CHAPITRE I :
POURQUOI FAUT-IL RÉGULER LES FLUX
MONÉTAIRES ET FINANCIERS INTERNATIONAUX ?
I. LES EFFETS CONTRASTÉS DE LA MONDIALISATION FINANCIÈRE
L'idée de régulation financière et monétaire ne va pas de soi. Le strict jeu des forces de marché devrait, en pure théorie économique, conduire à un équilibre correspondant à l'optimum. Cependant, la nécessité d'une régulation apparaît à la lumière d'un double constat : d'une part, les flux financiers et monétaires ont changé de volume et de nature en 50 ans ; d'autre part, les récentes crises ont montré que les marchés ne pouvaient, seuls, assurer un retour rapide à l'équilibre.
A. LE DÉVELOPPEMENT DES ACTIVITÉS FINANCIÈRES ET MONÉTAIRES INTERNATIONALES
1. Le développement des marchés financiers...
La
libéralisation des marchés financiers a commencé avec
l'effondrement du système monétaire international fondé
sur un régime généralisé de taux de change fixes
ajustables, au début des années soixante-dix. Le
démantèlement des contrôles nationaux sur les mouvements de
capitaux, au cours des années quatre-vingt, dans les pays
développés, a accru la liquidité des marchés
financiers. Cette évolution s'est accentuée avec l'ouverture des
pays émergents aux capitaux étrangers au début des
années quatre-vingt dix.
La globalisation financière a
été marquée par l'apparition de nouveaux marchés et
de nouveaux acteurs significatifs dans le jeu financier international
.
La déréglementation des marchés financiers a permis,
mais a également été encouragée, par la
montée en puissance des innovations et de l'ingénierie
financière, notamment en matière de produits
dérivés.
2. ... et la diversification des produits financiers...
Dès le début des années quatre-vingt-dix,
la
Banque des règlements internationaux a attiré l'attention des
autorités monétaires des différents pays sur les risques
que le développement des produits dérivés pourrait faire
courir au système financier international. La croissance rapide des
marchés dérivés s'explique par des facteurs structurels et
conjoncturels. Les produits dérivés sont nés des
réactions du marché face à l'instabilité des taux
d'intérêt, facteur d'incertitude et de risque pour les
investisseurs. Ils permettent en effet de couvrir tout ou partie des risques
liés à cette incertitude, en offrant des possibilités
d'arbitrage et de gestion sophistiquées et peu coûteuses.
L'expansion des produits dérivés a donc été
fortement favorisée par la volatilité croissante des taux de
change et des taux d'intérêt au cours de la dernière
décennie. L'introduction de nouveaux produits et le développement
de l'ingénierie financière ont également favorisé
la croissance des produits dérivés, en permettant de proposer des
produits de plus en plus complexes, tandis que le développement des
technologies de l'information a permis une diminution importante des
coûts de transaction.
Les activités sur les marchés organisés peuvent être
mesurées en termes de transactions ou en nombre de contrats
échangés. En 1997, 1.200 millions de contrats financiers ont
été échangés sur les marchés
organisés, contre 480 millions en 1990, et 100 millions en 1981.
L'encours notionnel sur les marchés organisés est passé de
583 milliards de dollars en 1986 à 12.207 milliards en 1997, et de 500
milliards de dollars à 28.733 milliards sur les marchés de
gré à gré
1(
*
)
. Le risque de contrepartie sur les
produits dérivés a été estimé à 1.200
milliards de dollars par le Banque des règlements internationaux en
1998.
Les marchés de produits dérivés progressent de
manière importante lors des périodes de retournement de cycle.
Ainsi, les crises asiatique et russe ont conduit à une forte
augmentation de la demande de couverture des risques de la part des
investisseurs.
3. ... permettent d'obtenir des effets de levier considérables, qui servent les objectifs de rentabilité des fonds d'investissement.
Le
rôle des produits dérivés dans le développement des
crises financières et de la volatilité des prix est
contesté. En effet, il est indéniable que les produits
dérivés ont une influence importante sur le processus de
formation des prix sur les marchés financiers, du fait des liens qui
unissent, par le biais des arbitrages, les marchés au comptant et les
marchés dérivés. La théorie économique
s'accorde cependant à dire que les produits dérivés
améliorent la prise en compte de l'information et renforcent ainsi
l'efficience de l'ensemble des marchés financiers. De plus, la
déconcentration et la diversification des financements internationaux
diffusent les risques de pertes et réduisent, par là même,
les risques de crise systémique dans les pays créditeurs. La
complexité des produits dérivés ne permettant souvent pas
une mesure et un contrôle précis des risques, les produits
dérivés sont néanmoins susceptibles de conduire à
des prises de risque excessives. Les faillites des institutions
financières qui ont marqué la dernière décennie
(Metallgesellschaft, Orange County, Barings, ou encore LTCM) sont ainsi
liées, pour la plupart d'entres-elles, à des prises de risque
excessives sur les marchés dérivés.
Ces marchés constituent les principaux outils de placement des fonds
d'investissement spéculatifs. Ils permettent d'obtenir des effets de
levier considérables, avec une très faible exigence de fonds
propres. Les investisseurs institutionnels qui interviennent sur ces
marchés (fonds de pension, fonds d'investissement collectifs et
compagnies d'assurance notamment) sont devenus des intervenants majeurs sur les
marchés financiers, et ont conduit à une profonde modification de
la gestion des patrimoines à l'échelle mondiale.
Le développement des marchés financiers, et des produits
dérivés en particulier, emporte des conséquences
importantes pour la définition des politiques économiques par les
Etats. La déréglementation et l'abaissement des coûts de
transaction ont considérablement facilité la mobilité des
capitaux et ont conduit à un décloisonnement et à une
intégration de l'ensemble des marchés financiers mondiaux
. Les
masses de capitaux échangées chaque jour sur les marchés
financiers sont désormais largement supérieures aux
capacités d'intervention des Etats. Par conséquent, tout
gouvernement peut se retrouver l'otage des marchés, dès lors que
sa politique est perçue négativement par ceux-ci.
Enfin, les
produits dérivés retardent l'effet de la politique
monétaire sur l'économie réelle, puisque les acteurs
peuvent limiter l'impact des variations de taux d'intérêt en
modifiant les caractéristiques de leur endettement.
Le développement des activités financières et
monétaires internationales répond à un besoin croissant de
couverture des risques, en permettant de réduire l'incertitude des
investisseurs. L'ampleur des transactions réduit en revanche
considérablement l'efficacité des moyens d'action des
autorités nationales en matière de politique monétaire, et
constitue un facteur d'accroissement de la violence des ajustement des
marchés financiers en réponse à un choc.
B. LES EFFETS POSITIFS INCONTESTABLES DU DÉVELOPPEMENT DES ACTIVITÉS MONÉTAIRES ET FINANCIÈRES INTERNATIONALES
1. Ce développement a permis une meilleure couverture des risques
L'économie de marché est
caractérisée
par le risque, contrepartie du profit, dont la libéralisation des
mouvements de capitaux permet de se prémunir de mieux en mieux.
On peut différencier deux grandes catégories de risques, ceux
attachés aux opérateurs d'une transaction (risques de
crédit, c'est à dire risque de défaillance de
l'opérateur) et ceux attachés aux variables des transactions
(risques de marchés, comme les prix, les taux de change, les taux
d'intérêt,...). Si les produits financiers se sont d'abord
développés sur ces derniers, pour les couvrir dans leur
quasi-totalité, ils se tournent depuis quelques années (moins
d'une dizaine aux Etats-Unis, contre trois ou quatre ans en France) vers les
seconds. Les produits dérivés constituent les instruments
techniques de cette couverture des risques.
Qu'est-ce que les produits dérivés ?
Les
produits dérivés désignent l'ensemble des instruments
financiers mis en place sur les marchés à terme. Ces derniers se
différencient des marchés au comptant encore appelés
marchés sous-jacents.
Les opérations à terme peuvent s'effectuer de deux
manières. D'une part de façon optionnelle, d'autre part de
façon ferme. Pour chaque produit l'échange se fait soit de
gré à gré soit sur un marché organisé. Les
marchés optionnels utilisent les options, par exemple une option de
vente (
put
) ou une option d'achat (
call
). Les marchés
fermes se servent de produits se référant à des livraisons
différées (les
forward
) ou bien à des contrats (les
futures
). Les
swaps
permettent de traiter des échanges de
flux d'intérêt ou de dettes.
Les produits dérivés sont ainsi appelés parce qu'ils
tirent leur origine (ils dérivent) des produits acquis au comptant. Leur
fonction n'a qu'un lointain rapport avec une marchandise précise :
ils servent avant tout à se protéger contre des risques, comme
celui de la variation de prix. Ainsi, ils contribuent de façon
déterminante à la conclusion des prix sur les marchés
sous-jacents.
Source : Note d'information de la Banque de France, " Les
marchés de produits dérivés ", n° 108, octobre
1997.
Ces instruments de prévention du risque permettent de réduire les
facteurs d'incertitude et créent un environnement favorable aux
investissements et aux échanges. Les produits dérivés
permettent en effet de gérer sur l'ensemble des marchés les
risques potentiels, et ouvrent la possibilité de caler
l'équilibre présent d'un marché sur les offres et les
demandes à venir. S'opère ainsi un transfert du risque sur
d'autres agents, d'autres variables, d'autres horizons de temps. Ceux qui
l'assument sont des professionnels mieux à même de le gérer
que l'entreprise ou le particulier.
L'énumération des risques fait prendre conscience de leur
ampleur
2(
*
)
: risques de
défaillance, risques de contrepartie, risques de liquidité,
risques de taux (de change et d'intérêt), risques
monétaires, risques commerciaux, risques financiers (de faillite,
d'exploitation, du résultat financier, du résultat net). S'y
ajoutent des risques traditionnels (instabilités politique et
réglementaire, risque pays) et de nouveaux risques, comme les risques
systémiques (situations dans lesquelles les réponses des agents
aux risques qu'ils perçoivent aggravent l'insécurité des
marchés), les risques en provenance des économies
émergentes (à l'oeuvre dans le cas des crises asiatiques) et en
transition (crise russe), les risques environnementaux, les risques
stratégiques (l'erreur de décision a des conséquences plus
lourdes en cas de développement des marchés), et le risque
technologique (lié aux innovations).
