Séance du 16 novembre 1998







M. le président. « Art. 22 bis. - I. - Un rapport sur l'état de la santé bucco-dentaire de la population est joint à l'annexe a au projet de loi de financement de la sécurité sociale. Sur la base des informations recueillies en application de l'article L. 162-1-9 du code de la sécurité sociale, ce rapport fait état des dépenses supportées par les patients, de leur niveau de remboursement et du prix de revient des prothèses et autres appareils dentaires.
« II. - Après l'article L. 162-1-8 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 162-1-9 ainsi rédigé :
« Art. L. 162-1-9 . - Lorsqu'un chirurgien-dentiste ou un médecin fait appel à un fournisseur ou à un prestataire de services à l'occasion de la réalisation des actes pris en charge par les organismes d'assurance maladie, il est tenu de fournir au patient un devis préalablement à l'exécution de ces actes puis une facture lorsque ces actes ont été réalisés.
« Un arrêté des ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et de l'économie fixe le contenu des informations devant figurer sur le devis et la facture et, le cas échéant, les modalités particulières d'élaboration de ces pièces et de leur transmission aux patients.
« Les infractions aux dispositions du premier alinéa du présent article sont constatées et sanctionnées dans les mêmes conditions que les infractions aux arrêtés pris en application de l'article L. 162-38 du présent code.
« L'assuré communique à sa caisse, à l'occasion du remboursement, copie de la facture. »
Je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 23 rectifié est présenté par M. Descours au nom de la commission des affaires sociales.
L'amendement n° 61 rectifié est déposé par MM. Leclerc, Gournac, Bernard, Vinçon, Courtois, Fournier, Larcher, de Broissia et Joyandet.
Les deux tendent à rédiger comme suit le paragraphe II de l'article 22 bis :
« II. - A. - Après l'article L. 162-1-8 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 162-1-9 ainsi rédigé :
« Art. L. 162-1-9. - Lorsqu'un professionnel de santé fait appel à un fournisseur ou à un prestataire de services à l'occasion de la réalisation des actes pris en charge par les organismes d'assurance maladie, il est tenu de fournir au patient un devis préalablement à l'exécution de ces actes puis une facture lorsque ces actes ont été réalisés.
« Un arrêté des ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et de l'économie fixe le contenu des informations devant figurer sur le devis et la facture et, le cas échéant, les modalités particulières d'élaboration de ces pièces et de leur transmission aux patients.
« Les infractions aux dispositions du premier alinéa du présent article sont constatées et sanctionnées dans les mêmes conditions que les infractions aux arrêtés pris en application de l'article L. 162-38 du présent code.
« L'assuré communique à sa caisse, à l'occasion du remboursement, copie de la facture. »
« B. - Les dispositions du A ci-dessus entrent en vigueur à compter de la date d'entrée en vigueur de la modification de l'article premier de la section 1 du chapitre VII du titre III de la nomenclature générale des actes professionnels telle qu'elle était prévue par l'arrêté du 30 mai 1997. »
L'amendement n° 23 rectifié est assorti d'un sous-amendement n° 95, présenté par M. Bernard, et tendant, dans le deuxième alinéa du texte présenté pour l'article L. 162-1-9 du code de la sécurité sociale, après les mots : « la facture », à insérer les mots : « à l'exception du prix d'achat de la prothèse et du nom du laboratoire ».
Par amendement n° 51, MM. Baudot, Lorrain et Machet proposent de supprimer le deuxième alinéa du texte présenté par le II de l'article 22 bis pour l'article L. 162-1-9 du code de la sécurité sociale.
Par amendement n° 55, Mme Dieulangard, MM. Estier, Domeizel, Mme Printz et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, dans le deuxième alinéa du texte présenté par l'article 22 bis pour l'article L. 162-1-9 du code de la sécurité sociale, après le mot : « devis » d'insérer les mots : « du fournisseur ou du prestataire de services ».
La parole est à M. Descours, rapporteur, pour présenter l'amendement n° 23 rectifié.
M. Charles Descours, rapporteur. Cet amendement obéit à un souci de transparence : quand un professionnel de santé fait appel à un fournisseur ou à un prestataire de services, il devra désormais fournir un devis à son patient.
Cette disposition intéresse non pas exclusivement mais essentiellement les chirurgiens-dentistes, qui traversent une période extrêmement difficile.
La profession de chirurgien-dentiste a longtemps échappé à toute convention puisque, à deux ou trois reprises, le Conseil d'Etat a annulé la convention qui avait été signée par certains d'entre eux avec les caisses. Mais, miracle des miracles ! au mois de juin, les caisses et les syndicats de chirurgiens-dentistes se sont mis d'accord et ils ont signé une convention prévoyant un programme de prévention en matière de soins bucco-dentaires. C'est d'autant plus important que, chacun le sait, dans le domaine des soins bucco-dentaires, notre pays est particulièrement en retard.
