2. Un cadre juridique plus adapté à la création d'entreprises innovantes
S'inspirant des pratiques anglo-saxonnes, les pouvoirs publics
ont
également cherché à encourager l'émergence de
nouveaux entrepreneurs en instituant un cadre juridique plus adapté, en
particulier, en matière de stock-options et de statut des
sociétés.
•
La création des Bons de Souscription de Parts de
Créateur d'Entreprises (BSPCE) tend à encourager fiscalement la
prise de risque
Les petites et moyennes entreprises innovantes à fort potentiel de
croissance ont besoin de dirigeants et de collaborateurs de haut niveau. Comme
elles ne peuvent généralement offrir une
rémunération correspondant à la valeur des
intéressés et au risque qu'elles leur font courir en rejoignant
une petite structure incertaine de son avenir, elles ont du mal à les
recruter.
Le recours aux stock-options permet de résoudre cette difficulté
et est, de ce fait, essentiel à l'essor de la nouvelle économie.
En attribuant à leurs salariés le droit de souscrire une part de
capital de leur entreprise à un prix fixé par avance, les
entreprises innovantes leur offre des perspectives qui compensent ces
handicaps. Aussi, les stock-options permettent-elles d'attirer des cadres, des
ingénieurs ou des chercheurs et de les fidéliser. Ces
salariés ne peuvent, en effet, lever leurs options et revendre leurs
titres qu'après être restés dans l'entreprise pendant une
certaine période.
En France, le recours à ce mode de rémunération par les
entreprises innovantes est devenu problématique depuis la réforme
de la fiscalité des stock-options décidée en 1995.
Comme le souligne le dernier rapport du commissariat général du
plan sur la recherche et l'innovation : "
la disparition d'un
régime favorable des stock-options a eu deux conséquences
majeures pour les entreprises françaises de croissance :
- un accès plus difficile des petites firmes innovantes aux
personnels qualifiés. Elles ne peuvent plus donner à cette
catégorie de professionnels des actions en compensation des salaires que
seules les grandes entreprises peuvent payer ;
- une viabilité très menacée des très jeunes
entreprises en forte croissance. Il y a pour elles une sorte
d'épée de Damoclès car tout départ d'un
collaborateur dans les premières années de la firme peut, par
reclassement des actions versées, entraîner sa faillite. Alors que
ces entreprises manquent de financement et peinent à se hisser au niveau
des grandes entreprises, elles doivent donc provisionner des charges sociales
sur les plus-values. Il y a donc un frein sur la valorisation
(boursière) des entreprises
".
67(
*
)
Renonçant à une réforme générale des
stock-options, le Gouvernement, à l'initiative de M. Dominique
Strauss-Kahn, a institué une nouvelle catégorie de stock-options
destinée aux sociétés de création récente.
L'article 76 de la loi de finances pour 1998 a instauré, à titre
provisoire, des Bons de Souscription de Parts de Créateurs d'Entreprise
(BSPCE) qui, en dépit de leur dénomination compliquée, ne
sont rien d'autre qu'une forme avantageuse de stock-options.
Les bénéficiaires des BSPCE sont les salariés et les
mandataires sociaux soumis au régime fiscal des salariés de
sociétés créées depuis moins de quinze
ans
68(
*
)
répondant aux
conditions suivantes :
- ne pas exercer une activité bancaire, financière,
d'assurance, de gestion ou de location d'immeuble ;
-
être passibles en France de l'impôt sur les
sociétés, ce qui exclut les sociétés
étrangères exerçant leur activité sur le territoire
national ;
-
être détenues directement et de manière
continue pour 25 % au moins par des personnes physiques ou par des
personnes morales détenues par des personnes physiques. Toutefois, les
participations des divers organismes intervenant en matière de
capital-risque ne sont pas prises en compte pour cette condition, dès
lors qu'elles restent minoritaires (sociétés de capital risque,
sociétés de développement régional,
sociétés financières d'innovation, fonds communs de
placement à risques, fonds communs de placement dans l'innovation) ;
-
ne pas avoir été créées dans le cadre
d'une concentration, d'une restructuration, d'une extension ou de la reprise
d'activités préexistantes. Il doit donc s'agir d'activités
entièrement nouvelles, notion qui fait l'objet d'interprétations
diverses et donne lieu à de nombreux contentieux fiscaux ;
- être non cotées ou cotées sur les marchés des
valeurs de croissance en France (nouveau marché) ou dans l'espace
économique européen.
