonciation. Le procureur général peut alors enjoindre au procureur de la République d'engager des poursuites. Dans le cas contraire, le procureur général avise la personne dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article 40-1.
« Dans un délai d'un mois à compter de la notification de la confirmation du classement par le procureur général ou, à défaut de réponse de ce dernier, à compter d'un délai de deux mois suivant la saisine du procureur général, le requérant peut saisir la commission de recours compétente.
« Art. 48-2. - Les commissions de recours sont compétentes sur le ressort de plusieurs cours d'appel.
« Elles sont composées de magistrats du parquet des différentes cours d'appel situées dans leur ressort, désignés pour cinq ans par les assemblées générales des magistrats du parquet des cours d'appel intéressées. Dans les mêmes formes, il est procédé à la désignation de membres suppléants. Les magistrats titulaires désignent parmi eux le président et le vice-président de la commission.
« Un décret fixe le nombre des commissions de recours, leur ressort territorial, leur siège et le nombre de magistrats de chaque cour d'appel qui les composent.
« Les magistrats de la cour d'appel dans le ressort de laquelle un recours a été formé ne siègent pas lors de l'examen de ce recours.
« Art. 48-3. - Sous peine d'irrecevabilité, le recours formé devant le procureur général en application du troisième alinéa de l'article 48-1 doit faire l'objet d'une requête motivée adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception et à laquelle est joint soit l'avis de classement du procureur de la République, soit la copie de la dénonciation adressée initialement à ce magistrat lorsque celle-ci est restée sans réponse.
« La saisine de la commission de recours doit également faire l'objet, à peine d'irrecevabilité, d'une requête motivée adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception et à laquelle sont joints l'avis de classement du procureur de la République ainsi que la décision confirmative du procureur général ou, si ce dernier n'a pas répondu dans le délai de deux mois, la justification du recours qui lui a été adressé.
« Art. 48-4. - La commission statue sur dossier, au vu des avis de classement du procureur de la République et du procureur général, et des documents qui lui ont été adressés par le requérant. Elle peut se faire communiquer, s'il y a lieu, copie de la procédure d'enquête ou d'instruction faisant apparaître l'infraction dont la poursuite est sollicitée. Elle peut également demander au requérant ou au procureur général des éléments d'information supplémentaires.
« La commission statue par une décision motivée qui est notifiée au procureur de la République, au procureur général et au requérant. Cette décision n'est pas susceptible de recours. » Si j'osais, je dirais : « Ouf ! ».
« Si la commission estime que la poursuite est justifiée, elle demande au procureur de la République de mettre en mouvement l'action publique.
« Art. 48-5. - Quand la commission estime qu'elle a été abusivement saisie par un requérant, elle peut demander au ministère public de citer celui-ci devant le tribunal correctionnel. Le tribunal peut condamner l'auteur du recours abusif à une amende civile dont le montant n'exède pas 10 000 francs ».
Voilà, dans sa simplicité biblique,...
M. Michel Charasse. Biblique ? Pauvre Bible !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... le texte qui nous est proposé pour permettre aux personnes ayant déposé une plainte non suivie d'effet faisant l'objet d'un classement sans suite de se pourvoir encore, en quelque sorte, contre cette décision de classement sans suite.
Je n'ai pas besoin d'insister sur la complexité de ce texte, sa lecture y suffit !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous l'avions lu aussi !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Ce texte très compliqué ne concerne, en fait, que ceux qui n'ont pas qualité pour se constituer partie civile, donc un nombre très restreint de personnes. Les autres, au contraire - et c'est une première anomalie - ne disposent pas de ce recours. Or, chaque plaignant peut souhaiter exercer celui-ci. Il en sera toutefois privé. Il n'a, argue-t-on, qu'à procéder par voie de citation directe. Ce n'est pas si facile, car cette procédure engendre des frais. En outre, les citations directes ne sont pas très appréciées par de nombreux tribunaux correctionnels, ils estiment, en effet, que si le parquet n'a pas estimé opportun de poursuivre, c'est que cela n'en valait probablement pas la peine. Je ne souhaite à personne d'avoir à soutenir une citation directe.
Cela dit, rappelons en toute hypothèse qu'il existe - c'est une constante de notre droit - le recours hiérarchique. Tout particulier peut utiliser ce recours à l'encontre d'une décision de classement qu'il considère comme non fondée. Il est de droit.
Or, le texte qui nous est proposé aurait pour effet, me semble-t-il, car ce n'est pas très clair, de priver du recours hiérarchique la plupart des plaignants, ce qui constituerait, de ce point de vue, une régression.
En outre, une série d'amendements, qui participent à ce que je me suis permis d'appeler du « harcèlement textuel », visent à instaurer, au sein des commissions de recours, des jurés, comme en cour d'assises, à prévoir des indemnités de toutes sortes, etc.
Ce dispositif nous paraît impraticable, excessif et dangereux sur le fond : il aboutit à conférer à ce qui n'est qu'une décision de gestion courante une valeur juridictionnelle. En effet, dès lors qu'une telle décision peut faire l'objet d'un premier recours, puis d'un recours sur le recours devant une commission, elle prendra une importance extraordinaire. Cette espèce de système juridictionnel en quelque sorte préalable risque de confisquer l'autonomie de la juridiction du fond : une fois qu'il aura été décidé de poursuivre, il sera difficile de contester que les éléments constitutifs du délit sont acquis.