Bien entendu, les instruments financiers ne permettent pas de supprimer ces
risques. Ils ne traitent d'ailleurs pas de tous. Ils peuvent être
déterminés par les risques (les mouvements de capitaux augmentent
au fur et à mesure que certains risques diminuent), mais se
développent cependant toujours en cherchant à les réduire.
Les risques de taux apparaissent ainsi aujourd'hui particulièrement bien
gérés et maîtrisés grâce aux outils qui
existent. Le développement des marchés financiers résulte
ainsi pour une grande partie de celui des instruments de couverture, soit
qu'ils facilitent les opérations en diminuant les risques qui leur sont
associés, soit qu'ils en constituent les supports directs.
Cependant, le développement des instruments de couverture peut
paradoxalement faire naître de nouveaux aléas : risque de
contreparties en cas de mise en jeu de très nombreux acteurs, risque de
produit et risque systémique. Ce sont ces mécanismes qui ont
joué dans le cadre des crises financières asiatiques. Et c'est
pour les réduire et, dans la mesure du possible, s'en prémunir
que se développent les réglementations prudentielles, la
connaissance et l'organisation des marchés.
2. Il a favorisé l'accroissement du commerce mondial
La diminution progressive des barrières aux échanges de biens et services a pris des formes multiples, financières mais aussi commerciales. Le développement du commerce mondial depuis la fin de la seconde guerre mondiale constitue une réalité tangible, dont l'ampleur est différente selon les Etats. En 1948, les exportations mondiales ont représenté l'équivalent de 23 milliards de dollars ; en 1968 elles s'élevaient à 238 milliards de dollars ; le débuts des années 1970 et celui des années 1980 marquent deux périodes de stagnation du commerce mondial, qui connaît cependant une forte reprise à partir de 1983 : entre 1983 et 1990 le commerce mondial de marchandises augmente de 6 % par an en moyenne contre 3,4 % pour le PIB mondial.
Exportations de marchandises au XXe siècle
(en pourcentage du PIB en prix 1990)
|
1913 |
1929 |
1950 |
1973 |
1992 |
Etats-Unis |
3,7 |
3,6 |
3 |
5 |
8,2 |
Europe de l'Ouest |
16,3 |
13,3 |
9,4 |
20,9 |
29,7 |
Japon |
2,4 |
3,5 |
2,3 |
7,9 |
12,4 |
Chine |
1,4 |
1,7 |
1,9 |
1,1 |
2,3 |
Inde |
4,7 |
3,7 |
2,6 |
2 |
1,7 |
Corée |
1 |
4,5 |
1 |
8,2 |
17,8 |
Taïwan |
2,5 |
5,2 |
2,5 |
10,2 |
34,4 |
Monde |
8,7 |
9 |
7 |
11,2 |
13,5 |
Source : Monitoring the World Economy, 1820-1992, par
Angus
Maddison, publication OCDE, 1994
Le système commercial apparaît de plus essentiel pour le
développement des pays émergents. La baisse massive des obstacles
douaniers a permis la libéralisation des échanges. Outre la
dynamisation des transactions, les réductions tarifaires ont
rééquilibré leur structure et permis une
réorientation des ressources vers le système productif national.
Par ailleurs, l'insertion dans le commerce international constitue une
incitation très forte à l'innovation technologique et à la
restructuration des économies. Les entreprises doivent s'adapter
à la concurrence internationale afin d'en profiter, améliorer
leur productivité, adopter une tarification au coût marginal,
etc...
Peut-on considérer que l'évolution du commerce international et
le développement des mouvements financiers sont allés de
concert ? Les liens entre ouverture aux échanges, flux de capitaux
et croissance économique sont complexes. La théorie
économique de la concurrence pure et parfaite les fait aller de pair,
mais les études empiriques sur longue période tendent
plutôt à mettre en exergue le rôle joué par le
commerce international de " catalyseur de la croissance "
3(
*
)
pour Jean-Louis Guérin, et celui
joué par l'ouverture financière de signal favorable aux
investisseurs internationaux. Le graphique suivant montre bien la contribution
des échanges commerciaux à la croissance économique
mondiale.
Evolution comparée du commerce mondial et du PIB
mondial
(variation annuelle moyenne en %)
Source : GATT
Les liens entre flux financiers et flux commerciaux peuvent également
expliquer la diffusion progressive de la crise asiatique par le biais du
commerce international :
" le commerce mondial s'est
comporté comme une vaste caisse de résonance du choc
initial "
4(
*
)
selon
Jean-François Dauphin. Les retraits de capitaux ont en effet
suscité des modifications importantes des parités
monétaires, qui ont immédiatement fait sentir leur effet sur les
flux commerciaux. Les pays exportateurs ayant dévalué y ont
gagné une meilleure compétitivité prix, tandis que le
coût de leurs importations augmentait. A ces effets prix s'est
ajouté un effet volume en raison de la contraction du volume
d'activité et de la demande mondiale. Le commerce mondial a ainsi connu
une forte contraction : le taux de croissance en glissement annuel des
importations mondiales est passé de 13,4 % à 1,5 % en un an et
demi
5(
*
)
, plus fortement dans les
pays asiatiques qui, justement, ont connu les plus grandes contractions de flux
financiers. La crise asiatique illustre ainsi,
a contrario
, le lien
entre libéralisation financière et commerce international.
Ainsi, parce qu'ils créent un effet de richesse, parce qu'ils facilitent
le financement de l'économie, parce qu'ils assurent une meilleure
couverture des risques commerciaux, les flux financiers,
libéralisés, ont accompagné sinon permis l'accroissement
massif du commerce mondial.
3. Il a contribué à une meilleure allocation des ressources
Le
développement des mouvements de capitaux favorise la meilleure
allocation mondiale des ressources, au plus grand profit des économies
émergentes qui y ont vu là un moyen de financer leur
développement.
Les progrès technologiques considérables de ces dernières
années, dans le domaine des télécommunications et de
l'informatique ont eu pour conséquences une très forte
réduction des délais et des coûts de transaction. Par
ailleurs, ils ont fluidifié la circulation de l'information rendant
meilleures les comparaisons internationales et l'exercice des arbitrages
économiques et financiers. Enfin, la lisibilité de l'horizon des
placements a considérablement progressé. Tout ceci rend plus
facile le financement des projets d'investissement, au meilleur coût pour
le bénéficiaire et au moindre risque pour l'investisseur. Au
début des années 1990, alors que les pays industrialisés
connaissaient une récession et engageaient une politique de baisse des
taux d'intérêt, les investisseurs ont trouvé avantage
à placer les capitaux disponibles dans des pays d'Asie et
d'Amérique latine offrant des rémunérations
supérieures et des perspectives de croissance encourageantes. Au total,
ainsi que l'exprime Claudia Senik-Leygonie
6(
*
)
, la liberté des capitaux
" améliore l'allocation des ressources, en l'occurrence des
risques et de l'épargne. D'une part quand les capitaux sont mobiles, ils
s'orientent normalement vers les meilleurs projets qui trouvent ainsi un
financement. Ce qui est avantageux pour tout le monde. D'autre part, un titre
financier est un échange de liquidités disponibles aujourd'hui
contre des liquidités disponibles demain. Comme futur est synonyme
d'incertain, il s'agit d'un échange de risques. Les flux de capitaux
permettent donc une assurance et une mutualisation des risques. "
Les mouvements de capitaux du XIX
ème
siècle
permettaient essentiellement le financement de grandes infrastructures
publiques, telles que les voies de chemin de fer, ou privées, les usines
de groupes industriels ou les installations minières. La forme de ces
investissements a considérablement changé. Ils sont
constitués d'abord d'investissements directs à long terme des
grands groupes internationaux qui, développant leurs activités
sur une échelle mondiale, apportent avec eux l'accès aux
marchés, la circulation des connaissances et des progrès
technologiques. En ce sens, ils sont davantage porteurs de développement
que leurs prédécesseurs. S'y ajoutent les mouvements de capitaux
à court terme, qui ont la double caractéristique de constituer
des montants considérables et de permettre l'essor d'instruments
financiers de couverture de risques propres à rassurer les
investisseurs. Cependant ces derniers sont également facteurs de
risques, leur retrait massif et brutal pouvant déstabiliser les
économies, comme l'a montré la crise asiatique.
L'intégration financière internationale exerce un effet positif
sur le financement du développement des pays émergents
7(
*
)
. Comme l'écrit la Banque
mondiale :
" Jusqu'au début des années 90,
l'allégement des dispositions financières contraignantes
était considéré comme un moyen de favoriser la croissance,
mais il n'était pas jugé aussi important que les autres facteurs.
Ce point de vue est en train de changer à la faveur des recherches
menées ces dernières années. On considère à
présent que l'expansion des circuits financiers, et notamment
l'établissement de marchés boursiers performants, contribue
fortement à la croissance future d'un pays, surtout grâce à
une meilleure répartition des ressources. Le lien entre finance et
croissance est plus prononcé dans certaines régions que dans
d'autres, et certaines données permettent de dire de manière tout
à fait plausible que de systèmes bancaires bien
réglementés favorisent également la croissance. Il existe
une forte corrélation entre les financements sur fonds propres, les
capitaux à risques disponibles et le progrès
industriel. "
Les
enseignements du succès
de l'implantation d'un marché de
produits dérivés dans un pays émergent
" L'implantation réussie d'un marché
dérivé dans un pays émergent met, ex post, trois
enseignements en valeur.
Le premier est que les marchés dérivés rencontrent du
succès dans des environnements volatils où des intervenants
souhaitent transférer leurs risques à d'autres participants ce
qui suppose la présence de structures ou de spéculateurs
prêts à assumer ce risque.
