2. Les notes d'exécution de la direction du budget : un dérapage des dépenses récurrent
Au cours
de son audition devant votre commission, M. Alain LAMASSOURE a rappelé
la réalité de l'évolution spontanée, presque
" naturelle ", des dépenses de l'Etat :
"
à l'époque
[1996]
, nous avions, au sein du
budget de l'Etat, certaines dépenses non maîtrisées qui
s'accroissaient année après année. L'endettement, les
charges financières, les dépenses du secteur public, les
dépenses de sécurité sociale, les aides à l'emploi,
les aides au logement représentent quelques-unes d'entre
elles
".
S'il a également considéré que "
maîtriser
les dépenses, c'est possible même lorsque la conjoncture
économique est décevante
", il a toutefois
indiqué que cette maîtrise n'allait pas de soi et qu'elle
nécessitait de recourir au gel des crédits : "
nous
avons pu tenir le déficit, parce que nous avons tenu la dépense
grâce au gel des crédits en début d'année
".
En fait, la maîtrise des dépenses n'est assurée, si elle
l'est, qu'" aux forceps ". Le budget 1999 en constitue une bonne
illustration, au vu des documents communiqués à votre commission
par la direction du budget et qui couvrent principalement l'année
1999
28(
*
)
.
Des contradictions entre les ministres des finances de même sensibilité politique
Il
semble que deux anciens ministres de l'économie, des finances et de
l'industrie successifs, ayant appartenu à un gouvernement soutenu par la
même " majorité plurielle ", portent une
appréciation différente sur la capacité des services du
ministère à maîtriser les dépenses de l'Etat.
Ainsi M. Dominique Strauss-Kahn a-t-il affirmé devant votre commission,
lors de son audition, que, "
de toute façon,
[en
matière de dépenses]
la tendance est toujours plutôt
à déraper. Il y a toujours en dépenses des imprévus
qui n'ont pas été budgétés, vous le savez
parfaitement
".
Pour son ancien secrétaire d'Etat au budget et successeur,
M. Christian Sautter, cette assertion n'a pas cette force de
l'évidence, puisqu'il a, quant à lui, déclaré
devant votre commission : "
il est clair que l'Etat maîtrise
les dépenses car c'est l'Etat qui dépense !
".
Il convient de rappeler que le gouvernement avait affiché une
progression des dépenses de l'Etat de 1 % en volume pour 1999. Or, les
quatre notes que le directeur du budget adresse traditionnellement chaque
année au ministre sur la prévision d'exécution indiquent
toutes que cet objectif de progression des dépenses risquait de ne pas
être respecté.
a) La première note sur l'exécution du budget 1997 en date du 8 avril 1997
Le
dérapage des dépenses, d'un montant net de 30 milliards de francs
à cette date, a été rappelé plus haut.
Il contribue à expliquer "
l'ampleur des écarts d'ores et
déjà prévisibles, aussi bien en termes de déficit
budgétaire qu'en termes de besoin de financement, entre le
résultat prévisionnel d'une part, et les objectifs
associés à la LFI et au plan de convergence d'autre
part
". Il convient en effet de rappeler que cette époque
était cruciale pour la qualification de la France à la monnaie
unique européenne. Or, l'attention du ministre de l'époque avait
été attirée sur le fait que "
les objectifs de LFI
et, par-delà, les objectifs européens, ne pourront être
approchés qu'au prix d'un effort de redressement qui doit être
engagé dès à présent de manière
décisive
".
Le dérapage des dépenses faisait ainsi planer une menace
certaine sur la perpective de la France de participer à
l'euro
: "
sauf à renoncer à atteindre
l'objectif de 3 %
[de déficit public]
, ou à perdre
rapidement toute crédibilité face aux observateurs
internationaux, il est donc impératif en premier lieu, de prendre des
mesures supplémentaires de redressement budgétaire, à
hauteur de 25 à 30 milliards de francs, afin que l'Etat au moins
respecte ses engagements
"
.
b) La première note sur l'exécution du budget 1999 en date du 7 avril 1999
La note
du 7 avril 1999 est la première prévision d'exécution de
l'année que le directeur du budget adresse au ministre. Elle est
associée à l'esquisse du budget 2000.
