M. le président. « Art. 45. _ Il est institué, pour 1998, une contribution exceptionnelle au budget de l'Etat sur les excédents financiers des organismes paritaires collecteurs agréés pour recevoir les contributions des employeurs prévues à l'article 30 de la loi de finances pour 1985 (n° 84-1208 du 29 décembre 1984).
« A cet effet, le compte unique prévu par le I de l'article 45 de la loi de finances rectificative pour 1986 (n° 86-1318 du 30 décembre 1986) apporte au budget de l'Etat une contribution exceptionnelle d'un montant de 500 millions de francs.
« La contribution est versée au comptable du Trésor du lieu du siège de l'organisme gestionnaire du compte unique avant le 1er septembre 1998. Le contrôle, le recouvrement, le contentieux, les garanties et sanctions relatifs à cette contribution sont régis par les règles applicables en matière de taxe sur les salaires. »
Je suis saisi de cinq amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les trois premiers sont identiques.
L'amendement n° 42 est présenté par M. Jourdain, au nom de la commission des affaires sociales.
L'amendement n° 79 est présenté par M. Robert.
L'amendement n° 118 est présenté par Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Tous trois tendent à supprimer cet article.
Par amendement n° 91, MM. Richert, Madelain et Souvet proposent de rédiger comme suit cet article 45 :
« Dans la première phrase du premier alinéa du paragraphe II de l'article 30 de la loi n° 84-1208 du 29 décembre 1984 (de finances pour 1985), le pourcentage : "0,4 % est remplacé par le pourcentage 0,35 %". »
Par amendement n° 166, M. Régnault, Mme Bergé-Lavigne, MM. Angels, Charasse, Haut, Lise, Massion, Miquel, Moreigne, Sergent et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de compléter in fine l'article 45 par un alinéa ainsi rédigé :
« Un décret en Conseil d'Etat déterminera, le cas échéant, les conditions d'application du présent article. »
La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement n° 42.
M. André Jourdain, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. La commission des affaires sociales a adopté un amendement de suppression de l'article 45 et du prélèvement qu'il comporte sur les fonds de la formation en alternance.
Elle s'oppose à ce prélèvement pour trois raisons :
La première est une raison de logique financière.
Votre commission des affaires sociales s'étonne, en effet, des appréciations qui sont ainsi portées sur l'organisation et le fonctionnement des circuits de financement de la formation en alternance. Outre le fait qu'elles traduisent manifestement une ignorance des efforts réalisés en ce domaine depuis plusieurs années, elles laissent croire que les prélèvements exceptionnels pourraient devenir une modalité habituelle de régulation d'un système par ailleurs décrié.
Il serait sans nul doute préférable d'approfondir la réforme des circuits de financement de la formation en alternance - c'est la position de la commission des affaires sociales du Sénat depuis plusieurs années - plutôt que d'adopter de telles méthodes qui, d'ailleurs, ne sont pas sans conséquences sur les perspectives de développement des contrats en alternance.
La deuxième raison pour laquelle la commission des affaires sociales s'oppose au prélèvement est une raison de logique économique.
Le prélèvement opéré sur l'Association de gestion du fonds des formations en alternance, l'AGEFAL, est présenté comme parfaitement indolore. La trésorerie ou les réserves de l'AGEFAL lui permettent de supporter le prélèvement sans effort. L'étude d'impact dont est assorti le projet de loi indique que ce prélèvement « ne concerne pas les entreprises elles-mêmes dont les droits et obligations en matière de formation professionnelle, ainsi que ceux des salariés, ne sont pas affectés ».
En quelque sorte, ces réserves se seraient constituées « par génération spontanée » ; elles pourraient être confisquées sans dommage.
La réalité est tout autre. Les réserves de l'AGEFAL proviennent des cotisations des entreprises. Si ces réserves apparaissaient excessives au regard des besoins dans le domaine de la formation, le bon sens conduirait à diminuer les cotisations des entreprises et donc à abaisser le coût du travail, à améliorer la compétitivité entreprise et à favoriser l'emploi.
Enfin, la troisième raison pour laquelle la commission des affaires sociales s'oppose au prélèvement est une raison de transparence budgétaire.