Le second est que le développement d'un tel marché
nécessite la présence de supports technologiques avancés
notamment dans le domaine des cotations et d'une infrastructure de
marché complète incluant un système de compensation et de
conservation de titres, afin de disposer d'une liquidité suffisamment
attractive pour les investisseurs.
Le dernier est que le maniement de produits sophistiqués comme les
contrats à terme et les options requiert une technicité et une
compétence élevée de la part des utilisateurs mais aussi
de la part des courtiers auxquels s'adressent les investisseurs, des membres
des instances de régulation et des étudiants amenés
à travailler à l'avenir sur ces marchés. "
Source : D. Grimbert, P. Mordacq, E. Tchemeni,
Les marchés
émergents
, Economica, Paris, 1995, pages 29et 30.
Cependant, les effets de la libéralisation des mouvements de capitaux
sur la croissance n'apparaissent pas avec évidence dans la stricte
comparaison des statistiques asiatiques.
Flux nets de capitaux privés et taux de croissance en Asie 1991-1997
(en % du PIB)
|
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
Singapour |
|
|
|
|
|
|
|
Flux nets de capitaux privés |
1,7 |
- 2,7 |
9,4 |
2,5 |
1,3 |
- 10,1 |
- 5,5 |
Croissance |
7,3 |
6,2 |
10,4 |
10,5 |
8,8 |
7,0 |
7,8 |
Chine |
|
|
|
|
|
|
|
Flux nets de capitaux privés |
1,7 |
- 0,9 |
4,5 |
5,6 |
5,2 |
4,6 |
3,7 |
Croissance |
9,2 |
14,2 |
13,5 |
12,6 |
10,5 |
9,7 |
8,8 |
Thaïlande |
|
|
|
|
|
|
|
Flux nets de capitaux privés |
10,7 |
8,7 |
8,4 |
8,6 |
12,7 |
9,3 |
- 10,7 |
Croissance |
8,1 |
8,2 |
8,5 |
8,9 |
8,7 |
6,4 |
- 0,4 |
Indonésie |
|
|
|
|
|
|
|
Flux nets de capitaux privés |
4,6 |
2,5 |
3,1 |
3,9 |
6,2 |
6,3 |
1,6 |
Croissance |
8,9 |
7,2 |
7,3 |
7,5 |
8,2 |
8,0 |
4,6 |
Corée du Sud |
|
|
|
|
|
|
|
Flux nets de capitaux privés |
2,2 |
2,4 |
- 1,6 |
3,1 |
3,9 |
4,9 |
2,8 |
Croissance |
9,1 |
5,1 |
5,8 |
8,6 |
8,9 |
7,1 |
5,5 |
Malaisie |
|
|
|
|
|
|
|
Flux nets de capitaux privés |
11,2 |
15,1 |
17,4 |
1,5 |
8,8 |
,96 |
4,7 |
Croissance |
8,6 |
7,8 |
8,3 |
9,2 |
9,5 |
8,6 |
7,8 |
Philippines |
|
|
|
|
|
|
|
Flux nets de capitaux privés |
1,6 |
2,0 |
2,6 |
5,0 |
4,6 |
9,8 |
0,5 |
Croissance |
- 0,6 |
0,3 |
2,1 |
4,4 |
4,8 |
5,7 |
5,1 |
Source : FMI
En fait, on peut considérer que ces conséquences positives
passent par l'intermédiaire de deux canaux principaux.
Le premier consiste en la progression très importante de l'offre
mondiale de capitaux, à même de s'investir sur de nouveaux
marchés. C'est ainsi qu'en 1997, 30 % des investissements
étrangers directs, soit 1.043 milliards de dollars selon la Banque
mondiale, ont profité aux pays en développement. Ceux qui en ont
le plus bénéficié sont ceux qui possèdent des
marchés financiers organisés et actifs : l'Argentine, le
Brésil, la Chine, le Mexique et la Pologne. En revanche, l'Afrique
représentait moins de 2 % des investissements directs en 1997. De
plus, l'essentiel y fut concentré dans le secteur des matières
premières qui ne fait pas profiter des avantages associés aux
investissements dans d'autres secteurs (en termes d'accès aux
marchés, de transferts technologiques et de capital humain).
Source : CNUCED
Le second est la forte incitation qu'elle crée à
l'émergence et au développement de marchés financiers
intérieurs permettant l'apparition d'un financement interne de
l'économie nationale. Ceci a favorisé dans les pays en
développement la bonne répartition des ressources, a rendu
possible l'essor de nouveaux outils financiers
8(
*
)
, a amélioré
l'efficacité des marchés et a permis de se construire un vrai
système bancaire.
C. L'EXTENSION DES CIRCUITS FINANCIERS CRIMINELS
Le
groupe de travail ne s'est pas penché de façon spécifique
sur les circuits financiers criminels, sur lesquels il n'a recueilli que des
informations incidentes à ses préoccupations principales. Il ne
les a envisagés que sous l'angle de leurs liens avec les crises
financières, et non en tant que tels.
A la faveur de la mondialisation, trois fléaux paraissent se
développer :
la localisation de fonds gérés sous mandat dans des paradis
bancaires ou fiscaux, que l'on désigne couramment sous l'expression
d'Etats ou zones
offshore
,
le blanchiment des liquidités produites par des activités
criminelles,
la corruption et le trafic d'influence.
1. La mondialisation favorise les circuits financiers criminels
Le développement des circuits financiers transfrontaliers facilite et renforce le développement des circuits financiers criminels, qui sont par nature transfrontaliers.
a) Les territoires à fiscalité réduite...
A
l'origine du phénomène se trouve une préoccupation qui
n'est pas en soi criminelle, mais qui peut avoir une dimension
délictueuse :
le souci d'échapper aux
prélèvements fiscaux, sur des activités licites par
ailleurs
.
Cette préoccupation est manifeste s'agissant des fonds à fort
effet de levier ou
hedge funds
. Destinés à des
investisseurs avertis, particuliers très fortunés ou entreprises,
et souvent capables de profits (et de pertes) très supérieurs
à ceux des autres activités financières, ces fonds sont
massivement localisés
offshore
.
Interrogé par le groupe de travail, le président de l'association
américaine des fonds à fort effet de levier n'a pas caché
que les raisons de ce type d'établissement sont essentiellement
fiscales, et ne sont pas liées à des tentatives d'échapper
à la réglementation prudentielle ou au contrôle des
opérations.
Avec plus de 100 milliards de dollars d'encours (sur 400 milliards de
dollars pour l'ensemble des fonds à effet de levier dans le monde), la
plupart des
hedge funds
gérés depuis les
Etats-Unis sont établis dans un paradis fiscal. En 1999, l'association
comptait environ 600 fonds. Ils n'ont rien d'occulte, puisqu'il existe à
leur sujet de nombreuses informations diffusées dans le public et en
particulier un annuaire professionnel précisant leurs modes
d'intervention et l'ensemble des coordonnées utiles.
Or, pour permettre à leurs clients d'échapper plus facilement au
contrôle fiscal de leur pays d'origine, les dépositaires de fonds
situés dans les paradis fiscaux offrent une grande discrétion
bancaire, ne permettant pas d'identifier les titulaires de compte. Les
centres
offshore
se caractérisent ainsi par deux critères
fondamentaux :
une fiscalité très faible, et un secret
bancaire rigoureux.
b) ... attirent les détenteurs de fonds d'origine criminelle
De
là vient l'attrait des paradis fiscaux pour les détenteurs de
fonds provenant d'activités illégales : trafic de drogue,
d'armes, d'êtres humains. C'est ainsi que l'on glisse progressivement
d'un phénomène d'évasion fiscale provenant
d'activités licites, vers un phénomène de dissimulation
des produits d'activités illicites.
Les circuits financiers criminels se fondent dans la masse des courants
financiers qui accompagnent l'internationalisation des marchés de
capitaux. La libéralisation des mouvements de capitaux, la suppression
des contrôle des changes, l'euro, destinés à faciliter les
flux légaux, facilitent également les flux illégaux. La
monnaie unique, en particulier, favorise la discrétion des transactions
intra-européennes portant sur des fonds d'origine douteuse.
Le développement d'Internet facilite aussi le phénomène.
En effectuant des recherches relatives aux places
offshore
sur le
réseau mondial, des dizaines de références d'officines
spécialisées dans l'implantation d'activités dans les
paradis fiscaux apparaissent. N'importe qui peut ainsi avoir recours à
une prestation de services d'optimisation fiscale par la localisation la plus
efficace. Ces officines sont elles-mêmes implantées
offshore
, à l'abri de la juridiction de tout organe de
contrôle national ou international.
Selon le FMI en 1997, les places
offshore
étaient
dépositaires de 4.800 milliards de dollars. Le blanchiment d'argent
criminel représenterait 600 milliards de dollars de flux annuels
(soit 2 % du PIB mondial) actuellement, selon le FMI et le
secrétariat américain au Trésor, dont 50 %
proviendrait du trafic de stupéfiants. Certains Etats sont des zones
privilégiées pour les trafiquants : lors d'une
réunion internationale tenue à Genève en
décembre 1999, le président du Sénat de Haïti
mentionnait par exemple que l'essentiel des capitaux investis dans son pays
était d'origine douteuse... Enfin, selon Pino Arlacchi,
secrétaire général adjoint de l'ONU, les sommes provenant
de l'évasion fiscale et de la corruption seraient chacune
supérieures à celles du blanchiment.
2. Les circuits financiers criminels sont susceptibles de favoriser les crises financières
Le
développement des circuits financiers criminels est dommageable en soi.
Mais le groupe de travail a surtout cherché à savoir si ces flux
financiers pouvaient avoir une influence sur le bon fonctionnement des circuits
financiers légaux, et
s'ils étaient de nature à jouer
un rôle dans les crises financières internationales
.
