M. le président. Par amendement n° 289, le Gouvernement propose, après le texte présenté par l'article 2 pour l'article 231-132 du code de procédure pénale, d'insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... - Après qu'il a été répondu aux questions posées en application de l'article 231-127, le tribunal d'assises statue sur les éléments à charge ou à décharge. En cas d'acquittement, l'approbation par trois personnes suffit à leur adoption. »
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Avec votre permission, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux expliquer ce que cet amendement signifie et dire où il se situe dans notre discussion depuis l'origine.
A cet effet, je rappellerai d'où nous sommes partis et quelles propositions le Gouvernement a successivement présentées au Sénat avant d'en arriver à ces deux amendements que la commission vient d'examiner.
D'abord, pour que la discussion soit claire, je rappelle que l'amendement n° 289 tend à insérer un article additionnel après l'article 231-132, relatif à la déclaration de culpabilité ou de non-culpabilité, c'est-à-dire à la décision, bref à ce à quoi tend tout le travail du tribunal d'assises.
Dans le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, la motivation des décisions du tribunal d'assises se présentait sous la forme d'un texte adopté après la décision sur la culpabilité et retraçant les raisons pour lesquelles le tribunal s'était convaincu soit de la culpabilité, soit de l'innocence. Cette motivation, appelée « raisons de la décision », pouvait être reportée jusqu'à quinze jours après le délibéré.
A la suite des travaux qui ont été conduits par la commission des lois du Sénat, des positions qui ont été prises par son rapporteur, des propositions d'amendements qu'il a faites en son nom, des prises de position des uns et des autres - M. le président Larché, M. le rapporteur, MM. Fauchon, Hyest, Badinter, pour ne citer qu'eux - dans la discussion générale, le Gouvernement a décidé de réfléchir de nouveau aux modalités de cette motivation.
J'ai annoncé d'emblée que j'acceptais que le texte de l'Assemblée nationale soit modifié pour écarter le décalage de la motivation, c'est-à-dire pour que la motivation soit en tous les cas immédiate, sans désemparer après la fin du délibéré.
J'ai, ensuite, réfléchi à la possibilité de concilier - je l'ai expliqué tout au long du débat - la nécessité de faire connaître publiquement la raison pour laquelle telle décision était prise par le tribunal d'assises avec la procédure qui avait été retenue par la commission, à savoir le questionnement. J'ai donné mon accord de principe pour inscrire nos discussions dans le cadre de cette technique du questionnement.
Enfin, j'ai pensé que le mot adopté par l'Assemblée nationale, « raisons », qui n'a pas été retenu par votre commission des lois qui proposait de le remplacer par les termes « élément de preuve », pouvait effectivement faire l'objet d'un débat compte tenu des conceptions défendues par la Haute Assemblée et de ce que l'on souhaitait que soit cette explication de la décision.
Mais, en même temps, nous sommes tous convenus que les termes « éléments de preuve » n'étaient pas non plus des mieux appropriés.
Aussi, après quarante-huit heures de débat et de réflexion, j'ai déposé deux amendements dont je vais vous exposer l'économie.
Je me suis inscrit dans la technique du questionnement présentée par la commission des lois et je propose qu'après que la décision sur la culpabilité a été prise le tribunal se prononce sur ce que j'appelle - et je sais que la commission songeait aussi à cette terminologie - « les éléments à charge ou à décharge », lesquels motiveront la décision.
J'ai par ailleurs apporté une réponse à une question sur laquelle nous avions eu un débat dès mardi : faut-il que ces dispositions s'appliquent aussi aux décisions d'acquittement ?
Je crois, je le répète, que ce sont probablement celles qui exigent d'être les mieux comprises et parce qu'elles sont souvent les plus difficiles à comprendre, celles qui doivent être les mieux expliquées.
C'est la raison pour laquelle je propose dans mon amendement que les décisions d'acquittement, selon une modalité et une majorité différentes, bien entendu, fassent l'objet de la même explication.
Telle est, monsieur le président, l'économie des deux amendements n° 289 et 290. Nous sommes à la conjonction, en tout cas je l'espère, de la volonté du Sénat, de sa commission des lois et, je le crois, de manière générale, de l'ensemble de cette assemblée - dont je salue le travail patient et intelligent qu'elle a effectué sur ce texte - et de la volonté du Gouvernement que traduit le texte qu'il a présenté, et dont l'essentiel résultait des travaux de l'Assemblée nationale.
C'est au sens le plus véridique de ce mot un « compromis », c'est-à-dire une proposition qui est de nature à satisfaire chacun sans désavouer personne. Si la commission voulait bien l'accepter, et le Sénat après la commission, je serais heureux d'avoir pu une nouvelle fois trouver un accord avec le Sénat en faisant vers lui, chacun en aura conscience, des pas considérables mais qui ne me coûtent pas car ils me paraissent justifiés par l'enjeu de cette réforme.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je souhaiterais déposer une motion d'ordre, monsieur le président.
M. le président. Tout à l'heure, monsieur Dreyfus-Schmidt. La parole est d'abord à M. le rapporteur.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. De quel amendement parle-t-on ?
M. le président. Nous examinons l'amendement n° 289, pour lequel la priorité a été décidée, sur la demande de la commission et en accord avec le Gouvernement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il n'y a pas deux amendements en discussion commune ?
