M. le président. Je suis saisi par M. Souvet, au nom de la commission, d'une motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« Considérant que, en première lecture, le Sénat a souhaité insérer dans le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en première lecture une série de dispositions de nature à favoriser dans les meilleurs délais et dans les meilleures conditions le transfert vers le secteur privé des emplois que le projet de loi se propose de créer dans le secteur public ou parapublic dans l'intérêt des jeunes ;
« Considérant que l'Assemblée nationale a certes repris certaines des mesures introduites dans le projet de loi par le Sénat sous forme notamment d'articles additionnels ;
« Considérant que, en revanche, l'Assemblée nationale est revenue pour l'essentiel au texte adopté par elle en première lecture s'agissant des principales dispositions du projet de loi proposées par le Gouvernement ;
« Considérant que, ce faisant, elle a refusé de prendre en considération les nombreuses dispositions insérées par le Sénat permettant de corriger les défauts les plus manifestes du texte ; que ce dernier persiste, de surcroît, à confondre dans un même régime, d'une part, des emplois qui auraient été susceptibles, grâce aux modifications proposées par le Sénat, d'être transférés vers le secteur privé et, d'autre part, des emplois de fonctionnaires supplétifs recrutés en marge des règles de la fonction publique ;
« Considérant, dès lors, que le projet de loi se résume à la création de 350 000 emplois dans les secteurs public et parapublic qui, dans cinq ans, devront être inéluctablement consolidés par l'apport de nouveaux fonds publics, notamment de la part des collectivités locales, sauf à prendre le risque de rejeter vers la précarité des jeunes qui n'auront acquis ni formation ni qualification ;
« Considérant que, dans le cadre de la procédure d'urgence décrétée par le Gouvernement, l'Assemblée nationale a ainsi dit son dernier mot » ;
« En conséquence, en application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif au développement d'activités pour l'emploi des jeunes (n° 17, 1997-1998). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant par cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur, auteur de la motion.
M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales. En préambule à la défense de cette motion, mes chers collègues, j'aimerais reprendre certaines des expressions que j'ai entendues ici même.
Madame le ministre, vous nous avez dit que vous ne vous étiez jamais prononcée sur un amendement en fonction de l'appartenance politique de son auteur. Nous en faisons de même à la commission des affaires sociales. D'ailleurs, sauf erreur de ma part, j'ai proposé un avis favorable sur plusieurs amendements qui avaient été déposés soit par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, soit par nos collègues du groupe socialiste.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je ne le nie pas !
M. Louis Souvet, rapporteur. Tout cela pour expliquer que nous pris une position politique sur ce sujet. (Mme Dusseau sourit.)
Cela vous fait rire, madame Dusseau ? Rira bien qui rira le dernier !
M. Alain Gournac. Ça oui !
M. Louis Souvet, rapporteur. « La majorité sénatoriale se découvre sous son vrai jour en opposant la question préalable », a dit M. Fischer. Mais il nous a expliqué longuement que ce texte ne lui convenait pas tout à fait.
M. Guy Fischer. Je n'ai pas dit cela !
M. Louis Souvet, rapporteur. Il a quand même eu beaucoup de mal à nous dire que ce texte lui donnait entière satisfaction !
Il nous a indiqué qu'il y avait là deux logiques contradictoires et il a critiqué notamment la position de la majorité sénatoriale et le recours à la question préalable. Dès lors, je voudrais lui demander ce qu'il pense des offres qui sont faites par l'éducation nationale : un contrat d'un an éventuellement - j'insiste sur cet adverbe - renouvelable, payé au SMIC, avec des exigences - minimum le bac. M. Fischer, ne s'agit-il pas là du SMIC-jeune qu'on a tant combattu à certains moments, à d'autres périodes ?...
Je vous ai entendu dire, monsieur Estier, avec le respect que je dois à votre fonction et à vous-même, que nous voulions masquer nos divisions de fond en présentant cette question préalable.
Il y a eu, me semble-t-il, beaucoup d'occasions de masquer des divisions de fond à certains moments. J'en ai relevé quelques-unes.
Le 13 février 1996, Mme Luc, qui préside un groupe qui soutient ce gouvernement, avait présenté une motion contre la proposition de loi tendant à favoriser l'expérimentation relative à l'aménagement et à la réduction du temps de travail ; vraiment, cela ne devait-il pas être discuté ? Est-ce qu'on masquait, là aussi, des divisions ?
Le 28 mai 1996, Mme Luc encore présentait une motion sur le projet de loi organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale. Etait-ce vraiment un sujet qui ne devait pas être discuté dans notre assemblée ?
Le 20 juin 1996, une motion était présentée par les membres de votre groupe, monsieur Estier, sur le projet de loi relatif aux lois de financement de la sécurité sociale. Ce texte devait être discuté. Vouliez-vous également masquer des divisions ?
Le 1er octobre 1996, Mme Dieulangard, au nom de son groupe, déposait une motion sur le projet de loi relatif à l'information et à la consultation des salariés dans les entreprises et les groupes d'entreprises de dimension communautaire ainsi qu'au développement de la négociation collective.
Le 9 octobre 1996, Mme Luc déposait une motion sur le projet de loi relatif à la mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville. N'était-ce pas, vraiment, un thème dont nous devions discuter dans notre assemblée ?...