Les montants en cause ainsi que leur cheminement sont par nature trop mal
connus pour que des études économiques systématiques aient
pu être menées sur ce point. Il est donc très difficile
d'évaluer l'éventuelle part de responsabilité de
l'illégalité financière dans les difficultés
économiques et financières du monde.
Deux constats peuvent néanmoins être établis, qui
permettent de penser que la criminalité financière a sa part dans
les crises financières :
les pays émergents touchés par la crise souffrent en
général d'un niveau de corruption élevé, alors que
les Etats réputés moins corrompus ont traversé la crise
plus facilement,
les investigations du groupe de travail ont nettement établi que
la
transparence
des flux financiers était nécessaire
à une meilleure maîtrise des risques et à une saine
allocation des actifs. Or, les flux criminels, opaques et sans
rationalité économique, perturbent les équilibres.
a) Un niveau élevé de corruption va de pair avec la vulnérabilité aux crises
Selon
l'OCDE, la corruption représenterait un montant annuel de
80 milliards de dollars de commissions illicites.
La mise en perspective des travaux de l'association Transparency
international permet d'établir ce constat, sans toutefois
permettre de déterminer le sens des liens de causalité. Toujours
est-il qu'un bon niveau de développement s'accompagne d'une faible
corruption.
Comparaison des indices de perception de la corruption
1998/1999
entre l'Union européenne et douze pays émergents au coeur des
crises financières de 1997/1998
(source : Transparency International)
1. Indices 1998/1999 des 15 pays de l'Union européenne
Rang 1999 |
Pays |
Score ICP 1999 |
Indice 1998 |
1 |
Danemark |
10,0 |
10,0 |
2 |
Finlande |
9,8 |
9,6 |
3 |
Suède |
9,4 |
9,5 |
8 |
Pays-Bas |
9,0 |
9,0 |
11 |
Luxembourg |
8,8 |
8,7 |
13 |
Royaume-Uni |
8,6 |
8,7 |
14 |
Allemagne |
8,0 |
7,9 |
15 |
Irlande |
7,7 |
8,2 |
17 |
Autriche |
7,6 |
7,5 |
21 |
Portugal |
6,7 |
6,5 |
22 |
France |
6,6 |
6,7 |
|
Espagne |
6,6 |
6,1 |
29 |
Belgique |
5,3 |
5,4 |
36 |
Grèce |
4,9 |
4,9 |
38 |
Italie |
4,7 |
4,6 |
2. Indices 1998/1999 de 12 pays émergents
Rang
|
Pays |
Score ICP 1999 |
Indice 1998 |
19 |
Chili |
6,9 |
6,8 |
28 |
Taiwan |
5,6 |
5,3 |
32 |
Malaisie |
5,1 |
5,3 |
45 |
Brésil |
4,1 |
4,0 |
50 |
Corée du Sud |
3,8 |
4,2 |
58 |
Chine |
3,4 |
3,5 |
58 |
Mexique |
3,4 |
3,3 |
68 |
Thaïlande |
3,2 |
3,0 |
71 |
Argentine |
3,0 |
3,0 |
82 |
Russie |
2,4 |
2,4 |
87 |
Pakistan |
2,2 |
2,7 |
96 |
Indonésie |
1,7 |
2,0 |
L'indice
de perception de la corruption établi par
l'association Transparency international est un sondage
" classant les Etats en fonction du degré selon lequel ils sont
perçus comme étant le lieu où vivent les personnes
susceptibles d'être corrompues - c'est-à-dire les fonctionnaires
qui abusent de leur fonction par intérêt personnel ".
Plus l'indice est bas, et plus le pays est perçu comme
corrompu.
Il convient toutefois de prendre les indications ci-dessus avec beaucoup de
précautions : outre que les indices établis reflètent
des appréciations qualitatives largement invérifiables, il est
également permis de s'interroger sur la nature même
de Transparency international , organisation américaine dont
les préoccupations pourraient être pour une part liées aux
intérêts commerciaux de sa zone d'origine...
b) Les effets pervers des circuits financiers criminels
Bien que
non mesurés faute de statistiques suffisantes, les circuits criminels
ont, du fait de leur opacité, de multiples conséquences
perturbatrices sur les politiques économiques. On peut en énoncer
six :
des changements dans la demande de monnaie sans lien avec les
fondamentaux économiques,
des mouvements erratiques de taux de change et de taux
d'intérêt liés à des transactions financières
importantes entre Etats différents, transactions dont les sous-jacents
sont criminels, et qui ne peuvent être mesurées,
une altération de la solidité et de la
sécurité des actifs financiers, notamment sur le plan juridique,
lorsque leur constitution provient du recyclage de fonds criminels,
des perturbations dans le fonctionnement des finances publiques des
Etats, liées à l'évasion et à la fraude fiscale,
ainsi qu'à l'absence totale de participation aux charges publiques des
fortunes et revenus criminels (la Russie est un exemple du
phénomène),
une certaine insécurité des transactions légales,
dès lors qu'elles peuvent être contaminées par les circuits
illégaux,
des phénomènes de bulles spéculatives sur les
marchés d'actifs lors du réinvestissement massif, pour
blanchiment, de fonds d'origine délinquante.
D'une façon générale, les circuits criminels
échappent, du fait de leur opacité, à la connaissance des
organismes chargés de mener les politiques économiques et
financières, ce qui peut conduire à des erreurs graves de
pilotage. Ils occasionnent aussi de sérieuses pertes d'efficacité
des aides financières légales : dans les pays
émergents et en développement, une grande partie de l'aide
multilatérale subit des fuites dans les circuits de la corruption ou de
trafics en tout genre. Bien qu'on ne puisse mesurer ces effets, on peut
subodorer leur importance croissante.
D. L'AMPLEUR MONDIALE DES CRISES FINANCIÈRES ET ÉCONOMIQUES
1. La crise dans les pays émergents
Depuis l'explosion du système monétaire international tel que défini par la conférence de Bretton Woods, au début des années 70, plusieurs crises financières dont les causes sont différentes ont affecté l'économie mondiale, et, en particulier, les pays émergents : crise de la dette au Mexique et dans les pays d'Amérique latine en 1982, puis en 1994, et enfin, la crise asiatique en 1997-1998. Le nombre des pays en défaillance et en défaut de paiement dans le monde a ainsi considérablement augmenté depuis le début des années quatre-vingt .
a) La crise mexicaine de 1994 et les risques du financement des déficits par des capitaux volatils
La
crise mexicaine de 1994 a souligné
les risques du financement
d'un déficit extérieur élevé par une épargne
instable
. Malgré une situation économique en voie
d'amélioration (accélération de la croissance,
ralentissement de l'inflation, réduction des déficits publics),
le Mexique a vu le déficit de sa balance des paiements courant se
creuser. Or, ce déficit était financé essentiellement par
des flux de capitaux privés à court terme et facilement
réversibles. En 1994, les investisseurs ont considéré que
le taux de change de la devise mexicaine était largement
surévalué, et ont brutalement retiré leurs capitaux. La
crise de financement qui a résulté de ce retrait des capitaux a
été surmontée grâce au flottement de la devise
mexicaine et aux interventions financières massives des Etats-Unis et du
Fonds monétaire international.
La crise mexicaine n'a pas modifié de manière substantielle
l'attitude des investisseurs vis-à-vis des pays émergents
,
les besoins structurels de financement de ces pays étant
généralement largement couvert par des entrées de capitaux
privés de toute nature (investissements de portefeuille, prêts
bancaires à court terme, placements en monnaie locale de
non-résidents notamment).
L'environnement financier
particulièrement favorable et l'abondance de la liquidité
internationale a en effet incité les pays émergents à
financer leur déficit structurel de financement à l'aide
d'émissions obligataires plutôt que de prendre les mesures
économiques nécessaires pour parvenir à
rééquilibrer leur balance des paiements.
Ces pays ont ainsi,
après avoir libéralisé leur taux de change et ouvert leur
marché financier, titrisé une part croissante de leur dette, mais
également de leurs déficits publics, notamment en Amérique
latine, qui constituait la zone la plus endettée.
De nombreux pays émergents qui ne connaissaient pas de déficits
budgétaires ont cependant accueilli des dépôts de
non-résidents pour des montants importants. La couverture excessive des
besoins de financement des pays émergents par des capitaux volatils a
artificiellement gonflé les réserves en devise de ces pays. La
concurrence entre les fonds d'investissement et les fonds de pension pour
obtenir le meilleur rendement les a poussé à investir leur argent
dans des titres des pays émergents, davantage
rémunérés mais également plus risqués que
les titres des pays développés. Or, les placements des
non-résidents sont extrêmement sensibles aux modifications des
anticipations relatives à l'évolution des taux de change.
Flux privés à destination des PED
b) Les causes cachées de la crise asiatique ou l'émergence des fragilités des pays modèles
La crise
asiatique, tant par son ampleur que par sa dimension systémique, a
surpris l'ensemble des économistes, pour qui les pays asiatiques
constituaient, de par leur croissance et leur stabilité sur longue
période, des modèles de développement.
Dans un article célèbre intitulé " The Myth of Asia's
Miracle "
9(
*
)
,
l'économiste Paul Krugman soulignait cependant que la croissance des
pays asiatiques résultait, pour l'essentiel, d'une formidable
accumulation de capital, mais que cette croissance serait inévitablement
limitée par des contraintes structurelles et une diminution des taux de
retour sur investissements, compte tenu des faibles gains de
productivité et de l'insuffisante qualification des personnes.
Cependant, cette analyse ne prédisait qu'un ralentissement de la
croissance, et non le choc subi par les économies asiatiques en
1997-1998.
Les pays asiatiques se caractérisaient avant la crise, par un fort
taux d'épargne, des excédents budgétaires, une politique
monétaire faiblement expansionniste et une inflation relativement faible
et stable, autour de 5 %. Ces pays émergents ne présentaient
donc pas les syndromes de vulnérabilité des économies
d'Amérique latine.