Ce prélèvement, qualifié de « contribution exceptionnelle au budget de l'Etat », constitue une recette du budget général dépourvue juridiquement de toute affectation à une catégorie particulière de dépenses.
Un certain nombre de mécanismes budgétaires existe pour procéder à de telles affectations. Ils sont une prérogative du seul Gouvernement et le domaine exclusif des lois de finances.
Je parle naturellement dans ce domaine sous le contrôle de M. le rapporteur général.
En dehors de ces procédures, il est illusoire de prétendre qu'au sein des recettes et des dépenses du budget général telle recette supplémentaire, quelle qu'en soit la nature, finance telle dépense nouvelle.
S'agissant de l'ouverture de dépenses nouvelles en cours d'année, le Gouvernement dispose de deux instruments égalements prévus par l'ordonnance organique relative aux lois de finances.
Le collectif budgétaire, tout d'abord, permet précisément de demander au Parlement des crédits nouveaux, mais contraint également le Gouvernement à faire apparaître les moyens de les financer : économies, recettes nouvelles ou constatation de plus-values résultant de la conjoncture.
Ensuite, en cas d'urgence, le décret d'avance doit être accompagné d'un rapport établissant que l'équilibre financier prévu par la dernière loi de finances n'est pas affecté. Le décret d'avance doit être ratifié par la loi de finances la plus proche.
Le prélèvement opéré par l'article 45 intervient donc en dehors de toute transparence budgétaire ; il n'a pas sa place dans un projet de loi portant « diverses dispositions ». On ne sait en définitive s'il solde les comptes de la dernière loi de finances ou s'il gage des dépenses nouvelles qui seraient entraînées par le projet de loi contre l'exclusion dont la discussion est à peine entamée à l'Assemblée nationale.
J'ajoute que la définition même d'une contribution exceptionnelle, c'est de ne pouvoir être éternellement renouvelée. Il est ainsi particulièrement dangereux de prétendre financer des dépenses pérennes grâce à des ressources non reconductibles.
Une telle procédure peut être tolérée pour passer le cap d'une crise budgétaire aiguë. Sommes-nous dans un tel contexte ? Je ne le pense pas. J'ai davantage le sentiment que nous sommes face à un risque : celui de « manger en herbe » le blé de la croissance et de ne pas opérer le redéploiement nécessaire et méthodique de nos dépenses publiques.
Telles sont les trois raisons qui ont conduit la commission des affaires sociales à vous proposer la suppression de l'article 45 et d'une contribution exceptionnelle au budget de l'Etat qui ne lui semble ni justifiée ni opportune.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 79 est-il soutenu ?...
La parole est à M. Loridant, pour défendre l'amendement n° 118.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'AGEFAL, organisme centralisateur et régulateur des fonds collectés par les organismes paritaires au titre de la formation en alternance, fait l'objet, une fois de plus, d'une ponction d'un montant de 500 millions de francs.
Ce prélèvement, le groupe communiste républicain et citoyen et moi-même le contestons, le jugeant inacceptable tant sur le fond que sur la forme.
Incontestablement, l'AGEFAL enregistre des excédents de trésorerie et, de fait, les dispositions prévues à l'article 45 du projet de loi ne remettent pas en cause son équilibre.
Toutefois, en rien ces arguments ne justifient le prélèvement envisagé, pas plus que ceux qui ont été opérés dans le passé.
Que ce soit à l'Assemblée nationale ou au sein de la Haute Assemblée lors de la discussion budgétaire pour 1997, les parlementaires du groupe communiste sont intervenus pour s'élever contre le principe même des ponctions sur le fonds de l'alternance, soucieux de ne pas instituer ces pratiques comme un mode normal d'alimentation de la politique de l'emploi du gouvernement quel qu'il soit, ou comme un moyen commode de combler les « trous » du budget.
Conscients que le niveau des connaissances de base reste très limité pour des millions d'adultes, que les jeunes et les chômeurs de longue durée demeurent trop nombreux, la formation en alternance nous semble être un outil efficace d'insertion, d'accès et de maintien dans l'emploi, outil qu'il convient de promouvoir, de pérenniser.
De plus, considérant que le point fort du projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions, dont nous débattrons prochainement, est précisément l'insertion professionnelle des jeunes, des personnes en difficulté, nous ne voulons pas que les nouvelles entrées en contrats de qualification et l'extension de ceux-ci aux adultes soient financées par des redéploiements.