M. Claude Estier. J'ai parlé du projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui et de son vote en première lecture : la majorité sénatoriale a éclaté en trois morceaux !
M. Louis Souvet, rapporteur. J'entends bien, mais j'ai eu la courtoisie de ne pas vous interrompre...
M. le président. Les interruptions ne sont recevables qu'après acceptation par l'orateur ; pardonnez-moi de vous le rappeler, monsieur Estier.
M. Claude Estier. Je vous prie de m'excuser, monsieur le président.
M. Louis Souvet, rapporteur. Enfin, le 13 novembre 1996, Mme Luc présentait à nouveau une motion...
M. Guy Fischer. Décidément !
M. Louis Souvet, rapporteur... sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1997.
M. Emmanuel Hamel. Quelle constance !
M. le président. C'est vrai pour vous aussi, monsieur Hamel !
M. Emmanuel Hamel. Je ne vanterai plus les mérites de Mme Luc !
M. Louis Souvet, rapporteur. Le dépôt d'une question préalable fait partie des procédures qui ont été largement utilisées dans cette assemblée, mais c'est la première fois que j'en présente une. On ne peut pas nous reprocher d'user de ce moyen.
Cette motion est dirigée non pas contre l'emploi des jeunes - vous l'avez compris - mais contre une philosophie qui n'est pas la nôtre. Après tout, en déposer une était votre droit ; souffrez qu'à présent ce soit le nôtre !
Le texte de cette motion est le suivant :
« Considérant que, en première lecture, le Sénat a souhaité insérer dans le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, une série de dispositions de nature à favoriser dans les meilleurs délais et dans les meilleures conditions le transfert vers le secteur privé des emplois que le projet de loi se propose de créer dans le secteur public ou parapublic dans l'intérêt des jeunes ;
« Considérant que l'Assemblée nationale a certes repris certaines des mesures introduites dans le projet de loi par le Sénat sous forme notamment d'articles additionnels;
« Considérant qu'en revanche, l'Assemblée nationale est revenue pour l'essentiel au texte adopté par elle en première lecture s'agissant des principales dispositions du projet de loi proposées par le Gouvernement ;
« Considérant que, ce faisant, elle a refusé de prendre en considération les nombreuses dispositions insérées par le Sénat permettant de corriger les défauts les plus manifestes du texte ; que ce dernier persiste, de surcroît, à confondre dans un même régime, d'une part, des emplois qui auraient été susceptibles, grâce aux modifications proposées par le Sénat, d'être transférés vers le secteur privé et, d'autre part, des emplois de fonctionnaires supplétifs recrutés en marge des règles de la fonction publique ;
« Considérant, dès lors, que le projet de loi se résume à la création de 350 000 emplois dans les secteurs public et parapublic qui, dans cinq ans, devront être inéluctablement consolidés par l'apport de nouveaux fonds publics, notamment de la part des collectivités locales, sauf à prendre le risque de rejeter vers la précarité des jeunes qui n'auront acquis ni formation, ni qualification ;
« Considérant que, dans le cadre de la procédure d'urgence décrétée par le Gouvernement, l'Assemblée nationale a ainsi dit son "dernier mot" » ;
« En conséquence, en application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif au développement d'activités pour l'emploi des jeunes (n° 17, 1997-1998). »
M. le président. La parole est à M. Estier, contre la motion.
M. Claude Estier. Ayant assez longuement exposé, dans mon intervention liminaire, les raisons pour lesquelles nous voterons contre la motion, je me bornerai, pour faire gagner du temps à notre assemblée, à formuler une remarque à l'encontre de M. le rapporteur.
Je ne lui dénie pas, bien entendu, le droit de déposer et de soutenir une question préalable.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Encore heureux !
M. Claude Estier. J'ai simplement dit tout à l'heure qu'elle était en fait le moyen qu'il avait trouvé pour masquer les divisions de l'opposition qui étaient apparues sur ce texte en première lecture tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Vous le savez d'ailleurs très bien, puisque c'est la première fois que, sur un texte, la majorité sénatoriale a éclaté en trois parties : ceux qui étaient contre, ceux qui étaient pour et ceux qui se sont abstenus.
La question préalable vous permet, à quelques exceptions près, de réunir votre majorité sénatoriale. C'est votre droit. Mais c'est aussi le nôtre de la combattre et de souligner qu'il est quand même assez curieux que vous en arriviez à dire qu'il n'y a pas lieu de débattre d'un texte tant attendu dans notre pays.
M. Alain Gournac. Qu'est-ce que cela veut dire ?
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je suis très étonnée par l'attitude de l'opposition nationale dans cette assemblée, qui a choisi d'opposer la question préalable à ce texte. Sur ce point, je n'ajouterai rien à ce que vient de dire M. Estier.
Effectivement - on l'a bien vu dans le travail de qualité mené par la commission et par son rapporteur - cette question préalable a pour objet essentiel de retrouver une unité que l'opposition, en première lecture, n'a pas su dégager sur un projet de loi qui, il est vrai, concerne l'avenir des jeunes.