Pourtant, alors que l'encre de cet accord était à peine sèche, le Gouvernement a décidé, pour des problèmes de dépassement, de pénaliser les chirurgiens-dentistes, qui ont réagi extrêmement vivement. Actuellement, la profession est dans un état d'esprit qui l'amène à considérer que l'Etat ne peut pas lui demander de fournir de légitimes efforts en matière de transparence s'il ne respecte pas les engagements pris à son égard.
L'amendement que nous vous soumettons lie l'entrée en vigueur des dispositions introduites par l'Assemblée nationale sur la transparence à l'application des mesures de nomenclature applicables aux chirurgiens-dentistes et que le Gouvernement a abrogées.
Par ailleurs, et pour éviter de désigner trop clairement une profession, nous élargissons cette mesure à l'ensemble des professionnels de santé. Pour autant, chacun sait que les chirurgiens-dentistes sont au coeur du dispositif qui est actuellement proposé.
M. le président. La parole est à M. Bernard, pour défendre le sous-amendement n° 95.
M. Jean Bernard. Ce sous-amendement se situe dans le droit-fil de l'exposé de M. le rapporteur.
Les professions libérales sont assujetties aux bénéfices non commerciaux. Or, cet article, en instituant une obligation légale de fournir la facture du laboratoire de prothèse, tend à assimiler cet acte à une revente, donc à un acte commercial et, par conséquent, à changer le statut des chirurgiens-dentistes, ceux-ci devront dès lors être assujetties aux bénéfices industriels et commerciaux.
Le secret professionnel qui régit la profession, leur impose de ne communiquer le nom de leurs patients à qui que ce soit, notamment au laboratoire qui exécute une prothèse selon les indications du chirurgien-dentiste. Comment, dans ces conditions, pourront-ils rédiger leur facture ?
Ces factures vont nécessairement faire connaître le nom du prothésite. Il sera désormais possible à tout patient en cas d'accident de son appareillage de passer directement par le prothésiste sans consulter son chirurgien-dentiste.
Comment seront définies, à ce moment-là, les responsabilités du praticien et sa prestation intellectuelle ? De plus, cela risque de développer un certain exercice illégal de la médecine et d'exposer les patients à des risques pour leur santé.
Cette disposition est jugée discriminatoire par les chirurgiens-dentistes, car aucune profession, pas même les professions commerciales, n'ont l'obligation de fournir le prix d'achat des matériaux qu'elles utilisent dans les devis et factures qu'elles adressent à leurs clients. Seules les professions de santé, notamment les chirurgiens-dentistes devraient donner le prix d'achat des matériaux qu'elles utilisent.
La directive 93/42 transcrite en droit français par la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 définit ce que doivent être la prothèse dentaire et les responsabilités des différents intervenants et exige que le dispositif médical sur mesure qu'est la prothèse dentaire fasse l'objet de documents concernant sa traçabilité. « Traçabilité ne signifie pas qu'il faille fournir le prix d'achat de ces matériaux et le nom de l'artisan qui les a fabriqués.
C'est pourquoi il semble souhaitable que la facture ne comporte pas le prix d'achat de la prothèse ni le nom du laboratoire.
M. le président. La parole est à M. Leclerc, pour défendre l'amendement n° 61 rectifié.
M. Dominique Leclerc. Je rejoins totalement les préoccupations exprimées par M. le rapporteur quant à la transparence et à l'ajustement de la nomenclature des chirurgiens-dentistes.
M. le président. La parole est à M. Lorrain, pour défendre l'amendement n° 51.
M. Jean-Louis Lorrain. L'article L. 162-1-9 du code de la sécurité sociale institué par l'article 22 bis tend à favoriser la transparence des prix pratiqués par les professionnels de santé dans l'exécution des actes de soins ; or il ne semble pas nécessaire de conditionner son application à un arrêté ministériel.
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard, pour défendre l'amendement n° 55.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Compte tenu de l'objet du deuxième alinéa du texte proposé par le II de l'article 22 bis, nous pensons qu'il est utile de préciser que le devis fourni par le professionnel de santé faisant appel à un fournisseur ou à un prestataire de services est bien le devis du prestataire de services et du fournisseur et non pas un devis qu'aurait élaboré le chirurgien-dentiste ou le professionnel de santé.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 61 rectifié, le sous-amendement n° 95 et les amendements n°s 51 et 55 ?
M. Charles Descours, rapporteur. Les amendements n°s 23 rectifié et 61 rectifié sont identiques. Ils visent à favoriser la transparence, le coeur du débat étant l'écart entre le coût de fabrication des prothèses et le prix facturé aux malades.
Instaurer une exception pour le prix d'achat des prothèses, comme le prévoit le sous-amendement n° 95, me semble quelque peu excessif, et je souhaiterais que l'auteur du sous- amendement le retire sinon, je serai obligé d'émettre un avis défavorable.
Quant aux amendements n°s 51 et 55, ils n'auraient plus d'objet si l'amendement de la commission était adopté.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je souhaite répondre à M. le rapporteur, car je ne peux pas lui laisser dire que le Gouvernement serait revenu sur une convention.