M. le président. Seul M. le rapporteur a la parole, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. J'ai déjà eu l'occasion de rappeler à nos collègues que le point essentiel de la réforme qui nous est soumise, à savoir la création du double degré de juridiction en matière criminelle, avait déjà été adopté dans les esprits, dans l'opinion, avant même que le débat ne s'engage dans les hémicycles parlementaires.
Or je voudrais souligner que l'un des intérêts de la réforme qui nous est proposée aujourd'hui tient à ce que, au-delà de l'institution, unanimement admise, de ce double degré de juridiction, d'autres dispositions s'imposaient pour permettre sa mise en oeuvre et réformer les pratiques actuelles. Sur ce point, un débat pouvait s'ouvrir devant le Parlement.
Je sais gré à titre personnel au Gouvernement d'avoir entamé cette réforme et de l'avoir fait, ce n'est malheureusement pas vrai tous les jours, alors que l'opinion publique n'est pas soumise à des pressions multiples et de toute nature pour amener les parlementaires à prendre l'initiative d'une réforme ou, au contraire, à s'opposer à telle ou telle modification que certains voudraient imposer.
C'est pourquoi, même si nous faisons preuve parfois d'un peu de passion, je considère que nous légiférons en dehors de toute pression populaire. Il est vrai, me semble-t-il - c'est peut-être une faiblesse de ma part de le croire - qu'à bien des égards le fonctionnement de la cour d'assises en France, depuis ces deux cents dernières années, s'est déroulé dans des conditions rarement contestées vivement.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Pour l'avocat que je suis, le double degré de juridiction est familier, mais je ne me suis jamais scandalisé qu'un condamné ne puisse pas faire appel de la décision qui lui était imposée par la juridiction criminelle. De même que - et c'était cela qui me conduisait à émettre des réserves sur un point du projet de loi qui sera tout à l'heure au coeur du sujet - j'ai toujours pensé - mais c'est très personnel - ...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non, non, on est d'accord. (Sourires.)
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. ... que, s'agissant de justifier d'une condamnation criminelle ou d'un acquittement, la meilleure des motivations reste sans doute l'intime conviction, qui est une règle parfaitement établie au niveau de tout le dispositif pénal du droit français. Et les quelques problèmes qui se posent aujourd'hui trouvent leur origine dans l'espèce de dialectique qui s'est instaurée : la motivation pourrait être différente de l'intime conviction et lui donnerait une justification qu'elle n'a pas, du fait que, peut-être, se manifesterait parfois la tentation d'assimiler l'intime conviction à l'arbitraire, ce qui n'a jamais eu cours dans la pratique des juridictions françaises.
Même si des erreurs judiciaires ont pu être commises, mon intime conviction est qu'il y a eu plus d'erreurs judiciaires favorables à l'accusé par des acquittements que l'inverse. Mais nul ne pourra jamais établir à cet égard une statistique.
Aujourd'hui, le double degré de juridiction étant admis, l'essentiel de la réforme l'est aussi. Ce sont ses modalités de mise en oeuvre qui posent encore quelques problèmes.
A cet égard, hier constituait en quelque sorte une veillée d'armes puisque, à l'heure qu'il est, ce jour, nous voilà parvenus à un des noyaux durs de la mise en oeuvre du double degré de juridiction, encore que les données sont peut-être indépendantes, car quelque chose me dit que la cour d'assises devenue juridiction d'appel statuera peut-être beaucoup moins qu'on ne le croit par rapport à ce que le tribunal aura décidé.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Elle recommencera !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Elle sera là pour prendre une décision. Oui, elle recommencera, et je pense que c'est ce que nous voulons tous.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Il y a certes eu veillée d'armes, mais il n'y a pas eu d'armes.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. C'est vrai !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. On ne les a pas sorties !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Mais, s'agissant de la motivation et du texte du projet de loi qui a été adopté par l'Assemblée nationale, avant même d'être nommé rapporteur, je n'étais pas sans état d'âme.
Et aujourd'hui, même après cette sorte de contrat qui a pu être passé par le Sénat avec le Gouvernement et sous réserve de la navette,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Parlez pour vous !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. C'est la majorité du Sénat qui s'exprimera !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On verra où elle sera !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Effectivement : on verra !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Et la démocratie !...
J'imagine que si, comme je l'espère, le Sénat suit l'avis de la commission des lois, le débat devant l'Assemblée nationale aura une orientation fondamentalement différente par rapport à la première lecture. C'est d'autant plus vrai que c'est le Gouvernement lui-même qui, revenant sur certaines des dispositions de son projet de loi initial, sera amené à défendre la position que je défends moi-même aujourd'hui, même si ce texte a des imperfections.
Je ne dis pas qu'il s'agit d'un contrat ! Il faut en effet se méfier du mot « contrat », parce que, dans certains domaines,...
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. En effet, dans les affaires criminelles, ce terme est ambigu !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Si le Sénat adopte l'amendement proposé par le Gouvernement, ce dernier aura l'obligation morale de défendre ce dispositif devant l'Assemblée nationale. C'est important, tant il est vrai que, sur cette affaire de la motivation, l'Assemblée nationale a pris des positions très éloignées de celles qui vous sont aujourd'hui proposées par le Gouvernement, à l'instigation, sous la pression constante de la commission des lois.