Pour toutes ces raisons, il nous semble qu'il n'est pas nécessaire, surtout pour un si petit nombre de bénéficiaires, d'instaurer un système aussi compliqué. Certains, parmi les membres les plus autorisés de la commission des lois, ont osé parler d'« usine à gaz ». Personnellement, je n'ai pas recours à des comparaisons aussi pittoresques ; je dirai simplement que le système est tout de même un peu compliqué.
La commission a donc estimé qu'il fallait s'en tenir, purement et simplement, au recours hiérarchique, qu'il suffit de consacrer, et c'est l'objet de son amendement. Notre système est fondé sur l'opportunité des poursuites ; cette notion doit conserver tout son sens, de même que les procureurs doivent conserver toutes leurs responsabilités. Dans cet esprit, la commission demande au Sénat d'adopter l'amendement n° 31.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre les amendements n°s 65 à 69.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'intitulé du chapitre II a été réservé. Aux termes du texte adopté par l'Assemblée nationale, sans modification, l'intitulé de la nouvelle section V dudit chapitre est le suivant : « Des recours contre les classements sans suite ». Or le texte adopté par l'Assemblée nationale, également sans modification, organise des recours qui sont non pas contre « les » classements sans suite mais contre « des » classements sans suite - ceux qui sont exercés par « toute personne ayant dénoncé des faits au procureur de la République et n'ayant pas qualité pour se constituer partie civile... »
Nous demanderons d'ailleurs tout à l'heure à M. le rapporteur, s'agissant de l'amendement n° 31, pourquoi seules les personnes ayant dénoncé les faits au procureur de la République pourraient former un recours hiérarchique.
En effet, un blessé dans un accident de la circulation ne dénonce aucun fait au procureur de la République ; il est embarqué à l'hôpital, puis il est avisé de la suite donnée en tant que victime mais pas en tant que dénonciateur. Cette personne n'aurait donc pas le droit de protester contre un classement sans suite ?
De même, monsieur le rapporteur, si la victime, par exemple - c'est pourquoi nous proposons d'écrire en tout état de cause dans notre amendement n° 65 : « en l'absence de plaignant ou de victime » - a été invitée par le procureur de la République à faire une citation directe ou un procès civil, le procès pénal ou civil sera-t-il paralysé pendant le recours fait par le dénonciateur devant le procureur général ? Cela ne serait pas normal ! Cette question me paraît importante.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le rapporteur, si vous deviez maintenir votre amendement, il serait bon d'y préciser en tête : « En l'absence de plaignant ou de victime,... ». Si les victimes n'ont pas le droit de faire un recours, au moins auront-elles le droit de faire une citation directe, comme vous l'avez dit vous-même, ou un procès civil et, dans ce cas, il n'y a pas de raison de paralyser leur action parce que le dénonciateur aurait engagé un recours.
Tel est l'objet de l'amendement n° 65.
L'amendement n° 66 tend à supprimer les mots : « , si elle justifie d'un intérêt suffisant, ». C'est le texte adopté par l'Assemblée nationale, qui n'ouvre, en effet, un recours au dénonciateur, lorsqu'il n'a pas qualité pour se constituer partie civile, que s'il justifie d'un intérêt suffisant. Or, nous ne savons pas ce que signifie l'expression « un intérêt suffisant ».
Dans l'objet de notre amendement n° 65 figure l'explication de notre série d'amendements. En effet, la notion d'intérêt suffisant est trop vague pour que son application ne soit pas subjective, et donc, éventuellement, contraire au principe d'égalité devant la loi.
Le procureur général d'abord, la commission ensuite, décideront que telle personne a un intérêt suffisant et que telle autre n'en a pas. On se souvient de cette affaire d'appartement à Paris, qui avait fait l'objet d'un recours contre un classement sans suite... Y avait-il un intérêt suffisant ou pas ? Qui décidera ? Les parquetiers ?
En outre, le dispositif n'empêchera aucun recours ; cela ne limitera pas leur nombre, puisque tous ceux qui en feront un prétendront qu'ils ont un intérêt suffisant.
Enfin, le problème, en cas de recours contre une décision de non-poursuite - pour reprendre les termes adoptés tout à l'heure - est de savoir s'il doit y avoir poursuite ou non, c'est tout. L'intérêt - suffisant ou non - n'a rien à voir là-dedans.
Pour le reste, nos amendements prévoient, entre autres, qu'au sein de la commission de recours - que condamne sans appel la commission des lois du Sénat, la qualifiant même d'usine à gaz - siègent non seulement des magistrats du parquet, mais également des représentants des justiciables, en l'occurrence quatre citoyens figurant sur la liste départementale du jury criminel désignés par tirage au sort, de manière que les parquetiers ne soient pas les seuls à donner un avis sur un classement sans suite.
Par amendement n° 68, nous proposons que la commission de recours puisse se faire communiquer copie de la procédure d'enquête et d'instruction. En effet, il est bien évident - ce qui va sans dire devrait aller mieux encore en le disant - que ceux qui doivent juger d'un dossier doivent le connaître, et donc l'avoir sous les yeux.
Nous demandons également - c'est notre amendement n° 69 - que la commission entende le requérant si ce dernier le demande, éventuellement assisté de son avocat.
