M. le président. La parole est à M. Masson, auteur de la question n° 92, adressée à M. le secrétaire d'Etat à la santé.
M. Paul Masson. Monsieur le secrétaire d'Etat, la semaine dernière sont intervenues, en France et ailleurs, un certain nombre de déclarations relatives au trafic de drogue dans le monde.
Le 24 février, l'organe international de contrôle des stupéfiants, qui relève de l'Organisation des Nations unies, a produit, comme chaque année, son rapport.
Ce document, très attendu, est particulièrement alarmant. Il mérite, me semble-t-il, un commentaire des pouvoirs publics français, car, pour la première fois, le texte de l'organisme international dénonce « l'environnement propice à la promotion des drogues illicites et la montée d'une culture de tolérance. ». « Culture de tolérance » ! « Les incitations à l'usage - poursuit-il - sapent les efforts de prévention ».
On peut relever la coîncidence : dans les vingt-quatre heures suivantes un manifeste dit « des 111 », issus - passez-moi l'expression - des milieux « branchés » de Paris, était publié, qui avait droit à cinq colonnes dans un journal du soir. Ses auteurs revendiquaient tout simplement l'usage de la drogue.
C'est un coup de pub ; ledit journal en parle. Dans le même journal, le rapport de l'ONU n'a droit qu'à trois colonnes !
Cette provocation - car c'est une provocation, n'en doutons pas ! - a eu un mérite inattendu : la riposte cinglante, rapide, de Mme Royal, ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire - elle a droit à la parole ! - qui se prononce clairement contre toute dépénalisation de la drogue, en déclarant : « La banalisation des interdits est dangereuse et n'aide pas les adolescents à devenir responsables. »
Cette position sans ambiguïté d'un membre du Gouvernement me semble utile à la clarification, car c'est vrai que nous sommes un certain nombre à ne pas y voir très clair dans la politique gouvernementale en cette matière capitale pour l'avenir de la France et des Français.
Nous avons, ici et là, en mémoire les petites phrases de certains ministres : pourquoi ne pas citer Mme Voynet, Mme Guigou ? Pourquoi ne pas citer aussi M. Lang, qui s'est manifesté, il y a encore trois jours, pour affirmer qu'il fallait regarder la vérité en face, contredisant ainsi implicitement la déclaration de Mme Royal ?
J'ai donc cherché à connaître l'avis du ministère de la santé, monsieur le secrétaire d'Etat, et j'ai trouvé dans une dépêche de l'AFP un communiqué sybillin dans lequel on indiquait que le problème n'était pas à l'ordre du jour.
La réponse est curieuse. Mais c'est aussi tout l'intérêt de ma question !
Cette position affichée dans le communiqué me paraît difficile à soutenir, après le rapport de l'ONU que j'ai évoqué. Il me paraît également assez étonnant que l'on puisse dire que le problème n'est pas à l'ordre du jour après qu'un membre éminent du Gouvernement l'a placé, au contraire, très clairement à l'avant-scène.
Ma première question est donc simple : en votre qualité de secrétaire d'Etat à la santé, approuvez-vous les déclarations de Mme le ministre chargé de l'enseignement scolaire ? Cette question appelle une réponse simple.
Par ailleurs, en tant que responsable de la mission interministérielle de lutte contre la toxicomanie, la MILT, qui est donc sous votre contrôle direct, allez-vous présenter un nouveau plan de lutte contre la drogue à la lumière du rapport récent de l'ONU ?
De façon plus générale, monsieur le secrétaire d'Etat - c'est peut-être l'occasion de le dire - contre l'usage des stupéfiants, avez-vous un projet personnel à faire partager par le Gouvernement français ? Que proposez-vous face au développement rapide du fléau le plus pernicieux de la société moderne ?
Je rappelle que le trafic dont est issu ce fléau représente 8 % du commerce international ; 8 % en ruinant la santé de tant de jeunes dans le monde, c'est beaucoup ! Avez-vous un projet ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Monsieur le sénateur, votre question, qui est grave, appellerait une réponse longue et mesurée. Mesuré, je le serai : long, hélas ! je ne le serai pas assez.
Bien évidemment, le rapport de l'ONU auquel vous avez fait allusion ne m'a pas échappé ; mais je l'interprète différemment. Comme vous, je souligne la réprobation qui se dégage du commentaire, mais j'interprète les chiffres comme un échec absolu de la communauté internationale, comme un échec de la répression, répression que nous poursuivons pourtant depuis des années et des années.