Je peux comprendre que nous soyons en désaccord sur les modalités, sur la philosophie de ce texte et que l'opposition, comme vous l'avez dit, affirme sans complexe son attitude. Mais nous sommes face à un domaine nouveau. Nous avons tous échoué dans la lutte contre le chômage, autant le dire clairement. Or, ce projet de loi vise à créer des emplois en cherchant de nouvelles pistes. Nous sommes ouverts à la discussion sur les modalités. Nombre d'élus d'ailleurs, sur le terrain, essaient de monter des projets ; je ne le leur reproche pas, même s'ils s'opposent à ce texte.
C'est pourquoi je ne comprends pas que vous utilisiez la procédure de la question préalable au lieu de débattre de ce texte... sauf si, effectivement, cela vous pose des problèmes politiques, l'opposition ne souhaitant pas que certains de ses membres acceptent un texte - le premier déposé par le Gouvernement - qui répond aux besoins du pays et dont l'objet est de trouver de nouvelles pistes pour l'emploi...
M. Alain Gournac. Des pistes ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. J'ai le regret de vous dire que l'attitude d'une partie de l'opposition parlementaire, ici comme à l'Assemblée nationale, ne me paraît pas bonne en démocratie.
Opposer une question préalable sur un sujet aussi important, dont nous pouvons discuter, ne m'apparaît pas être une bonne procédure, car personne dans cette enceinte ne peut soutenir que l'emploi des jeunes n'est pas un problème fondamental et que nous ne devons pas rechercher tous ensemble la satisfaction de nouveaux besoins, c'est-à-dire les métiers de demain.
Opposer une question préalable à un texte alors que l'on n'est pas d'accord sur ses modalités n'est pas sain ; je vous le dis très simplement.
M. Alain Gournac. Madame le professeur, merci !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je viens d'entendre une leçon ; j'ai le droit de répondre par une autre, monsieur le sénateur...
M. le président. Laissez parler Mme le ministre, s'il vous plaît !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. J'ai moi aussi le droit de dire ce que je pense. Je viens d'entendre le président de la commission et son rapporteur exposer leur position. J'ai le droit de vous expliquer ce que je pense ; nous sommes face à nos concitoyens qui en jugeront. Vous avez défendu une position, c'est votre droit ; je défends la mienne, c'est également mon droit.
Claude Estier a raison, compte tenu de la situation actuelle du chômage des jeunes dans notre pays, on ne peut pas s'opposer à ce texte sans proposer des solutions pour résoudre ce problème. Or je n'ai pas entendu l'opposition développer une stratégie de lutte contre le chômage.
MM. Alain Gournac et Michel Caldaguès. C'est pourtant ce qu'a fait la commission des affaires sociales !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Nous sommes modestes et nous serons attentifs. Mme Dusseau nous a expliqué, sur certains points, comment nous devions l'être.
Dans les départements, dans les communes, nous travaillons actuellement avec un certain nombre d'élus qui cherchent à dégager ces nouveaux besoins, qui essaient de faire en sorte qu'ils ne relèvent ni du secteur public, ni du secteur privé.
Ces dernières semaines, mes collaborateurs et moi-même avons, à l'occasion de plus de 150 réunions, rencontré plus de 10 000 élus et responsables associatifs. Certains ont posé les questions que vous vous posez, mais tout le monde a accepté de jouer le jeu pour essayer de trouver une solution pour les jeunes au chômage. Ils n'ont pas refusé toute discussion.
Aujourd'hui, ce sont des incohérences politiques qui amènent l'opposition à refuser tout débat au Sénat, et je le regrette.
Je le répète, en dehors de nos oppositions fondamentales, j'avais apprécié le travail réalisé par la commission, son président et son rapporteur.
Ce texte, tel qu'il ressort des travaux de l'Assemblée nationale, enrichi par ceux du Sénat - je l'ai rappelé tout à l'heure - sur un certain nombre de points, est aujourd'hui cohérent.
Sans entrer dans des considérations d'ordre politique, je ne suis pas étonnée par la position de M. Diligent, car il connaît bien la situation du Nord - Pas-de-Calais, et particulièrement celle de sa ville de Roubaix où les jeunes sont totalement désespérés.
M. Emmanuel Hamel. Roubaix n'est pas la seule ville où les jeunes so831int désespérés !
M. le président. Monsieur Hamel, j'ai rappelé la procédure de l'interruption tout à l'heure ; elle vaut pour tout le monde !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Oui, monsieur Hamel, mais M. Diligent, qui s'occupe des jeunes dans sa ville, considère que toute piste que nous ouvrirons ensemble sera sans doute bonne à saisir et qu'ensuite ce projet de loi sera finalement ce que nous en ferons ensemble sur le terrain. Il ne sera pas uniquement ce que nous aurons décidé dans une loi, car c'est en l'occurrence la mobilisation des élus, les conditions de mise en place, la vigilance que nous exercerons sur le terrain qui feront de cette loi un bon instrument pérenne pour les jeunes, ou autrement un objet d'inquiétude, ce que je peux tout à fait comprendre. A cet égard, je vous remercie, monsieur Hamel, pour votre intervention.
J'en viens aux deux problèmes essentiels que M. le rapporteur et M. le président de la commission ont soulevés.