Il est vrai que cette dernière a exercé une certaine pression ces dernières semaines, avec l'espoir de convaincre. Et M. le garde des sceaux, ces jours derniers, nous a dit qu'il était prêt à renoncer à la motivation différée, ce qui est une évolution considérable.
Initialement, le Gouvernement avait prévu que la mise en forme de la motivation puisse être rendue quinze jours après le verdict.
Imaginez les commentaires qui pourraient dès lors être publiés dans la presse, tant nationale que locale, sur des affaires fortement médiatisées. Imaginez les articles qui paraîtraient, les réactions de l'opinion, ce qui ne pourrait manquer, qu'on le veuille ou non, de risquer d'influencer le rédacteur de la motivation.
Le Gouvernement, sur ce point, a pris acte de nos critiques. Il faut bien dire ce qui est positif et ne pas se borner à rêver toujours du paradis, monsieur Dreyfus-Schmidt. Certes, le Gouvernement aurait pu déposer un amendement meilleur et qui aurait pu encore être amélioré au cours de la navette. Mais que de chemin parcouru !
Au début, nous avions une motivation, que la commission des lois a appelée « littéraire ».
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Oui.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Ce qualificatif n'était pas forcément le meilleur. Mais nous n'avions pas eu le temps de consulter suffisamment le Larousse pour savoir.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Le terme n'était pas si mauvais !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Tout à fait ! En tout cas, il précisait bien que, une fois la décision rendue, quelqu'un, en l'occurrence, on le devine, un magistrat professionnel, prendrait la plume et serait amené à expliquer la décision prise.
Mais ce dispositif présentait un risque, qui est considérable et que nous avons fait valoir : même si un membre du jury est d'accord sur une condamnation, il n'est pas forcément d'accord sur tel ou tel motif que le rédacteur de la décision serait enclin à utiliser.
A ce propos, je déclarais au cours de la discussion générale que l'acte législatif n'est pas à proprement parler motivé. Or tout le monde sait, par expérience, que les motivations des sénateurs, pour ne parler que de ceux-ci, sont parfois fondamentalement différentes, mais peuvent aboutir à un même vote, positif ou négatif. Il peut très bien en être de même de la décision d'un tribunal d'assises ou d'une cour d'assises.
Cela signifie que le rédacteur d'une motivation littérale pourrait se trouver en difficulté car tel juré pourrait dire que, s'il est partisan de la condamnation, il n'accepte pas le motif proposé, il en attendait un autre... Et les difficultés de rédaction seraient alors difficilement surmontables.
Sur ce point, le Gouvernement a pris acte de ces remarques, il faut le constater. Cet effort important il est à porter au crédit de la Haute Assemblée.
La commission des lois a dès lors abordé la notion du « questionnement ». Plutôt que de nous résoudre à une motivation littéraire des motifs, avec les difficultés que j'évoquais, il conviendrait que les membres du jury répondent par oui ou par non à des questions reprenant certains aspects des faits : telle personne se trouvait-elle ce jour-là à tel endroit ? Etait-elle dans la voiture ? Portait-elle une arme ? etc.
La règle serait, pour les condamnations, la majorité, mais avec une nuance que j'ai toujours marquée et que, généralement, l'opinion ignore, c'est-à-dire une majorité très qualifiée.
Le tribunal d'assises est composé de huit membres aux termes du projet de loi.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le tribunal criminel !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Ce n'est pas encore la loi ! Il s'agit du projet de loi, monsieur Dreyfus-Schmidt. Bien sûr, le Sénat propose de retenir l'expression « tribunal criminel », mais tel n'est pas le débat.
Dans le tribunal d'assises, où siègent trois magistrats professionnels et cinq jurés, toute décision défavorable à l'accusé doit être prise par une majorité de six voix, c'est-à-dire les trois quarts des membres composant la juridiction.
Je reconnais que, s'il s'agit d'un acquittement, lorsqu'on posera les questions à charge ou à décharge, trois voix suffiront pour justifier l'acquittement, alors que huit personnes délibèrent.
Ce sont là de vrais problèmes, mais il faut les étudier en dehors de toute passion.
Le Gouvernement a adopté une position que j'accepte et que je souhaitais.
Au cours des auditions auxquelles la commission des lois et moi-même avons procédé, j'ai demandé ce qui se passerait à propos de la motivation, puisque trois personnes suffisaient à entraîner l'acquittement. En effet, si vous demandez aux membres du jury de donner les motifs de l'acquittement, vous risquez, si celui-ci a été acquis par trois voix sur huit, de ne pouvoir trouver une majorité en faveur de tel ou tel motif. Vous allez alors recueillir des réponses contradictoires. Et l'amendement du Gouvernement, qui n'exige que trois voix pour la motivation en cas d'acquittement, règle cet aspect des choses.
Aujourd'hui, le Gouvernement a accompli des efforts importants pour se rapprocher de la position du Sénat, mais il reste quelques problèmes à régler.
Les questions qui seront soumises au jury doivent-elles porter sur les éléments à charge ou à décharge - mais ce n'est pas le problème fondamental - concernant le sort de l'accusé ?
Ces questions doivent-elles être posées avant la décision sur la culpabilité ou après, pour l'expliquer, la motiver ? C'est surtout sur ce point que subsistent encore entre nous des divergences d'appréciation.
J'avais pensé, avant même de présenter mon rapport à la commission sur ce projet de loi, que le questionnement devait intervenir après la décision. D'abord, on prend une décision, ensuite, on l'explique.