Le directeur du budget note en introduction que "
la progression des
dépenses sous-jacente à cette prévision est de 2,4 % en
valeur
[...]
. Compte tenu des hypothèses de prix propres aux
derniers budgets économiques d'hiver (soit 0,5 % en moyenne), les
dépenses évolueraient donc de 1,9 % en volume
".
Toutefois, cette note se veut relativement prudente : elle indique que
"
comme à l'accoutumée, la prévision
d'exécution de début d'année est entachée
d'aléas importants
"
29(
*
)
.
Surtout, la lecture de cette note montre que l'objectif de progression des
dépenses n'a pas été pris en compte dans
l'élaboration de la loi de finances pour 1999, ou alors très
imparfaitement. En effet, le directeur du budget note que "
s'ajoutant
aux aléas de prévision et aux risques non pris en compte à
ce stade, la progression spontanée des dépenses justifie la mise
en place de dispositifs de maîtrise accrue de la
dépense
". Il existe donc des risques de dérapage des
dépenses qui ont été délibérément
ignorés au moment de l'élaboration de la loi de finances. Il est
dès lors nécessairement difficile de maîtriser les
dépenses.
Au total, la note au ministre évalue à 28,9 milliards de francs
le montant des principaux surcoûts et consommations de reports.
Le détail des principaux surcoûts et consommations de reports
Il
convient notamment de mentionner un dérapage de 4 milliards de
francs sur le budget de la santé et de la solidarité, dont
3,3 milliards de francs résultant d'une insuffisance sur le revenu
minimum d'insertion (RMI). En outre, est retenue l'hypothèse d'une
majoration de l'allocation de rentrée scolaire, qui entraînerait
un dérapage supplémentaire de 7 milliards de francs.
Certes, il existe des facteurs de réduction de la dépense, qui
s'élèvent à 19,2 milliards de francs, mais il
convient de les relativiser :
- l'essentiel des économies résulte de la bonne tenue de la
conjoncture et constitue donc des économies de constatation : c'est
le cas de la charge nette de la dette du fait de la baisse des taux
d'intérêt, pour un montant de 8,7 milliards de francs ;
c'est le cas également du budget de l'emploi ;
- certaines des sources d'économies sont identifiées depuis
longtemps, en particulier par votre commission, telles que les aides au
logement : la sous-exécution de 1,4 milliard de francs sur le
chapitre 44-91 du budget des charges communes n'est donc guère
surprenante ;
- le gouvernement réalise traditionnellement des économies sur
les dépenses militaires ; de ce point de vue, la note est
particulièrement claire : "
le dérapage traditionnel
des dépenses militaires ordinaires dû aux OPEX
30(
*
)
est supposé financé en
exécution par redéploiements au sein du titre III et par un futur
décret d'avances, gagé par une annulation sur les dépenses
en capital
".
Le directeur du budget souligne que "
l'écart à
résorber pour respecter l'objectif du gouvernement serait donc de 16
milliards de francs
".
c) La deuxième note sur l'exécution en date du 13 juillet 1999
La note
du directeur du budget au ministre, en date du 13 juillet 1999 est
associée aux premières phases 2000. Elle actualise la note du 7
avril 1999.
Elle précise les principaux dérapages de dépenses
identifiés, d'un montant total de 30,7 milliards de francs par rapport
à la loi de finances initiale :
- la majoration annoncée en fin d'année de l'allocation de
rentrée scolaire est la cause du principal dérapage, soit 7
milliards de francs ;
- le budget de la santé et de la solidarité est en
dérapage de 5,1 milliards de francs, dont 4 milliards de francs
correspondent au financement du RMI ;
- le budget de l'intérieur présente une dépense
supplémentaire globale de 3,5 milliards de francs ;
- les dépenses militaires ordinaires sont à l'origine d'un
dérapage de 2,9 milliards de francs, en raison essentiellement d'une
insuffisance de crédits de rémunération au titre des OPEX,
pour un montant de 2,5 milliards de francs.