La convention qui a été signée au mois de juillet entre les dentistes et la CNAM prévoyait non pas, comme c'est l'objet habituel d'une convention, des changements de tarifs, mais des modifications de nomenclature.
Or la nomenclature relève, je le rappelle, des prérogatives de l'Etat et non pas de celles des partenaires conventionnels. Je ne vois pas d'inconvénient à ce que des propositions nous soient soumises par la voie conventionnelle, mais il revient à l'Etat de fixer les changements de nomenclature.
Nous avons accepté les premières modifications de nomenclature et, il faut le rappeler, les dentistes ont bénéficié, dans les premiers mois de l'année, de 600 millions de francs complémentaires liés à l'application de cet accord. On ne peut donc pas prétendre que l'on s'est « assis » sur cet accord, qui touchait, je le répète, à des prérogatives de l'Etat.
Ce n'est que pour la troisième revalorisation de la nomenclature, et parce que, au-delà de ces 600 millions de francs, nous assistions à un dérapage évident, que nous avons décidé de reporter, et non pas d'annuler, cette troisième augmentation jusqu'à ce que l'on constate une évolution plus favorable des dépenses en dentisterie.
Je le redis devant le Sénat, notre porte est toujours ouverte et nous sommes prêts à en parler avec les représentants des dentistes s'ils le souhaitent.
Telles sont les précisions que je voulais rappeler avant de laisser M. Kouchner répondre sur les prothèses.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. J'ai entendu certaines remarques émises au cours des débats qui nous ont réunis - et pas toujours opposés - à propos des soins bucco-dentaires délivrés dans ce pays, qui sont l'objet - à l'instar de ce qui se passe pour les lunettes - d'une lacune essentielle de notre système de prise en charge, tout le monde le sait. Un des domaines dans lesquels l'accès aux soins peut s'avérer difficile, voire impossible, est précisément celui de la prothèse ; personne ne peut dire le contraire. L'amendement n° 55 étant de précision, nous y sommes favorables.
Pour le reste, je rappellerai simplement quelques chiffres qui sont très frappants, monsieur Bernard.
L'état bucco-dentaire de la population française exige une transparence des tarifs.
D'abord, la Cour des comptes a réclamé cette transparence dans son rapport sur la sécurité sociale. Elle a donné un exemple de marges égales à dix fois le coût d'achat ! Nous n'avons pas inventé ces chiffres : ils résultent d'une enquête assez précise.
Ensuite, je vous rappelle que 80 % des plaintes de patients à l'encontre de leur dentiste portent très précisément sur l'absence d'informations préalables quant à la qualité des prothèses.
L'ensemble de ces lacunes incite au moins 50 % de la population à se détourner des soins pour des raisons de coût.
Nous souhaitons qu'une facture détaillée des prothèses soit fournie pour que l'on se rende compte de la partie qui est fabriquée ailleurs. L'an prochain, j'en suis sûr, nous évoquerons la question dans des termes différents. Car, demain, les prothèses seront fabriquées par des machines à l'étranger : empreintes et prothèses seront envoyées par la poste ! Dans un avenir proche, ce commerce se fera sur Internet !
Soyons attentifs - nous avons trop attendu - à la situation des soins bucco-dentaires dans notre pays. Faisons en sorte que leur coût diminue et soit mieux pris en charge.
M. le président. Aurais-je dû comprendre que vous étiez défavorable à l'amendement de la commission, monsieur le secrétaire d'Etat ?
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. J'ai dit que j'étais favorable à l'amendement n° 55 seulement. Par là même, vous pouvez en inférer ma position. (Sourires.)
M. le président. Je travaillerai donc par déduction !
M. Charles Descours, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur. Je veux simplement dire à M. Kouchner que je n'ai pas remis en cause la facturation des prothèses. J'ai seulement lié cette question au reste du dispositif conventionnel.
M. le président. Le sous-amendement n° 95 est-il maintenu, monsieur Bernard ?
M. Jean Bernard. Je ne suis pas un kamikaze, monsieur le président. (Sourires.)
M. le secrétaire d'Etat a dit que, parfois, le prix de la prothèse était multiplié par dix par le dentiste. Mais peut-on généraliser ? Il y a sans doute des excès, mais aussi il y a dentistes qui savent rester raisonnables.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Ils sont peu nombreux !
M. Jean Bernard. Ah bon ?
Quoi qu'il en soit, puisque le Gouvernement et la commission sont opposés à mon sous-amendement, je le retire.
M. le président. Le sous-amendement n° 95 est retiré.
Personne ne demande la parole ?... Je mets aux voix les amendements identiques n°s 61 rectifié et 23 rectifié, repoussés par le Gouvernement.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, les amendements n°s 51 et 55 n'ont plus d'objet.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Non, pas l'amendement n° 55, monsieur le président !
M. François Autain. Non, il ne tombe pas !
M. le président. Si : les amendements adoptés rédigeant le paragraphe II, les amendements n°s 51 et 55 n'ont plus d'objet.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 22 bis , ainsi modifié.

(L'article 22 bis est adopté.)

Article 23