Séance du 21 octobre 1999







M. le président. Par amendement n° 47, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après le 1° de l'article 48 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :
« 1° bis. - Dans les cas d'injure, de diffamation, d'offense ou d'outrage envers un membre du Gouvernement, la poursuite aura lieu sur sa demande adressée au ministre de la justice qui donne les instructions nécessaires au ministère public. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. L'article 48 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse attribue un certain nombre de prérogatives au garde des sceaux, prérogatives qui ont d'ailleurs été étendues et explicitées par le Cour de cassation.
C'est ainsi que, aujourd'hui, le garde de sceaux conserve, aux termes de l'article 48 de ladite loi, la possibilité de faire engager les poursuites en cas d'outrage, d'injure ou autre, à l'égard d'un chef d'Etat étranger ou d'un ambassadeur. Mais l'article 48 n'a jamais réglé le cas des ministres, c'est-à-dire de la diffamation ou des injures à l'égard des membres du ministère, qui sont pourtant des personnes protégées aux termes de la loi de 1881, puisque dans l'article 31, ils sont cités à plusieurs reprises.
Dans un arrêt de 1953, la Cour de cassation a précisé que, lorsqu'un ministre en exercice ou à raison des fonctions ministérielles, même s'il n'est plus en exercice, est mis en cause et diffamé, seul le garde des sceaux peut engager l'action publique ou inviter le parquet compétent à engager l'action publique.
A partir du moment où le projet de loi que nous examinons supprime le droit du garde des sceaux d'intervenir dans les affaires individuelles, cela signifie qu'il y aura dans notre pays une catégorie de Français, et non des moindres, qui sont les membres du ministère, pour reprendre l'expression de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, qui ne pourront plus aller en justice pour défendre leur honneur ou leur considération.
Je propose de combler ce vide juridique en prévoyant que la loi de 1881 serait complétée dans son article 48 pour préciser que, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, c'est le ministre de la justice qui continuerait à introduire les instances en ce qui concerne les ministres mis en cause - diffamation, offense, outrage - par la presse, étant entendu que le système resterait ce qu'il est aujourd'hui, en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation, et ce qu'il demeure - parce que c'est écrit dans la loi, ce qui n'est pas le cas pour les ministres - en ce qui concerne les chefs d'Etat étrangers et les ambassadeurs.
Il s'agit d'un amendement purement technique, qui tend à remédier à une omission.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission souhaite entendre le Gouvernement avant de se prononcer.
J'indique d'ores et déjà qu'elle a considéré qu'il y a une lacune dans la loi. Celle-ci étant corrigée par la jurisprudence, la situation n'est donc pas bien grave. Cependant, il est sans doute souhaitable de combler à cette lacune.
Encore faudrait-il le faire - si M. Charasse le permet - en modifiant un peu le texte qu'il propose, notamment le dernier membre de phrase qui donne l'impression que l'on serait dans une hypothèse d'instructions données par le garde des sceaux, ce qui ne me paraît pas être l'hypothèse visée par le texte. Mais je n'en dirai pas plus dans l'immédiat, souhaitant connaître la position de madame la ministre.
M. Michel Charasse. J'accepte toutes les suggestions !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je ne suis pas opposée dans son principe à cette disposition, qui clarifie les règles concernant les diffamations et injures contre les ministres. Ces délits ne peuvent en effet être poursuivis que par le procureur de la République. La règle proposée par M. Charasse est inspirée de celle qui existe pour les chefs d'Etat étrangers et les diplomates, laquelle est prévue par le 5° de l'article 48 de la loi sur la liberté de la presse.
Toutefois, et j'attire votre attention sur ce point, seules la diffamation et l'injure devraient être visées car la loi sur la liberté de la presse ne réprime pas les offenses ou les outrages contre les ministres.
Sur cette question technique, je pense que l'amendement devrait être rectifié en ce sens... à moins que cette question ne soit réglée lors de la navette.
En l'état, en raison de cette difficulté, l'amendement ne peut donc pas recueillir mon accord. S'il était rectifié, je pourrais alors émettre un avis favorable.
Dans mon esprit, la modification envisagée par M. Charasse ne doit pas avoir pour conséquence d'instituer une exception à la suppression des instructions individuelles, en prévoyant que le garde des sceaux donnerait des instructions de poursuites - c'était la remarque de M. Fauchon - en cas de diffamation ou d'injures envers un ministe. En cas de diffamation ou d'injure envers un ministre, il ne fera, comme c'est le cas pour les offenses ou outrages concernant les chefs d'Etat ou les agents diplomatiques étrangers, que transmettre la plainte de l'intéressé au parquet qui, compte tenu de la tradition républicaine existant en la matière, engagera des poursuites.
Il convient donc de rédiger la fin de l'amendement comme est rédigée la fin du 5° de l'article 48 de la loi sur la liberté de la presse en indiquant que « la poursuite aura lieu sur sa demande » - celle du ministre diffamé ou injurié - « adressée au ministre de la justice », et non pas que le ministre de la justice donne les instructions nécessaires au ministère public.
Si cette modification était apportée, je serais favorable à l'amendement.
M. le président. Monsieur Charasse, acceptez-vous la suggestion de Mme le garde des sceaux ?
M. Michel Charasse. Mme le garde des sceaux a effectivement raison : il convient de supprimer les mots « d'offense ou de diffamation » et de reprendre purement et simplement la formulation du 5° de l'article 48 de la loi sur la liberté de la presse en précisant que la poursuite aura lieu sur la demande de l'intéressé adressée au ministre de la justice.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 47 rectifié, présenté par M. Charasse, et tendant à insérer, après l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après le 1° de l'article 48 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :
« 1° bis Dans les cas d'injure ou de diffamation envers un membre du Gouvernement, la poursuite aura lieu sur sa demande adressée au ministre de la justice. »
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Dans ces conditions, le Gouvernement émet un avis favorable.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 47 rectifié ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission suit le Gouvernement : avis favorable.
M. Emmanuel Hamel. Je me félicite de cette convergence !
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 47 rectifié, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 1er.

Article 1er bis