7. Interdiction du clonage d'êtres humains - Interventions de MM. Jean-François MATTÉI, député (UDF) et Claude BIRRAUX, député (UDF) (Mardi 23 septembre)
L'objet
du rapport est de soumettre à l'Assemblée parlementaire, pour
avis, un projet de Protocole à la Convention du Conseil de l'Europe sur
les droits de l'homme et la biomédecine récemment ouverte
à la signature des Etats, sur l'interdiction du clonage d'être
humains.
Ce protocole a été élaboré par le Comité
directeur du Conseil del'Europe sur la bioéthique afin d'apporter une
réponse de droit international au clonage d'être humains dont le
débat est né de l'expérience réussie du clonage
d'une brebis au début de cette année.
Le rapporteur ne traite que du clonage de cellules humaines et établit
une différence entre les différentes situations possibles :
le clonage de cellules somatiques (non reproductrices), parfaitement acceptable
sur le point de vue éthique ; le clonage de cellules embryonnaires,
comme technique, qui appelle des réflexions approfondies et sera
examiné dans le contexte du protocole à " la Convention de
biomédecine " sur la protection de l'embryon, actuellement en cours
de préparation.
La troisième situation, celle du clonage d'être humains et qui
fait l'objet du rapport, est éthiquement inadmissible car elle porterait
atteinte à la dignité, à l'intégrité et au
caractère unique de l'être humain.
Le rapporteur estime en conséquence que toute intervention de cette
nature doit être interdite et assortie de sanctions et propose que
l'Assemblée recommande au Comité des Ministres d'adopter le
projet de Protocole soumis à son avis.
Le texte propose également que l'Assemblée générale
de l'ONU adopte des dispositions qui interdiront le clonage d'êtres
humains dans le monde entier en s'inspirant du texte du Conseil de l'Europe.
M. Jean-François MATTÉI, député (UDF),
s'exprime en ces termes :
" Madame la Présidente, mes chers Collègues, sur le plan
scientifique, les récentes expériences de clonage chez l'animal
constituent une avancée considérable. Cette technique
révolutionnaire doit permettre de mieux comprendre les mécanismes
du développement, les causes de certaines malformations et maladies
génétiques et de certains cancers. Sous réserve de
l'aspect encore expérimental et d'une éthique qu'il convient de
ne pas oublier vis-à-vis de l'animal, il faut admettre que ces
techniques peuvent être extrêmement bénéfiques pour
la santé de l'homme si l'on sait correctement les utiliser.
Mais dès lors qu'on évoque la seule hypothèse du clonage
humain, le problème change radicalement de nature car il conduit
à s'interroger sur le fond de l'humanité de l'homme et ce n'est
pas un des moindres succès de la science que de conduire à cette
interrogation-là.
Plus les mécanismes biologiques sont élucidés et plus
l'homme se rebelle pour affirmer qu'il ne peut pas se situer seulement au
niveau biologique. Chacun comprend qu'on peut certes cloner un corps, une
enveloppe, une apparence, mais qu'on ne peut pas cloner une expérience,
un vécu et encore moins une conscience.
A cet égard, le clonage est donc pour l'homme une double trahison.
Trahison quant à la singularité de la personne qu'on
prétend recopier car c'est bien une atteinte à la dignité
de la personne que de vouloir la reproduire à l'identique comme un
objet. Mais trahison plus grande encore en laissant croire qu'il est possible
de considérer l'homme sous sa seule dimension biologique.
Sommes-nous donc protégés réellement comme il convient
d'un acte de folie qui transgresserait l'interdit ? On sait la force du
mythe de l'immortalité. Ne pourrait-elle pas faire apparaître de
nouveaux Prométhées désireux de distribuer ou vendre le
moyen d'accéder à l'éternité ?
Si le regard porté sur l'homme et son histoire à l'aune des
millénaires passés invite plutôt à la confiance,
certains événements tragiques douloureusement gravés dans
nos mémoires invitent aussi à la méfiance.