Ainsi, les juges professionnels prononcent une condamnation, un soir, après vingt-cinq ou trente affaires, et ils motivent leur décision après, et cela ne soulève pas de scandale dans l'opinion publique. J'entends même dire qu'ils motivent seulement lorsqu'il y a un appel de façon que la cour d'appel soit saisie d'un texte rédigé.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est scandaleux !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. S'agissant d'une décision d'assises, la motivation littéraire à trois heures ou quatre heures du matin doit-elle se contenter de quatre, cinq ou dix lignes, alors qu'il s'agit, par hypothèse, d'affaires importantes ?
Ne serait-il pas plus raisonnable, compte tenu des possibles divergences d'appréciation des membres du jury sur les motivations, de préférer un questionnement qui explique les raisons de la condamnation - un tel était-il, ce soir-là, à tel endroit ? Etait-il porteur d'une arme ? etc. - auquel il serait répondu par oui ou par non. Ainsi, après la décision, il y aurait l'explication.
Mais certains soutiennent que cette opération doit se faire avant la décision !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Cela paraît très juste !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Mais attention ! J'ai d'ailleurs changé d'avis sur ce sujet !
A un moment donné, je suis revenu à l'idée qu'il fallait que la motivation soit exprimée avant. Mais je ne me sentais pas à l'aise par rapport au principe de l'intime conviction et, aujourd'hui, l'amendement qui est proposé par le Gouvernement rejoint ce que je pensais moi-même au début de mes réflexions sur ce sujet.
D'abord, l'intime conviction et le secret du vote et, ensuite, une fois la décision prise, le questionnement pour savoir quels sont les éléments qui ont été retenus. Chacun des jurés, en son âme et conscience, et dans le secret de la délibération, dira alors ce qu'il pense. Certains d'entre nous peuvent préférer que ce genre de questionnement intervienne avant la délibération. Tel n'a pas été l'avis de la commission des lois.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. On peut se tromper !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Quelque chose me dit que l'on a fait un bien grand pas dans le sens souhaité par la commission des lois.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. On ne peut pas, dans une affaire de cette nature, alors que la déclaration d'urgence n'a pas été imposée au Parlement, méconnaître les effets positifs qui peuvent être ceux d'une navette.
Le texte que je vous propose d'adopter provoquera sans doute quelques réactions, qui vont amener les parlementaires à réagir.
Nous n'aurons peut-être pas obtenu aujourd'hui un dispositif parfait, mais il sera infiniment plus proche de ce que nous souhaitons.
Finalement, je pense que ce qui est proposé par la commission des lois est raisonnable. L'amendement du Gouvernement n'est peut-être pas parfait mais, précisément, la navette permettra d'approfondir la question.
En tout cas, le fait que la motivation décalée et la motivation littéraire soient aujourd'hui écartées constitue un acquis considérable.
C'est pourquoi je vous demande, mes chers collègues, quelles que soient les quelques critiques qui peuvent être portées, d'adopter l'amendement proposé par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 289.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il paraît que nous sommes en matière de transaction, de convention, de contrat. Il est évident que l'opposition en a été exclue !
Tout à l'heure, il a été annoncé que le Gouvernement avait déposé des amendements ; nous ne les avions pas. La commission des lois se réunit, et ils nous sont distribués. Après quoi, le rapporteur nous a lu un long argumentaire en faveur de ces amendements que, je le répète, nous ne connaissions pas.
C'est dire que les dés sont pipés. Ce n'est plus un Gouvernement qui propose et un Parlement qui dispose librement mais un Gouvernement et une partie de l'assemblée qui passent un contrat et qui imposent !
M. Philippe François. Non !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous protestons d'autant plus que nous avons discuté de nombreuses questions pendant cette réunion de la commission, mais pas de la priorité pour un amendement. Or, à peine étions-nous arrivés dans l'hémicycle que nous entendions notre rapporteur demander la priorité pour cet amendement, au nom de la commission !
L'amendement n° 289 tend à insérer un article additionnel après l'article 231-132 du code de procédure pénale alors que nous en étions parvenus à l'article 231-117. Avouez que cela ne facilite pas la discussion !
Rien ne nous empêchait de poursuivre le déroulement normal de nos travaux sans mettre la charrue devant les boeufs. Mieux aurait valu, avant d'en arriver au remplacement de la motivation, que nous ayons défini les modalités du délibéré et des réponses aux questions - en précisant leur nature.
Cette manière de procéder est l'effet d'une transaction qui n'est pas acceptable.
A vous en croire, le Gouvernement aurait fait un effort. Tant mieux !
Il a compris qu'il n'était pas possible de rédiger des explications en délibéré huit jours après que le verdict fut rendu.
Il a compris aussi qu'il est impossible de procéder à une motivation complète, compte tenu du secret du vote des jurés dont on nous explique qu'il est indispensable pour préserver leur liberté d'expression. Soit, mais alors, ne demandons pas à des jurés qui se sont déjà exprimés sur la culpabilité de dire pourquoi. Le secret du vote que vous ne voulez pas supprimer - que vous ne pouvez pas supprimer - est le propre des verdicts criminels et fait qu'il y a forcément une différence entre un tribunal correctionnel et une cour d'assises.