S'agissant d'abord de vos inquiétudes concernant la pérennisation et le passage vers le secteur privé, je souhaite à nouveau clarifier les choses. Il n'est pas question de maintenir ces emplois dans le secteur public. Je l'ai dit et répété, avant même que le projet de loi ne vienne devant le Sénat. Je reconnais, car je souhaite dire les choses telles qu'elles sont, qu'il y aura peut-être quelques exceptions, que peut-être les uns et les autres constaterons-nous, au cours de cette période de cinq ans, que certains de ces nouveaux métiers méritent de relever du service public parce qu'ils répondent à des accès aux droits d'un certain nombre de nos concitoyens et qu'ils ne peuvent pas être solvabilisés. Mais j'affirme que tel n'est pas l'objectif central du dispositif.
Monsieur Souvet, puisque vous avez pris l'exemple de Lille, sachez que je ne me suis pas inspirée de cette expérience pour la faire figurer dans une loi. Consultez le document que nous avons remis à la presse lors de l'annonce de ce projet de loi et vous pourrez constater que la plupart des modèles locaux que nous avons choisis sont empruntés à des villes tenues tant par des élus de l'opposition que de la majorité. C'est donc bien au regard de ce qui existe aujoud'hui sur le terrain que nous avons essayé de traiter les problèmes.
En outre, je vous ferai remarquer très amicalement que je n'étais pas ministre lorsque, avec Pierre Mauroy, nous avons lancé, voilà trois ans, ces opérations dans la ville de Lille. Nous n'avons alors reçu l'aide d'aucun ministre. Nous avons agi avec les moyens de la Ville, donc pas avec des moyens tellement importants, mais en faisant des choix politiques, en élisant des priorités. Il s'est ainsi agi, pour nous, d'arrêter les investissements pour aider les jeunes qui n'avaient plus d'espoir dans notre ville. Les jeunes Lillois sont en effet dans la même situation - ou quasiment - que ceux de Roubaix.
Comme je l'ai dit, notre objectif n'est pas de faire des emplois publics à terme.
Je crois maintenant utile de revenir sur l'idée de « solvabilisation » qui me paraît susciter une véritable incompréhension. Je m'adrese à cet égard à M. Fourcade.
Que faut-il entendre par « solvabiliser » ? Cela signifie trouver les moyens de financement de ces emplois en dehors de financements publics ou majoritairement publics. Mais peut-être faudra-t-il finalement continuer à financer 10 % ou 15 % d'entre eux.
« Solvabiliser », cela n'implique pas obligatoirement le passage au secteur marchand lucratif. Ce qui m'importe c'est que, dans cinq ans, sous une forme ou sous une autre - entreprises privées, entreprises d'un type nouveau, entreprises d'utilité sociale dont certains nous ont déjà parlé, associations - ces emplois puissent ête financés par des usagers, par des clients, voire par des entreprises privées, c'est-à-dire qu'ils puissent être financés autrement que par des fonds publics. Cela ne signifie pas pour autant qu'ils seront obligatoirement à la charge du secteur privé.
Il serait par ailleurs incohérent de considérer, monsieur Fourcade, comme M. Claude Estier l'a relevé, qu'à partir du moment où ces activités passent, une fois « solvabilisées », dans le secteur marchand, c'est-à-dire dans l'entreprise privée, l'Etat doive continuer à les financer. Par définition, si vous considérez qu'elles deviennent solvables, elles n'ont plus de raison d'être financées par le secteur public. En outre, vous recréeriez ainsi des problèmes de concurrence.
De même, je crois qu'il n'est pas souhaitable qu'un comité départemental décide d'un quelconque passage au secteur marchand. Nous sommes dans une économie ouverte, ce n'est donc pas à un comité composé de fonctionnaires de décider que, brutalement, des emplois sont solvables ou pas et doivent passer au secteur marchand. (M. Alain Gournac s'exclame.)
Je me permets de le dire, parce que j'entends très souvent des discours sur l'économie privée et qu'il faut, me semble-t-il, en souligner les incohérences quand il y en a.
Mme Dusseau s'est inquiétée à propos de l'éducation nationale. Je le redis, sur les 350 000 emplois qui sont annoncés, seuls 40 000 auront pour cadre les établissements de l'éducation nationale. Je comprends que le fait que les embauches aient commencé avant l'adoption du texte de loi...
M. Alain Gournac. C'est scandaleux !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Non, ce n'est pas scandaleux, parce qu'il s'agit de la préparation des embauches et non pas des embauches elles-mêmes ! Néanmoins, je comprends que cela ait pu irriter les parlementaires.
Encore une fois, notre souhait est d'aller vite et de réaliser des embauches sur des critères précis et après des entretiens, ce qui prend du temps. Cela explique que le dispositif ait été lancé auparavant.
La plupart de ces emplois - je pense notamment à tous ceux qui relèveront du secteur périscolaire et qui, de ce fait, ne feront pas partie des 40 000 emplois-jeunes au titre de l'éducation nationale - seront solvabilisés à l'extérieur.
Si un certain nombre de jeunes veulent passer des concours, ils pourront y être préparés. Je rappelle à ce sujet que l'éducation nationale enregistre chaque année 100 000 départs à la retraite. Il y a donc des postes qui se libèrent.
Je le rappelle, notre objectif n'est pas de faire entrer tous ces jeunes dans la fonction publique, même si un certain nombre d'entre eux, surtout parce qu'ils auront travaillé à l'intérieur de l'école et auront goûté au service public de l'éducation nationale, souhaiteront se former et passer ces concours.