Chaque année, vous le savez, l'ONU s'est engagée un peu plus dans l'élaboration du rapport auquel vous avez fait allusion. Mais nous avons aussi à notre disposition l'observatoire européen des toxicomanies, à Lisbonne. Les chiffres qu'il nous livre - il l'a encore fait voilà deux mois - sont éloquents. Le trafic augmente malgré la progression des saisies, malgré le brio des services de police et des douanes. Et si le trafic augmente en matière de drogues dites douces comme en matière de drogues plus dures et plus dangereuses encore, c'est bien que la consommation augmente !
C'est là une première constatation que personne ne peut mettre en doute : cela ne marche pas.
J'ai lu dans le même rapport que vous, monsieur Masson, que l'ONU se félicitait de ce qui se passait au Pérou. Dans ce pays, en effet, un certain nombre de planteurs ou de trafiquants ont été mis hors d'état de nuire. Mais il n'est pas dit que ceux-là se sont réfugiés de nouveau en Colombie, où l'augmentation de la production est considérable et où l'échec de la vraie guerre déclenchée par les Etats-Unis, avec une armée véritable, des groupes entraînés et des commandos équipés, est patent.
Cette facette de la lutte contre la toxicomanie ne me paraît guère favorable aux idées que vous défendez, et que je défends aussi d'ailleurs.
Alors, que faire ? Vous avez posé plusieurs questions, monsieur le sénateur, la première consistant à savoir si j'avais un projet personnel. Mais si j'avais un projet personnel performant, monsieur Masson, je l'aurais déjà livré au reste du monde !
En fait, personne n'a de projet performant. L'échec est l'apanage de l'ensemble de la communauté internationale, en cette matière précise de la répression du trafic.
Je suis bien d'accord avec vous, le chiffre de 8 % - il est même sans doute sous-évalué, c'est peut-être 10 % - est considérable.
A mon avis - c'est non pas un projet mais un avis personnel, dont j'aimerais pouvoir discuter plus longuement avec vous - tant qu'il n'y aura pas d'approche économique de ce problème, l'échec sera flagrant. Il y a trop d'argent, trop d'organisations en jeu pour pouvoir espérer maintenir dans des limites décentes une filière structurée, une véritable armée de trafiquants. Telle est la réalité, en Europe comme dans le reste du monde.
A cela s'ajoute le fait - j'en parlerais des heures, veuillez m'en excuser, monsieur le président - que certains pays du tiers monde qui étaient simplement producteurs deviennent à la fois producteurs et consommateurs. C'est vrai pour la Turquie ; c'est singulièrement vrai aussi pour l'Afghanistan, où les associations qui voudraient lutter contre la toxicomanie sont maintenues à l'écart par une véritable armée, les Talibans, soutenus par le Pakistan et, curieusement, par les Etats-Unis, et qui ont considérablement fait progresser la production de pavot le long de cette fameuse frontière pachtoune. Maintenant les voilà qui consomment aussi ! L'échec est donc international.
Vous vous étonnez, monsieur le sénateur, d'avoir vu la réaction de Mme Ségolène Royale et de n'avoir pas vu la mienne. J'en suis désolé. Moi-même, je n'ai apprécié qu'à moitié la dépêche de l'AFP qui me faisait dire que le projet n'était pas à l'ordre du jour.
Je l'ai d'autant moins appréciée que le compte rendu analytique de la séance du Sénat où j'ai officiellement répondu à M. Fourcade est tout autre chose que « le projet n'est pas à l'ordre du jour ». Je réponds à M. Fourcade, qui propose un débat, que je me félicite de son intervention puisque moi-même, au moment de la discussion du projet de loi sur le financement de la sécurité sociale, j'avais été amené à répondre à l'ensemble du Sénat qu'il m'intéressait qu'il y ait un débat sur ce sujet. M. Fourcade reprenant cette idée, je ne pouvais qu'être d'accord.
Cela étant, je ne suis pas maître de l'ordre du jour du Sénat. Personnellement, ce débat, je le souhaite, et j'en ai parlé au ministre chargé des relations avec le Parlement. Le Gouvernement arrêtera sans doute une date à cet effet.
Ma prise de position, que traduit le compte rendu analytique, a donc été résumée assez fallacieusement par la dépêche de l'AFP. Ce que j'ai dit, c'est vrai, c'est qu'il n'était pas à l'ordre du jour de modifier la loi. Cela, malheureusement, nous le savons !