L'amendement n° 289 présenté par le Gouvernement débute par ces mots : « Après qu'il a été répondu aux questions posées en application de l'article 231-127 ». On ne les connaît pas, puisque la commission a déposé sur cet article un amendement n° 32 qui n'a pas encore été examiné ! Je précise d'ores et déjà que si la commission le retirait, nous le reprendrions.
Par ailleurs, le texte proposé par l'article 2 du projet pour l'article 231-127 du code de procédure pénale précise que : « Le tribunal et le jury délibèrent puis votent par bulletins écrits et par scrutins distincts et successifs, sur le fait principal d'abord... ».
La commission propose de modifier cette rédaction pour ajouter les mots : « sur les éléments de preuve » avant les termes : « sur le fait principal et, » c'est-à-dire qu'elle propose que l'on discute d'abord des éléments de preuve avant de voter sur la culpabilité. Cela paraît logique.
Je poursuis la lecture de cet article : « ... et, s'il y a lieu, sur les causes d'irresponsabilité pénale, sur chacune des circonstances aggravantes, sur les questions subsidiaires, et sur chacun des faits constituant une cause légale d'exemption ou de diminution de la peine. »
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, puis-je vous informer qu'il vous reste moins d'une minute sur les cinq minutes théoriques ?...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, avez-vous remarqué...
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, je vous le fait simplement remarquer, et je verrai tout à l'heure où nous en sommes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Avez-vous remarqué, monsieur le président, que le Gouvernement s'est expliqué sur cet amendement nouveau pendant près de vingt minutes, et le rapporteur également ? Trouveriez-vous normal que l'opposition, elle, soit réduite à ne disposer que de cinq minutes sur ce problème crucial et important ?
M. le président. Pour l'instant, comme convenu, je vous préviens.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Merci, monsieur le président.
Je reprends l'amendement n° 289 du Gouvernement. « Après qu'il a été répondu aux questions posées en application de l'article 231-127 » - dont je viens de parler - « le tribunal d'assises » - c'est évidemment une erreur, puisque, en l'état de nos débats, il s'agit maintenant du tribunal criminel - « statue sur les éléments à charge ou à décharge. »
Qu'est-ce que cela veut dire ? C'est le juge d'instruction qui statue à charge ou à décharge. Mais, en l'occurrence, alors qu'on a déjà répondu, les causes d'irresponsabilité pénale constituent des éléments à décharge ; les circonstances aggravantes sont des éléments à charge ; les faits constituant une cause légale d'exemption ou de diminution de la peine sont des éléments à décharge. Ce texte est mal écrit et, encore une fois, il ne veut rien dire !
Il est ensuite précisé que l'approbation à la majorité simple suffirait pour adopter ces éléments à charge ou à décharge, le questionnement intervenant après le vote sur la cupalbilité. Or, le grand principe est que toute décision défavorable à l'accusé se forme à la majorité de six voix, vous le savez, y compris, à l'article 231-130, la décision qui refuse l'application d'une cause d'irresponsabilité pénale.
Pourquoi voulez-vous maintenant que la majorité simple suffise pour répondre aux éléments à charge ou à décharge ? Cela ne nous paraît pas possible. Il faut choisir ! Ou bien vous motivez et vous levez le secret du vote des jurés ou bien vous ne levez pas le secret du vote des jurés et vous n'avez pas d'autres motivations que les réponses aux questions classiques qui sont celles de l'article 231-127.
Nous ne pouvons pas sortir de là ! Je regrette très vivement que la commission ait cru devoir essayer de panser les plaies de M. le garde des sceaux transformé, nous l'avons vu hier, en saint Sébastien, en acceptant ce texte qui n'est pas acceptable.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Chacun sent bien que nous sommes parvenus là à un point essentiel de notre discussion, et j'utilise à dessein le terme parce que nous ne sommes pas dans un domaine - qui pourrait se concevoir dans d'autres cas - où il s'agit de négociations politiques entre le Gouvernement et sa majorité, entre la majorité et l'opposition.
Nous sommes dans un domaine, je l'ai rappelé depuis le début, où nous mettons sur pied - et je l'espère pour fort longtemps - ce qui constitue une innovation institutionnelle importante : le double degré de juridiction en matière criminelle. Ce problème, on le concevra, ne peut pas recevoir une solution politique.
La seule question est donc la suivante : qu'est-ce qui peut garantir au mieux l'intérêt des justiciables et le bon fonctionnement de notre justice ? A cet égard, et dès le départ, sur la question de la motivation, chacun a bien senti que le système qui avait été préparé, soumis ensuite à l'Assemblée nationale, ne pouvait pas fonctionner.
Ce n'est pas dans le dessein de faire plaisir aux orateurs, qu'ils soient de l'opposition ou de la majorité, que le Gouvernement a évolué. S'il a abandonné l'idée d'une motivation après une quinzaine de jours à la suite de la décision rendue, c'est tout simplement parce que c'était impraticable pour les raisons que l'on a longuement évoquées.
Si, ensuite, il a avancé, puis abandonné le principe d'une motivation rédigée dans le délibéré immédiatement avant que la décision soit rendue, c'est parce qu'une délibération de cour d'assises, avec les jurés et les magistrats ensemble, sur les motivations, que l'on a appelées « littéraires », d'un projet, était impossible à mettre en oeuvre au regard de la réalité judiciaire.