Enfin, tout de même ! Il y a un recours contre un classement sans suite ; on va devant le procureur, on va devant le procureur général, on va devant la commission. Et la commission déciderait, sans entendre l'intéressé, sans qu'il ait le droit de faire valoir ses arguments et sans d'ailleurs qu'il ait vu le dossier ? Cela nous paraît absolument inconcevable ! Il doit avoir, lui aussi, communication du dossier ; il doit avoir la possibilité de faire valoir ses arguments. A défaut, la commission est effectivement inutile.
M. le président. La parole est à M. Charasse, pour défendre l'amendement n° 70.
M. Michel Charasse. Il s'agit de préciser que, dès lors qu'une amende pour recours abusif - qui a été ramenée par l'Assemblée nationale à 10 000 francs - peut être infligée en cas de recours abusif à la commission, le requérant doit pouvoir obtenir une indemnité représentative des frais qu'il a engagés, notamment pour couvrir ses frais de déplacement et pour payer un avocat.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 65 à 70 ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission, pour les raisons que j'ai exposées tout à l'heure, ne peut qu'être opposée à l'ensemble de ces amendements.
On s'aperçoit bien que, dès lors que l'on crée une voie de recours, on n'en finit pas, pour satisfaire aux exigences de l'équité, de compliquer les choses. Il faudrait des avocats, il faudrait ceci, il faudrait cela ; certains ont même parlé des jurés !
Tout cela n'est vraiment pas opportun et relève même d'une méconnaissance fondamentale du principe de l'opportunité des poursuites.
Tantôt on nous dit qu'il faut faire confiance aux procureurs, qui sont, à cet égard, de véritables magistrats au sens plein du terme, tantôt on veut multiplier les moyens d'enserrer leurs décisions, ce qui revient, en définitive, à introduire une cause supplémentaire de paralysie dans le fonctionnement de notre justice.
La commission des lois en reste donc à ce qu'elle a proposé et qui lui paraît correct : le recours hiérarchique devant le procureur général pour tout le monde.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 31 et 65 à 70 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Il me semble nécessaire de prendre le temps de donner une réponse circonstanciée.
Tout d'abord, je suis évidemment défavorable à l'amendement n° 31 puisqu'il vise à supprimer l'une des dispositions essentielles du projet de loi que je défends devant vous : la commission chargée d'examiner les recours exercés contre des décisions de classement sans suite.
Je regrette d'ailleurs que le Sénat, contrairement aux représentants de l'opposition qui siègent à l'Assemblée nationale, ait renoncé à proposer d'éventuelles améliorations à un dispositif qui est nouveau et qui crée des droits pour les citoyens.
Quant à l'expression « usine à gaz », elle est très souvent employée quand il s'agit d'innovations. Je ne me laisserai donc pas impressionner.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Ce n'était pas la mienne !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Tant mieux, monsieur le rapporteur !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. J'ai rapporté qu'elle avait été employée !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Absolument, monsieur le rapporteur ! Et mon propos s'adresse donc plutôt à d'autres que vous.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. A son auteur !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Absolument, et il se reconnaîtra.
Sur le fond, il convient de rappeler que le Gouvernement a estimé que le dispositif institutionnel existant devait être réformé pour que les citoyens ne puissent plus avoir le sentiment que le ministère public n'a aucun compte à rendre en matière de mise en mouvement de l'action publique. Il s'agit donc d'accentuer le contrôle démocratique de l'action du procureur de la République. Voilà un objectif simple et clair.
Je vous ferai grâce du rappel du dispositif. Il figure dans le texte. La commission estime qu'il est complexe. Mais je vais citer deux exemples qui, peut-être, vous éclaireront et vous permettront de mieux comprendre.
Premier exemple : un maire peut dénoncer auprès du procureur de la République un trafic de stupéfiants. Le procureur, après avoir ordonné une enquête préliminaire sans résultat probant, classe la dénonciation du maire.
M. Michel Charasse. C'est un très bon exemple !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le maire apparaît comme un tiers intéressé à la disparition du trafic de drogue sur le territoire de la commune et il peut exercer un recours, selon les dispositions légales.
Deuxième exemple : l'ordre des avocats peut dénoncer des violences dont a été victime un de ses membres. Pour des raisons d'éthique personnelle, cet avocat a renoncé à le faire. Au vu de l'abstention de la victime, le procureur de la République a classé la plainte. L'ordre, qui est intéressé à ce que ses membres exercent leur profession sans risque de pressions physiques, peut exercer un recours au nom de l'avocat victime.
Il est donc clair, dans mon esprit, que c'est la jurisprudence des commissions inter-cours d'appel qui précisera cette notion innovante de « tiers intéressé » pouvant saisir, tout d'abord, le procureur général, puis la commission des recours.
Cette notion de « tiers intéressé » ne sort pas de nulle part, elle a déjà été précisée. Ainsi, selon le rapport Truche, il s'agit d'une personne ayant intérêt à ce qu'une infraction soit poursuivie du fait qu'elle est lésée par la commission de cette infraction, mais ne pouvant se constituer partie civile parce que l'une, ou plusieurs, des trois conditions posées par l'article 2 du code de procédure pénale ne sont pas remplies : le préjudice n'est pas personnel - il peut s'agir d'un préjudice collectif ; le préjudice n'est pas direct - il peut être indirect ; le préjudice n'est pas certain - il peut être éventuel.
