M. le président. Par amendement n° 97, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste, républicain et citoyen proposent, avant l'article 35, d'insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« La loi n° 93-923 du 19 juillet 1993 de privatisation est abrogée. »
La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le processus de privatisation engagé en 1986, interrompu en 1988 et repris depuis 1993 doit-il être poursuivi par le gouvernement issu des élections des mois de mai et de juin 1997 ?
Je rappelle qu'à plusieurs reprises, entre 1993 et 1997, les groupes de l'opposition sénatoriale, aujourd'hui parties prenantes de la majorité plurielle issue des urnes, s'étaient clairement prononcés pour l'abrogation pure et simple de la loi de privatisation de juillet 1993.
Il importe donc aujourd'hui de faire le point sur quelques phénomènes que chacun connaît.
La privatisation d'une partie importante du secteur de la banque et de l'assurance a-t-elle permis d'éviter que l'essentiel de nos établissements financiers ne soient confrontés à des difficultés majeures liées à leurs investissements dans l'immobilier ?
Certes non, et si chacun garde en mémoire le dossier particulier du Crédit Lyonnais - nous y reviendrons - la situation de Suez ou de Paribas n'a pas été meilleure, la première ayant même été « avalée » par le Crédit agricole.
La privatisation d'un certain nombre de nos entreprises industrielles a-t-elle été positive pour l'emploi, pour l'investissement ?
Cette question mérite, elle aussi, d'être posée en raison de l'accumulation des plans de réduction d'effectifs qui ont touché Saint-Gobain, Pechiney ou encore, tout récemment, Rhône-Poulenc, cette dernière société ayant d'ailleurs connu quelques difficultés à solder les comptes du rachat de Rorer.
De surcroît - nous l'avons déjà dit - ces privatisations se sont déroulées dans un contexte et selon des procédures pour le moins discutables.
Bien souvent, l'évaluation de la capitalisation des entreprises privatisables par la commission de privatisation s'est révélée bien inférieure à la réalité, favorisant, pour un certain nombre d'initiés, la réalisation immédiate de très importantes plus-values de cession.
Même si cela ne fut qu'une ouverture de capital, chacun garde en mémoire le cas du prix de vente des titres de France Télécom, où le premier cours public a été très largement supérieur au prix de cession.
Evoquons également les dispositions postérieures à la loi de privatisation, notamment celles qui sont issues de la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier de mars 1996.
Le coût réel des privatisations n'a pas encore été établi, mais tout laisse à penser que ce coût est largement supérieur aux effets temporaires que ces privatisations ont pu avoir pour les comptes publics.
Sur le fond - nous tenons à le rappeler - il nous semble de surcroît que ces privatisations ont surtout eu comme effet de priver l'Etat, donc la collectivité, de moyens décisifs de politique industrielle et économique.
C'est en effet en toute connaissance de cause que l'on a cherché, en vendant les biens de la collectivité que constituaient ces entreprises privatisées ou privatisables, à réduire encore le rôle de l'Etat dans la vie économique et sociale du pays, à le ramener en fait au rôle de simple dispensateur de remèdes plus ou moins efficaces contre les effets de l'application pleine et entière des lois du marché.
Les privatisations, dans le contexte de 1993, vont de pair avec la poursuite des objectifs de convergence, avec la mise en place de la dépendance de notre banque centrale à l'égard des marchés, avec le remodelage du marché du travail par le développement de la flexibilité et de la précarisation au travers de la loi quinquennale pour l'emploi.
Elles participaient à l'époque d'une volonté de libéralisation forcenée de l'économique et du social, incarnée politiquement dans la majorité d'alors de l'Assemblée nationale. Ces temps sont, nous le pensons, révolus.
C'est aussi ce choix de société que nos compatriotes ont voulu exprimer au printemps 1997.
Respecter et entendre ce choix reviennent naturellement à mettre un terme au processus de privatisation et à abroger la loi de juillet 1993, comme nous le proposons par cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporteur de la commission des finances,du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, la commission des finances ne peut qu'être défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Michel Charasse. Même avis !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. La privatisation n'est pas l'alpha et l'oméga de la politique du Gouvernement à l'égard du secteur public, comme cela a été le cas au cours des années antérieures.
M. Jean Chérioux. Hélas ! Vous ne devriez pas vous en vanter.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Le Premier ministre a indiqué que des adaptations du secteur public pourraient être dictées par le souci de permettre à la fois à la France de garder son rang parmi les nations les plus développées du monde et aux entreprises françaises de se rapprocher d'autres partenaires européens.
Je présenterai trois remarques, monsieur Lefebvre, pour vous répondre.
Certains critères prévoient que doivent rester dans le secteur public des entreprises qui exercent leur activité avec une mission de service public dans un domaine non concurrentiel ou lorsque cette activité est stratégique.
Il peut toutefois être indispensable, dans certains secteurs, de constituer des ensembles puissants. France Télécom, qui n'a pas été privatisé, est un exemple de la nécessité d'ouvrir des alliances internationales pour résister aux grands pôles américains et asiatiques.
Par ailleurs, le Gouvernement entend respecter la parole de l'Etat, qui a été donnée par les gouvernements antérieurs. Vous avez fait allusion au CIC, mais il s'agit aussi de la Société marseillaise de crédit, du GAN, du Crédit lyonnais.
Ces explications montrent le contraste qui existe entre la politique du Gouvernement actuel et celle du gouvernement précédent.
Au bénéfice de ces explications, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 97, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 35