Cependant, ils accueillaient des flux importants
d'obligations, d'investissements de portefeuille et de placements en monnaies
locales. L'endettement des résidents asiatiques auprès des
banques a ainsi cru très rapidement à partir de 1994. En quatre
ans, ce passif a presque doublé, et a atteint 450 milliards de dollars
en 1997, pour des avoirs inférieurs à 280 milliards de dollars,
soit un ratio de couverture apparente de 60 %. La part des crédits
à court terme a atteint 65 % en Asie en 1995, et les entrées
de capitaux étrangers en Thaïlande ont atteint 82 milliards de
dollars entre 1991 et 1996, alors que les besoins de financement ne
s'élevaient qu'à 47 milliards de dollars.
Indicateurs de vulnérabilité financière
La progression des crédits à l'économie relative à
celle du PIB des pays d'Asie fait apparaître des similitudes avec la
situation du Mexique en 1994. Les besoins structurels de financement de ces
économies n'étant que partiellement couverts par des capitaux
stables ou à long terme, le montant de la dette à court terme
dépassait les réserves en devise de ces pays. La
vulnérabilité des économies asiatiques était donc
provoquée par leur propre succès, l'afflux massif de capitaux
provoquant un surinvestissement, en particulier dans le secteur immobilier, et
conduisant à la formation d'une bulle spéculative. Les biens
immobiliers servaient généralement de collatéraux pour les
prêts.
Le gonflement de la bulle immobilière a donc
contribué à entretenir l'endettement du secteur privé. Or,
une partie de la dette du secteur privé a été
contractée en monnaie étrangère et sans utiliser des
instruments de couverture, les emprunteurs considérant l'ancrage du baht
au dollar comme une garantie absolue de stabilité.
La crise asiatique a été déclenchée par les
attaques spéculatives contre la monnaie thaïlandaise, le baht,
forçant le pays à abandonner son ancrage au dollar et à
dévaluer en juillet 1997. Les raisons de ces attaques sont
multiples :
- l'appréciation du dollar a provoqué un ralentissement des
exportations et de la croissance. Les investisseurs ont anticipé une
dévaluation du baht, car ils considéraient que la politique de
change n'était plus soutenable, à terme, compte tenu de ses
conséquences néfastes sur l'économie réelle ;
- la baisse de l'efficacité de l'investissement a
dévoilé l'importance des créances douteuses
détenues par les institutions financières. Au début de
l'année 1997, la révélation du niveau des créances
douteuses de dix institutions financières a accentué les doutes
sur la soutenabilité de la politique de change et a provoqué un
mouvement de reflux des capitaux.
L'analyse des causes de la crise en Asie par l'économiste Paul Krugman
souligne que la crise monétaire en Asie est une conséquence et
non une cause de la situation financière des économies
asiatiques, et insiste sur le rôle des intermédiaires financiers
(en particulier, le rôle des compagnies financières en
Thaïlande) et de la bulle spéculative qui s'est
développée dans ces pays. Les intermédiaires financiers
empruntaient en effet des sommes importantes en devises
étrangères, notamment en dollars, qui étaient ensuite
prêtées à des fins d'investissements spéculatifs.
Ces institutions bénéficiaient généralement d'une
garantie implicite de l'Etat, bien que n'étant que très peu
encadrées dans leur politique de prêt. Ce système a permis
une croissance considérable du prix des actifs financiers, ainsi que du
prix du foncier. La politique non sélective du crédit
menée par les institutions financières a donc engendré une
bulle spéculative et une détérioration de la
qualité des investissements, entretenus par la pérennité
apparente de la politique de " crédit facile ".
Lors de son audition par le groupe de travail, le 19 mai 1999,
M. José-Luis Daza
10(
*
)
a insisté également sur
la dimension micro-économique de la crise en Asie, liée au
surendettement des acteurs privés et aux surcapacités de
production, alors que l'Etat lui-même se trouvait dans une situation
financière saine.
Le dégonflement de la bulle spéculative a
révélé la situation financière réelle des
institutions et des banques. La crise monétaire apparaît donc
clairement comme une conséquence du dégonflement de cette bulle
spéculative, et non des politiques macro-économiques conduites
par les gouvernements asiatiques.
c) La diffusion de la crise en Asie.
La
diffusion de la crise thaïlandaise vers les autres pays d'Asie est
liée au retournement des anticipations des investisseurs.
Le
décrochage du baht par rapport au dollar a en effet jeté un doute
sur la viabilité des régimes de change dans la région, la
plupart des pays ayant lié leur monnaie au dollar.
La dépréciation du baht renforçait la
compétitivité-prix des exportations thaïlandaises
relativement à celles des pays dont la monnaie était liée
au dollar. Cependant, il est relativement peu probable que l'anticipation d'une
réaction en chaîne de dévaluations compétitives dans
l'ensemble de la région, puisse expliquer la diffusion de la crise dans
les pays voisins de la Thaïlande. En effet, la relative faiblesse de
l'intégration régionale des économies asiatiques,
conjuguée à une concurrence limitée sur les marchés
extérieurs, réduisent d'autant la puissance explicative de cette
hypothèse. En revanche, les économies voisines de la
Thaïlande étaient perçues comme possédant des
faiblesses analogues à elle, entraînant une
réévaluation des risques et un désengagement de la part
des investisseurs, qui ont subitement révisé leur jugement sur le
" modèle asiatique de développement ".
Contrairement à la plupart des crises précédentes, la
crise asiatique ne résulte pas d'un choc d'offre ou de demande, mais
d'une défiance des investisseurs vis-à-vis de la
soutenabilité de la politique d'ancrage des monnaies au dollar.
L'ensemble des monnaies de pays asiatiques ont fait l'objet d'attaques
spéculatives, contraignant la plupart des pays de la région, dont
les taux de change étaient liés au dollar qui
s'appréciait, à abandonner ce lien et à dévaluer
leur monnaie.
M. Christian de Boissieu décrit les crises financières
récentes comme résultant d'une combinaison d'un taux de change
rigide et surévalué et d'une dette extérieure à
court terme importante. La perte de confiance des investisseurs dans la monnaie
locale entraîne alors des ventes massives et simultanées de
titres, des mécanismes de mimétisme et d'" anticipations
autoréalisatrices ". Le fait que les gestionnaires des fonds
d'investissement sont jugés sur leurs performances relatives provoque en
effet des comportements de mimétisme qui amplifient de manière
considérable les fluctuations des marchés financiers.
L'ancien directeur général du Fonds monétaire
international, Michel Camdessus, a indiqué que la crise asiatique
marquait la fin de la distinction entre les pays systémiques,
susceptibles d'exporter chez leurs voisins leurs déséquilibres
macro-économiques, et les pays non-systémiques. En effet,
rappelle-t-il, "
qui aurait osé penser en 1997 que la
Thaïlande était un pays systémique ?
".
La contagion rapide de la crise est liée à un effet de panique
propagé par la très grande mobilité des capitaux, les
investisseurs considérant que la dépréciation des actifs
était inévitable dans l'ensemble de la zone asiatique, et non
à un mécanisme classique de transmission de la crise par les
canaux du crédit ou de l'économie réelle. Cette
explication permet de comprendre les raisons de la surprise qui a
accompagné l'effondrement des économies asiatiques, puisque les
fondamentaux économiques des pays de la région ne faisaient pas
apparaître de déséquilibres significatifs. Lors de son
audition par le groupe de travail, le 19 mai 1999
11(
*
)
, M. José-Luis Daza a
estimé que la contagion de la crise asiatique a été
provoquée par les similarités de situation qui sont
observées par les marchés financiers.
d) La contagion de la crise : un effet de panique plutôt qu'un effet de domino.
Si les
banques ont été les principaux acteurs du déclenchement de
la crise en Thaïlande et en Asie, les investisseurs institutionnels ont
joué un rôle déterminant dans la propagation de celle-ci,
en reportant leur défiance sur les pays d'Amérique latine et la
Russie.
Lors de son audition par le groupe de travail le 21 avril 1999,
M. Jean-Pierre Landau a expliqué ce phénomène par
l'effet de levier des contrats financiers et par le sentiment de panique qui a
sévi sur les marchés. Le développement de la crise vers la
Russie et le Brésil serait essentiellement lié à
l'aversion au risque des marchés, provoquée par la crise en Asie
et la crise brésilienne serait directement liée à la crise
russe, les opérateurs financiers prenant acte de la similitude des
situations financières entre les deux pays.
Comme les pays d'Asie et malgré des faiblesses économiques et
financières importantes et largement connues, la Russie a
continué à attirer les financements internationaux
(crédits bancaires et émissions d'obligations notamment),
pratiquement jusqu'au déclenchement de la crise financière en
août 1998. L'absence de maîtrise des finances publiques,
l'accélération des émissions d'emprunts publics à
court terme, la chute des cours des matières premières et
l'appréciation du taux de change réel ont fait douter de la
capacité de la Russie à assurer le service de sa dette à
compter de la fin de l'année 1997. Afin de sauvegarder la
stabilité du rouble, les taux d'intérêt se sont
considérablement élevés, de sorte que le service de la
dette publique absorbait près de la moitié des recettes
budgétaires. Face à l'aggravation des problèmes de
financement, le gouvernement russe a décidé de laisser flotter le
rouble et annoncé un moratoire sur le service de la dette
intérieure et sur le remboursement des dettes des entreprises et des
banques envers les créanciers étrangers. Ces décisions ont
déclenché une réaction particulièrement violente
des marchés financiers, la crise montrant, pour la première fois
depuis le début des années quatre-vingt dix, la
possibilité d'un défaut sur des obligations d'Etat.
Par conséquent,
le milieu de l'année 1998 est
caractérisé par une très forte aversion pour le risque de
la part des investisseurs, et une crise de confiance
généralisée envers les économies
émergentes
. Au début du mois d'octobre 1998, la hausse des
marges sur les obligations de la plupart des pays émergents d'Asie et
d'Amérique latine rendait très difficile l'émission de
titres pour ces pays.