Je citerai quelques exemples de « tiers intéressés » ; les premiers sont tirés de cas où la Cour de cassation a refusé à certains de se constituer partie civile.
Pourront être considérés comme des tiers intéressés : le créancier d'une société victime d'un abus de biens sociaux ayant intérêt à ce que cette infraction soit poursuivie ; le client d'un faux médecin souhaitant des poursuites pour exercice illégal de la médecine ; un ordre professionnel - c'est l'exemple que j'ai déjà cité - dont l'un des membres a été victime de violences dans l'exercice de sa profession ; le Conseil supérieur de l'audiovisuel qui a dénoncé une infraction en matière de communication audiovisuelle ; le contribuable d'une commune qui n'a pas demandé ou obtenu l'action de substitution prévue par l'article L. 316-5 du code des communes lorsqu'une infraction a été commise au préjudice de la collectivité territoriale.
Les autres exemples sont tirés de la pratique judiciaire : le maire d'une ville qui dénonce un trafic de stupéfiants ; le directeur d'une école pour des faits de racket qui ont lieu dans son établissement ; une association de parents d'élèves pour des violences commises dans une école, etc.
J'ajoute que, pour éviter les abus et les manoeuvres de recours abusifs ou dilatoires - car ce risque existe, bien évidemment -, ces derniers pourront être sanctionnés par le tribunal correctionnel d'une amende civile d'un montant de 10 000 francs maximum.
Il m'apparaît, enfin, que le dispositif proposé est équilibré : une voie de recours qui accroît le contrôle démocratique sur l'action des procureurs de la République est créée. Mais les débordements sont exclus, tout d'abord par la jurisprudence, qui fixe l'étendue du concept de « tiers intéressés », ensuite par la possibilité de sanctionner d'une amende civile les recours abusifs et dilatoires.
J'en termine sur cet amendement en remarquant qu'il est normal que cette réforme suscite des réticences, notamment de la part des magistrats du parquet. Qui accepterait d'ailleurs, de bon coeur, de voir ses actes contrôlés alors qu'ils ne l'étaient pas auparavant ? C'est un réflexe humain, tout simplement. Mais cette réticence me paraît démontrer l'intérêt de la proposition.
J'en viens maintenant à la solution de remplacement que propose la commission des lois. Cette dernière souhaite accorder la possibilité d'un recours devant le procureur général à toute personne ayant dénoncé les faits au procureur de la République, notamment aux victimes directes des infractions qui disposent d'ores et déjà de la possibilité de mettre elles-mêmes en mouvement l'action publique.
Je suis très réservée sur cette proposition. Bien sûr, j'admets que le recours hiérarchique est effectivement aujourd'hui, et par définition, ouvert à tous les plaignants et dénonciateurs, notamment aux victimes. Mais inscrire un tel droit dans la loi ainsi que son corollaire, qui est l'information des intéressés de ce droit, présente, à mes yeux, deux inconvénients majeurs.
Tout d'abord, cela risquerait de susciter de multiples recours devant les procureurs généraux, recours auxquels ces derniers n'auraient matériellement pas les moyens de faire face.
Ensuite et surtout, cela donnerait le plus souvent de faux espoirs aux victimes, car, dans la plupart des cas, il est vraisemblable que la décision de non-poursuites à l'initiative du parquet sera confirmée, ne serait-ce que parce que la victime dispose du droit de mettre elle-même en mouvement l'action publique.
Telles sont les raisons pour lesquelles cette proposition ne me paraît pas raisonnable, en l'état actuel de l'institution du ministère public. J'y suis donc défavorable.
J'en viens maintenant aux amendements défendus tout à l'heure par MM. Michel Dreyfus-Schmidt et Michel Charasse.
L'amendement n° 65 présente, selon moi, un intérêt certain.
Il est en effet paradoxal de donner un recours contre les classements à un tiers, alors qu'il existe une victime qui pourrait engager l'action publique, mais qui ne le fait pas.
On peut même imaginer qu'une victime ne souhaite pas de poursuites, mais qu'un tiers intente un recours et réussisse à faire mettre l'action publique en mouvement.
On peut même se demander si une procédure pénale ainsi engagée ne risquerait pas de nuire aux intérêts de la victime, qui se verrait par exemple « bloquée » dans un procès civil en raison de la règle selon laquelle « le criminel tient le civil en l'état ».
Ces difficultés doivent toutefois être relativisées : il y a, notamment, peu de chances que la commission ordonne des poursuites si le classement est justifié, en opportunité, par la volonté de la victime de ne pas porter plainte.
Par ailleurs, la règle envisagée par l'amendement présente en elle-même certains inconvénients.
D'abord, on peut imaginer qu'une victime ne veuille pas engager elle-même des poursuites - pour des raisons de principe, ou parce qu'elle a peur - mais qu'elle serait très satisfaite que le parquet le fasse.
Ensuite, les infractions dans lesquelles il n'y a pas de victimes sont très rares. Imaginons une affaire de corruption mettant en cause une municipalité qui ne souhaite pas porter plainte, comme elle en a le droit. Aucun recours ne pourrait alors être porté devant la commission. (M. Michel Charasse s'exclame.)
