MODIFICATIONS DU RÈGLEMENT DU SÉNAT
Adoption des conclusions
du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 2,
1996-1997) de M. Patrice Gélard, fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale, sur la proposition de résolution (n° 504, 1995-1996)
de M. Patrice Gélard tendant à compléter le règlement du Sénat pour
l'application de la loi tendant à élargir les pouvoirs d'information du
Parlement et à créer un Office parlementaire d'évaluation des politiques
publiques et de la loi organique relative aux lois de financement de la
sécurité sociale.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, mes chers collègues, la proposition de résolution qui vous est
aujourd'hui présentée a pour objet de compléter le règlement du Sénat afin de
l'adapter aux nécessités qui découlent, d'une part, de l'adoption, le 14 juin
1996, de la loi élargissant les pouvoirs d'information du Parlement et créant
un Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques et, d'autre part,
de l'adoption de la loi organique du 22 juillet 1996 instituant l'article L.O.
111-3 du code de la sécurité sociale.
La commission des lois a eu pour préoccupation de ne pas alourdir le règlement
du Sénat et de respecter les traditions et usages en vigueur au sein de la
Haute Assemblée.
La proposition de résolution comporte trois articles que je présenterai
brièvement devant vous, mes chers collègues.
Tout d'abord, l'article 1er vise à adapter le règlement du Sénat à la loi du
14 juin 1996, qui avait inséré, sur l'initiative de M. Pierre Fauchon - M.
Michel Rufin, rapporteur, avait d'ailleurs émis un avis favorable, au nom de la
commission des lois - un article 5
ter
dans l'ordonnance du 17 novembre
1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
Or cet article 5
ter
nécessite l'introduction dans le règlement du
Sénat d'un nouvel article, l'article 22
ter
, qui comprend trois
alinéas.
Le premier alinéa rappelle les dispositions essentielles de la loi du 14 juin
1996, notamment le délai de six mois dont peuvent disposer au maximum les
commissions parlementaires investies des pouvoirs et prérogatives attribués aux
commissions d'enquête.
Le deuxième alinéa est consacré à la procédure de la mise en oeuvre des
dispositions et n'apporte pas d'innovations considérables. Je vous renvoie donc
sur ce point à mon rapport écrit, mes chers collègues.
Enfin, le troisième alinéa rappelle simplement le dispositif déjà prévu par
l'article 11 du règlement du Sénat.
Je soulignerai simplement un problème de fond à propos de ces nouvelles
dispositions qui élargissent, dans une certaine mesure, les compétences des
commissions parlementaires en leur reconnaissant les prérogatives dévolues aux
commissions d'enquête : les commissions parlementaires pourront bénéficier des
prérogatives des commissions d'enquête, mais n'auront pas à subir les
contraintes s'imposant à ces dernières lors de leur mise en place.
Nous avons en effet souhaité conserver une certaine souplesse - il suffit pour
s'en convaincre de relire les débats parlementaires - et nous avons voulu
éviter que les dispositions ainsi adoptées ne restent lettre morte. En effet,
si la procédure était trop lourde à mettre en oeuvre, il est bien évident que
les commissions parlementaires permanentes ou spéciales ne seraient jamais
investies des pouvoirs reconnus aux commissions d'enquête. Ces dernières, en
effet, obéissent à des règles particulières, en matière tant d'auditions
publiques que de secret de leurs autres travaux.
Il faut donc, je le répète, conserver une certaine souplesse et faire en sorte
que les commissons permanentes investies des prérogatives des commissions
d'enquête disposent simplement de pouvoirs accrus.
C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas adopté la même position que
l'Assemblée nationale : nous préconisons, pour notre part, que les commissions
permanentes se voient attribuer les prérogatives des commissions d'enquête sans
avoir à supporter les contraintes s'imposant à ces dernières.
L'article 2 de la proposition de résolution vise à adapter le règlement du
Sénat au nouvel article L. 0.111-3 du code de la sécurité sociale qui délimite
le contenu des lois de financement de la sécurité sociale, et institue un
mécanisme d'irrecevabilité des amendements non conformes.
Il est en effet nécessaire de mettre en conformité le règlement du Sénat avec
les dispositions de la loi organique et avec la révision constitutionnelle de
février 1996. Je rappelle que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du
16 juillet 1996, a considéré que ces restrictions au droit d'amendement
n'étaient pas contraires à la Constitution.