Le mécanisme des BSPCE est comparable à celui des options de
souscription ou d'achat d'actions. Le BSPCE, qui est incessible, ouvre à
son bénéficiaire le droit de souscrire au titre de la
société au prix fixé lors de l'attribution de ce droit. Le
bénéficiaire réalise une plus-value si la valeur de la
société a augmenté entre le moment de l'attribution du bon
et la revente des titres. Le gain réalisé lors de la cession de
ces titres est imposé au taux de droit commun des plus-values de cession
de valeurs mobilières ou de droits sociaux, soit 26 %,
(prélèvements sociaux additionnels compris), lorsque le
bénéficiaire, à la date de la cession, a été
pendant au moins trois ans, salarié de la société
émettrice. Si cette dernière condition d'ancienneté n'est
pas respectée, la plus value est taxable à un taux majoré
de 40 % (prélèvements sociaux additionnels compris).
Ces modalités d'imposition sont donc particulièrement
attrayantes, par rapport tant au taux marginal de l'impôt sur le revenu
(54 %) qu'à celui généralement applicable aux
stock-options (40 %).
COMPARAISON ENTRE LES RÉGIMES FISCAUX APPLICABLES AUX
BSPCE
ET AUX STOCK-OPTIONS (MAI 2000)
|
BSPCE |
STOCK-OPTIONS |
ATTRIBUTAIRES |
- Sociétés non cotées ou
cotées sur
les nouveaux marchés ou sur les marchés des valeurs de croissance
de l'Espace économique européen.
|
- Sociétés, cotées ou non, et leurs
filiales.
|
BÉNÉFICIAIRES |
Attribués " intuitu personnae ", réservés aux membres du personnel salarié et aux dirigeants soumis au régime fiscal des salariés |
Salariés, puis mandataires sociaux, lorsque ces
derniers :
|
DELAIS
|
- 3 ans d'ancienneté dans l'entreprise - pas de délai de conservation ni de portage |
- 5 ans de conservation des titres entre l'attribution et la cession - pas de délai de portage (entre levée de l'option et cession) |
RABAIS 69( * ) |
non prévu (titres, pour la plupart, non cotés) |
- Si IR à la levée de l'option - + cotisation et contributions sociales (CSG - CRDS) depuis le 1.1.95 |
PLUS
VALUES
|
non imposées |
-
en cas
de non respect du délai de cinq ans
: imposition comme salaire
l'année de cession (avec un système de quotient),
assujettissement aux cotisations sociales salariales, à la CSG et
à la CRDS depuis le 1.1.97, mais exemption du 2 % social
|
PLUS
VALUES
|
-
si
moins de 3 ans d'ancienneté
: taux majoré de 30 % (40 %
compte tenu des prélèvements sociaux)
|
imposition au taux de droit commun 26 % (16 % + 10 % de prélèvements sociaux (CSG, CRDS, et 2 %)) |
Le
régime fiscal des BSPCE est plus simple et nettement plus souple. Mis
à part le respect d'une condition d'ancienneté dans l'entreprise,
aucun délai de conservation des titres n'est exigé. A la
différence des gains sur options de souscription ou d'achat d'actions,
les BSPCE sont totalement exonérés de cotisations sociales.
Le tableau ci-dessus illustre le caractère plus favorable, mais,
également le champ d'application réduit des BSPCE par rapport aux
stock-options.
