M. le président. La parole est à M. Lesein.
M. François Lesein. Ma question s'adressait à M. le Premier ministre, mais je crois savoir que c'est Mme le ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire qui doit me répondre.
La réunion qu'a tenue avant-hier le Président de la République en compagnie de douze maires de villes moyennes confrontées à la délinquance urbaine m'inspire quelques réflexions que je souhaite vous faire partager.
Je suis particulièrement satisfait de relever la naissance d'un consensus parmi les élus tant de la majorité que de l'opposition. Pour qu'il aboutisse, il est en effet essentiel que ce débat s'engage en dehors de toute polémique politicienne.
C'est volontairement que je n'aborderai pas les thèmes devenus classiques que sont la prévention et la répression. Il me semble avant tout primordial de se placer en amont, c'est-à-dire au moment où se construisent les modèles auxquels se réfère notre jeunesse, quand il est question d'avenir.
Ne craignez-vous pas que les références parfois trop fréquentes à la République en altèrent la substance et, surtout, qu'elles ancrent dans les esprits l'idée selon laquelle réflexions, moyens et solutions n'appartiendraient qu'à l'Etat ?
Certes, l'école joue un rôle essentiel dans le développement intellectuel, social et moral des futurs citoyens. Pour autant, les missions que l'on confie aujourd'hui à cette institution, en raison de son caractère profondément républicain, ne dépassent-elles pas le champ de ses compétences ?
Je voudrais rappeler que l'éducation des enfants n'a jamais été, n'est pas et, je l'espère, ne sera jamais une prérogative exclusive de l'Etat. Quelles que soient les religions, les cultures ou les époques, l'éducation des enfants a toujours appartenu en dernier ressort aux parents. Il doit en demeurer ainsi.
Cela étant, il est vrai que, garant des valeurs universelles de la République, l'Etat peut et doit participer indirectement à cette éducation, en aidant les parents à transmettre à leurs enfants les principes fondateurs de notre société.
M. le président. Posez votre question, monsieur Lesein.
M. François Lesein. J'y viens, monsieur le président.
Le message qu'il convient de leur adresser doit porter sur l'extraordinaire importance de l'acquisition, par l'enfant, d'un modèle de société. Il devra donner à ses destinataires les moyens de faire comprendre à nos enfants que le héros moderne n'est pas le chanteur qui prétend devoir sa réussite à la consommation de stupéfiants, qu'il n'est pas non plus le trafiquant de drogue qui circule en voiture décapotable, qu'il n'est pas enfin le voyou cagoulé qui regarde flamber au loin le véhicule qu'il vient d'incendier !
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. François Lesein. Madame le ministre, la tâche qui incombe à l'Etat repose évidemment sur l'action du Gouvernement, mais aussi sur celle des acteurs de la vie publique.
M. le président. Votre question, monsieur le sénateur !
M. François Lesein. Ma question est la suivante : quel modèle souhaitez-vous transmettre à notre jeunesse ? Quels moyens mettrez-vous en oeuvre pour que ce message soit entendu ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal, ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser M. le Premier ministre, qui est retenu à la séance solennelle de rentrée de la Cour des comptes.
Vous avez soulevé le problème des valeurs que nous défendons ensemble. L'Europe s'est crue longtemps à l'abri de ce modèle de société que l'on a vu naître aux Etats-Unis ou au Japon et qui a été marqué par la montée de la délinquance de mineurs de plus en plus jeunes.
Aujourd'hui, notre pays, comme l'ensemble des pays européens, est touché par ce phénomène et les questions que vous posez sont, en effet, tout à fait essentielles.
La violence est, certes, dans la rue, mais elle commence également à entrer à l'école et, en tant que ministre de l'enseignement scolaire, je suis particulièrement préoccupée par cette situation.
A cet égard, je voudrais tout simplement vous parler de ce que je vois dans les établissements scolaires pour vous dire comment et pourquoi le Gouvernement agit.