L'article 2 n'innove pas de façon considérable. Il a simplement pour objet de
préciser, suite à la création d'une nouvelle catégorie de lois - les lois de
financement de la sécurité sociale - et de nouvelles prérogatives
parlementaires, les conditions d'examen des irrecevabilités sociales.
Sur ce point, nous avons prévu une procédure calquée, ni plus ni moins, sur
celle de l'article 40 de la Constitution et de l'article 45 du règlement du
Sénat, s'agissant des irrecevabilités financières.
Néanmoins, une différence existe : ce sera la commission des affaires sociales
- nous avions décidé, d'un commun accord, qu'elle serait saisie du projet de
loi de financement de la sécurité sociale - qui donnera son avis sur
l'irrecevabilité sociale.
Le troisième alinéa de l'article 2 vise également à étendre aux propositions
de loi les dispositions concernant les amendements.
Enfin, l'article 3 de la proposition de résolution tend à insérer des
modifications terminologiques. En effet, le président de l'Assemblée nationale
a souligné à juste titre que, s'agissant de la désignation de membres de la
Haute Assemblée pour siéger dans des organismes extérieurs, le terme retenu par
l'article 9 de notre règlement, à savoir « représentants » du Sénat, était
incorrect, car, selon la tradition républicaine et les textes constitutionnels,
le seul représentant du Sénat est le président.
L'Assemblée nationale a modifié son règlement sur ce point, et je vous propose
donc, mes chers collègues, de faire de même s'agissant du règlement du Sénat,
en remplaçant les termes : « représentants du Sénat » par les termes : «
membres du Sénat ».
Telles sont les trois dispositions contenues dans cette proposition de
résolution.
Certes, la commission a souligné que la procédure risquait d'être un peu
lourde lorsque seraient soulevées à la fois des « irrecevabilités sociales » et
des « irrecevabilités financières ». A cet égard, la formule proposée nous a
semblé plus conforme à la tradition en vigueur au Sénat que celle qui a été
adoptée par l'Assemblée nationale. Il est vrai que, sur ce point, nos pratiques
ne sont pas tout à fait identiques. Il est donc normal de laisser le Sénat
instaurer une procédure nouvelle qui, à l'usage, donnera satisfaction ou devra
être modifiée.
Telles sont, monsieur le président, mes chers collègues, les propositions
contenues dans cette proposition de résolution que, naturellement, la
commission des lois a approuvée. Cette dernière vous invite donc, mes chers
collègues, à faire de même.
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la
proposition de résolution que nous examinons aujourd'hui et qui a pour objet
d'actualiser le règlement du Sénat aurait pu paraître de pure forme puisqu'il
s'agit de mettre en oeuvre certaines dispositions adoptées par le Parlement
lors de la précédente session.
Avec l'extension des pouvoirs des commissions permanentes ou spéciales et
l'organisation de la procédure d'examen des lois de financement de la sécurité
sociale, on nous certifie que nous assistons à un renforcement du rôle du
Parlement au travers de l'accroissement de ses capacités de contrôle. Or, il
est à craindre que, dans les faits, la pratique ne vienne contredire cette
présentation idéale.
Sans vouloir réengager les débats de fond sur ces dispositions récentes et
définitivement adoptées - je rappelle cependant à la Haute Assemblée que le
groupe socialiste a voté contre ces deux projets de loi - je me dois de
rappeler le contexte dans lequel elles ont été examinées.
L'extension aux commissions permanentes ou spéciales des prérogatives des
commissions d'enquête ne s'est pas révélée être une solution d'évidence en
dehors des travées de cette assemblée.
Une nette divergence a opposé le Sénat à l'Assemblée nationale, et l'adoption
de cette disposition est le résultat d'un accord laborieux, d'un compromis
entre les commissions des lois des deux assemblées.
Il est vrai que, sur un sujet d'initiative parlementaire qui relève
directement de l'extension des pouvoirs des commissions permanentes et donc de
la revalorisation du rôle du Parlement, il paraissait malvenu que le
Gouvernement soit contraint de convoquer une commission mixte paritaire.
A propos de cette nouvelle extension, je ne parviens pas à me débarrasser
d'une certaine suspicion. Je crains que ces commissions d'enquête n'instruisent
le procès du gouvernement en place, surtout lorsque ce sera un gouvernement de
gauche.