Votre seconde inquiétude, monsieur le rapporteur, concerne la création d'un secteur public bis , et c'est la raison pour laquelle vous avez souhaité deux dispositifs séparés tant pour la police que pour l'éducation nationale.
Ces emplois ne représenteront pas plus de 20 % de la totalité et, je le redis, je serai excessivement vigilante pour que les projets qui seront retenus ne soient pas ceux qui entrent dans les compétences normales, classiques des collectivités locales.
Enfin, mais je crois que nous nous en sommes expliqués en aparté, lorsque j'ai évoqué l'aide à l'ingénierie et à l'expertise à l'Assemblée nationale, je n'ai pas voulu dire dans cette enceinte-là ce que je n'ai pas dit au Sénat.
Au Sénat, nous avons beaucoup parlé de formation et, à cette occasion, j'ai effectivement dit qu'il n'était pas évident que tous ces jeunes soient formés, mais que beaucoup le sont déjà et sont donc prêts à tenir ces emplois. Pour ceux qui n'ont pas de qualification, nous devons soit les former à ces emplois, soit, après un ou deux ans d'expérience professionnelle, leur montrer tout l'intérêt à sortir du dispositif pour entrer en contrat de qualification ou d'apprentissage.
C'est donc bien le suivi individuel avec le « raccrochage » à d'autres dispositifs qui nous permettra de répondre à la question.
Au Sénat, nous n'avons donc pas évoqué l'ingénierie et l'expertise et j'ai voulu indiquer à l'Assemblée nationale que nous réfléchissions actuellement à la façon d'agréer deux ou trois organismes de consultants connaissant particulièrement bien les problèmes d'emplois et d'organisation sociale, qui pourraient d'ailleurs être formés par nous-mêmes, pour aider les collectivités locales, les associations qui en auraient besoin à monter les projets qui ont toutes chances d'être solvabilisés à terme.
Par conséquent, il n'y a pas eu double discours, l'un au Sénat et l'autre à l'Assemblée nationale, et nous nous en sommes déjà expliqués.
Voilà les raisons pour lesquelles je ne comprends pas l'objet de cette question préalable. J'ajoute que je trouve dommageable que, sur un sujet aussi important et sur lequel nous avons, je crois, les mêmes objectifs - rechercher de nouvelles activités et redonner de l'espoir aux jeunes - nous n'arrivions pas, dans ce pays, à avoir un véritable débat démocratique pour de simples raisons politiques.
Monsieur le président de la commission, vous avez dit que la France était isolée. Je ne le crois pas. Le ministre des affaires sociales des Pays-Bas vient en effet d'annoncer un programme beaucoup plus ambitieux que le nôtre, puisqu'il touche aujourd'hui 35 % des chômeurs et qu'il vise, justement, à créer des emplois exactement de même nature et financés par l'Etat. Or les Pays-Bas ne sont pas un pays socialiste !
J'ai par ailleurs rencontré à Luxembourg, lundi et mardi derniers, le ministre du travail espagnol et le ministre du travail italien. Tous deux m'ont demandé, à l'occasion de leur venue à Paris pour une réunion de l'OCDE, la semaine prochaine, d'organiser un séminaire, à la fois pour leurs collaborateurs et pour eux-mêmes, afin qu'ils puissent, eux aussi, entreprendre des programmes sur ces emplois nouveaux.
Par conséquent, je ne crois pas que nous soyons isolés en Europe. Nous recherchons tous, avec la même modestie et le même réalisme, des solutions. Nous savons tous qu'il existe des besoins dans nos pays et que si nous n'accélérons pas, nous, Etat, l'investissement dans ce domaine, il faudra attendre longtemps avant que la qualité de vie de nos concitoyens s'améliore et avant que les jeunes retrouvent l'espoir.
Voilà ce que je voulais vous dire. Nous sommes, je le répète, dans un domaine expérimental. Nous n'avons pas le droit de nous tromper. Je me sens donc un double devoir de vigilance et de responsabilité par rapport à ce que j'ai dit, notamment eu égard aux engagements que j'ai pris devant l'Assemblée nationale comme devant le Sénat.
Croyez bien que c'est dans cet état d'esprit que nous appliquerons la loi lorsqu'elle sera définitivement votée.
En conclusion, je dirai simplement que, malgré les divergences qui nous opposent aujourd'hui, je remercie, encore une fois, la commission pour le travail réalisé, ainsi que son président, M. Fourcade, et son rapporteur, M. Souvet, pour leurs interventions tout au long de cette discussion. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je rappelle qu'en vertu du dernier alinéa de l'article 44 du règlement la parole peut être accordée pour explication de vote à un représentant de chaque groupe politique, pour une durée n'excédant pas cinq minutes.
La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. Madame le ministre, vous avez beaucoup critiqué l'attitude du Sénat lors de l'examen de ce projet de loi en première lecture. Nous sommes conscients que le texte adopté par notre assemblée comportait des imperfections, imperfections que nous pensions pouvoir corriger lors de la commission mixte paritaire. Aujourd'hui, nous sommes terriblement déçus de ne pas avoir été entendus.
Nous sommes déçus quant à la forme de la discussion devant la Haute Assemblée.
Vous avez prétendu que notre texte était incohérent, inconséquent, mais vous avez refusé de dialoguer avec nous lors de l'examen du projet de loi.