En sens opposé, la réduction des dépenses par rapport
à la loi de finances initiale s'établit à 24,9 milliards
de francs, essentiellement sur les mêmes postes, ce qui traduit la bonne
tenue de la conjoncture, mais aussi la récurrence de certaines sources
d'économies : charge nette de la dette pour 9,3 milliards de
francs, dépenses de fonction publique pour 4 milliards de francs, budget
du logement pour 2,2 milliards de francs, ou encore le budget de l'emploi pour
300 millions de francs.
Un cas intéressant : le budget de l'emploi
La note
du directeur du budget indique que "
cette estimation n'intègre
pas de charge au titre du remboursement de la dette de l'UNEDIC ; si cette
dépense devait intervenir en 1999, le montant des dépenses du
budget général serait majoré de l'ordre de 10 milliards de
francs
".
Ainsi, la mise en jeu de la garantie de l'Etat au profit de la dette de
l'UNEDIC était envisagée, mais pas encore décidée,
au mois de juillet 1999, soit bien avant la date que le gouvernement, lors de
l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 1999, avait
sous-entendue, c'est-à-dire entre la fin du mois de septembre et le
début du mois d'octobre 1999.
Le rapport de la commission des finances de l'Assemblée nationale
portant sur ledit projet de loi comporte un encadré relatant des
informations provenant de Bercy
31(
*
)
relatives à l'appel de la
garantie de l'Etat au profit de l'UNEDIC.
Deux dates sont retenues :
- le 14 octobre, le président de l'UNEDIC a adressé une lettre
à la banque Paribas, en charge du service financier de l'emprunt
contracté en 1993, précisant que l'UNEDIC ne procéderait
pas au versement et que la banque Paribas devait s'adresser aux services
compétents de l'Etat ;
- le 22 octobre, la banque Paribas, constatant le défaut de l'UNEDIC, a
demandé à l'Etat de bien vouloir verser les fonds correspondant
au remboursement de l'emprunt obligataire de l'assurance-chômage ;
- le même jour, le ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie et le secrétaire d'Etat au Budget ont décidé
de verser la somme de 10 milliards de francs à la banque Paribas au
titre du remboursement de l'emprunt de l'UNEDIC.
Si la décision formelle n'a été prise qu'en octobre,
elle était envisagée dès avant le 13 juillet. En fait, la
direction du budget avait adressé une note au ministre sur la prise en
charge par l'Etat de cette dette dès le 27 avril 1999, ce qui
tempère le caractère " exceptionnel " de cette charge
prévue, en fait, depuis de longs mois.
Or, il convient de rappeler que cette affaire avait été
relativement médiatisée par le gouvernement : le contexte
était en effet marqué par des relations particulièrement
tendues entre le gouvernement et l'UNEDIC, en raison de sa volonté du
premier de " ponctionner " les fonds de l'assurance-chômage
pour financer les 35 heures.
d) La troisième note sur l'exécution en date du 26 octobre 1999
La note du directeur du budget du 26 octobre 1999 s'inscrit dans le cadre de la préparation du projet de collectif budgétaire pour 1999, et modifie celle du 13 juillet.
La note du 25 octobre 1999
La note
du 26 octobre 1999 ne peut être lue de façon pertinente
qu'après avoir pris connaissance d'une autre note du directeur du
budget, destinée au ministre, et datée de la veille, soit le 25
octobre 1999, relative au projet de collectif 1999.
Cette note indique que la réalisation de l'objectif gouvernemental
d'une hausse des dépenses de l'Etat limitée à 1 % en
volume doit être reportée
: "
s'agissant des
dépenses, la réduction de 13 milliards de francs des
crédits que supposerait le respect de la norme de construction du PLF
1999 (1 % en volume par rapport au PLF 1998) n'est pas à notre
portée dans le cadre du collectif. Cet objectif doit désormais
être poursuivi en exécution
".
