III. UN AVENIR À CONSOLIDER

Le développement actuel de l'actionnariat salarié est porteur de perspectives prometteuses. Mais l'actionnariat salarié reste un mouvement naissant, fragile, qui mérite d'être consolidé. C'est pourquoi votre rapporteur a voulu formuler une série de propositions destinées à accompagner et à renforcer ce mouvement.

A. UN NÉCESSAIRE ACCOMPAGNEMENT DU MOUVEMENT ACTUEL

Le développement rapide de l'actionnariat salarié ne doit pas masquer une certaine fragilité : non seulement sa place reste insuffisante, mais certains obstacles et certaines lacunes de la réglementation pourraient freiner sa progression.

1. Une place encore insuffisante

a) Une croissance à mettre en perspective

La progression de l'actionnariat salarié tient plus à une progression régulière qu'à une explosion spectaculaire

Les deux témoignages les plus significatifs du développement de l'actionnariat salarié sont sans doute, on l'a vu, la multiplication des opérations de capital réservées aux salariés et la forte croissance des FCPE investis en titres de l'entreprise .

Une analyse approfondie de ces deux mouvements tend cependant à relativiser en partie l'importance de l'essor de l'actionnariat salarié. En réalité, il s'agit plus d'une évolution régulière que d'une explosion spectaculaire, malgré son accélération récente.

S'agissant des émissions de capital réservées aux salariés des entreprises cotées, leur montant a augmenté de 46 % en 1998. Cette croissance n'est pourtant que parallèle à la croissance des émissions de titres de capital constatée ces dernières années. Les opérations de capital réservées aux salariés représentaient en 1998 la même part dans le total des émissions qu'en 1996 (9,1 % contre 9,2 %).

S'agissant de l'encours des FCPE investis en actions de l'entreprise, leur croissance a été de 38 % en 1998, passant de 64 à 88 milliards de francs. Or, cette croissance tient moins à une augmentation des versements sur les FCPE qu'à la valorisation des titres existants du fait de l'évolution favorable des cours de bourse. Ainsi, l'AFG-ASFFI estime que cette hausse s'explique pour deux tiers par la valorisation des stocks et pour un tiers par la croissance des flux.

Une place encore marginale de l'actionnariat salarié dans le capital des entreprises françaises

L'actionnariat salarié ne représente qu'environ 2 % de la capitalisation boursière française. Cette part reste donc minime par rapport aux autres catégories d'investisseurs en capital que sont les non-résidents (36 %), les investisseurs institutionnels (26 %) ou les sociétés (11 %).

La place de l'actionnariat salarié est sans doute encore moindre dans les sociétés non cotées même si elle est, par définition, impossible à évaluer.

De surcroît, la progression de l'actionnariat salarié peut apparaître très faible par rapport à celle des investisseurs non-résidents : ceux-ci ne représentaient que 12 % de la capitalisation boursière en 1986 contre 36 % en 1998.

Au total, si l'actionnariat salarié peut constituer une part importante du capital de certaines entreprises, son poids reste marginal au niveau agrégé.

Le nombre de salariés actionnaires de leur entreprise reste faible

Environ 3 % des ménages détiennent des actions de leur entreprise. Seuls 700.000 salariés (pour une population active de 25,7 millions de personnes) seraient donc actionnaires de leur entreprise.

De la même façon, seules 20.000 entreprises ont mis en place un actionnariat salarié.

L'actionnariat salarié est moins développé en France qu'aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne

Si l'actionnariat salarié est plus développé en France que dans le reste de l'Europe continentale, la France reste néanmoins en retard par rapport à la Grande-Bretagne ou surtout aux Etats-Unis (cf. annexe 6) .

L'exemple américain est tout particulièrement révélateur.

L'actionnariat salarié aux Etats-Unis

L'actionnariat salarié s'y est développé grâce essentiellement à trois mécanismes :

- les Employee Stock Ownership Plans (ESOP), plans d'actionnariat collectif alimentés par les contributions de l'employeur et permettant aux salariés de percevoir, sous forme d'actions bloquées, un complément de revenu, sur lequel ils bénéficient d'un différé d'imposition, en principe jusqu'au moment de leur départ en retraite ; on estime que 10.000 entreprises auraient mis en place des ESOP au profit d'environ 9 millions de salariés. Leur encours atteindrait 300 milliards de dollars ;

- les plans 401 (k) (du nom de l'article du code fédéral des impôts qui les régit), qui associent épargne salariale et contribution patronale, cette dernière étant obligatoirement investie dans des actions de l'entreprise. La contribution patronale et les intérêts produits par les placements ne sont imposables que lors de la distribution des actifs. Environ 2 millions de salariés en bénéficient, pour un encours de 250 milliards de dollars ;

- les stock-options, la loi fédérale américaine ayant notamment prévu des plans d'options sur actions (les Employee Stock Purchase Plans ) offerts à l'ensemble des salariés d'une entreprise et assortis d'un régime fiscal favorable.

