Une conditionnalité politique nuancée
. Les préambules de tous les accords de partenariat et de coopération se réfèrent à l'engagement des Parties de :
- coopérer dans le cadre des Nations Unies en vue de " promouvoir la paix et la sécurité internationales et le règlement pacifique des conflits ",
- mette en oeuvre les principes de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (et, plus particulièrement, les engagements souscrits dans le cadre de l'Acte final d'Helsinki, de la Charte de Paris pour une nouvelle Europe et de la Conférence de Bonn sur la coopération économique [5] ),
- respecter l' Etat de droit ainsi que les droits de l'Homme , notamment ceux des minorités ,
- favoriser la " mise en place d'un système fondé sur le multipartisme et (les) élections libres et démocratiques (, et sur) la libéralisation économique visant à instaurer une économie de marché ".
. Si les préambules de l'ensemble des accords de partenariat et de coopération s'articulent autour des mêmes exigences (respect des droits de l'Homme et des droits des minorités, aspiration à l'instauration d'une économie de marché, respect des principes d'Helsinki, et adhésion aux principes des Nations Unies), en revanche le contenu des accords eux-mêmes présente des degrés d'exigence divers en fonction des pays.
- Les accords avec la Biélorussie, l'Ukraine, la Moldova, le Kazakhstan et le Kirghizistan engagent les Parties à respecter les principes de la démocratie, des droits de l'Homme, du droit international ainsi que les principes de l'économie de marché. Ces accords se réfèrent explicitement à l'Acte final d'Helsinki, à la Charte de Paris pour une nouvelle Europe et à la conférence de Bonn sur la coopération économique. Les accords avec le Kirghizistan et le Kazakhstan mentionnent en outre l'engagement de respecter la Charte des Nations Unies, alors que cet engagement est absent des accords conclus avec les pays européens de la CEI. Cette différence signifierait-elle que les pays d'Asie centrale font l'objet d'exigences plus sévères de la part de l'Union européenne ?
- C'est à l'égard de la Russie que le degré d'exigence est le plus bénin, puisque l'article 2 de l'accord de partenariat et de coopération avec la Russie se borne à mentionner le " respect des principes démocratiques et des droits de l'Homme consacrés notamment par l'Acte final d'Helsinki et la Charte de Paris pour une nouvelle Europe ". On relève donc que l'accord conclu avec la Russie est le seul à ne pas se référer expressément aux principes de l'économie de marché , alors même qu'il semble évident que les réformes économiques sont nettement plus avancées en Russie qu'au Kirghizistan. Est-il très logique d'exiger plus, en matière de libéralisme économique, du Kirghizistan que de la Russie, en dépit des " disparités économiques et sociales existant entre la Communauté et la République Kirghize, et notamment du fait que le Kirghizistan est un pays en développement et enclavé ", comme le souligne le préambule de l'accord conclu avec ce pays ? On peut voir dans cette disparité une certaine incohérence entre les accords de partenariat et de coopération. La remarque de votre rapporteur sur les engagements exigés du Kirghizistan vaut également pour la Moldavie ou l'Ouzbékistan.
. Notons que la violation éventuelle de ces différents principes, rappelés à l'article 2 de chacun de ces accords, permet d'invoquer le recours à la clause d' "urgence spéciale " qui peut aller jusqu'à la suspension de ceux-ci.
A cet égard, la Biélorussie semble actuellement ne satisfaire aucun des critères énoncés par l'accord de partenariat et de coopération.
En effet, la timidité des réformes économiques mises en oeuvre permet de douter de l'engagement de la Biélorussie en faveur de l'économie de marché, ce que confirment de récentes décisions du président Loukatchenko (nationalisation du marché des changes, interdiction des opérations de devises entre banques ...).
Des témoignages convergents attestent le caractère très relatif du respect des droits de l'Homme et des principes démocratiques par le régime biélorusse. Rappelons que le référendum du 24 novembre 1996 visait à renforcer les pouvoirs du président Loukatchenko, et à prolonger son mandat de deux ans, et que les nombreuses irrégularités qui ont entaché les résultats du scrutin ont conduit le président de la Commission électorale à refuser d'en valider les résultats. Un décret présidentiel a, malgré ces défaillances, donné force de loi à une consultation qui devait, à l'origine, n'avoir qu'un caractère consultatif.
Par ailleurs, l'aptitude de la Biélorussie à respecter les principes du droit international, et à contribuer à promouvoir la paix et la sécurité internationale, ne semble pas établie, si l'on se réfère aux menaces proférées par le chef de l'Etat biélorusse à l'encontre du rapatriement vers la Russie des missiles qui étaient encore, il y a quelques semaines, stationnés sur le territoire biélorusse. Les derniers missiles stationnés en Biélorussie auraient, certes, été rapatriés le 23 novembre 1996 en Russie. Mais le chantage auquel n'a pas hésité à se livrer le président Loukatchenko, en dépit de l'adhésion de la Biélorussie au Traité de non-prolifération en tant qu' Etat non nucléaire , est très éclairant de la très relative crédibilité de ce pays sur le plan international.
Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que l'application anticipée des stipulations commerciales de l'accord de partenariat et de coopération conclu entre la Biélorussie ait été gelée par les institutions communautaires. La suspension de la ratification de l'accord de partenariat et de coopération avec la Biélorussie permet donc d'attendre que la situation en Biélorussie évolue dans un sens compatible avec les engagements souscrits en vertu de l'accord de partenariat et de coopération. On peut même s'interroger sur la signification de la conclusion, en juin 1996, de l'accord intérimaire avec la Biélorussie, alors que ce pays s'abstenait déjà de respecter les principes fondamentaux auxquels il avait souscrit en signant l'accord de partenariat et de coopération.
. Votre rapporteur s'interroge toutefois sur la portée qu'il est opportun de conférer à la clause d'urgence spéciale contenue dans chacun de ces accords de partenariat et de coopération. Le risque pourrait être, en effet, de conduire à une application à géométrie variable de la conditionnalité. Doit-on s'attendre à une suspension de la ratification de l'accord avec la Moldavie, si le régime issu des dernières élections présidentielles fait marquer le pas aux réformes ? D'autre part, si la suspension de l'accord avec la Biélorussie paraît parfaitement justifiée par la nature de ce régime, comment admettre que l'accord avec la Russie ait pu être signé pendant la crise tchétchène ?
On peut admettre que l'Europe ait hésité à prendre le risque de soutenir le régime de Loukatchenko, mais il serait naïf de prétendre que tous les systèmes politiques héritiers de l'URSS puissent d'ores et déjà recevoir leur brevet de démocratie. Dans ces circonstances, tous les accords de partenariat et de coopération et, en premier lieu, l'accord avec la Russie, doivent-ils être suspendus ? Ou bien devons-nous admettre que tous nos partenaires de la CEI ne sont pas égaux devant la conditionnalité politique, et que certains pourront être moins respectueux des principes démocratiques que d'autres ?