C'est une question complexe, qui mérite d'être approfondie lors de la navette. C'est pourquoi je m'en remets à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 65.
J'aurai le même avis sur l'amendement n° 66.
Cet amendement supprime la condition de « l'intérêt suffisant » pour exercer un recours contre une décision du ministère public.
Il présente, comme le précédent, des avantages et des inconvénients, et il permet d'approfondir de façon fort utile la réflexion.
Un de ses avantages, c'est qu'il évite à la commission de rejeter un recours pour défaut d'intérêt, alors qu'elle estimerait qu'une infraction grave a bien été commise, que l'absence de poursuites est effectivement injustifiée.
Un de ses inconvénients est qu'il transforme tout citoyen en procureur, qui a pour tâche de veiller à l'application de la loi, ce qui me semble excessif.
Il est donc délicat d'ouvrir le recours à tout dénonciateur, d'où l'utilité d'exiger un intérêt à agir.
Peut-être devrait-on revoir la qualification déterminant cet intérêt. Doit-on évoquer un intérêt suffisant, un intérêt à agir ou tout simplement un intérêt ?
Cette question mérite d'être posée, je le reconnais. Pour ces différentes raisons, je m'en remets à la sagesse du Sénat, en souhaitant la poursuite de cette réflexion lors de la navette.
En revanche, je suis défavorable à la première proposition avancée par l'amendement. Il ne me paraît pas nécessaire de prévoir une commission des recours par cour d'appel, car le nombre des recours à examiner sera fort probablement insuffisant pour justifier la création de trente-trois structures de ce type.
Par ailleurs, l'intérêt majeur d'une commission inter-cours d'appel est de faire examiner un recours contre une décision d'un procureur de la République confirmée par un procureur général par des avocats généraux ou des substituts généraux en fonction dans une autre cour d'appel. Ainsi, ils ne pourront se trouver dans la situation ambiguë d'avoir à désavouer leur propre autorité hiérarchique.
La seconde proposition portée par cet amendement ne me paraît pas non plus devoir recevoir l'approbation et le soutien du Gouvernement. J'ai déjà expliqué devant votre assemblée ce que celui-ci avait voulu créer, en l'occurrence une voie de recours nouvelle ayant pour objet d'assurer un contrôle plus démocratique du fonctionnement du ministère public, mais qui ne soit en aucun cas une nouvelle voie juridictionnelle. Il ne faut pas se tromper sur l'objectif.
M. Jean-Jacques Hyest. Voilà !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Il n'est pas dans mon intention de créer une juridiction souveraine, ce que l'introduction des citoyens tirés au sort sur la liste départementale des jurés risquerait d'impliquer, et même impliquerait forcément, à mes yeux.
Je pense que ces citoyens n'auraient aucune légitimité particulière pour statuer sur la question complexe de la mise en mouvement de l'action publique, spécialement quand celle-ci est justifiée par des considérations juridiques.
Enfin, je crains que l'on n'aboutisse à une nouvelle forme de privatisation de l'action publique, en demandant à des particuliers de statuer sur ces questions.
Souvenons-nous des propos que nous avons tenus, ici même, sur les constitutions de parties civiles.
Cela étant, je ne suis pas opposée à ce que la réflexion sur la composition de la commission se poursuive. Je crois vraiment que la présence des jurés n'est pas une bonne solution, mais j'estime que nous pouvons sans doute améliorer le texte.
En revanche, je suis favorable à l'amendement n° 68, parce que je pense que la communication systématique de la procédure d'enquête ou de la procédure d'instruction facilitera le travail de la commission des recours.
S'agissant de l'amendement n° 69, j'en comprends tout à fait les intentions, inspirées par un souci démocratique, que les auteurs de l'amendement exposent clairement en indiquant que, pour eux, l'idéal serait que la procédure soit totalement contradictoire.
Mais je dois rappeler qu'il n'a jamais été dans l'intention du Gouvernement de créer une procédure de type contradictoire devant ce qui serait alors une juridiction des recours. La mise en mouvement de l'action publique par le ministère public ne doit pas être une procédure juridictionnelle avec appel et - pourquoi pas ? - pourvoi en cassation.
Il faut faire très attention à ne pas proposer des modifications susceptibles d'introduire une méprise dans l'esprit de nos concitoyens sur la nature même de la commission.
La solution serait peut-être de permettre à la commission de désigner l'un de ses membres pour entendre le requérant et son avocat.
Là encore, la navette va sans doute nous permettre d'approfondir les choses. En l'état, je m'en remets à la sagesse du Sénat.
Pour récapituler sur l'ensemble des amendements défendus par M. Dreyfus-Schmidt, l'opportunité des poursuites est maintenue et la décision de poursuite ne doit pas être une décision juridictionnelle ; il faut éviter tout ce qui judiciariserait la décision de poursuites.
Je suis défavorable à l'amendement n° 70, présenté par M. Charasse, donc à l'indemnité au requérant lorsque des poursuites sont engagées. D'ailleurs, ces poursuites peuvent aboutir à un non-lieu, à une relaxe, à un acquittement. Il serait alors paradoxal que la juridiction prononçant cette décision alloue une indemnité à la personne qui est à l'origine des poursuites.