L'ouverture du statut des sociétés par actions
simplifiées pour les jeunes entreprises innovantes
Le statut des sociétés anonymes étant peu adapté
aux jeunes entreprises à risque et à fort potentiel de
croissance, en raison des contraintes qu'il implique, la loi sur la recherche
et l'innovation du 12 juillet 1999 a assoupli les conditions de constitution
des Sociétés par Actions Simplifiées (SAS)
créées par la loi du 3 janvier 1994 pour tenir compte
des spécificités des sociétés innovantes.
Les nouvelles dispositions permettent à toute personne physique ou
morale de créer une SAS, y compris sous une forme unipersonnelle, alors
que la loi du 3 janvier 1994 réservait cette faculté
aux sociétés ayant un capital entièrement
libéré au moins égal à 1,5 million de francs,
ainsi qu'à certains établissements publics de l'Etat et à
certains établissements de crédit privés. L'obligation de
libération totale du capital dès sa souscription a
été supprimée. Le capital de la SAS -qui doit être
au moins égal à 250.000 francs, comme celui de toute
société par actions- pourra être libéré pour
moitié lors de la souscription, et pour moitié dans les cinq ans
suivant l'immatriculation de la société.
Conçue en 1994 comme une " société de
sociétés " ou une
" société-contrat " adaptée au
développement d'activités communes à plusieurs entreprises
(" joint-ventures "), à la gestion de filiales ou à la
constitution de sociétés de capital-risque, la SAS est ainsi
devenue une formule adaptée aux PME et en particulier, mais pas
exclusivement, aux PME innovantes.
La SAS permet aux " jeunes entreprises " de s'affranchir de plusieurs
contraintes imposées aux sociétés anonyme, telles
que :
- le nombre minimal de sept actionnaires : la SAS pouvait, aux termes
de la loi de 1994, n'avoir que deux actionnaires ; elle pourra,
désormais, ne comporter qu'un associé unique et offrir,
après l'EURL, une nouvelle forme d'" entreprise
unipersonnelle " ;
- les règles d'organisation : les conditions de direction de
la SAS sont déterminées librement par ses statuts qui fixent les
conditions de nomination des dirigeants, leur nombre, la durée de leur
mandat, leur mode de rémunération ; elles peuvent
prévoir ou non des structures collégiales et elles
définissent les pouvoirs des organes de gestion. La loi n'impose
à la SAS que d'être dotée d'un président la
représentant à l'égard des tiers ;
- les mécanismes de décision : les statuts de la SAS
déterminent librement le mode de consultation des associés et les
rapports entre droits de vote et détention du capital.
La latitude ainsi laissée aux associés pour organiser le
fonctionnement de la société peut notamment permettre une
dissociation entre capital et pouvoir, que la loi de 1994 prévoyait pour
la constitution de sociétés de capital-risque et qui peut
s'avérer particulièrement intéressante pour
définir, dans le cas des " start-up ", les rapports entre
créateurs et investisseurs.
Un rapprochement entre recherche publique et entreprises grâce
à la loi sur l'innovation et la recherche.
Comme le constatait le rapport de M. Henri Guillaume sur l'innovation, notre
pays dispose d'importantes capacités en matière scientifique et
technologique, mais leur articulation avec le secteur privé s'effectue
moins bien que dans d'autres pays industrialisés. Il en est ainsi, tant
sur le plan des structures où les partenariats entre organismes de
recherche et entreprises sont difficiles à organiser, que des relations
entre les personnels de la recherche et le monde économique.
Alors que l'expérience montre que la valorisation des résultats
de la recherche est un facteur important de dynamisme économique, le
nombre d'entreprises créées chaque année à partir
des résultats de la recherche publique reste faible. Or, ce sont ces
entreprises qui disposent du plus fort potentiel de croissance. Dans ce
contexte, la loi sur l'innovation et la recherche a eu pour objectif de
remédier à cette situation et de créer un cadre favorisant
la création d'entreprise par des chercheurs, des étudiants ou des
salariés du secteur public.