Le National Center for Employee Ownership estime que 18 % des salariés américains (soit 18 millions de personnes environ) détiennent des actions de leur entreprise. Au total, l'actionnariat salarié représente 9 % de la capitalisation des entreprises américaines, pour une montant d'environ 750 milliards de dollars.

L'actionnariat salarié continue de progresser aux Etats-Unis notamment grâce aux stock-options. Un sondage 22( * ) réalisé en 1997 montre que 53 % des entreprises américaines offrent des stock-options à l'ensemble de leur personnel (contre 31 % en 1991). Cette généralisation des stock-options n'exclut pas les salariés à temps partiel car plus de 40 % des sociétés leur distribuent également des stock-options.

b) Un développement inégal

Si l'actionnariat salarié tend à se développer en France, son développement reste cependant très inégal.

Cette diffusion inégalitaire de l'actionnariat salarié est d'abord fonction du type d'entreprise.

L'enquête 23( * ) de la DARES sur l'actionnariat salarié montre que l'actionnariat salarié est essentiellement pratiqué par les grandes entreprises, mais aussi dans certaines PME de moins de 50 ou 100 salariés qui sont le plus souvent des entreprises innovantes à forte croissance. 17 % des entreprises de plus de 2.000 salariés et près de 10 % des entreprises de 10 à 49 salariés auraient associé leurs salariés à leur capital.

Il semble donc que les PME " traditionnelles " restent, pour la plupart, en marge du mouvement de développement de l'actionnariat salarié.

L'analyse des FCPE investis en actions de l'entreprise permet de conforter ce constat :

- parmi les sociétés cotées, ce sont les sociétés cotées au CAC 40 qui représentent la très forte majorité de l'épargne salariale investie en titres de l'entreprise : elles constituent 80 % des actions de sociétés cotées au 31 décembre 1997 ;

- la progression de l'encours des FCPE investis en titres de l'entreprise tient avant tout à la progression des actions de sociétés cotées. La part des actions non cotées reste stable (aux alentours de 10 % de l'actif global en 1997 contre 16 % en 1993).

Cette inégalité de diffusion de l'actionnariat salarié semble répondre à certains facteurs objectifs :

- la probabilité d'un actionnariat salarié est d'autant plus forte qu'il existe déjà une politique d'épargne salariale dans l'entreprise. Or, cette dernière est surtout développée dans les grandes entreprises ;

- les PME sont moins menacées par les " forces centrifuges " (internationalisation, filialisation, diversification) qui risquent de nuire à la cohésion interne de l'entreprise. Or, l'actionnariat a souvent vocation à renforcer cette cohésion ;

- le capital des PME est souvent plus stable que celui des grandes entreprises. Elles n'ont alors pas besoin de chercher à le stabiliser en favorisant l'actionnariat salarié ;

- à la différence des entreprises innovantes, les PME n'ont pas nécessairement besoin de compléter leur politique salariale par un actionnariat qui serait avant tout un " salarie différé ".

Mais cette inégale diffusion de l'actionnariat salarié est aussi fonction de la catégorie de salariés.

Un récent rapport de la Fondation Saint-Simon 24( * ) distingue trois types de relations salariales :

- la " stabilité polyvalente ", modèle constituant l'hériter de la relation salariale fordiste, surtout présent dans les grandes entreprises industrielles et de service, dans lequel les salariés doivent être polyvalents et s'adapter rapidement ;

- la " profession ", qui s'appuie sur des individus porteurs d'innovations technologiques ou d'un savoir faire particulier ;

- la " flexibilité de marché ", qui regroupe les salariés précaires ou peu qualifiés.

Or, selon Robert Boyer 25( * ) , l'actionnariat salarié n'aurait vocation qu'à concerner les seuls salariés relevant des deux premier modèles. " Cette évolution ne concerne que deux catégories. D'une part, les spécialistes, aux compétences pointues, très mobiles à l'échelle internationale et relevant du " modèle professionnel ". D'autre part, les salariés qui sont au coeur de la compétence des grandes entreprises appartenant au " modèle de la stabilité polyvalente ". Soit au total entre 35 % et 45 % des salariés. Mais, à côté, la majorité des salariés, au statut plus précaire, ne participe pas à ce mouvement. Le changement d'emploi et le paiement d'un salaire de marché sont, pour eux, la règle. Elle n'incite pas à la distribution d'actions, instrument de fidélisation des salariés appartenant aux deux autres statuts. "

S'il est clair que les " salariés précaires " ne peuvent, ne serait-ce qu'à cause des conditions d'ancienneté requises, devenir actionnaires, votre rapporteur observe cependant que ces " salariés précaires " n'ont pas vocation à le rester, que les intérimaires peuvent en outre devenir actionnaires de leur société d'intérim, celle-ci s'inscrivant dans la logique de fidélisation. Il remarque également que l'actionnariat salarié est développé dans des secteurs relevant de la " flexibilité de marché " à l'image de la distribution ou du BTP, comme en témoignent les exemples d'Auchan, de Carrefour ou de Bouygues.

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