M. Michel Charasse. C'est l'indemnité de frais !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 31.
M. Robert Bret. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le rapporteur, vous proposez de supprimer purement et simplement la commission des recours contre les classements sans suite.
Si la commission des lois maintient l'obligation de motivation des décisions de classement - ou de ne pas poursuivre - elle retire au système prévu par le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale tout ce qui fait son originalité et son intérêt. En effet, ne subsisterait alors que la possibilité d'un recours hiérarchique, ce qui, je dois le dire, n'est guère original dans notre droit français et découle du principe même de la subordination.
Au contraire, le recours devant une commission présente une supériorité incontestable sur le principe du recours hiérarchique : c'est un gage de neutralité supplémentaire, car on peut craindre que, dans certaines affaires sensibles, le procureur général n'ait tendance à se solidariser avec son subordonné. Ce risque est d'autant moins improbable qu'il faut considérer que le procureur général n'a pas fait usage de la faculté qui lui est conservée à l'article 37 du code de procédure pénale de donner des instructions tendant à la mise en mouvement de l'action publique.
En outre, la commission des recours est collégiale. C'est pour nous une garantie supplémentaire de l'impartialité qui est au coeur du projet de loi. Compétents sur le ressort de plusieurs cours d'appel, ne pourront siéger au sein de la commission que les magistrats n'appartenant pas à la cour d'appel dans le ressort de laquelle a été prise et confirmée la décision de classement.
Nous voterons donc contre l'amendement n° 31 de la commission des lois- et les amendements subséquents - qui reste, encore une fois, très en retrait des évolutions contemporaires en faveur d'une extension des droits des justiciables.
Mme Dinah Derycke. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Nous voterons également contre cet amendement, qui vise à supprimer une disposition extrêmement importante du projet de loi.
La commission des recours était une innovation intéressante qui avait pour objet de créer de nouveaux droits pour nos concitoyens - Mme la ministre l'a rappelé -, afin de rendre la justice toujours plus proche et démocratique. Nous étions tous convenus qu'il y avait une crise de confiance et que nos concitoyens ressentaient le besoin d'avoir de nouveau confiance dans leur justice, de la sentir au plus proche de leurs préoccupations.
La commission des recours avait l'intérêt, toujours dans la même logique, de responsabiliser les procureurs généraux.
Alors que la commission Truche avait, je le rappelle, préconisé l'instauration d'un tel système, supprimer cette commission reviendrait à priver le projet de loi d'une partie importante de son architecture. Nous ne pouvons pas accepter une telle mutilation du texte.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. J'ai bien écouté M. le rapporteur, Mme la garde des sceaux et ceux de mes collègues qui viennent de s'exprimer.
Je ne sais pas si la commission des recours, composée comme elle l'est dans le texte qui nous est transmis par l'Assemblée nationale, est la meilleure solution.
Nous avions proposé, nous, de l'ouvrir à des personnes extérieures, précaution utile pour ne pas que les magistrats restent entre eux, ce qui ne serait pas sain. Mais, en fait, la commission des recours - je fais allusion à une intervention du rapporteur, voilà un instant - a pour moi, entre autres mérites, même si ce n'est pas général, même si cela ne s'applique pas à tout le monde, d'éviter les déviations du principe de l'opportunité des poursuites.
On fait dire beaucoup de choses à l'indépendance des magistrats du siège et à l'opportunité des poursuites. La première est souvent le paravent derrière lequel se cachent des choses parfois inavouables et la seconde me paraît subir, compte tenu de l'afflux des affaires, des dérives importantes.
Mme le garde des sceaux a cité le cas d'un maire dans lequel certains d'entre nous se sont peut-être reconnus. Combien d'affaires donnant lieu à des plaintes de maires ou d'adjoints, à des démarches auprès de la gendarmerie ou du commissariat de police sans constitution de partie civile sont classées au bout de quelques mois avec pour mention « auteur inconnu », alors qu'on sait très bien qu'on ne l'a pas vraiment cherché, car, si on l'avait fait on l'aurait facilement trouvé ?
Mes chers collègues, l'opportunité des poursuites, ce n'est pas l'impuissance, volontaire ou non, face à l'afflux des affaires. C'est, me semble-t-il, l'appréciation que le parquet doit porter au regard des intérêts de la société. Il ne s'agit pas de communiqués du type : « Ils nous cassent les pieds », « Toujours des plaintes », « Il y en a assez », « Elles ne sont pas assez importantes ». C'est ainsi qu'on arrive à instaurer en France un certain sentiment d'impunité face à de petites et moyennes malversations pour lesquelles les parquets s'abstiennent dans des conditions qui sont souvent incompréhensibles.
La proposition du Gouvernement avait le mérite de clarifier les choses et de ramener l'opportunité des poursuites à ce qu'elle doit être, c'est-à-dire l'opportunité par rapport aux intérêts de la société, à la nécessité de la défendre, de l'affirmer, et pas seulement à des problèmes de commodité.
C'est la raison pour laquelle je regrette vraiment la position prise par la commission, par le biais de son amendement n° 31, que, bien entendu, avec mes amis, je m'empresserai de ne pas voter.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai déjà posé quelques questions tout à l'heure à M. le rapporteur. Je serais heureux qu'il veuille bien m'éclairer pour le cas où cet amendement serait provisoirement adopté par le Sénat.