Il n'y a pas de raison de capitaliser les fonds del'AGEFAL, nous en sommes d'accord, mais il est impensable que ceux-ci servent à alimenter autre chose que la formation professionnelle. C'est pourquoi nous demandons que cette disposition soit annulée dans ce projet.
Dernier point, à supposer que la mesure proposée se justifie, c'est dans une loi de finances ou dans une loi de finances rectificative qu'elle trouverait sa place.
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen, par cet amendement, demande la suppression de l'article 45 et invite la Haute Assemblée à le suivre.
M. le président. L'amendement n° 91 est-il soutenu ?...
La parole est à M. Angels, pour présenter l'amendement n° 166.
M. Bernard Angels. Même si le montant de la contribution exceptionnelle est fixé par la loi, il semble nécessaire de prévoir un décret.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements identiques n°s 42 et 118, ainsi que sur l'amendement n° 166 ?
M. Alain Lambert, rapporteur. Je dois reconnaître que la doctrine de la commission des finances et celle de la commission des affaires sociales sont quelque peu différentes !
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous fréquentez plus souvent la commission des finances. Vous savez qu'elle a la même attitude à l'endroit de tous les gouvernements, attitude qui consiste à indiquer que ce type de prélèvement est accepté une première fois, mais que tout prélèvement ultérieur sera repoussé.
Cette doctrine, la commission l'a encore appliquée récemment, puisque le Sénat a refusé d'autoriser un nouveau prélèvement sur les réserves de l'Institut national de la propriété industrielle, l'INPI, le troisième en six ans.
A l'époque, vous aviez craint que nous n'infligions un mauvais traitement à votre gouvernement. En réalité, il n'en était rien. La commission voulait rappeler au Gouvernement qu'un engagement qui a été pris - celui de ne plus accepter de prélèvement - doit être tenu.
Sur les amendements de suppression n°s 42 et 118, la commission des finances est plutôt tentée de s'en remettre à la sagesse du Sénat. Mais elle ne souhaite pas non plus aller à l'encontre de la doctrine de la commission des affaires sociales. Aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, il faudrait que vous apaisiez les tourments du Sénat sur l'utilisation de cette contribution exceptionnelle de 500 millions de francs, qui ne nous paraît pas claire.
Enfin, la commission des finances pense que l'amendement n° 166 présenté par M. Angels est un moindre mal dans l'hypothèse où les amendements de suppression ne seraient pas adoptés.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je souhaite apporter à MM. Jourdain et Loridant quelques précisions sur les amendements de suppression n°s 42 et 118.
D'abord, la somme de 500 millions de francs en cause sera affectée dans la loi de finances pour 1998 au financement des primes d'apprentissage. Il s'agit donc d'un usage précis, et cela n'a rien à voir avec le projet de loi sur l'exclusion.
Ensuite, ainsi que de nombreux orateurs l'ont rappelé, deux prélèvements, l'un de 900 millions de francs en 1996 et l'autre de 1 600 millions de francs en 1997, ont d'ores et déjà été effectués. Il s'agit donc, effectivement, d'un troisième prélèvement, mais il intervient à un moment où les réserves accumulées par l'AGEFAL sont évaluées au 31 décembre dernier à 1,5 milliard de francs. Le Gouvernement estime donc que les réserves de cette association et sa collecte annuelle permettront tout à fait de développer les contrats de qualification en 1998 dont le nombre a été fixé à 130 000.
Dernier argument, et non le moindre, les amendements de suppression poseraient un problème quant à leur recevabilité, car ils visent à supprimer une recette de 500 millions de francs, ce qui nuirait à l'équilibre du budget pour 1998. Je suis donc conduit à demander le rejet des amendements de suppression n°s 42 et 118.
S'agissant de l'amendement n° 166, je comprends les scrupules juridiques qui ont été exprimés, mais je les crois exagérés. Je demande donc à M. Angels, qui a manifesté cette volonté d'orthodoxie juridique, de bien vouloir retirer cet amendement.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 42 et 118, repoussés par le Gouvernement et pour lesquels la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.
(Ces amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 45 est supprimé et l'amendement n° 166 n'a plus d'objet.
Article 46