J'espère que nous n'assisterons pas à une pratique sélective de ces nouveaux
pouvoirs accordés aux commissions permanentes et spéciales, car une règle n'est
effective que lorsqu'elle s'applique invariablement. C'est un principe
fondateur de notre démocratie, et nos concitoyens sont particulièrement
attentifs à son respect. C'est la raison pour laquelle j'espère que, très vite,
le Parlement, au travers des instances qui le représentent, appliquera ce
nouveau dispositif pour être à la hauteur de ses devoirs constitutionnels.
Dans une approche similaire, on aurait pu penser que l'institution des lois de
financement de la sécurité sociale apporterait un plus. Lorsque nous étions au
gouvernement, nous avions formulé des propositions pour permettre le contrôle
du Parlement sur le budget social de la nation. Elles ont été reprises dans
leur esprit et ont été l'objet de la révision constitutionnelle du 22 février
1996. Ainsi, le Parlement va se prononcer chaque année sur l'équilibre
financier de la sécurité sociale.
Pour ce faire, une nouvelle catégorie de loi a été instituée : les lois de
financement de la sécurité sociale. Mais les conditions d'examen de ces lois de
financement sont si drastiques au regard du droit d'amendement que ce qui
apparaît comme une revalorisation du contrôle parlementaire représente, en
réalité, une dépréciation de son rôle et un rabaissement de son action. En
effet, la procédure de déclaration d'irrecevabilité des amendements et
propositions de loi se calque sur les alinéas 1 et 2 de l'article 45 du
règlement du Sénat relatifs à la procédure d'irrecevabilité fondée sur
l'article 40 de la Constitution.
Cet encadrement excessif du droit d'amendement, on le doit à la majorité
sénatoriale, qui l'a accepté en votant la révision constitutionnelle de février
1996. Le Conseil constitutionnel en a pris acte, puisqu'il a constaté que les
nouvelles dispositions constitutionnelles ont habilité le législateur a émettre
des restrictions à son propre droit d'amendement.
L'article 2 de la proposition de résolution organise, en matière
d'irrecevabilité, une compétence partagée entre les commissions des finances et
des affaires sociales. Afin de ne pas surcharger le règlement du Sénat, notre
rapporteur laisse la pratique régler les éventuels conflits de compétence qui
pourraient survenir à l'occasion de ce double contrôle accordé dorénavant aux
deux commissions intéressées. Il eût peut-être été préférable, par souci de
prévention, d'inscrire dans le texte même de cet article que la recevabilité
des amendements s'appréciera sans préjudice des alinéas 1 et 2 de l'article 45
du règlement.
Il ne faudrait pas non plus oublier que cette procédure contraignante résulte
également de la durée très brève d'examen des lois de financement de la
sécurité sociale.
Je dois à la vérité de dire que notre rapporteur, M. Gélard, s'est battu tout
au long de l'examen de ce texte, tant en commission qu'en séance publique, sur
les questions de délais. Hélas ! il n'a pas été suivi et il a lui-même fini par
se rendre, si je puis dire, à la raison d'Etat qui avait été avancée pour
convaincre la Haute Assemblée.
De plus, par souci de préséance injustifiée et de susceptibilité déplacée en
la circonstance, vous avez avalisé, mesdames, messieurs de la majorité
sénatoriale, l'examen prioritaire des lois de financement par l'Assemblée
nationale. Et, aujourd'hui, vous nous retournez sans complexe l'argument de la
brièveté des débats des lois de financement pour justifier les conditions
strictes de l'irrecevabilité sociale. A qui la faute, si le fond même du sujet
passe désormais au second plan ?
M. Robert Pagès.
Très bien !
M. Guy Allouche.
Le renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement relève de plus en plus
de l'incantation. Quelle contradiction entre la volonté de renforcer les
pouvoirs du Parlement à travers l'extension des pouvoirs de ses commissions
permanentes et spéciales et la mise en oeuvre d'une procédure d'examen des lois
de financement calquée sur celle de la loi de finances avec son «
irrecevabilité-couperet » !
Enfin, que dire des risques d'engorgement de l'ordre du jour des travaux du
Sénat ? Cette révision du règlement apparaît comme une occasion manquée. Nous
aurions pu profiter de l'examen de cette proposition de résolution pour mettre
en oeuvre la réforme de la procédure budgétaire que le président du Sénat
appelle de ses voeux depuis longtemps et qui constitue une impérieuse nécessité
et la suite logique de l'institution de la session unique !