S'agissant de la MILT, je veux vous apporter une réponse très précise, monsieur Masson. Cette mission dépend en effet du secrétariat d'Etat à la santé. Le plan triennal, qui va être discuté ces jours-ci, sera présenté au cours du mois d'avril. Faisant suite au plan triennal précédent, que vous avez mentionné au passage, il portera très précisément sur l'information.
Nous avons en effet essayé d'orienter les projets qui sont proposés aux différents ministères composant la mission interministérielle de lutte contre la toxicomanie vers l'information, mais aussi vers l'évaluation - je vous dirai pourquoi - et vers la lutte contre les drogues synthétiques, en particulier l'ecstasy, qui sont maintenant consommées très abondamment.
Une étude récente mettait ainsi en lumière que 5 % de notre jeunesse avait consommé de l'ecstasy et que 1 % s'y adonnait régulièrement. Vous me direz que ce n'est pas beaucoup ; en fait, ce n'est pas beaucoup et trop à la fois. En tout cas, ces drogues synthétiques, dont on ne connaît pas la pureté, appellent une attention particulière. Nous y veillerons.
S'agissant de l'évaluation, monsieur le sénateur - j'y reviens - j'ai réuni, les 13 et 14 décembre dernier, au ministère de la santé, tous les intervenants en toxicomanie, et ce quelle que soit leur attitude idéologique - malheureusement, dans notre pays, l'attitude idéologique prime souvent sur la réalité ! Tous ont travaillé longuement pour faire quinze propositions qui seront discutées et prises en charge, si possible, par le plan triennal, parmi lesquelles, en particulier, une proposition très forte d'évaluation des projets.
Vous savez que la mission interministérielle de lutte contre la toxicomanie doit soutenir des projets innovants. Tel n'est pas toujours le cas, et je ne fais pas allusion au rapport de la Cour des comptes, qui a malheureusement fait l'objet de fuites. D'ailleurs, ce n'était pas un rapport de la Cour des comptes - il sera publié plus tard - mais une étape du rapport qui laisse la parole aux intervenants, à ceux qui sont mis en cause. Malheureusement, on a trouvé ce document dans les journaux.
Je m'empresse de dire aussi qu'il s'agit d'un rapport portant sur des années antérieures et non pas sur celles auxquelles vous avez fait allusion. Ce n'est pas un rapport sur l'état actuel de la MILT.
On y souligne que la MILT doit mettre en avant des projets innovants et que tel n'est pas toujours le cas ; on aide des structures, et c'est sans doute une erreur. Il y aura donc pour chaque projet une évaluation et un suivi. C'est ce que les intervenants ont demandé précisément.
Vous aurez ce plan triennal dans le courant du mois d'avril, monsieur Masson.
Si je n'ai pas de projet, j'émets en tout cas le souhait que le débat puisse avoir lieu pour que nous puissions faire évoluer les choses. En effet, tant qu'on n'aura pas proposé à notre jeunesse, mais aussi à celle de l'Europe et du monde, un autre idéal, une autre aventure, elle risquera de continuer à s'adonner, ce qui nous répugne, à des pratiques qui mettent en cause la santé et qui sont très dommageables.
Il y a au moins trois catégories à distinguer : ceux qui usent de la drogue, qui n'ont pas été informés suffisamment ; ceux qui en ont abusé, qui n'ont pas été pris en charge suffisamment ; enfin, ceux qui en pâtissent, ceux qui en meurent et pour lesquels il faudrait pouvoir intervenir plus massivement et plus efficacement en amont avant qu'il ne soit trop tard.
M. Paul Masson. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Masson.
M. Paul Masson. Comment répondre dans le cadre d'une question orale sans débat en quelque trois minutes au développement fourni de M. le secrétaire d'Etat ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai enregistré vos propos. Je crois que vous et moi sommes au moins d'accord sur le fait qu'un débat s'impose. On ne peut pas débattre à la sauvette d'une affaire d'une telle ampleur et d'une telle résonance.
J'ai bien relevé que vous n'avez pas de projet personnel - c'est ce que vous nous avez dit. Il est un peu ennuyeux qu'un secrétaire d'Etat à la santé n'ait pas de projet personnel sur une matière si importante que la drogue.
J'ai bien noté également que vous allez donner à la mission interministérielle un nouveau projet au mois d'avril, c'est un rendez-vous.
Je ne veux pas aller plus loin, monsieur le secrétaire d'Etat, sans quoi nous pourrions poursuivre notre dialogue tout au long de la matinée.
J'attendais de vous, sur un point, une réponse toute simple : approuvez-vous la déclaration de Mme Royal, oui ou non ? Mais si vous laissez cette question sans réponse, on notera que vous n'avez pas d'avis !
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