Malgré une détérioration des déficits public et
commercial de la plupart des pays, l'Amérique latine avait
continué à attirer des flux de capitaux importants après
le déclenchement de la crise asiatique. Or, la crise de confiance du
milieu de 1998 a provoqué un quasi-tarissement des financements
extérieurs.
La cessation de paiements de la Russie a eu un impact important sur le
Brésil, provoquant notamment des ventes massives d'obligations
internationales émises par ce pays, et une fuite des capitaux vers la
qualité. Au début de l'année 1999, le gouvernement
brésilien a été contraint d'abandonner le régime de
change fixe en vigueur depuis 1994.
L'analyse de la crise asiatique met en valeur les insuffisances de la
régulation bancaire, et souligne les effets déstabilisateurs de
la mobilité des capitaux, en particulier lorsque les institutions
financières locales ne sont pas réglementées de
manière appropriée. Elle souligne également
l'insoutenabilité des régimes de change fixes en présence
d'un déficit budgétaire ou extérieur
élevé.
En effet, l'élévation des taux
d'intérêt nécessaire pour soutenir la monnaie nationale
encourage les résidents à emprunter en devise sans se couvrir, et
les non-résidents, à acheter des actifs en monnaie nationale. La
crise asiatique souligne donc qu'un pays ne peut soutenir à long terme
un déficit du compte courant, même lorsque ce déficit
finance l'investissement du secteur privé et non la consommation ou les
dépenses publiques.
2. Les effets de la crise sur les pays en voie de développement
La crise
a touché de façon différenciée les pays en voie de
développement selon les deux canaux de transmission que constituent les
flux d'échanges et les flux financiers.
De ce point de vue, la situation des pays asiatiques et celles des autres pays
en développement, particulièrement les pays d'Afrique, est
très différente. La très forte dépendance des pays
asiatiques aux capitaux internationaux et leur meilleure insertion dans le
commerce international les a fait ressentir très brusquement et
très durement cette crise. Les pays d'Afrique en ont quant à eux
souffert de manière plus diffuse et risquent ainsi d'en devenir les
victimes finales quand les pays d'Asie seront revenus sur le chemin de la
croissance.
L'Inde a-t-elle été préservée de la crise par sa faible insertion dans les échanges internationaux de capitaux ?
La
libéralisation du système financier a été plus
mesurée en Inde que dans la plupart des pays d'Asie du sud-est, comme en
Chine d'ailleurs. En conséquence, l'Inde n'a pas été
directement touchée par les fluctuations monétaires et
financières qui ont secoué la région à partir de
l'été 1997. Le maintien d'un contrôle étatique sur
le financement de l'économie, ses réserves de change et la
non-convertibilité de sa monnaie la préservent en effet des
déstabilisations induites par des mouvements de capitaux importants.
Cependant, le financement de l'économie indienne laisse une place de
plus en plus importante aux apports de capitaux étrangers, et les
bourses de Bombay et Delhi sont largement plus importantes que la plupart des
bourses d'Asie, avec un chiffre d'affaire commun de 12 milliards de
dollars pour le mois de juin 1998 et une capitalisation de 206 milliards
de dollars à cette même période. A la fin de mars 1998, le
stock d'investissements de portefeuille est de 15 milliards de dollars.
Les réserves en devises de l'Inde devraient néanmoins lui
permettre de faire face à la volatilité croissante des capitaux.
La faible ouverture de l'économie indienne sur l'extérieur, les
exportations ne représentant que 9 % du PIB, a préservé le
pays de la contagion de la crise. Le commerce avec les pays touchés est
relativement faible, et les entreprises indiennes ne sont que très
faiblement en concurrence avec les pays asiatiques sur les marchés
d'exportation. Les débouchés pour l'industrie indienne sont donc
peu menacés par l'accroissement de compétitivité des
exportations des pays du sud-est asiatique résultant des
dévaluations de leurs monnaies nationales.
La crise asiatique a toutefois contribué à aggraver le
déficit commercial de l'Inde. La roupie s'est
dépréciée à partir du mois d'août 1997, en
partie pour compenser la hausse de l'inflation, mais également pour
prendre en compte le désavantage compétitif dû aux
dévaluations des monnaies des pays du sud-est asiatique. Le
relèvement des tarifs douaniers en 1998-1999 participe de ce même
objectif.
La stratégie indienne d'appel à l'épargne
extérieure ne permet pas encore d'accroître suffisamment
l'investissement pour atteindre les objectifs de croissance annoncés
pour le IX
ème
Plan, soit une moyenne de 7 % par an.
Mais un recours accru aux capitaux extérieurs exige au préalable
un assainissement des finances publiques en Inde.
Les mouvements de capitaux continuent de faire l'objet d'une
réglementation restrictive, et les sorties de capitaux des
résidents doivent faire l'objet d'une autorisation de la Banque
Centrale. Du point de vue indien, l'appel à l'épargne
extérieure n'est bénéfique que si les capitaux sont
stables et orientés vers les secteurs définis comme prioritaires
par les pouvoirs publics. Les investissements doivent être
effectués par des investisseurs institutionnels agréés par
la Banque Centrale. L'analyse de la crise asiatique pousse les autorités
indiennes à renforcer la politique sélective du crédit,
afin de répartir l'investissement de manière
équilibrée selon les secteurs et de limiter les investissements
spéculatifs.
Malgré les protections dont l'Inde dispose pour ne pas subir la
contagion de la crise asiatique, son déficit courant risque d'engendrer
une crise de confiance à laquelle elle ne pourrait que difficilement
résister.
L'Inde a dû faire appel à l'épargne des Indiens
non-résidents pour financer son déficit courant, compte tenu de
la restriction de l'accès au crédit bancaire international et de
l'élévation des primes de risques sur les taux
d'intérêt consécutifs à la crise asiatique. Certes,
la dette indienne ne s'élève qu'à 28 % du PIB et le
service de la dette absorbe moins de 28 % des recettes d'exportation,
tandis que la dette à court terme reste relativement faible et
préserve l'Inde des risques de liquidité. Toutefois, le niveau
élevé des taux d'intérêt provoqué par
l'importance des déficits publics comporte un risque de
spéculation sur les instruments de gestion de la dette, et donc de
déstabilisation du pays si une crise de confiance se présentait.
Les protections tarifaires et réglementaires réduisent l'impact
de la crise, mais favorisent un ralentissement et une prudence accrue dans la
mise en oeuvre des réformes économiques. La réaction des
investisseurs étrangers à l'égard d'une pause du processus
de libéralisation pourrait fragiliser la situation financière
indienne.
L'Inde est confrontée à l'importance de ses déficits
internes et externes, et doit s'efforcer de stimuler la croissance sans
engendrer de déséquilibres trop importants. Elle doit
également contenir les pressions inflationnistes liées aux
tensions sur le marché des biens et services.
Enfin, le coût du conflit récemment rouvert avec le Pakistan
entraîne une dépréciation de la roupie, un ralentissement
de certaines activités générant des devises, telles le
tourisme et le transport aérien, et pèse sur le budget de l'Etat.
L'incertitude liée à cette situation fait peser un risque de
déstabilisation de l'économie indienne dont les fondements
demeurent fragiles. Le pays a moins souffert de la crise financière que
les autres pays d'Asie, mais pourrait difficilement supporter une crise de
confiance étant donné l'importance de ses besoins de financement.
Source : " L'Inde en mouvement : une chance à saisir
pour la France ", rapport d'information de M. Jacques Chaumont,
sénateur, au nom de la commission des finances, n°476, 1998-1999,
pages 26-28.
En termes de croissance économique, selon la Banque africaine de
développement, l'Afrique aurait perdu 1,2 point de croissance entre 1997
et 1998 (soit l'équivalent de la perte de 2 milliards de dollars
d'investissements directs). En décembre 1998, le FMI estimait la
croissance 1998 du continent africain à 3,8 % soit un point de moins que
la prévision de janvier 1998. Les pays dépendants des
exportations ont le plus fortement ressenti ces conséquences, même
si des situations locales favorables peuvent laisser apparaître une
situation plutôt positive au Maroc (bonne récolte), en Côte
d'Ivoire et au Cameroun (conséquences de la dévaluation du franc
CFA et de l'appréciation du dollar en 1997).
Effets de la crise sur la croissance en Afrique (en %)
|
Prévision pour 1998 avant la crise (août 1996) |
Prévision pour 1998 après la crise (4 ème trimestre 1998) |
Impact |
Algérie |
5,3 |
1 |
- 4,3 |
Cameroun |
3,7 |
4,9 |
1,2 |
Côte d'Ivoire |
5 |
6,7 |
1,7 |
Egypte |
4,5 |
5 |
0,5 |
Gabon |
3 |
0,55 |
- 2,45 |
Ghana |
4,8 |
2,95 |
- 1,85 |
Kenya |
4,3 |
1,5 |
- 2,8 |
Maroc |
6 |
7,5 |
1,5 |
Nigeria |
3,9 |
2,2 |
- 1,7 |
Afrique du Sud |
3 |
0,8 |
- 2,2 |
Tunisie |
6,5 |
5,2 |
- 1,3 |
Zambie |
3 |
0,6 |
- 2,4 |
Zimbabwe |
5,5 |
2 |
- 3,5 |
Afrique |
4,5 |
3,3 |
- 1,2 |
Source : Banque africaine de développement
Au-delà de ces effets statistiques, il paraît important
d'étudier les modes de diffusion de la crise de l'Asie vers l'Afrique,
qui en révèlent les aspects les plus durables.
L'Afrique au bord du chemin
Alors
que l'Asie a renoué avec les taux de croissance du passé,
l'Afrique, notamment subsaharienne, toujours tributaire des exportations de
matières premières, secouée par des
événements meurtriers, handicapée par le niveau
élevé de sa dette n'a connu qu'une croissance économique
de 2,3 % en 1999, inférieure à la croissance
démographique, avec pour conséquence la diminution du revenu
moyen par habitant (-0,3 %). Près de la moitié de sa population
vit en état de pauvreté contre 15 % dans le monde entier. Les
investissements en Afrique n'ont pas cessé de chuter depuis dix ans. La
part du continent dans le commerce mondial est passée de 1,5 % en 1990
à 0,6 % en 1998.