C'est pour cette raison que la France s'est dotée dès 1994 d'un
ensemble de mesures législatives pour préserver la dignité
de l'homme dans son corps, dans sa personne et pour contrôler les
procédés qui permettent à la science d'avancer. Pour
autant, les dispositions purement nationales ne sauraient suffire. Chacun
perçoit bien que le danger cellulaire comme le danger nucléaire
est d'ordre planétaire puisque c'est l'essentiel qui est en cause.
Quelle que soit sa volonté, il n'est pas un pays seul qui puisse se
croire à l'abri. Notre devoir est donc de proclamer avec la force de nos
convictions communes ici l'idée que nous avons de l'homme et de sa
dignité en redéfinissant au regard du clonage humain un des
interdits fondateurs de notre humanité. L'homme ne peut être
manipulé, recopié, transformé et instrumentalisé au
motif premier qu'il est une personne avec sa dignité qui impose le
respect. Cinquante ans après Nuremberg, ce serait l'honneur du Conseil
de l'Europe que de se prononcer unanimement pour l'interdiction du clonage
humain et de préciser notre socle commun de valeurs.
Cette étape est indispensable mais encore insuffisante. Il serait
également à l'honneur de notre Assemblée que d'induire au
niveau de l'Organisation des Nations Unies une réflexion éthique
au regard du progrès scientifique car c'est la conscience universelle
qui est interrogée.
Enfin, pour plus de solennité et souligner l'importance que nous
accordons à ces problèmes, nous pourrions proposer de
compléter la Déclaration des droits de l'homme. Nous vivons
aujourd'hui la troisième grande révolution sociale des temps
modernes, la révolution scientifique, et il est probablement temps, et
plus que jamais nécessaire de préciser les nouveaux droits et
devoirs de l'homme face aux progrès de la science.
C'est la raison pour laquelle je voudrais apporter tout mon soutien au rapport
présenté par M. Plattner et dire véritablement que
l'honneur de notre Assemblée aujourd'hui serait d'interdire ce qui est
une atteinte au droit fondamental de la personne humaine. "
M. Claude BIRRAUX, député (UDF),
intervient à son
tour de la façon suivante :
" En juillet 1996, une équipe de chercheurs d'Edimbourg
réussissait, pour la première fois dans l'histoire de la
biologie, le clonage d'une brebis à partir d'un mammifère adulte.
Obtenu par le prélèvement d'une cellule sur une brebis, puis le
transfert de son matériel génétique dans un ovule
dénucléé, l'agneau Dolly est en fait la réplique
exacte de l'animal adulte lui ayant transmis son patrimoine
génétique.
S'il s'agit certes d'une avancée spectaculaire dans le domaine de la
recherche cellulaire, cette expérience ne manque pas de susciter des
interrogations au regard des possibles publications.
Réalisée sur un mammifère, cette technique est-elle
transposable à cet autre mammifère qu'est l'homme ?
Indépendamment du caractère " faisable " d'une telle
pratique, et dans le domaine scientifique le mot impossible n'existe pas, je
souhaiterais au préalable faire quelques remarques.
D'une part, l'éventuelle application de cette technique à
l'espèce humaine porterait gravement atteinte à la dignité
de la personne humaine qui repose sur l'unicité de chaque être
humain.
D'autre part, elle pourrait ouvrir la voie à l'eugénisme par la
sélection qu'elle serait susceptible d'opérer entre les
gènes et j'entends déjà les discours passés et
malheureusement encore présents sur la supériorité ou
l'infériorité de certaines races.
Le Conseil de l'Europe, particulièrement attaché aux droits de
l'homme, ne peut que se montrer extrêmement vigilant à ce sujet.
Enfin, cette technique pourrait conduire à une instrumentalisation de
l'être humain où certains êtres ne seraient qu'une
réserve d'organes en vue de greffes plus faciles.