Pourquoi s'en tenir à toute personne ayant dénoncé des faits au procureur de la République ? Mme le garde des sceaux a pensé que cette mesure concernait tout le monde. En vérité, dans le code, les mots « dénonciation », « plainte », « victime » ont un sens ! Je me demande si, en visant les personnages qui ont dénoncé des faits, on n'exclut pas le plaignant et la victime.
M. Michel Charasse. Eh oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Si tel est le cas, ne craignez-vous pas, en retenant le délai de huit mois pour permettre au procureur général de se décider, de paralyser le système ? Je sais bien que vous reprenez ce délai dans le projet, mais nous avions déposé des amendements pour y porter remède en prévoyant de n'ouvrir le recours qu'en l'absence de plaignant ou de victime. Mme le garde des sceaux envisage les cas, tout à fait exceptionnels, où la victime voudrait que soient engagées des poursuites, mais sans le dire elle-même. Du moment qu'il y a une victime, le parquet est saisi.
Mais ne pensez-vous pas que nous devrions prendre en considération l'inconvénient qui résulterait de la paralysie de l'action civile, voire de l'action directe engagée par la victime ? Va-t-on attendre que le procureur général ait statué - dans les huit mois - pour juger l'action de la victime qui aura attaqué aussitôt après le classement sans suite ? Franchement, cela nous paraît incompréhensible et inacceptable. Cet inconvénient que nous dénoncions et que nous dénonçons encore dans le texte dont nous sommes saisis vaut également pour votre propre amendement.
Pour le reste, vous l'avez dit vous-même d'ailleurs, monsieur le rapporteur, tout le monde a le droit de saisir le procureur général.
Ouvrir la voie du recours à tout le monde, c'est sans doute donner trop de travail au procureur général et à la commission de recours. Ayons alors l'honnêteté de faire apparaître dans le texte que le recours est ouvert contre « des » classements sans suite et non contre « les » classements sans suite. Il ne faut pas que l'opinion croie que n'importe qui pourra exercer un recours contre un classement sans suite ou une décision de ne pas poursuivre, alors que ce n'est pas vrai. Il faut absolument éclairer l'opinion à cet égard.
Par ailleurs, s'il y a une commission, il ne faut pas qu'elle ne soit composée que de parquetiers. Nous avions eu cette idée, on peut bien le dire ; plus précisément, notre ami Michel Charasse avait pensé y faire figurer des élus, comme des conseillers généraux siégeaient jadis autour du président du tribunal d'instance pour choisir les jurés proposés par les maires. Puis nous avons pensé que des citoyens devraient être associés à des membres du parquet pour donner un autre point de vue. Mme le garde des sceaux, en écartant des jurés tirés au sort, vous avez fait une ouverture en proposant d'y réfléchir, mais sans dire à quelle solution vous pensiez.,
Il existe beaucoup de pays où ce sont les juridictions qui peuvent décider de la nécessité de donner suite lorsque le parquet a décidé qu'il n'y en aurait pas. De même, les juridictions peuvent décider, au contraire, à la demande de n'importe quel citoyen, d'interrompre des poursuites engagées. Je l'ai dit dans mon intervention lors de la discussion générale, en donnant des exemples.
Aussi ne voit-on pas pourquoi il faudrait absolument réserver la décision à des parquetiers, dont il est permis de penser que, même s'ils n'appartiennent pas à la même cour d'appel, ils peuvent légitimement avoir une espèce d'esprit de corps et penser que, si l'on statue aujourd'hui sur la décision de ne pas poursuivre M. Dupont, demain M. Dupont sera peut-être appelé à statuer sur leur propre décision de ne pas poursuivre.
Pourquoi faut-il les laisser entre eux ? Vous nous dites que vous pouvez y réfléchir. Mais nous aimerions bien, madame le garde des sceaux, que vous nous indiquiez à quelles hypothèses vous pensez.
Je me retourne vers M. le rapporteur et je le remercie surtout d'avoir l'obligeance de bien vouloir répondre aux deux questions que je lui ai posées : pourquoi seul le dénonciateur pourrait-il recourir ? Ne risque-t-on pas de paralyser l'action de la victime ?
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Il est vrai que le classement sans suite a toujours provoqué, de la part d'un certain nombre de victimes, en particulier d'accidents de la route ou autres, des réactions vives et qu'on pouvait suspecter des motifs susceptibles de ne pas être conformes strictement à l'intérêt général. Mais je suis tout de même désolé de le constater : la solution que l'on nous propose pour remédier à ce mal est, à mon avis, pire que le mal !
Elle consiste d'abord à mettre en place une commission de recours, qui, j'en suis sûr, sera embouteillée compte tenu de la multiplicité des recours émanant de n'importe quelle victime, de n'importe quel plaignant. Cela va créer une situation d'insécurité juridique, alors que le classement crée une sécurité juridique.
M. Gérard Delfau. A quel prix !
M. Patrice Gélard. Pour l'instant, c'est comme cela que l'on vit ; il ne faut tout de même pas se faire d'illusion ! Cela ne marche pas si mal et il n'y a pas tellement de plaintes.
Mais le système que l'on va mettre en place va multiplier les plaintes et embouteiller la machine, de telle sorte qu'on va compliquer des problèmes relativement simples au lieu de les résoudre.