Il vous est facile de vous déclarer ouverte au dialogue parce que nous n'avez pas invoqué l'article 40 à l'encontre des amendements modifiant la charge de l'Etat, alors que vous n'avez pas souhaité répondre sur le fond aux questions que nous nous posions, y compris à celles que se posaient les membres de votre propre majorité.
Nous aurions pu, ensemble, affiner ce dispositif. Vous l'avez refusé. Et vous revenez devant notre assemblée, en nouvelle lecture, avec un texte identique, à quelques détails près, à celui qui a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale. Vous avez fait peu de cas du travail du Sénat.
Nous sommes également déçus quant au fond des débats.
Nous vous avions proposé un dispositif lisible et clair. Notre excellent collègue M. Louis Souvet, rapporteur du projet de loi, avait beaucoup travaillé pour présenter des dispositions constructives. Il s'agissait de former les jeunes, de les encadrer, de les aider à migrer vers le secteur marchand.
Vous nous avez reproché d'avoir élargi le champ d'application du dispositif à de nombreux employeurs, notamment du secteur marchand - ce qui est vrai - et, en conséquence, d'alourdir le coût pour l'Etat - ce qui est faux !
Vous savez très bien que les préfets, qui sont chargés de la régulation de ce dispositif, auraient pu, à l'intérieur de l'enveloppe attribuée par l'Etat, gérer la dépense publique au mieux pour les jeunes en choisissant parmi les projets proposés. C'est cela servir les jeunes !
A financement égal, on permettait ainsi d'ouvrir le dispositif vers de vrais emplois, vers des emplois susceptibles de se pérenniser, eux, dans le secteur marchand. En revanche, les emplois que vous créez risquent dangereusement de se pérenniser dans la sphère publique.
Dans cette hypothèse, qui ne manquera pas, hélas ! de se confirmer, projeté dans l'avenir, le coût pour l'Etat est effrayant. Notre pays ne pourra y faire face.
Nous sommes, en outre, très inquiets que vous ayez systématiquement éludé nos demandes d'informations relatives à l'absence totale de garanties pour les employeurs pendant le contrat et au terme des cinq ans.
Vous avez systématiquement refusé les garde-fous que nous vous proposions de mettre en place, notamment pour les collectivités territoriales. J'en citerai quelques-unes : la participation des CODEF au dispositif - cette proposition n'émanait pas de notre majorité - la rupture du contrat de travail si l'Etat diminuait ou supprimait l'aide, la fixation dans la loi du taux de l'aide de l'Etat.
En outre, vous avez critiqué la lourdeur du dispositif que nous mettions en place. Mais, madame le ministre, ce n'est pas alourdir un texte sur l'emploi des jeunes que de prévoir leur formation, leur encadrement et la pérennité de leur emploi dans le secteur privé. C'est le strict minimum. Votre texte l'ignore totalement. En cela, je le trouve bien léger et aussi peu réaliste que les emplois virtuels que vous vous apprêtez à créer.
Concernant l'amendement de M. Jean Chérioux permettant aux entreprises de moins de onze salariés de conclure des CDD de soixante mois, contrairement à ce que vous affirmez, les chefs des petites et des très petites entreprises l'ont souhaité.
Sans doute ne rencontrons-nous pas les mêmes chefs d'entreprise, madame le ministre ! Nous, nous avons entendu les chefs de petites entreprises que nous savons toutes potentiellement créatrices d'emplois et qui forment le tissu économique de la France.
Enfin, j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt notre éminent collègue M. Christian Poncelet, lors des questions d'actualité au Gouvernement. Il a condamné votre choix de supprimer l'allégement des charges sur les salaires propre au secteur du textile pour financer vos emplois-jeunes.
M. le président. Il vous faut conclure, mon cher collègue.
M. Alain Gournac. Vous allez détruire des emplois dans le privé pour en créer dans le public !
Vous n'avez absolument pas mesuré les conséquences désastreuses que votre texte va engendrer pour l'emploi et pour notre pays.
Nous avons fait notre travail, madame le ministre. Vous l'avez méprisé. C'est pour toutes ces raisons que le groupe du RPR votera la question préalable présentée par la commission des affaires sociales.
M. le président. La parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le débat que nous venons de vivre sur le projet de loi relatif au développement d'activités pour l'emploi des jeunes présente l'avantage de démontrer que le clivage entre la majorité et l'opposition parlementaires conserve toute sa légitimité, et il est d'ailleurs très sain qu'il en soit ainsi.
Si les échanges ont été constructifs et attentifs, ils ont été aussi riches d'enseignements sur les valeurs respectives de deux cultures politiques fort différentes.
Pour notre part, nous avons été, dès le début de la discussion, en désaccord profond avec la philosophie de ce texte, qui s'appuie avant tout sur la puissance publique pour faire émerger de nouveaux emplois que l'on espère pouvoir transférer par la suite vers le secteur marchand. Pour nous, cette perspective est illusoire.
Madame le ministre, nous ne nous opposons pas sur les modalités ; nous nous opposons sur la logique qui inspire l'élaboration de ce texte ! Nous ne sommes pas dans une enceinte universitaire pour nous attarder à loisir sur les mérites comparés de deux doctrines. Il s'agit d'essayer de trouver de véritables solutions pour protéger les jeunes de ce fléau qu'est le chômage, leur redonner confiance en eux et espoir en l'avenir.