Ce phénomène s'ajoute à celui plus général
de creusement des inégalités dans le monde. La
X
ème
Cnuced réunie à Bangkok a constaté
que les 48 pays les moins avancés représentaient en 1997, dans le
monde, 13 % de la population, 0,6 % des importations et 0,4 % des exportations.
Ils n'étaient que 25 Etats à être classés parmi les
pays les moins avancés en 1971. L'écart entre les pays les plus
riches et les plus pauvres est passé de 1 à 3 en 1820, à 1
à 11 en 1913, 1 à 35 en 1950, 1 à 44 en 1973, 1 à
72 en 1992 et 1 à 127 en 2000. Trois milliards de personne vivent
aujourd'hui avec moins de deux dollars par jour. La dette des pays en voie de
développement est passée de 1.500 milliards de dollars en 1990
à 2.300 milliards de dollars en 2000.
Sources : Cnuced,
Newsweek
,
Jeune Afrique
Pour les pays d'Afrique, la crise asiatique a eu pour conséquences
immédiates d'une part une très forte dépréciation
des monnaies, se traduisant par une augmentation du prix des produits
exportés en Asie, d'autre part, une contraction très forte de
leur demande intérieure et une baisse du volume de ces exportations vers
cette zone. Comme l'explique la Banque africaine de
développement
12(
*
)
,
" en conséquence, les exportations de l'Afrique vers l'Asie, qui
représentaient 13 % du total des exportations africaines en 1996 (et
dont 4 % étaient destinés au Japon) ont
décliné. "
Les produits les plus affectés furent
les matières premières minérales, les produits
alimentaires, le tabac et les boissons. L'Afrique australe et l'Afrique du
Nord, qui constituent les deux tiers des exportations africaines en direction
de l'Asie, furent les plus touchés, ainsi que les producteurs de
pétrole qui avaient pour clients des pays asiatiques.
Par ailleurs, l'Asie a amélioré sa compétitivité
prix, venant renforcer une tendance déjà en oeuvre s'agissant de
la part de marché de l'Asie sur les marchés internationaux de
certaines matières premières. Or la concurrence était
déjà sévère et avait déjà
touché fortement l'Afrique qui avait perdu des parts de marché
sur tous les produits de base en 20 ans :
Parts sur les marchés internationaux d'exportation (en %)
|
Afrique |
Asie |
||||
|
1970 |
1993 |
Variation |
1970 |
1993 |
Variation |
Cacao |
80,3 |
60,1 |
- 20,2 |
0,4 |
20 |
+ 19,6 |
Café |
24,6 |
14,3 |
- 10,3 |
4,9 |
10,9 |
+ 6 |
Caoutchouc |
7,4 |
5,6 |
- 1,8 |
89,1 |
90,8 |
+ 1,7 |
Bois d'oeuvre |
13,4 |
7,3 |
- 6,1 |
43,3 |
52,5 |
+ 9,2 |
Coton |
30,7 |
17,2 |
- 13,5 |
16,6 |
35,6 |
+ 19 |
Source : Banque africaine de développement
Ainsi, l'Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande devraient tirer
profit des aléas monétaires tandis que la Côte d'Ivoire
perdra encore plus pied sur le marché du cacao, ou le Cameroun sur celui
du bois d'oeuvre, ou encore le Kenya sur celui du thé. Il paraît
au total peu probable que la baisse des prix des importations en provenance
d'Asie compense les conséquences négatives de la crise sur les
exportations africaines.
Par ailleurs, la crise asiatique a accentué un mouvement,
déjà amorcé, de baisse des cours des produits de base. Le
baril de pétrole est ainsi passé de 18,8 dollars en 1997 à
12,7 dollars en septembre 1998. L'Algérie et le Nigeria ont durement
ressenti cette chute des cours. Il en va de même pour l'or (qui a
touché l'Afrique du Sud), le cuivre (33 % de baisse des cours en six
mois, qui a frappé de plein fouet la Zambie, directement par les cours
et la baisse de la demande, indirectement en remettant en cause le programme de
privatisation des mines), le bois d'oeuvre, le caoutchouc (baisse des prix de
37 % en un an), le café, le thé, le cacao.
S'agissant des flux financiers, l'impact de la crise a été plus
diffus mais pas moins lourd pour les pays africains en voie de
développement. Les investissements directs les plus concernés
sont concentrés dans les secteurs liés aux matières
premières. La diminution de la demande mondiale de ces produits a
affecté la rentabilité des investissements réalisés
dans ces domaines et a conduit les grandes entreprises à revoir leurs
projets.
L'accès aux marchés financiers a été
également rendu plus délicat par la crise asiatique. Le
différentiel de taux s'est creusé et il est devenu difficile de
recourir aux marchés internationaux de capitaux pour financer les
déficits de balances des paiements. De ce point de vue, l'appartenance
à la zone franc a constitué une protection très efficace
pour ses membres. En réalité, cet effet financier a
essentiellement touché les pays intermédiaires, ceux qui avaient
couramment recours aux emprunts internationaux, comme l'Egypte, le Maroc,
l'Afrique du Sud, ou la Tunisie.
En définitive, l'impact de la crise sur les pays en voie de
développement, singulièrement africains, a probablement
été sous-estimé à l'origine en raison de leur
relativement faible insertion dans les échanges internationaux. Cela
était sans compter d'une part sur l'importance que représentent
ces échanges pour l'économie de ces pays, et d'autre part sur les
effets d'éviction (notamment par les taux, mais aussi par la
rentabilité et l'apparence du risque) que la crise a provoqués
sur les marchés financiers. Loin d'être préservés
par leur pauvreté, les pays les moins développés ont
souffert en perdant ou en voyant s'affaiblir leurs sources de financement. Ceci
justifie fortement que se mette en oeuvre la solidarité internationale
à leur égard, notamment en agissant sur le levier de la dette
publique.
Les crises bancaires et monétaires cassent le développement
" Bien qu'il soit généralement admis que
les
pays en développement ont grandement profité de l'afflux
d'investissements étrangers directs, la politique (ou l'absence de
politique) à l'égard des investissements étrangers de
portefeuille et des emprunts extérieurs à court terme est de loi
l'aspect le plus controversé de la libéralisation des
opérations en capital. L'instabilité des marchés
financiers et monétaires observée à la fin des
années 90 est étroitement liée à ces flux de
capitaux. Les pays dont la dette à court terme est très
importante sont à la merci des brusques revirements des investisseurs.
La réorientation massive des flux de capitaux qui en résulte a
souvent des effets désastreux sur les systèmes
financières, même les plus solides. Les crises économiques
provoquées par ces fluctuations ont coûté fort cher aux
pays concernés - touchant non seulement les emprunteurs, mais aussi
l'ensemble de la société. Elles ont entraîné une
flambée du chômage et une baisse des salaires de 25 % ou
plus. Des petites entreprises modérément endettées se sont
trouvées privées d'accès au crédit ou
confrontées à des taux d'intérêt exorbitants. Les
faillites se sont multipliées, contribuant au chaos économique et
à la destruction d'un capital de savoir et d'organisation qui ne pourra
être reconstitué avant longtemps. (...)
L'expérience des 20 dernières années ne laisse subsister
aucun doute quant au coût des crises bancaires globales. Entre 1977 et
1995, 69 pays ont été confrontés à une crise
bancaire si grave que leurs banques ont perdu la quasi-totalité de leur
capital. Leur recapitalisation a coûté fort cher à l'Etat,
engloutissant environ 10 % du PIB en Malaisie (1985-88) et 20 % au
Venezuela (1994-99). Ces crises peuvent freiner la croissance économique
pendant des années. Comme l'ont montré clairement la crise
mexicaine en 1994 et la crise asiatique en 1997-98, les crises bancaires et
monétaires vont souvent de pair.
La libéralisation des opérations en capital influe aussi sur la
stabilité du système financier en raison de la volatilité
des investissements de portefeuille. En Amérique latine, les capitaux
étrangers ont été très fluctuants. En 1993, les
entrées nettes s'élevaient à 60 milliards de dollars
mais, au lendemain de la crise mexicaine en 1995, les sorties nettes ont
atteint 7,5 milliards de dollars. L'accès à une masse
croissante de capitaux internationaux peut engendrer une plus grande
instabilité sur les marchés financiers émergents, qui sont
aussi plus vulnérables aux revirements des investisseurs
institutionnels. (...)
La hausse des taux dans les pays industriels accroît le risque de crise
bancaire dans les pays en développement et les pays en transition, pour
trois raisons. D'abord, pour retenir les investisseurs qui peuvent
désormais obtenir des rendements plus élevés chez eux, les
banques des pays en développement doivent relever leurs taux. (...).
Ensuite, comme les entreprises des pays en développement sont nombreuses
à emprunter à l'étranger, la hausse des taux
d'intérêt dans les pays industriels provoque un choc
macro-économique collectif, mettant les entreprises dans
l'impossibilité de rembourser les prêts consentis par les banques
nationales et étrangères. Les bilans se détériorent
encore plus si la hausse des taux d'intérêt dans les pays
industriels entraîne la dépréciation de la monnaie des pays
en développement, ce qui a pour effet d'accroître le coût du
remboursement des emprunts en devises. Enfin, les attaques spéculatives
peuvent sérieusement compromettre la stabilité du système
bancaire d'un pays en développement. (...)
La crainte d'une attaque spéculative contre les banques ou la monnaie
peut provoquer d'elle-même un mouvement de panique, déclenchant
une crise macro-économique artificielle. (...)