La seule façon - elle a été rappelée tout à l'heure - de parvenir à une décision qui ménage la liberté de conscience des jurés, c'était évidemment la réponse par oui ou par non, les motivations demeurant secrètes, des jurés. Le vote sur une question précise, c'est la seule façon de procéder.
Nous sommes arrivés à ce point où cette évidence étant maintenant acquise, on se pose une seule question : doit-on répondre aux questions - je ne veux pas en reprendre la longue liste - qui figurent à l'article 231-7, puis à la question de culpabilité ? Une fois qu'on aura répondu oui ou non, à celle-ci, on demanderait aux jurés d'expliquer pourquoi ils ont répondu oui ou non, en posant alors des questions successives sur tel ou tel élément ? C'est impensable !
Essayez d'imaginer ce que peut ressentir un juré qui, après avoir dit : « il est coupable », se voit demander pourquoi, alors que, précisément, le principe de l'intime conviction est qu'il n'a pas à expliciter ses motifs.
Il n'existe, à cet égard, que deux solutions possibles.
La première est d'en rester au système actuel purement et simplement, c'est-à-dire qu'on répond à la question générale de la culpabilité. Nous savons que la Cour de cassation a estimé que, sur ce point, la réponse aux questions tenait lieu de motivation.
La seconde solution est d'essayer d'aller plus loin et de répondre, avant de poser la question globale sur la culpabilité, à des questions posées à propos des éléments de fait qui constituent la culpabilité : était-il là ? A-t-il tiré ? Les balles ont-elles causé la mort ? A-t-il voulu donner la mort ? C'est tout. A chaque fois, on répond « oui » ou « non ». En revanche, il n'est pas possible de commencer par demander si l'accusé est coupable de meurtre et, ensuite, d'interroger les jurés pour savoir, au travers des questions, pourquoi ils l'ont déclaré coupable. Non seulement c'est parfaitement illogique, mais cela peut, en outre, déboucher sur des situations impossibles.
En effet, rien ne dit que nous n'aurions pas une réponse première dans laquelle les jurés déclareront l'accusé coupable pour, ensuite, avoir des réponses secondes à la majorité, qui ne peut être qu'une majorité de faveur au profit de l'accusé, dans lesquelles, sur chaque élément successif de culpabilité, les jurés répondront « non ».
A ce stade, le système proposé n'est tout simplement pas viable. Il n'est nullement question, de part et d'autre, de susceptibilité d'auteur.
Je ferai donc une proposition. Le débat, à l'évidence, ne s'achèvera pas ce soir.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Ce n'est pas sûr !
M. Robert Badinter. Nous nous retrouverons dans quinze jours. Je demande à M. le garde des sceaux de bien vouloir, sur ce point, interroger ceux qui ont la responsabilité de mettre en oeuvre le schéma qui est proposé et de demander leur avis à cinquante présidents de cour d'assises. Ils auront répondu avant quinze jours. On pourrait leur proposer le système : « Vous répondez à la question de culpabilité, ensuite vous répondez aux questions sur les éléments à charge ou à décharge », ou l'autre système : les questions sur les éléments de preuve d'abord, puis sur la culpabilité. La réponse de ceux qui auront la responsabilité de mettre cette réforme en oeuvre guidera le Sénat.
Je vous propose donc de réserver la question pour la reprendre dans quinze jours. Elle n'aura pas changé. Je rappelle aussi que cette loi sera au mieux mise en application au 1er janvier 1999. Nous avons donc largement le temps de réfléchir !
Je dirai, rappelant un souvenir historique, qu'il n'a pas fallu moins de quatre ans pour que le Conseil d'Etat, consulté par un homme qui avait quelque autorité sur lui, c'est-à-dire Napoléon, réponde à la question de savoir si l'on maintiendrait ou non les jurés ! Quatre ans, entre 1804 et 1808... (Sourires.) Moi, je suggère cette consultation éclairante, voire décisive, car tant vaudra la réforme que vaudra le concours de ceux qui auront à la mettre en oeuvre. Il nous faut, à cet égard, avoir de ceux qui ont cette responsabilité leur opinion sur une question qui, je le rappelle encore une fois, est de pure pratique et n'a aucun caractère politique. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Nous voici donc arrivés à ce qui apparaît - je me demande d'ailleurs pourquoi, parce que je n'arrive pas à prendre cela autant au tragique - comme le noyau dur de la délibération. Je me trompe peut-être, mais je trouve qu'on exagère tout de même quelque peu.
J'écarterai tout d'abord l'idée selon laquelle on va voter une disposition dont on n'est pas très content, mais qui sera susceptible d'être améliorée par la suite. En effet, il y a au moins une chance sur deux pour qu'elle ne le soit pas. De plus, s'agissant d'un texte proposé par M. le garde des sceaux, s'il est voté, il sera à son tour proposé à l'Assemblée nationale où il a une chance sur deux d'être adopté. On n'en reparlera donc plus, de sorte qu'il faut tout de même qu'on en parle assez sérieusement dès maintenant !
Je l'ai dit ici, - je ne vais donc pas y revenir - je suis de ceux qui restent convaincus que, dès lors qu'on garde un jury et des jurés, il faut rester fidèle à l'idée de l'intime conviction.