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Exception d'irrecevabilité
M. le président.
Je suis saisi, par Mme Luc, M. Pagès, Mme Borvo et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 1, tendant à opposer
l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare
irrecevables les conclusions de la commission des lois sur la proposition de
résolution tendant à compléter le règlement du Sénat pour l'application de la
loi tendant à élargir les pouvoirs d'information du Parlement et à créer un
Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques et de la loi
organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (n° 2,
1996-1997). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement
du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative
ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour
quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond
et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée
n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Pagès, auteur de la motion.
M. Robert Pagès.
Monsieur le président, mes chers collègues, je commencerai par une
interrogation : quel doit être notre souci premier de parlementaires ? Tenir un
calendrier étriqué de débats sur l'un des textes les plus importants de la
session unique, la loi de financement de la sécurité sociale, ou faire
respecter la démocratie, assurer au Sénat son pouvoir de contrôle du
Gouvernement et confirmer les chambres comme lieu de confrontation d'idées, de
réflexions, d'élaboration et d'examen de propositions alternatives ?
Cette question, nous la posons depuis le débat sur la loi constitutionnelle du
22 février 1996 qui a instauré les lois de financement de la sécurité sociale,
comme nous l'avons posée lors de l'examen des lois organiques qui ont suivi.
Que de précipitation pour le premier examen de ces lois de financement !
C'est cette précipitation qui nous conduit à débattre aujourd'hui de la
modification du règlement rendue nécessaire, le surlendemain de son examen en
commission, alors que - j'y reviendrai - les conclusions de la commission des
lois sont lourdes de conséquences.
Il y a urgence, en effet, puisque M. Barrot doit présenter son projet de loi
de financement le 9 octobre devant le conseil des ministres, puis le 16 octobre
devant les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Ces textes devraient être discutés dès les 29, 30 et 31 octobre par les
députés. Je souhaiterais d'ailleurs avoir des informations sur la « grande
concertation » qui devait avoir lieu avant le débat sur la loi de financement
!
En fait, les arguments essentiels de M. Juppé et de la majorité parlementaire
lors de l'annonce de ces lois de financement en novembre 1995 étaient l'octroi
de pouvoirs nouveaux aux assemblées et l'amélioration du contrôle démocratique
sur la gestion de la sécurité sociale.
Je suis moi-même monté par trois fois à la tribune pour souligner, tout
d'abord, que ces textes, pour reprendre l'expression de M. Toubon, organisent
un véritable « pouvoir dérivé » pour l'exécutif, au détriment principalement
des assurés sociaux ; ensuite, pour alerter sur la mise en cause - conséquence
logique du droit d'amendement - du pouvoir d'initiative parlementaire.
Mais, aujourd'hui, les masques tombent. L'objectif de ces lois est plus
clairement affirmé. Il s'agit d'organiser concrètement la réduction des
dépenses de santé dans le cadre de la réduction des déficits publics prônée par
le traité de Maastricht.
Nous considérons que, en matière de soins, la réduction des dépenses publiques
n'est pas un objectif en soi. C'est la nature des besoins de santé à satisfaire
qui devrait être au centre de la politique gouvernementale à l'orée du XXIe
siècle et non pas la recherche fébrile de l'économie en ce domaine essentiel
pour le progrès même de l'humanité.
Ces lois de financement constituent, de fait, l'acte d'allégeance aux
autorités de Bruxelles, dont, rappelez-vous, mes chers collègues, nous avons
examiné en juin dernier une recommandation exigeant la réduction des déficits
sociaux.
Bien entendu, nous estimons que le déficit de la sécurité sociale doit être
réduit. Mais c'est le chômage qui constitue la clé de voûte de ce déséquilibre.
Seule une politique de l'emploi déterminée permettra de redresser les comptes
sociaux.
Ensuite, adressez-vous aux revenus financiers pour intervenir dès aujourd'hui
et non pas aux malades pour qu'ils réduisent leur demande, aux salariés,
retraités et chômeurs pour qu'ils participent toujours plus au financement de
la sécurité sociale.