Les deux crises financières récentes en Asie de l'Est et en
Amérique latine donnent à penser que la proximité
géographique est un important facteur de contagion. La
" similarité institutionnelle ", c'est-à-dire les
analogies entre systèmes juridique et réglementaire, et
l'exposition aux mêmes chocs peuvent également être des
facteurs importants. Les pays ont donc intérêt à veiller
à ce que le système financier et la politique
macro-économique de leurs voisins n'augmentent pas le risque de crise
financière et de contagion. Les retombées possibles
par-delà les frontières sont une raison impérieuse de
renforcer la coopération et la coordination régionales dans le
domaine macro-économique et dans celui de l'établissement et de
l'application des normes et des règlements bancaires.
Des comparaisons internationales récentes montrent que le contrôle
des mouvements de capitaux a peu d'effet sur la croissance économique.
Cette observation signifie sans doute que les avantages de l'accès
à la masse des capitaux circulant dans le monde - notamment la
possibilité d'augmenter les investissements ou de diversifier les
risques - sont neutralisés par le coût des crises
provoquées par la libéralisation du système financier.
Bien qu'il faille toujours interpréter avec prudence les comparaisons
d'un pays à l'autre, celles-ci mettent bien en évidence la
différence entre les effets sur la croissance économique de la
libéralisation des échanges et de la libéralisation des
opérations en capital. De multiples études sur la
libéralisation des échanges concluent toutes aux nombreux
avantages de cette politique, mais les travaux empiriques sur la
libéralisation des opérations conduisent à un constat
beaucoup plus nuancé. La difficulté est donc d'élaborer
des politiques et un cadre institutionnel suffisamment attrayants pour attirer
des investissements susceptibles de stimuler la croissance, tout en
réduisant le risque de crise financière grave. "
Source : Banque mondiale,
Rapport sur le développement dans le
monde 1999-2000
, éditions Eska / Banque mondiale, Paris, 2000, pages
78 et 79.
3. Des effets asymétriques entre les pays développés
Si les
crises financières récentes ont entraîné des effets
asymétriques entre les pays en développement et les pays
développés, une caractéristique identique doit être
relevée quant aux effets de ces crises sur cette dernière
catégorie de pays.
Si l'Europe et le Japon ont été sérieusement atteints,
les Etats-Unis ont peu souffert de la crise et semblent même en avoir
tiré certains bénéfices.
Cette analyse se vérifie d'abord sous un angle purement
macro-économique.
La contraction du commerce mondial qui est
intervenue après le déclenchement de la crise est principalement
venue de la réduction de la demande exprimée par les pays
asiatiques en crise et par certaines économies d'Europe centrale et
orientale. Dans sa composante asiatique, elle a touché de plein fouet le
Japon et cet effet, sensible pour l'Europe, a été encore
accentué pour elle par la composante européenne de la crise. Si
la France a été relativement épargnée du fait de la
composition sectorielle de son économie, l'exposant relativement peu
à la chute des exportations industrielles par laquelle s'est
principalement traduite la réduction des importations des pays en crise,
il n'en est pas allé de même pour l'Italie et l'Allemagne qui ont
été tout particulièrement concernés.
Quant aux Etats-Unis, si la crise du commerce international a pu
dégrader encore leurs déséquilibres extérieurs, la
sensibilité de l'activité économique américaine
à la demande étrangère n'y est pas telle que ce
phénomène ait pu sérieusement affecter une croissance
soutenue par une forte demande interne. Il faut ajouter que les Etats-Unis
jouissent toujours du privilège de financer leur croissance grâce
à l'épargne mondiale, privilège que les crises ont encore
accentué.
Car c'est également sur le plan des enchaînements
macrofinanciers que les effets des crises récentes se sont
révélés asymétriques.
L'atténuation du
rythme de la croissance mondiale, la réallocation des flux financiers
vers les supports les plus crédibles ( le fameux
fly to
quality
) ont favorisé d'une part une détente des taux
d'intérêt, d'autre part le financement de la croissance des pays
occidentaux. Ces effets n'ont pas été négligeables pour
l'Europe mais ont principalement bénéficié aux Etats-Unis
en soulageant l'économie américaine du poids de primes que sa
situation fortement débitrice et les perspectives incertaines du dollar
auraient pu lui valoir
13(
*
)
.
Ces enchaînements macrofinanciers dissemblables ont été
confortés et amplifiés par des réalités
microfinancières nuancées qu'il convient maintenant
d'expliquer.
L'ensemble des banques des pays développés ont augmenté
considérablement leurs engagements en Asie jusqu'à la fin de
l'année 1996. Puis ces engagements se sont réduits à
partir de l'année 1997.
Evolution des créances bancaires internationales des pays développés sur l'Asie entre 1994 et 1998
(en milliards de $)
Total
(pays développés)
Source : Rexecode à partir de données de la BRI
Cependant, le niveau des engagements des banques occidentales sur l'Asie et leur évolution au cours de cette période ont été très contrastés selon l'origine géographique des établissements bancaires. Les graphiques ci-après, réalisés à partir des données de la Banque des règlements internationaux, illustrent des réalités financières profondément disparates.
Banques américaines
Source : Rexecode à partir de données de la BRI
Banques européennes
Source : Rexecode à partir de données de la BRI
Banques japonaises
Source : Rexecode à partir de données de la BRI
* 18
pays : Etats-Unis, Canada, Japon, Norvège, Suisse, UE (hors
Portugal et Grèce) ; 1
er
trimestre 1998.
Il apparaît d'abord que les niveaux de départ des engagements
respectifs des banques américaines, européennes et japonaises en
Asie étaient inégaux. En 1994, les banques américaines ne
portaient que 11,8 % du total des engagements bancaires en Asie, les
banques japonaises et européennes représentant donc, à peu
près moitié-moitié, l'essentiel des engagements bancaires
des pays développés dans la zone.
Cette inégale exposition s'est renforcée au cous des
années suivantes. Les banques américaines n'ont que peu
augmenté leurs engagements en Asie jusqu'à la crise. Les banques
japonaises ont développé leurs engagements plus substantiellement
mais sensiblement moins que les banques européennes. A mi-97, les
engagements des différents intermédiaires se
répartissaient ainsi par origine nationale.
Répartition des engagements bancaires des pays développés en Asie par origine mi-97
(En %)
Banques américaines |
Banques japonaises |
Banques européennes |
10,4 |
36,2 |
53,4 |
Ces
évolutions disparates ne peuvent être entièrement
élucidées. Le marasme économique en Europe et
le
credit crunch
observé au cours de la période
ont sans doute entretenu une orientation des banques européennes vers
l'Asie qui apparaît comme la région la plus dynamique. Il est
possible que les difficultés économiques du Japon n'aient pas
produit les mêmes comportements chez des banques japonaises alors en
grande difficulté. Enfin, le dynamisme d'une économie
américaine très autocentrée a probablement polarisé
le secteur bancaire américain sur sa propre économie. Pourtant
ces explications ne peuvent être considérées comme en
excluant d'autres plus étroitement en rapport avec les conditions
mêmes dans lesquelles les établissements bancaires ont
été gérés de part et d'autre.
Il est permis d'évoquer de ce point de vue des degrés variables
de réactivité aux risques.
Cette hypothèse que l'inégale exposition des banques sous revue
aux risques asiatiques tend à valider
ex-post
se
nourrit surtout du constat d'un désengagement plus précoce des
banques américaines et japonaises, à la veille de la crise
asiatique, tandis que les banques européennes ont plus tardé
à réagir.
Le tableau ci-dessous témoigne de cette situation à fin juin 1998.
Créances bancaires internationales des pays
développés
(a)
sur le reste du monde
Montant en milliards de dollars
(fin juin 1998)
Nationalité de la banque
Créances sur : |
E-Unis |
Japon |
R.Uni |
Allemagne |
France |
Italie |
Espagne |
Zone euro (hors Portugal) |
Total Pays développés |
RESTE DU MONDE (b) |
125,5 |
142,7 |
96,7 |
194,0 |
116,4 |
43,8 |
50,3 |
528,5 |
1119,5 |
Autres pays développés (c) |
16,2 |
19,8 |
23,9 |
38,7 |
17,1 |
7,2 |
8,2 |
95,3 |
216,4 |
Europe de l'Est
|
12,4
|
4,1
|
3,9
|
52,5
|
11,1
|
6,4
|
0,9
|
92,4
|
133,4
|
Amérique latine |
64,2 |
14,8 |
23,1 |
39,5 |
25,1 |
14,3 |
36,6 |
140,7 |
295,7 |
dont
Mexique
|
16,7
|
4,4
|
5,7
|
6,1
|
6,1
|
2,1
|
6,0
|
24,8
|
62,9
|
Moyen Orient |
5,3 |
3,0 |
6,5 |
11,6 |
7,0 |
2,5 |
0,4 |
25,7 |
57,3 |
Afrique |
4,8 |
2,3 |
3,9 |
9,4 |
18,7 |
2,9 |
1,4 |
39,4 |
58,3 |
Asie
|
22,6
|
98,5
|
30,2
|
42,2
|
35,4
|
4,2
|
1,9
|
120,5
|
324,8
|
Institutions internationales |
0,0 |
0,0 |
5,0 |
0,0 |
0,0 |
6,4 |
0,7 |
9,5 |
20,8 |
Autres |
0,0 |
0,0 |
0,4 |
0,0 |
1,9 |
0,0 |
0,1 |
5,0 |
12,7 |
a) La
BRI retient 18 pays :Etats-Unis, Canada, Japon, Norvège, Suisse et
l'Union européenne (moins le Portugal et la Grèce)
b) Ce total ne prend pas en compte les 18 pays retenus par la BRI, ni les
centres bancaires
offshore
c) Principalement Australie, Grèce, Nouvelle-Zélande,
Portugal, Turquie.
Source : Rexecode
Un engagement bien supérieur des banques européennes et une plus
grande hésitation à réagir ont constitué un couple
de facteurs à partir duquel les banques européennes ont davantage
souffert des crises que leurs concurrentes américaines et même
japonaises.
Selon toutes vraisemblances, les créanciers européens ont
également moins profité des corrections d'actifs auxquelles ont
donné lieu les plus récentes crises.