Le principe de l'intime conviction, c'est que l'on prend sa décision en son âme et conscience. On a certes des motifs pour cela, mais ils sont tellement difficiles à définir en soi-même que l'on ne parvient pas à les exprimer complètement, et que l'on se contente finalement d'indiquer la décision prise. Or, si l'on ne peut pas les définir pour soi-même, on le pourra encore moins collectivement, à cinq ou neuf jurés ! C'est totalement impossible.
J'étais donc partisan d'une solution se rapprochant du système actuel, avec des questions aussi brèves que possible et - je n'hésite pas à le dire - préservant le secret, le mystère du délibéré.
Il paraît que ce n'est pas possible et qu'il faut s'expliquer davantage à cause de la cour d'assises, juridiction d'appel. Mais je suis convaincu, là encore, que celle-ci reprendra tout à zéro et se souciera fort peu de connaître et de juger les motifs retenus par le tribunal criminel. Mais, enfin, je veux bien que l'on s'engage dans cette voie.
Ce que je ne comprends pas, en revanche, c'est que, après avoir répondu à une première série de questions, à la suite de quoi on décide de la culpabilité, on reprenne - ce sont vos propres termes, monsieur le garde des sceaux - l'examen des éléments à charge et à décharge. Comme d'autres, je bute sur ce point.
Je sais bien que, dans la pratique, dans le secret d'un délibéré, on commence, bien sûr, par arrêter une décision et que, ensuite, on rédige. Mais de là à écrire cela dans un texte qui sera porté à la connaissance de tout le monde et qui fera forcément l'objet de commentaires... Vous imaginez quels seront ceux-ci !
On m'explique alors que c'est non pas la motivation, mais l'explication de la décision qui doit être rendue publique. Mais on en arrive à une querelle qui ressemble à celle qui portait sur le sexe des anges ou à celle qui opposait les Jésuites à Pascal sur la grâce suffisante et la grâce nécessaire !
Pour ma part, je ne vois pas que cette querelle puisse être satisfaisante. J'aurais souhaité que l'on énumère les éléments à charge et à décharge dans la liste des questions.
On ne peut pas - on ne l'a pas dit clairement - parce qu'existe la crainte que l'on ne puisse pas réunir une majorité. Est-ce bien cela la raison ? J'aurais aimé le savoir.
Je reconnais qu'effectivement on risque d'avoir un système qui ne débouche jamais sur une condamnation.
Dans ces conditions, que l'on ne cherche pas à élucider ce qu'est l'intime conviction, que l'on ne cherche pas à l'élucider au prix d'un montage dont je continue de penser que son seul affichage va faire l'objet de critiques et dont la pratique elle-même, me semble-t-il, sera extrêmement difficile.
J'ai peur qu'on n'enfante en la matière quelque chose d'un peu monstrueux, quelque chose qui ne marchera pas, et qu'il faudra reprendre d'ici un certain temps parce qu'on s'apercevra qu'on a voulu concilier ce qui est le propre des juges professionnels et ce qui est le propre des jurés, alors que cette conciliation n'est pas vraiment possible.
Je reconnais que des esprits qui valent le mien ont admis qu'il était possible d'essayer.
Dans ces conditions, sans prétendre avoir la science infuse, mais, par ailleurs, ayant une certaine expérience en ces matières, je serai obligé, ne pouvant souscrire à cette formule, de m'abstenir sur cet amendement.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Il me semble nécessaire, au terme de cette discussion, de rappeler un certain nombre de choses.
Tout d'abord, il est certain que le fait d'instituer un double degré de juridiction en matière criminelle entraîne des conséquences.
Autrefois, les jurys d'assises n'étaient pas obligés d'expliquer pourquoi ils avaient statué dans tel sens parce que les seuls recours possibles étaient la cassation et la grâce ; en réalité, ils étaient juges en dernier ressort.
Bien évidemment, nous aurions pu retenir pour la mise en oeuvre du double degré de juridiction une autre option, mais ce n'était ni celle du garde des sceaux, ni celle de la majorité, ni même celle de la majorité de la commission. On aurait pu décider que la juridiction de premier degré en matière criminelle ne serait composée que de juges professionnels.
Dès lors, les choses devenaient très simples.
Les trois juges - ou les cinq juges - auraient motivé leur jugement, et on restait dans la tradition juridique classique.
Cette option n'a pas été retenue et on se trouve maintenant dans une situation nouvelle, à laquelle on ne connaît pas de précédent, avec un premier jury populaire dont les jugements sont susceptibles d'appel devant un second jury populaire.
Dès lors, deux écueils doivent être évités.
D'abord, il faut éviter la multiplication des recours en appel.
Ensuite, il ne faut pas que, systématiquement, la deuxième juridiction contredise la première : il convient donc que, dans le jugement de la première, le fondement du jugement soit clairement énoncée.
Comment peut-on clairement l'énoncer à partir du moment où c'est un jury qui délibère, puis émet des votes secrets sur une série de questions ?
Il ne faut pas changer cela, c'est une bonne chose, mais il faut tout de même que le jugement du tribunal criminel de première instance soit explicité.
On ne peut pas intégrer dans le jugement les résultats des scrutins émis sur chacune des questions posées.
En revanche, ce que propose M. le garde des sceaux me paraît tout à fait satisfaisant. Une fois que toutes les questions auront été posées au jury, une fois que le jury y aura répondu en son âme et conscience, un résumé du résultat du délibéré sera établi, texte sur lequel le jury se prononcera.