Reprenant en partie des dispositions d'un projet de loi
72(
*
)
déposé par le
précédent Gouvernement et d'une proposition de loi
73(
*
)
adoptée par le Sénat le
22 octobre 1998, permettant aux fonctionnaires du service public de
la recherche de participer à la création d'entreprises, le projet
de loi sur l'innovation et la recherche promulguée le
12 juillet 1999 a instauré des mesures tendant à :
- développer la mobilité des chercheurs publics vers les
entreprises ;
- favoriser la coopération entre recherche publique et entreprises.
Le premier volet de la loi du 12 juillet 1999 lève certains obstacles
statutaires et substitue à une interdiction générale un
régime d'autorisation, encadré par la commission de
déontologie, adapté aux spécificités de la
recherche et respectueux de l'intérêt public. Il autorise les
personnels de recherche à quitter, pendant une durée de six ans,
le service public pour participer à la création d'une entreprise
qui valorise leurs travaux. Les intéressés pourront, par
ailleurs, apporter leur concours scientifique à une entreprise,
participer à son capital, être membre de son conseil
d'administration, sans quitter le service public.
Ces dispositions concernant les personnels sont complétées par
des mesures portant sur les enseignants du premier et du second degré et
leur donnent la possibilité d'effectuer des périodes de
mobilité au sein d'une entreprise ou d'un organisme public.
Le deuxième volet de la loi complète les lois de 1982 sur la
recherche et la technologie et de 1984 sur l'enseignement supérieur par
la création de structures adaptées au soutien de petites et
moyennes entreprises de haute technologie. Il autorise les universités
et les organismes de recherche à créer des services gérant
des contrats de recherche dans un cadre budgétaire plus souple, avec des
règles contractuelles mieux adaptées. Ces établissements
pourront, en outre, contribuer à la création
d'" incubateurs ", afin d'accueillir et d'accompagner le
développement d'entreprises de haute technologie.
Structure d'accueil et d'accompagnement d'entreprises innovantes, les
incubateurs leur offrent un appui en matière de formation, de conseil et
de financement, et les hébergent jusqu'à ce qu'ils trouvent place
dans une pépinière d'entreprises ou s'installent à leur
compte.
La spécificité des incubateurs créés par la
nouvelle loi tient au fait qu'ils sont situés à proximité
immédiate d'un site scientifique, afin de maintenir des relations
étroites avec les laboratoires de recherche dont les porteurs de projets
(chercheurs, enseignants-chercheurs, jeunes docteurs) sont le plus souvent
issus et de bénéficier ainsi de leur potentiel scientifique et
technologique.
Depuis l'adoption de la loi, vingt-deux projets d'incubateurs ont
été déposés, une quinzaine sont en cours. Ces
projets bénéficieront d'un crédit global d'environ
100 millions de Francs.
Constatant que le financement de l'amorçage, c'est à dire de la
phase qui précède la création des entreprises constitue un
maillon critique dans la chaîne du financement, les pouvoirs publics ont
également décidé d'affecter 100 millions de francs,
prélevés sur les recettes de la mise sur le marché de
France Télécom, pour aider les universités et organismes
de recherche à participer de façon minoritaire au tour de table
de fonds d'amorçage. Un appel à proposition a été
lancé le 24 mars 1999 auprès des principaux pôles
universitaires français, portant sur la mise en place de
sociétés de transfert de technologie, d'incubateurs et de fonds
d'amorçage. Les fonds devront être clairement ciblés sur
l'amorçage, et gérés par des professionnels du
capital-risque, et organisés sous forme de FCPR.
Ces mesures de soutien aux financements des entreprises innovantes ainsi que
les avancées opérées par la loi sur l'innovation et la
recherche ont été bienvenues. Encore convient-il d'en
évaluer l'impact.