Nous contestons donc fondamentalement, il était nécessaire de le rappeler, la
priorité qui est donnée à la finance sur l'homme. Le droit à la santé est, en
effet, un droit essentiel qui ne doit pas être soumis aux critères imposés par
les grands argentiers de la monnaie unique.
La volonté de bâillonner l'opposition parlementaire tout au long de ce débat
sur la sécurité sociale est donc conforme à un but politique précis.
De l'adoption à la hussarde par la majorité sénatoriale d'une question
préalable sur la loi d'habilitation relative aux ordonnances qu'elle soutenait
pourtant pleinement à la remise en question explicite du droit d'amendement en
matière de politique de santé en passant par l'abandon de tout débat
parlementaire sur la ratification des ordonnances, les remises en question du
droit d'initiative parlementaire reconnu par la Constitution se succèdent très
rapidement, trop rapidement.
La proposition de résolution de notre collègue M. Gélard s'inscrit pleinement
dans cette volonté de corseter le débat parlementaire, de limiter l'émergence
de propositions alternatives aux choix maastrichtiens, alternatives que les
Français appellent de leurs voeux dans le domaine social comme dans le domaine
économique.
Cette volonté de corseter le débat, M. Gélard l'expose clairement lorsqu'il
indique, en présentant sa proposition, que, « en raison même de la brièveté des
délais fixés par l'examen d'un projet de loi de financement, la discussion en
séance publique doit se recentrer sur l'essentiel ». Comment accepter que la
précipitation nuise au débat démocratique ?
Nous contestons essentiellement - chacun l'a compris - l'article 2 de cette
proposition de résolution, qui met en place une procédure d'irrecevabilité
sociale.
Vous me répondrez que l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale
prévoyait clairement cette irrecevabilité.
Nous ne le nions pas, d'autant moins que nous devions déjà combattre, à
l'époque, cette régression imposée au débat parlementaire.
Il est cependant un élément nouveau inquiétant. L'interprétation qui est faite
par M. Gélard, rejoint par la majorité de la commission des lois, de
l'irrecevabilité nous apparaît dangereusement extensive.
L'exposé des motifs du texte de M. Gélard est, en fait, clair : « Enfin,
conformément aux dispositions du II de l'article L.O. 111-3 précité, le domaine
de la loi de financement peut modifier les dispositions énumérées au I dudit
article et figurant dans une autre loi de financement. Autrement dit » - et
j'insiste sur ces mots - « on ne peut toucher à ces dispositions qu'à
l'occasion de l'examen d'une loi de financement, et non par voie d'amendement à
une loi d'une autre catégorie ».
L'article L.O. 111-3 précité indiquant d'entrée que la loi de financement «
approuve les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale »,
est-ce à dire que tout amendement pouvant être estimé contraire aux
orientations gouvernementales sera menacé d'irrecevabilité ?
Comme l'autre facette de l'irrecevabilité proposée par cette réforme consiste
à interdire, durant le débat sur les lois de financement cette fois-ci, tout
amendement ne portant pas sur l'équilibre financier de la sécurité sociale au
nom de la lutte contre les « cavaliers sociaux » - terme dont vous affublez les
propositions n'émanant pas du gouvernement ou de la majorité de droite - à quel
moment, monsieur le rapporteur, des propositions alternatives pourront-elles
être exposées, débattues et votées ? Jamais, si la majorité du Sénat le désire
!
Nous alertons donc le Sénat sur cet élément qui le confirmera indubitablement
dans un rôle de chambre d'enregistrement.
Nous demandons à M. le rapporteur des réponses précises sur ces graves
interrogations.
Cette volonté déterminée de M. Gélard et de la majorité de la commission des
lois de restreindre la portée du débat social durant toute l'année est d'autant
plus surprenante que l'examen des conclusions de la commission des lois de
l'Assemblée nationale met en lumière une différence importante.
En effet, les dispositions concernant l'irrecevabilité sociale issue de
l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale sont contenues dans une
partie du règlement de l'Assemblée nationale intitulée « Procédure de
discussion des lois de finances et des lois de financement de la sécurité
sociale ».
Il est donc indéniable qu'à l'Assemblée nationale cette irrecevabilité sociale
ne pourra être invoquée - et nous considérons qu'il s'agit déjà d'une atteinte
grave au droit d'amendement - que durant les débats concernant les lois de
financement de la sécurité sociale.