Malheureusement, de notre point de vue, ce texte n'est pas susceptible de répondre à cette attente, car il promet ce qui ne pourra être tenu.
Au terme des cinq ans, les employeurs se trouveront devant un rude dilemme : se séparer des jeunes qui, pour la plupart, auront bien rempli leur mission, ou les titulariser. Or la France est déjà - M. Fourcade le rappelait tout à l'heure - en tête des pays occidentaux pour le poids de sa fonction publique et elle ne peut se permettre d'accroître encore ses dépenses pour financer une augmentation du nombre de ses fonctionnaires.
Néfaste pour les finances publiques, ce projet de loi l'est surtout pour les jeunes que l'on va dévaloriser en légitimant des situations pour lesquelles le niveau de formation sera, la plupart du temps, supérieur à celui de la rémunération.
Vecteur de déception et d'amertume demain, ce texte est également facteur de destruction d'emplois dans le secteur privé.
En matière de création d'emplois pour les jeunes, une voie, qui n'a pas été suffisamment expérimentée par les gouvernements précédents, quels qu'ils soient, nous semble porteuse et l'on devrait s'y engager résolument : c'est celle de la réduction des différentes charges qui pèsent sur le secteur marchand assortie de l'embauche et de la formation.
Je veux remercier M. le rapporteur d'avoir, voilà quelques instants, au nom de la commission, parfaitement résumé les termes du désaccord qui existe entre le Sénat, d'une part, le Gouvernement et l'Assemblée nationale, d'autre part.
L'Assemblée nationale campe sur ses positions. C'est son droit. Notre groupe considère que le Sénat doit, à ce point du débat, s'opposer à ce texte, et cela en accord complet avec les auteurs de la question préalable.
Contrairement à ce qui a été avancé tout à l'heure, le dépôt de cette question préalable traduit une grande cohérence politique. Elle ne vise pas à masquer nos divisions.
Je voudrais relever ici ce qui a été dit à plusieurs reprises, tant par M. Estier que par vous-même, madame le ministre. Pourquoi avons-nous été contraints à déposer cette question préalable ? Parce que le Gouvernement, en choisissant la procédure d'urgence, a privé le Parlement, et donc le Sénat, d'une navette qui aurait peut-être permis d'aboutir à un texte plus dynamique et plus porteur tout en allant dans le sens que vous souhaitez.
C'est donc le choix de la procédure retenue par le Gouvernement qui nous empêche de poursuivre et nous contraint à adopter cette question préalable. Dans ces conditions, vous le comprendrez, le groupe que j'ai l'honneur de présider la votera sans aucun état d'âme. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon explication de vote au nom du groupe du RDSE - je ne pensais pas, je l'avais dit, intervenir en son nom ! - sera brève puisque je me suis exprimée tout à l'heure.
Au sein de notre groupe, nous nous sommes heurtés à la difficulté qu'ont éprouvée les partis de droite de cette assemblée à adopter une position commune sur ce texte en première lecture la semaine dernière. Mon groupe a donc « éclaté » pour adopter des positions différentes allant du pour au contre en passant par l'abstention. Cet éclatement se retrouve au moment du vote sur l'ensemble.
La majorité des membres du RDSE s'est prononcée contre la question préalable : 14 voteront contre, quatre s'abstiendront et trois voteront pour. C'est vous dire ! Même ceux qui ont voté contre l'ont fait pour des raisons tout à fait différentes ! Ce vote illustre donc la diversité de notre groupe.
M. Michel Mercier. Un groupe pluriel ! (Sourires.)
Mme Joëlle Dusseau. C'est un groupe pluriel, c'est sûr ! Mais je pourrais aussi, je crois, parler au nom de l'ensemble de mes collègues.
En effet, nous espérons tous vivement qu'à partir de ce texte, qui va être adopté, le Gouvernement continuera de manière déterminée à faire preuve à la fois de vigilance et d'imagination, notamment en accompagnant les collectivités locales et les associations qui en auront bien besoin pour faire en sorte que les emplois-jeunes correspondent effectivement aux souhaits du Gouvernement, en particulier de Mme la ministre. Je voudrais vous faire part de mon étonnement. Je suis en effet quelque peu surprise de ce thème qui revient régulièrement dans notre assemblée, que l'on vient encore d'entendre à plusieurs reprises, et qui consiste à s'inquiéter, voire à dénoncer l'importance du secteur public et des emplois publics.
Le plus important, selon moi, est que les gens, les jeunes en particulier, aient un emploi, quel que soit le secteur. C'est même, compte tenu de l'ampleur du chômage et de la désespérance des jeunes, une chose tout à fait essentielle. Sur ce point, je voudrais dire combien j'ai été sensible aux propos tenus par M. Diligent.
J'ajouterai qu'à l'avenir ce n'est pas seulement à l'échelon français qu'il faudra prendre de telles mesures. Il faudra le faire également au niveau européen, car l'Europe compte plusieurs dizaines de millions de chômeurs et l'extraordinaire richesse de ce continent s'accompagne de misère.
