Séance du 21 octobre 1999
M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 4, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de supprimer le texte présenté par l'article 1er pour l'article 30-1 du code de procédure pénale.
Par amendement n° 49, Mme Derycke et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, après le troisième alinéa du texte présenté par ce même article pour l'article 30-1 du code de procédure pénale, d'insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le procureur de la République ou le procureur général désigne un magistrat du parquet aux fins de déposer des réquisitions écrites conformes au réquisitoire ou à la citation directe du ministre de la justice et d'intervenir à l'audience ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 4.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. C'est une conséquence de ce que nous venons de voter, monsieur le président.
J'ai déjà montré ce qu'il y avait de singulier dans la position du Gouvernement, qui, tout en renonçant à la possibilité d'envoyer des instructions écrites et versées au dossier, se réservait tout de même, ce qui a beaucoup surpris le milieu judiciaire, la possibilité de mettre par lui-même en mouvement l'action publique et de se transformer en quelque sorte en procureur en donnant des instructions de poursuivre, instructions qui devaient ensuite être mises à exécution par les services du parquet.
A partir du moment où est instituée une autorité susceptible de donner des instructions écrites de poursuivre, cette possibilité d'action personnelle du Gouvernement est inutile et nous proposons au Sénat de la supprimer pour être cohérent avec sa décision précédente.
M. le président. La parole est à Mme Derycke, pour défendre l'amendement n° 49.
Mme Dinah Derycke. L'objet de cet amendement est très simple.
En effet, on imagine mal que l'action du pouvoir exécutif agissant conformément à la loi et à l'intérêt général ne soit pas soutenue par le parquet concerné, au moins au stade des réquisitions écrites, et que le parquet ne s'exprime pas à ce sujet au cours de l'audience publique.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 49 ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Par cohérence, la commission ne peut être que défavorable à cet amendement, pour les raisons que j'ai évoquées tout à l'heure.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 4 et 49 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 4, dont l'objet est de supprimer le droit d'action propre accordé par la loi au garde des sceaux pour mettre en mouvement l'action publique dans les hypothèses exceptionnelles où l'intérêt général le commanderait et où le ministère public ne l'aurait pas fait.
Ce dispositif vise, je le rappelle, à créer une soupape de sécurité dans l'optique du fonctionnement d'un système où le garde des sceaux n'intervient plus par instructions individuelles. Il s'agit bien d'une soupape de sécurité, car il ne serait recouru à ce dispositif que pour sauvegarder l'intérêt général.
Ce droit d'action propre accordé au garde des sceaux est l'un des points essentiels de la réforme, car il garantit l'équilibre institué par celle-ci. Ce droit propre sera exercé en toute transparence : en effet, il en est rendu compte au Parlement, ce qui signifie qu'il ne pourra être utilisé de façon partisane. Dans mon propos introductif, je vous ai donné, mesdames, messieurs les sénateurs, des exemples de l'exercice de ce droit d'action propre.
Je suis donc très défavorable à l'amendement n° 4.
Je ne suis pas favorable non plus à l'amendement n° 49.
En effet, je pense que rien ne justifie que le garde des sceaux fasse déposer des réquisitions écrites par un magistrat du parquet pour soutenir son réquisitoire ou sa citation directe.
En effet, c'est dans ces deux actes juridiques que le garde des sceaux pourra et même devra mentionner les raisons motivées de l'exercice de son droit d'action propre. Une fois que l'action publique a été mise en mouvement, que le juge du siège est saisi, le rôle du garde des sceaux n'est pas, par l'intermédiaire d'un magistrat du parquet, d'intervenir tout au long de la procédure. Le but du droit d'action propre est d'éviter l'absence de saisine d'un juge du siège. Une fois celui-ci saisi, c'est à lui de dire le droit de façon souveraine et indépendante.
Je le répète, dans son acte initial de poursuite, le garde des sceaux pourra développer toutes les observations qui lui paraissent nécessaires.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Mme le garde des sceaux nous a dit qu'elle souhaitait que soit préservée une soupape de sécurité. Nous y avons, bien entendu pensé : en votant, ce matin, la réserve des possibilités d'action du ministre dans les domaines qui intéressent la sûreté nationale et dans les affaires de terrorisme, nous avons précisément créé cette soupape de sécurité.
C'est donc dans un souci de cohérence que je propose la suppression du texte présenté pour l'article 30-1 du code de procédure pénale.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 4.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le droit propre était évidemment un contrepoids susceptible d'être important. Mais maintenant il n'y a plus de contrepoids !
Vous dites, monsieur le rapporteur, que vous y avez pensé en prévoyant que le ministre peut donner des instructions dans les affaires graves. Or c'est précisément dans les affaires graves qu'il n'y a pas besoin d'instruction car, dans de telles affaires, n'importe quel procureur poursuivra. Le problème se pose, en revanche, dans les affaires où peut intervenir le « copinage ». Dans celles-là, il n'est pas mauvais que, si le parquet, irresponsable, décide de ne pas poursuivre, quelqu'un - en l'occurrence le garde des sceaux, et j'aimerais qu'il puisse être saisi par n'importe qui - ait la faculté d'ordonner les poursuites.
Pour ce qui est de notre amendement n° 49, je sais bien qu'il va tomber du fait de l'adoption de l'amendement n° 4 - puisque, ici, les absents ont toujours raison et qu'ils viennent de voter l'amendement n° 8 (Murmures sur les travées de l'Union centriste et du RPR) - mais je tiens à dire, pour la navette, que, devant les tribunaux, la procédure n'est pas seulement écrite. Il me paraît indispensable que le point de vue du ministre soit défendu, qu'il y ait au moins une pièce écrite expliquant le comment et le pourquoi.