Le fait qu'au Sénat l'irrecevabilité sociale ne soit pas cantonnée dans le
cadre des lois de financement laisse la voie ouverte à tous les abus.
Cette dérive à l'encontre du droit d'amendement est d'autant plus surprenante
que - je vous renvoie, mes chers collègues, à la lecture de nos comptes rendus
des débats du 28 mai 1996 - ni M. Barrot ni M. Gélard, à l'occasion du débat
sur la loi organique, n'avaient évoqué une possibilité d'irrecevabilité sociale
utilisable hors des discussions relatives à des lois de financement.
Nous assistons donc à une évolution incontestable aggravant encore
l'orientation autoritaire de la procédure des lois de financement de la
sécurité sociale, et qui fonde, à notre avis, l'anticonstitutionnalité du texte
dont nous débattons aujourd'hui.
Nous considérons, en effet, que ni l'article 44 de la Constitution, qui
indique, je le rappelle, que : « les membres du Parlement et le Gouvernement
ont le droit d'amendement », ni l'article 39, qui énonce que « l'initiative des
lois appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement
», ne seront respectés si ce texte est adopté en l'état.
Sur ce dernier point, je tiens à relever, pour le regretter, que l'amendement
de la commission de loi a consisté à ouvrir le champ des propositions de loi à
l'irrecevabilité sociale.
Vous me répondrez de manière générale qu'il n'y a pas de raison de
différencier la procédure en matière de financement de la sécurité sociale de
celle qui est organisée par l'article 40 de la Constitution en matière de
finances publiques.
M. Pierre Fauchon,
vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation,
du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
C'est
cela !
M. Robert Pagès.
Comme le rappelait, le 28 mai dernier, notre collègue Michèle Demesssine, nous
constatons une asssimilation abusive des futures lois de financement aux lois
de finances. En effet, les premières ne comportent pas d'article d'équilibre
financier à voter et n'auront pas de caractère normatif réel.
M. Poncelet, président de la commission des finances, n'indiquait-il pas ce
même jour : « La loi de financement de la sécurité sociale présentera de
simples prévisions de recettes et de simples objectifs de dépenses. La
modification effective de celles de ces recettes et de ces dépenses qui
correspondent à des concours de l'Etat ne pourra intervenir qu'en lois de
finances. »
Ces quelques rappels confirment que les lois de financement de la sécurité
sociale n'ont qu'un objectif réel : transférer à l'exécutif le contrôle de la
sécurité sociale afin de soumettre cette dernière aux exigences de
Maastricht.
Brider ainsi l'initiative parlementaire n'a donc pour objet que d'éviter une
remise en cause de cette domination progressive du pouvoir exécutif sur cette
grande institution qui avait, lors de sa création, la vocation à être maîtrisée
par les assurés sociaux eux-mêmes.
Notre ferme opposition à la présente réforme du règlement est donc à la
hauteur de notre rejet de la volonté gouvernementale de mettre à bas ce
formidable outil de démocratie sociale que devrait être, que pourrait être la
sécurité sociale.
Ma conclusion ne sera pas pessimiste, car je suis persuadé que le mouvement
social, cette volonté de changement face à une crise insupportable qui monte
dans le pays, sauront redonner aux salariés, aux retraités, aux chômeurs, à
tous ceux qui souffrent de la crise, la maîtrise de leurs droits.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Ce que vient de nous dire notre collègue Robert Pagès ne nous
étonne pas du tout ; il est resté fidèle à lui-même depuis le mois de février
jusqu'à maintenant.
M. Robert Pagès.
Depuis plus longtemps !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Cela étant dit, il n'a pas argumenté sur l'irrecevabilité de
la proposition de résolution. Cette dernière est parfaitement conforme à la
Constitution et aux lois qui ont été précédemment adoptées.
C'est la raison pour laquelle je demande à la Haute Assemblée de bien vouloir
rejeter la motion qu'il vient de nous présenter.
M. Robert Pagès.
Et le droit d'amendement, qu'en faites-vous ?
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, repoussée par la commission et par le
Gouvernement.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet du texte.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste
républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président.
Voici le résultat du dépouillement du scrutin n°
7:
Nombre de votants | 315 |
Nombre de suffrages exprimés | 238 |
Majorité absolue des suffrages | 120 |
Pour l'adoption | 16 |
Contre |
222 |
Nous passons donc à la discussion des articles.
Article 1er