Les Etats qui composent l'Europe ne pourront que s'orienter vers des solutions transitoires, des solutions mixtes, faisant appel à des financements aussi bien publics qu'associatifs ou privés. C'est cette souplesse dans les solutions trouvées qui permettra de faire réellement reculer le chômage, notamment celui des jeunes. Il faut arrêter d'opérer cette division forcenée entre secteur public et secteur privé pour s'attacher non seulement à faire reculer le chômage, mais aussi à répondre aux besoins qui se développent, des besoins sociaux que, pour le moment, ni le secteur privé ni le secteur public ne peuvent satisfaire.
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Madame la ministre, le souci qui est le vôtre de trouver des emplois pour les jeunes de ce pays est partagé par tous dans cette assemblée.
Les solutions que vous nous proposez peuvent apparaître séduisantes dans leur présentation et connaîtront probablement un certain succès dans les prochaines semaines. Mais si l'on tient compte de l'ensemble des choix opérés par le Gouvernement dans le domaine de l'emploi, on s'apercevra très vite qu'elles se révéleront dangereuses pour le niveau même de l'emploi dans notre pays.
Le système que vous proposez s'inscrit après bien d'autres tentatives. Vos propositions ont-elles une meilleure chance de réussir ? Nous pourrions être tentés de faire avec vous ce pari - certains dans notre groupe le feront - et d'essayer encore pour ne pas décourager notre jeunesse, qui espère trouver une solution dans votre projet - tant ce dernier a bénéficié d'une bonne promotion médiatique - et parce que votre échec serait un peu celui de la classe politique tout entière.
Mais nous pouvons aujourd'hui examiner les propositions que vous nous présentez à la lumière de ce qui est en train de se passer sur le terrain et des choix qui sont globalement opérés par le Gouvernement et qui figurent dans le projet de loi de finances pour 1998.
Que se passe-t-il sur le terrain ? Comme M. Allègre l'a rappelé tout à l'heure, le ministère de l'éducation nationale a commencé à appliquer le texte avant que nous l'ayons voté. Les emplois proposés aux jeunes sont des emplois publics attribués après une sélection rigoureuse. Le projet de loi de finances pour 1998 se caractérise, notamment dans son article 65, par un renchérissement du coût du travail pour ceux qui ont un bas salaire.
Ces deux remarques nous amèneront à ne pas voter le texte tel qu'il revient de l'Assemblée nationale. Les amendements que la commission des affaires sociales avait déposés en première lecture pour tenter d'améliorer le projet de loi ayant été rejetés, nous n'avons pas d'autre solution que de repousser aujourd'hui le texte, et donc de voter la question préalable.
Permettez-moi de revenir brièvement sur le dispositif mis en place par ce projet.
Les emplois qui nous sont proposés actuellement par le ministère de l'éducation nationale relèvent du secteur public. En effet, les jeunes qui vont être sélectionnés bénéficieront dans un premier temps d'un contrat de droit public, puis d'un contrat résultant de la loi qui portera votre nom, madame le ministre.
C'est donc bien reconnaître qu'il s'agit de la création d'une fonction publique nouvelle, même si ces emplois ne correspondent pas à tous ceux que vous nous proposez. Nous n'avons pas l'intention de vous faire, sur ce point, de procès sous-entendant que vous voulez créer une fonction publique bis. N'empêche que c'est ce qui se crée actuellement sur le terrain.
Je voudrais insister sur le caractère très fortement sélectif du système. En effet, les nombreux jeunes qui ont déposé leur candidature devront répondre à de multiples entretiens. Cette sorte d'écrémage mis en place suscite des interrogations. En effet, ceux qui ont échoué, parce qu'ils n'ont pas effectué un bon parcours scolaire ou parce qu'ils ont des difficultés, seront rejetés et nous « resteront sur les bras » demain à vous, à nous. Ce sont eux qu'il ne faut pas rendre plus aigris encore !
Ce projet de loi pourrait être un texte parmi d'autres. Vous avez insisté sur son caractère modeste. Nous sommes d'accord avec vous. Nombre d'essais et d'échecs ont été enregistrés. Ce texte pourrait donc être une contribution de plus à la résorption du chômage des jeunes par l'emploi public si n'apparaissait en même temps une mise en danger des emplois privés par le renchérissement de leur coût que le Gouvernement propose dans la loi de finances pour 1998 ; M. Poncelet l'a rappelé tout à l'heure.
Nous croyons véritablement que baisser les charges sur les bas salaires est un bon moyen de lutter contre le chômage. Le Gouvernement, en ramenant le seuil des salaires de 1,33 fois à 1,30 fois le SMIC pour bénéficier du rabais sur les charges sociales, renchérit au contraire le coût du travail. Je crois que, ce faisant, il ne va pas dans le bon sens.
L'abandon du plan textile procède de la même philosophie.
Nous ne comprenons pas que, d'un côté, des efforts pour les jeunes soient réalisés et que, de l'autre, on renchérisse le coût du travail dans l'entreprise...
M. le président. Il vous faut conclure, mon cher collègue.
M. Michel Mercier. Je conclus, monsieur le président.
... on fasse financer par les emplois privés des emplois quasi publics. Cela conduira la grande majorité du groupe de l'Union centriste à voter la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, du RPR ainsi que sur certaines travées du RDSE.).
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable, repoussée par le Gouvernement.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 6:
Nombre de votants | 315 |
Nombre de suffrages exprimés | 303 |
Majorité absolue des suffrages | 152 |
Pour l'adoption | 198 |
Contre | 105 |
En conséquence, le projet de loi est rejeté.13