C'est la raison pour laquelle je me rallie pleinement à la solution proposée par notre rapporteur, solution conforme à notre tradition et qui ne met pas en place une institution qui nous mènera on ne sait où et dont on ne connaît pas les conséquences sur l'ensemble du procès pénal. Cela revient à s'engager sur une voie beaucoup trop dangereuse pour les justiciables eux-mêmes !
M. Gérard Delfau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, je n'avais pas prévu d'intervenir dans ce débat, mais, à ce stade de la discussion, je voudrais très brièvement dire à la fois mon soutien total au garde des sceaux à propos de la mise en place des commissions de recours et mon insatisfaction profonde quant à la perception de la justice par les citoyens et par les élus que nous sommes - ou, en tout cas, par de nombreux élus, y compris sur ces travées.
Qu'il soit par la suite procédé à des ajustements, comme le proposent nos collègues du groupe socialiste, pour déboucher sur une structure un peu plus ouverte, sans toutefois prendre le risque de créer une nouvelle instance de juridiction et sans y mêler les élus, innovation, à mon sens très dangereuse, je le dis au passage, que la navette permette d'améliorer le texte, pourquoi pas ? En tout cas, sur le fond, je tiens à affirmer mon opposition à la proposition de la commission.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Bien des réflexions ont été faites, et je ne prétends pas répondre à toutes les questions qui m'ont été posées, notamment à toutes celles qui l'ont été par M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je ne saurais y parvenir ; c'est une gageure que je ne suis pas en mesure de relever.
M. Michel Charasse. Il pose pourtant des questions pertinentes !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je me permets toutefois de lui répondre sur un point précis.
Mon cher collègue, mettons un peu de bon sens dans cette affaire. La mention : « Toute personne ayant dénoncé des faits au procureur de la République » englobe bien le plaignant. Forcément, le plaignant dénonce des faits. Le plaignant est donc compris.
Les victimes, quant à elles, ne seraient pas plaignantes ? Mais enfin ! Comment imaginer qu'une victime qui ne voudrait pas déposer une plainte tiendrait quand même à faire un recours contre le classement sans suite de son affaire ?
Si elle est capable de faire un recours, elle est capable, si elle est réellement victime, de se plaindre. Qu'elle se plaigne, et elle entrera dans notre système ! Je ne peux donc pas vous suivre sur le terrain où vous voulez m'entraîner.
Nous avons parlé, les uns et les autres, en particulier M. Bret, des droits fondamentaux des justiciables. Je rappellerai donc que le dispositif proposé par le Gouvernement ne profitera qu'à un tout petit nombre de justiciables - on les a indiqués tout à l'heure - et que la grande masse des justiciables n'a pas accès à ce système. Elle reste dans le droit commun. En outre, si j'ai bien compris - il me semble que Mme le garde des sceaux ne m'a pas démenti - on la prive du recours hiérarchique auquel elle a droit actuellement, de sorte que, pour l'ensemble des justiciables, c'est à une réduction et non pas un renforcement de protection qu'on va aboutir.
Enfin, M. Charasse, très justement, a élevé en quelque sorte le débat et a posé le problème des classements en opportunité.
Bien sûr, c'est le vrai problème ! Bien sûr, ce n'est pas avec ce genre de texte que l'on résoudra ce problème ! En vérité, disons-le, le vrai problème de la justice, c'est qu'elle est submergée ! Si l'on avait résolu ce problème, on n'aurait plus besoin de tous ces raffinements.
Dans un précédent rapport, j'ai dit que la justice était en état d'hémiplégie ; je le maintiens.
J'ai lu récemment que le procureur de la République de Paris se plaignait de ce que ses audiences commençaient à quatorze heures pour finir à quatre heures du matin. Qu'est-ce qu'une justice qui fonctionne dans ces conditions ? Je vous le demande !
On ne peut pas faire fonctionner correctement la justice dans ce qui est sa mission la plus évidente parce qu'on n'en a pas les moyens.
Bien entendu, madame le garde des sceaux, nous traînons cette situation depuis des dizaines d'années, et vous faites partie des gardes des sceaux qui ont plutôt amélioré les moyens de la justice, je ne le conteste pas. Je ne fais pas du tout le procès du gouvernement actuel ; c'est le procès de la France, des Français, qui, en général, n'ont pas fait ce qu'il fallait pour le service public de la justice, et ce depuis très longtemps.
Dans ces conditions, les tribunaux ne peuvent pas traiter les dossiers les plus élémentaires. Dès lors, est-il raisonnable d'ajouter un raffinement de procédure qui, forcément, prendra du temps ? Naturellement, comme tout raffinement et comme tout perfectionnement, par certains côtés il se justifie en théorie. Mais la justice n'est pas vécue dans la théorie ; elle est vécue dans la pratique.
Aussi, nous ne croyons pas raisonnable d'aller au-delà du rappel que tout le monde a droit au recours hiérarchique. Tout autre dispositif, si perfectionné soit-il, ne fera qu'accroître l'encombrement de notre justice et produira, finalement, des conséquences négatives plus grandes que ne le sera l'avantage que l'on croit pouvoir retirer.
M. Patrice Gélard. C'est exact !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 31, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 5 est ainsi rédigé et les amendements n°s 65 à 70 n'ont plus d'objet.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La dénonciation équivaut à une plainte !

Article 3 (suite)