Tout d'abord, nous constatons qu'arrivent à l'âge adolescent des enfants qui n'ont jamais vu leurs parents travailler, et donc qui ne comprennent plus le sens de l'effort scolaire, de la réussite scolaire. Ils le comprennent d'autant moins lorsque le grand frère, qui a pourtant fait l'effort de réussir son baccalauréat, est également au chômage.
C'est pourquoi je crois que notre premier devoir est de lutter contre le chômage, en particulier contre le chômage de longue durée, parce qu'il concerne les parents, mais aussi contre le chômage des jeunes, qui correspond à l'exemple que peuvent donner les grands frères ou les grandes soeurs.
Ensuite, ce que j'observe, c'est une destructuration des familles. Nous le savons, nous le voyons : des parents sont dépassés par les événements ou renoncent à exercer leur autorité parce qu'ils doivent eux-mêmes faire face à des difficultés profondes.
C'est la raison pour laquelle j'ai décidé, par exemple, que le fonds social pour les cantines servirait également pour les petits déjeuners. En effet, en lisant les rapports des assistantes sociales des écoles, on s'aperçoit que de nombreux parents ne se lèvent même plus le matin pour préparer le petit déjeuner de leurs enfants, tout simplement parce que, au chômage, ils n'ont pas à se lever.
En troisième lieu, nous observons - vous l'avez évoquée - la montée des contre-exemples qui déstabilisent les références élémentaires des enfants. Je pense ainsi aux feuilletons où les caïds sont des héros, aux émissions de variétés où l'on rit de tout : pas plus tard que samedi soir l'on riait, sur TF1, au cours d'une émission de variétés...
M. le président. Madame le ministre,...
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. ... destinée à tout public, d'une femme violée ; ailleurs, ce qui était censé être désopilant, c'était un policier assassiné.
M. Jean Chérioux. C'est très juste !
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. Et je veux également citer les jeux vidéo où les héros gagnent d'autant plus de points qu'ils assassinent plus de monde ou qu'ils font brûler davantage de voitures.
M. François Lesein. Très bien !
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. Une demande d'interdiction de ces jeux vidéo a d'ailleurs été adressée au ministre de l'intérieur. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et du RPR.)
Le Gouvernement réagit, l'école...
M. le président. Il vous faut conclure, madame le ministre. (Protestations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. Monsieur le président, la question est suffisamment importante pour que je m'exprime encore une minute.
L'école, disais-je, réagit. Nous avons, hier, relancé les zones d'éducation prioritaire, nous avons décidé de renforcer l'instruction civique de façon extrêmement vigoureuse, et à tous les échelons à partir de l'école maternelle.
Des contrats de droits et devoirs doivent être signés dans tous les établissements scolaires et une formation des maîtres est actuellement en préparation pour l'apprentissage des élèves et des adultes au respect mutuel.
Des initiatives citoyennes ont été lancées dans les établissements scolaires, en liaison avec les parents, car vous avez raison de souligner la nécessité de valoriser le rôle de ces derniers, qui doivent mieux assumer leurs responsabilités. J'observe, à ce sujet, que les carences à ce niveau sont souvent telles que ce sont les enfants qui, à travers l'éducation civique, éduquent à leur tour leurs parents et, à la limite, c'est déjà un résultat positif qu'il faut considérer comme un élément de reconstruction du lien social.
Je réfléchis actuellement, en liaison avec les associations de parents d'élèves, à la création d'« écoles des parents » afin de donner à ceux-ci les moyens, les bases, les références qui leur permettent d'assumer...
M. le président. Madame le ministre, je vous en supplie : vous avez déjà parlé cinq minutes ; il ne faut pas trop dépasser votre temps de parole, faute de quoi personne ne pourra plus s'exprimer ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. J'ai dit l'essentiel.
Je rappelle simplement que le Premier ministre présidera lundi un comité de sécurité intérieure au sein duquel tous les ministères feront converger leurs efforts pour répondre aux problèmes qui nous préoccupent tous. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
RÉPONSES AU MOUVEMENT DES CHÔMEURS