Il semble donc que le gouvernement, en dépit d'une conjoncture
favorable, ne puisse envisager le respect de ses engagements qu'
in
extremis
.
La note du 26 octobre indique que,
"
à
périmètre constant, les dépenses du budget
général (nettes des recettes d'ordre) augmenteraient de
1,9 % en volume par rapport à 1998, soit 14 milliards de
francs au-delà de la norme de progression de 1 %
".
Elle souligne donc bien un dérapage des dépenses de l'Etat.
Mais la mise en jeu de la garantie de l'Etat au profit de l'UNEDIC est
immédiatement exclue du calcul de la norme de progression des
dépenses, ce qui a évidemment pour conséquence de minorer
ladite progression : "
Hors opération exceptionnelle de
prise en charge de la dette de l'UNEDIC, les dépenses du budget
général (nettes des recettes d'ordre) progresseraient en volume
de 1,3 %
".
La prise en charge de la dette de l'UNEDIC devient donc une
" dépense exceptionnelle " parce que la traiter comme telle
permet d'afficher un respect de la norme de progression des
dépenses.
La démonstration devient imparable !
Il n'en reste pas moins que l'objectif affiché par le gouvernement n'est
toujours pas respecté : "
le surcroît de
dépenses par rapport à la cible de croissance des dépenses
de 1 % en volume serait ainsi ramené à 4 milliards de francs
lorsque l'on déduit la dépense exceptionnelle au titre de
l'UNEDIC
". Si la situation semble s'améliorer, les conditions
du respect de l'engagement gouvernemental restent extrêmement
précaires à tel point que le directeur du budget attire
l'attention du ministre : cet écart à l'objectif
"
pourrait être aggravé si les arbitrages rendus sur la
maquette du collectif budgétaire devaient conduire, soit à des
dépenses nouvelles dont les gages ne seraient que des annulations
traduisant des économies de constatation, soit à l'abandon de
certaines des annulations proposées (budget de l'emploi en particulier)
"
.
D'une manière générale, "
le
dérapage des dépenses du budget général et du solde
des comptes spéciaux du trésor est revu en hausse de
1,9 milliard de francs
".
e) La dernière note sur l'exécution en date du 14 décembre 1999
Cette
note est la dernière prévision d'exécution de l'exercice.
Elle modifie celle du 26 octobre, intégrant notamment les arbitrages
survenus sur le projet de collectif. Elle constituera le point de
référence jusqu'à la clôture de l'exercice, le 28
janvier 2000.
Le directeur du budget insiste sur le fait que "
l'écart
à l'objectif d'évolution des dépenses de l'Etat de 1 % en
volume serait en partie résorbé (taux de progression en volume
estimé à 1,16 %)
[...]
. Le surcroît de
dépenses par rapport à l'objectif passerait ainsi, hors reprise
de la dette UNEDIC, de près de 4 milliards de francs dans la
prévision du 26 octobre dernier à environ 2,5 milliards de
francs
".
Au moins deux éléments viennent nuancer l'apparent respect de
l'engagement du gouvernement relatif à la progression des
dépenses :
- la reprise de la dette de l'UNEDIC, considérée comme
dépense exceptionnelle, n'est pas intégrée dans le
calcul : le dérapage ne serait plus de 2,5 milliards de francs,
mais de 12,5 milliards de francs ;
- et, surtout, les économies dont se prévaut le gouvernement ne
résultent en rien de la conduite de réformes structurelles, mais,
soit de la bonne tenue de la conjoncture comme les économies
réalisées sur la charge de la dette ou sur les dispositifs de la
politique de l'emploi, soit du non-respect d'engagements antérieurs tels
que la loi de programmation militaire, soit encore de décisions
techniques comme l'économie engendrée sur les dépenses de
fonction publique par le décalage vers l'année 2000 du solde des
primes de rendement des agents territoriaux de la direction
générale des impôts.