C'est notre conception même de l'homme qui serait battue en brèche
puisque celle-ci repose sur le principe kantien selon lequel l'homme est une
fin et ne peut être considéré comme un moyen.
C'est pourquoi, compte tenu de l'évolution rapide des connaissances, je
pense que nos législations nationales respectives doivent prévoir
dès aujourd'hui le principe d'interdiction du clonage humain.
Mais, pour être vraiment efficace, notre action doit se situer sur un
plan européen et international car le problème soulevé
dépasse le cadre strict des frontières étatiques. On
comprend aisément que l'interdiction du clonage à un endroit ne
prohibe pas les recherches dans un autre pays.
Au plan européen, il nous faut oeuvrer pour que le processus de
ratification de la Convention sur les droits de l'homme et la
biomédecine de notre Assemblée s'intensifie.
Cette convention pose en effet, à l'échelle européenne, le
respect de l'intégrité de l'homme à l'égard des
applications de la biologie et de la médecine, ce qui interdit
tacitement le clonage. Jeter les bases communes d'une éthique est
préférable à l'émergence de législations
disparates.
Nous ne pouvons que recommander l'adoption rapide d'un protocole additionnel,
afin qu'un cadre internationalement reconnu permette aux législations
nationales de se mettre en place efficacement.
J'ai entendu ça et là, en commission, certains collègues
soulever l'objection de la liberté de la recherche et du chercheur.
Ici, il ne s'agit pas de recherche sur de la poudre à lessive. Il s'agit
de l'homme dans son acceptation globale, physique (génétique) et
spirituelle, qui reconnaît chacun comme un être unique dans
l'espèce humaine. Chaque homme est sacré.
Notre Assemblée, Assemblée des droits de l'homme, se doit de
rappeler inlassablement ce message, et se doit d'être le fer de lance de
l'éducation des citoyens comme des scientifiques aux valeurs
éthiques et morales qui sont sa raison d'être. "
Lors de la discussion des amendements sur le projet d'avis contenu dans le
rapport 7895, un amendement n° 5 est présenté, visant
à rappeler qu'
" est interdite toute intervention ayant pour but
ou pour effet de créer un être humain génétiquement
identique à un autre être humain vivant ou mort. Le présent
article ne s'applique pas à la stimulation ovarienne pratiquée
dans le cadre d'un processus de procréation médicalement
assisté "
M. Jean-François MATTÉI, député (UDF),
intervient en ces termes :
" Madame la Présidente, je comprends bien les motivations qui ont
conduit à proposer cet amendement mais je ne l'approuve pas pour deux
raisons.
La première, c'est que notre protocole s'en tient aux principes
généraux de la dignité et du respect de la personne
humaine. Or là, nous entrons dans une procédure de détails
puisqu'on mentionne la stimulation ovarienne et une technique médicale,
la procréation médicalement assistée. Nous changeons donc
réellement de niveau de préoccupation. Le texte perd de sa force.
Nous devons véritablement nous en tenir aux grands principes
généraux sans entrer dans le détail de ce que serait un
livre de thérapeutique.
La seconde, relève d'une confusion. La stimulation ovarienne a pour but
d'entraîner une polyovulation, donc la production simultanée de
plusieurs ovocytes. Certes, cela conduit à la gémellité,
non pas du tout à la gémellité monozygote, mais à
la gémellité plurizygotique. Il n'y a donc, à ma
connaissance, aucun lien entre la stimulation ovarienne et la production d'une
gémellité monozygote. C'est avant l'ovulation qu'intervient la
stimulation ovarienne et pas au moment de la division zygotique. Autrement dit,
il existe, à mon avis, une inexactitude scientifique et, plus grave,
sans doute une confusion des niveaux de nos préoccupations. "
L'amendement est alors retiré par son auteur.
Puis l'avis 202, amendé, est adopté ainsi que la directive
534, figurant tous deux dans le rapport 7895.