En d'autres termes, on va rendre juridiquement compréhensible ce qui ne peut l'être par une série de questions. Dès lors, la logique est parfaite ; on ne peut rien reprocher au système : le jury a statué, il a rendu sa décision, puis celle-ci va être mise en forme juridique de façon à être compréhensible par tous, par le condamné, par la presse, par la partie civile, mais aussi par la juridiction d'appel.
La solution que nous propose M. le ministre est une solution de bon sens. Personnellement, je suis convaincu que c'est le président de la cour qui va résumer le compte rendu du délibéré et des questions et, en fin de compte, rendre parfaitement compréhensibles et défendables les jugements du tribunal criminel de première instance.
C'est la raison pour laquelle je me rallie totalement à la proposition faite par M. le ministre et par la majorité de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. A l'inverse de M. Gélard, je n'ai pas l'impression que ce soit si simple et si logique.
Nous sommes effectivement en train de faire du neuf. En conséquence, il faut faire très attention et il me paraît utile de se donner le temps de la réflexion.
Je soutiens la proposition qu'a faite M. Robert Badinter, parce que je suis favorable à l'élargissement des questions. A ce propos, monsieur le rapporteur, je souhaiterais savoir ce que devient l'amendement n° 32.
Je crois qu'il y a une logique à poser un certain nombre de questions auxquelles le jury est évidemment appelé à répondre, à la suite de quoi il prend sa décision.
En revanche, il me semble illogique de lui demander de répondre à une série de questions et, ensuite, une fois qu'il a pris sa décision, de lui demander de répondre à d'autres questions.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je me demande quels seront les éléments à charge et à décharge sur lesquels on posera des questions. Il peut y en avoir beaucoup, notamment à décharge : par exemple, à quel âge l'accusé a-t-il été orphelin ? A-t-il été atteint de telle ou telle maladie, etc. ?
Puis, il y a les éléments à charge. Or, les éléments à charge servent à se prononcer sur la culpabilité, tandis que les éléments à décharge servent uniquement à se prononcer sur la peine.
Au stade considéré dans l'amendement, on a déjà statué sur la culpabilité, mais on n'a pas encore statué sur la peine. C'est donc entre les deux qu'on va se prononcer sur l'ensemble des éléments dont les uns sont nécessaires pour se prononcer sur la culpabilité et les autres pour se prononcer sur la peine ! Franchement, cela est-il logique ? Sûrement pas. On ne peut donc pas dire que le tribunal va se prononcer sur les éléments à charge ou à décharge.
La commission des lois, pour essayer d'aller dans le sens du Gouvernement, c'est-à-dire pour obtenir une motivation plus complète que celle qui résulte de la réponse aux questions classiques, a, dans l'amendement n° 32, envisagé que l'on puisse répondre également sur les éléments de preuve.
D'ailleurs, cet amendement n° 32 aurait mérité de venir en discussion commune avec l'amendement n° 289, qui précise, je me permets de le rappeler : « Après qu'il a été répondu aux questions posées en application de l'article 231-127... » Il faudrait au moins que nous sachions quelles questions seront posées en vertu de cet article. Or, l'amendement n° 32 apportait une précision supplémentaire. La commission le retire-t-elle ?
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, pour l'instant, nous examinons l'amendement n° 289. J'interrogerai la commission le moment venu. Vous ne pouvez pas à la fois intervenir dans la discussion et diriger le débat !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'entends bien, monsieur le président ; je ne dirige pas le débat, je demande simplement à M. le rapporteur et à M. le président de la commission des lois si l'amendement n° 32 est maintenu ou non.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Pour l'instant, il existe ; mais si l'amendement du Gouvernement est adopté, il n'aura plus d'objet.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Donc il est en discussion commune sans que personne n'en parle ! Voilà !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Je n'ai rien à apprendre à M. Dreyfus-Schmidt ; il pose des questions en faisant l'innocent !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Excusez-moi, mais il ne « tombera » pas forcément puisqu'il ne porte pas sur le même article.
M. le président. Pour l'instant, il ne « tombe » pas.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, j'entends bien que vous ne manifestiez pas votre opinion, mais j'aimerais que vous me compreniez bien : l'amendement dont nous discutons fait référence aux questions posées en application de l'article 231-127.
M. le président. J'ai bien compris votre question. J'ai l'amendement sous les yeux également.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il n'est donc pas sans intérêt pour le Sénat de savoir quelles sont les questions posées en vertu de l'application de cet article. Nous n'en avons pas discuté.
Franchement, ce n'est pas de bonne méthode que de nous présenter ainsi, au dernier moment, des amendements qui, pour nous, sont une surprise, même s'ils ont été longuement mûris en petit comité. Alors que nous aurons à discuter encore de ce problème dans quinze jours, il aurait été bon de nous laisser, aux uns et aux autres, le temps de réfléchir, peut-être de nous concerter, au lieu de nous obliger à prendre par priorité et en urgence une telle décision.
Je demande avec beaucoup d'insistance au Sénat, pour les raisons qui ont été exposées par plusieurs d'entre nous, en particulier par notre collègue M. Fauchon, mais qui sont partagées par d'autres même s'ils ne se sont pas exprimés, de repousser l'amendement n° 289.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 289, accepté par la commission.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après le texte proposé pour l'article 231-132 du code de procédure pénale.
ARTICLE 231-117 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE