CHAPITRE II
PERSPECTIVES MACROÉCONOMIQUES À MOYEN
TERME
POUR L'ÉCONOMIE FRANÇAISE
L'Observatoire français des conjonctures
économiques
(OFCE) a réalisé pour la Délégation pour la
Planification, une projection de l'économie française à
l'horizon 2004, à l'aide de son modèle MOSAÏQUE. Cet
exercice est présenté de manière détaillée
dans l'
Annexe n° 1
(page 77).
Les résultats les plus significatifs sont
commentés
dans
la
première partie
de ce chapitre.
En outre, d'importants développements sont consacrés dans la
deuxième partie
à la mise en oeuvre des
35 heures
: les experts de l'OFCE ont en effet tenté
d'en simuler les effets à moyen terme, exercice qui permet de mettre en
lumière les
fortes incertitudes
attachées à cette
mesure.
Enfin, dans le but de baliser autant que possible les cheminements de
l'économie française pour les prochaines années, d'autres
travaux d'exploration du moyen terme, réalisés par l'INSEE, le
Bureau d'Informations et de Prévisions Economiques (BIPE) et le Centre
de Recherches pour l'expansion de l'économie et le développement
des entreprises (REXECODE) sont présentés dans la
troisième partie
. Un
tableau
récapitulatif fournit,
page 65, les résultats chiffrés de ces différents
exercices.
I. PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS D'UNE PROJECTION DE L'ÉCONOMIE FRANÇAISE À L'HORIZON 2004
A. LA DEMANDE INTÉRIEURE SOUTIENT LA CROISSANCE
Votre
rapporteur avait déjà utilisé le titre ci-dessus dans son
rapport présenté l'année dernière, pour qualifier
les scénarios de moyen terme élaborés à la
même époque. Cette répétition a pour but de
souligner que même un " choc " sur la demande mondiale aussi
violent que celui causé en 1998 par la crise des pays émergents,
dont on a pu craindre qu'il n'ait des
répercussions
sur le
dynamisme de la
demande intérieure
, n'a finalement pas fait
dévier
celle-ci de la trajectoire suivie depuis 1997.
La
dynamique
de la demande intérieure qui s'est amorcée
alors mérite d'être rappelée : en 1997,
l'amélioration de l'environnement international et la très forte
augmentation de la demande étrangère adressée à la
France (+ 10,2 % en 1997 contre + 5 % environ pour la
tendance de longue période) s'est traduite par une nette
accélération des exportations et de la croissance.
Les échanges extérieurs ont contribué, de manière
tout à fait exceptionnelle, pour
deux tiers
à la
croissance de l'économie française : celle-ci s'est ainsi
établie à 2,3 % en 1997 contre 1,6 % en 1996.
- le redressement de l'activité ainsi
amorcé
a permis de
fortes créations d'
emplois
: + 130.000 emplois en 1997
et + 330.000 emplois en 1998 ;
- l'augmentation de l'emploi s'est traduite par le
redressement
du
revenu
des ménages : + 2,5 % en pouvoir d'achat en
1997, + 3,4 % en 1998 contre + 0,6 % en 1996 et
+ 1,7 % en moyenne depuis le début des années 90 ;
- la désinflation, très sensible en 1998 (0,3 %
d'augmentation pour les prix à la consommation) a également
contribué à l'augmentation du pouvoir d'achat du revenu des
ménages ;
- il a résulté de ces évolutions un grand dynamisme de la
consommation des ménages : + 3,6 % en 1998, contre
+ 0,9 % en 1997 et
+ 1,3 % par an
en moyenne de 1991
à 1997 ;
- enfin, il faut souligner que ces enchaînements ont été
amplifiés
par un assouplissement très net des
politiques économiques
en Europe, au fur et à mesure que
la perspective de l'Union monétaire gagnerait en
crédibilité
. En particulier, la baisse progressive des
taux d'intérêt
à partir de 1995 a permis
d'accompagner le mouvement de reprise de la consommation par celui de
l'
investissement
des entreprises, comme de l'investissement logement des
ménages ;
- la contribution de la demande intérieure à la croissance s'est
ainsi accrue de manière spectaculaire en 1998 (4,1 point contre
0,8 point en 1997).
1. La demande intérieure à moyen terme
- • Les évolutions récentes rappelées ci-dessus influencent fortement les projections à moyen terme. Les projections sont en effet toujours tributaires des évolutions en cours , qu'elles prolongent ou amplifient.
La projection décrit ainsi une très nette inflexion de la tendance de la demande intérieure par rapport à la première moitié des années 90.
Ce résultat est certainement le fait des évolutions de départ favorables, qui " conditionnent " le cheminement à moyen terme. A ce titre, il ne doit pas être considéré une prévision.
Néanmoins, votre rapporteur considère qu'un " message " de la projection n'est certes pas que la reprise de la demande intérieure sera durable - chacun sait combien un choc, d'origine externe ou interne, sur l'économie française pourrait inverser les évolutions en cours -, mais qu'elle est solide .
- • La solidité de la dynamique actuelle de la demande intérieure peut en effet être appréciée à la lumière des deux considérations suivantes :
Ainsi, l'augmentation de la consommation des ménages de 1999 à 2004 (+ 2,5 % par an en moyenne, contre 1,5 % entre 1991 et 1998) est inférieure à celle de leur revenu (+ 2,6 % par an de 1999 à 2004). Cela signifie que leur taux d'épargne augmenterait : de 15,9 % de leur revenu en 1999 à 16,5 % en 2004 et que la capacité de financement des ménages , exprimée en pourcentage du PIB, s'accroîtrait : de 5,5 % du PIB en 1999 à 5,8 % en 2004.
De même, les entreprises peuvent financer le redémarrage de l'investissement sans dégradation majeure de la situation financière .
Compte tenu par ailleurs de la réduction du besoin de financement des administrations publiques, la capacité de financement de la Nation (qui équivaut au solde de la balance des transactions courantes) augmenterait : de 2,7 % du PIB en 1999 à 3,6 % en 2004.
Il est donc possible d'imaginer des comportements en matière d'endettement des agents privés plus marqués que ceux que les experts de l'OFCE ont simulés en projection. Il en résulterait un dynamisme accru de la demande intérieure.
- Par ailleurs, la demande intérieure privée s'est plutôt caractérisée par une croissance faible depuis le début des années 90, en tout cas inférieure à ce que laissaient prévoir les déterminants habituels de la consommation et de l'investissement.
En particulier, la consommation est restée notablement inférieure à celle qu'aurait laissé attendre l'évolution de ses déterminants usuels, que sont l'évolution du pouvoir d'achat et l'inflation. Le " retard " de consommation était estimé à 4 % en 1998 47( * ) . Il peut s'expliquer, a posteriori , par des facteurs tels que l'augmentation du chômage (qui a encouragé l'épargne de précaution), la hausse des taux d'intérêt (qui a rendu l'épargne plus attractive) ou la dégradation des comptes publics (qui a peut-être conduit les ménages à anticiper une hausse des prélèvements fiscaux). Ces facteurs seraient susceptibles de s'atténuer sur le moyen terme.
Cependant, les auteurs de la projection n'ont pas cherché à simuler en projection un comblement de ce " déficit " de consommation et une baisse du taux d'épargne.
De même, le taux d'investissement des entreprises (c'est-à-dire le rapport de l'investissement à la valeur ajoutée) n'a cessé de décroître de 1990 à 1998, qui a peut-être marqué un retournement. En projection, le taux d'investissement s'accroît de près de 1 point (de 16,9 % en 1999 à 17,7 % en 2004, selon la nouvelle définition de la Comptabilité nationale) : il resterait néanmoins inférieur au niveau atteint au cours de la phase de croissance de la fin des années 80 ainsi qu'à son niveau de longue période.
2. La croissance à moyen terme
La
croissance à moyen terme de l'économie française
affichée dans la projection de l'OFCE s'établit à
2,8 % par an en moyenne.
Elle serait ainsi nettement supérieure à la
croissance
potentielle
telle qu'elle est évaluée par l'OCDE (2 %)
ou par le FMI (2,3 %) ou encore à la croissance des partenaires
européens, telle qu'elle résulte des hypothèses retenues
par les auteurs de la projection (2,5 % par an en moyenne).
Quelle est la vraisemblance de ce scénario ? La croissance
française peut-elle durablement s'écarter de celle de ses
principaux partenaires ou de son potentiel tel qu'il est évalué
par les principales organisations économiques internationales ?
- • Sur le premier point, il faut en effet rappeler que sur la période 1970-1990, la croissance de l'économie française a été strictement identique à celle de la moyenne des quinze pays membres de l'Union européenne.
Les économistes expliquent généralement ce retard par les conditions monétaires beaucoup plus pénalisantes au cours de cette période pour l'économie française que pour ses partenaires : taux d'intérêt réels plus élevés et appréciation du taux de change à la suite des diverses dévaluations des monnaies partenaires (en 1992, 1993 et 1995).
Une croissance plus élevée en France que dans le reste de l'Europe au cours des prochaines années ne serait ainsi que la contrepartie du retard enregistré depuis 1990.
- • Cette thèse du " rattrapage " peut en outre être étayée par quelques considérations plus concrètes.
Le retard pris par la France en matière de consommation peut être illustré par l'exemple de l'automobile en 1999 : les immatriculations de véhicules neufs ont augmenté en France de près de 30 %, mais le niveau ainsi atteint ne permettait que de rejoindre celui de 1991. A l'inverse, dans le reste de l'Europe, le niveau des immatriculations en 1999 était supérieur de 30 % à celui de 1991.