La parole, de toute façon, est libre. Le tribunal va être bien ennuyé lorsque, saisi d'un recours du ministre, il entendra le parquet s'exprimer contre, par définition. Vous prenez le risque, madame le garde des sceaux, et c'est courageux. Moi, j'aurais préféré qu'un avocat soit choisi pour défendre le point de vue du ministre. Mais il faut, pour le moins, qu'un membre du parquet, autre que celui qui a refusé de prendre la décision souhaitée par le ministre, le représente à l'audience, après avoir pris des réquisitions écrites, en espérant, bien entendu, que ces réquisitions, puis l'intervention à l'audience aillent dans le sens souhaité ! Ce n'est tout de même pas un luxe, ce que nous demandons ! J'espère donc que l'Assemblée nationale, après avoir balayé les scories dont la majorité sénatoriale, c'est-à-dire la majorité des absents, vient d'encombrer le texte, pourra reprendre cet amendement.
M. le président. Puis-je me permettre, monsieur Dreyfus-Schmidt, de vous faire remarquer que, si des absents ont voté pour l'amendement n° 8, d'autres absents ont voté contre ! Ce genre d'argument n'a pas vraiment sa place dans cette enceinte.
M. Patrice Gélard. C'est nul !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, vous avez évidemment le droit de me faire une telle remarque, mais il me semble tout de même que la majorité de ceux qui ont voté pour cet amendement sont absents, alors que les présents...
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, je ne laisserai pas s'engager un débat sur les procédures de scrutin public dans cette maison.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Alors, ne l'engagez pas ! Mais laissez-moi la liberté de m'exprimer comme je l'entends !
M. le président. Je vous fais simplement remarquer qu'il y a des arguments qui ne sont pas à employer à l'intérieur d'une assemblée parlementaire !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est votre avis, ce n'est pas le mien ! Je garde la liberté de dire ce que je souhaite dire !
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Lors de la discussion générale, j'ai indiqué que le Gouvernement se privait désormais des moyens d'intervenir en matière d'action publique mais que cet article 30-1, qui est tout de même une bizarrerie au regard de la logique suivie, introduisait une limite.
Auparavant, on pouvait donner des instructions écrites et les verser au dossier. Elles étaient donc connues de tous. C'était tout simple ! On nous propose aujourd'hui que l'intervention soit directe.
Nos collègues socialistes ont bien perçu le problème qui allait, dans un tel système, se poser concrètement. Le garde des sceaux se présentera-t-il lui-même devant la juridiction pour soutenir ses réquisitions ? Y aura-t-il un avocat du Gouvernement ? Dans d'autres démocraties, il y a l'avocat de la couronne, mais je n'oserai pas donner des exemples étrangers parce que, selon Pascal, « vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ».
Quoi qu'il en soit, m'inscrivant dans la logique proposée par la commission, je voterai la suppression de l'article 30-1. Mais je tenais à dire que, dans la logique du système proposé par le Gouvernement, l'amendement n° 49 est très intéressant en ce qu'il pose une vraie question, à laquelle Mme la ministre de la justice n'a pas répondu.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Nous sommes, à l'évidence, face à deux amendements contradictoires, et je parlerai des deux puisque, si celui de la commission est adopté, le nôtre tombera.
En vérité, je me méfiais beaucoup de ce système de saisine directe du garde des sceaux, car les affaires les plus lourdes sont celles qui sont le plus médiatisées et rien, dans ce cas, ne se passe normalement. Tant à la Chancellerie que dans les tribunaux, on est complètement tétanisé par la presse. Je n'insiste pas : tout le monde voit ce que je veux dire...
Quand le garde des sceaux va utiliser son droit de saisine directe, il le fera généralement en pleine polémique ; il prendra donc une position publique dans des conditions très difficiles, pas toujours favorables, quelquefois très défavorables, et il donnera le sentiment, d'une manière ou d'une autre, de céder à une certaine clameur publique.
Moi, je vais voter contre l'amendement de suppression parce que j'attends de voir à l'expérience ce que cela va donner. Le garde va se lancer mais, dès la première fois, il va se faire « retoquer » par le tribunal, qui voudra avoir l'air indépendant, qui voudra montrer qu'il n'est pas « aux ordres ». Du coup, le garde n'y retournera plus jamais ! Ce sera Mac Mahon le 16 juillet 1877 : on a dissous une fois, on ne recommence pas.
Je ne suspecte pas les intentions du garde, mais je souhaite que l'on fasse la démonstration que ça ne peut pas marcher parce que, dès la première fois, ça tournera mal.
J'ajoute que, si l'amendement n° 4 était repoussé, ce que j'espère, l'amendement n° 49 devrait absolument être adopté. Dans le cas où le garde des sceaux se trouve en pleine tourmente, où il doit faire preuve d'un certain courage, pour ne pas dire d'un courage certain - et le garde des sceaux actuel en est parfaitement capable - devant la clameur médiatique, il ne faut surtout pas le laisser seul ! Il faut donc, au moins, qu'un membre du parquet soit désigné pour le soutenir.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, le texte proposé pour l'article 30-1 du code de procédure pénale est supprimé et l'amendement n° 49 n'a plus d'objet.
ARTICLE 30-2 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE