9. Activités de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) - Rapport de Mme Josette DURRIEU, sénateur, (Soc) - Intervention de M. Claude BIRRAUX, député, (UDF) (Mercredi 25 juin)
Présentant son rapport (7834) au nom de la commission
des
questions économiques et du développement,
Mme Josette
DURRIEU, sénateur (Soc),
formule les observations suivantes :
" Je salue chaleureusement M. le Président de la Berd, M. de
Larosière, et je le remercie vivement pour l'extrême courtoisie
dont il a fait preuve à notre égard et pour la collaboration fort
harmonieuse et efficace qu'il a apportée à notre travail, donc,
à la rédaction de ce rapport. Je souhaite également
remercier M. Malleret, M. Lecavalier ainsi que Mme Pissarides
qui ont contribué, avec nos services, à l'élaboration du
rapport qui vous est présenté.
La banque que vous présidez, monsieur de Larosière,
créée en 1991, compte soixante membres, cinquante-huit Etats et
deux institutions : l'Union européenne et la BEI. Tous les pays des
PECO sont actionnaires et les Quinze représentent dans le capital plus
de 55 %.
En 1992, un accord de coopération, signé entre la Berd et le
Conseil de l'Europe, prévoyait un certain nombre de visites, de
rencontres et ce débat sur les activités de la Berd.
En 1994, prenant la présidence de cette banque, vous aviez une mission
extrêmement difficile mais urgente, celle de la réorganisation
interne de la Berd.
Je dois dire, en tant que rapporteur et française, que vous avez
parfaitement réussi, Monsieur de Larosière, et si j'avais
à synthétiser votre action, je la résumerais en deux
mots : rigueur et efficacité. Nous vous en remercions et je vous en
remercie doublement. Tel sera le point 1 du projet de résolution.
En 1996, une décision importante a été prise à
Sofia, celle qui a consisté à doubler le capital de la Berd et
à le porter de 10 milliards à 20 milliards d'ECU. Cette
décision n'a pas encore été ratifiée. Il faut
obtenir une majorité que vous n'avez pas encore, mais cela semble
nécessaire et urgent. Tel est le point 10 du projet de
résolution.
Le bilan de l'action de la Berd est positif. Vous intervenez dans vingt-six
pays regroupant plus de 400 millions d'habitants. La Berd a engagé
plus de 370 projets et il est évident qu'une évaluation
régulière des résultats positifs est
nécessaire ; elle est d'ailleurs demandée. Tel est le
point 2 du projet de résolution.
Je rappelle les missions de la Berd, ainsi que les principes qui doivent guider
son action : faciliter la transition et promouvoir l'initiative
privée. Sur ce point, statutairement, l'objectif qui vous est
fixé est dans l'orientation des minima de votre portefeuille d'atteindre
60 % en faveur de l'initiative privée et de la libre entreprise.
Vous avez atteint ce point statutaire du règlement ; vous l'avez
même dépassé puisque vous êtes au-delà des 60
%. Je suppose que vous nous apporterez des précisions à cet
égard.
Vos missions visent également à promouvoir la démocratie,
les droits de l'homme, la prééminence du droit, le progrès
social. Nous sommes tous - et partout - très attachés à
cette avancée dans le domaine social. Tel est le point 5 du projet de
résolution.
Nous admettons tous que ces principes sont nécessaires à
l'établissement d'une véritable croissance durable. Certes, les
risques existent, mais il n'empêche que c'est un défi qui vous est
posé. Tels sont les points 4 et 10 du projet de résolution.
L'essentiel porte sur le démantèlement des monopoles, la
décentralisation, la privatisation. Il semble que soient
réclamées des actions plus fortes sur trois points :
renforcement des institutions financières locales, renforcement de
l'investissement en capital, accompagnement de tous les projets concernant les
infrastructures. Tel est le point 6 du projet de résolution.
Insistance également et demande de vigilance en ce qui concerne, non
seulement la protection de l'environnement, mais aussi pour toute forme de
transparence et toutes les façons de prévenir les gaspillages des
fonds que vous prêtez.
Il est relevé dans trois points du projet une certaine demande
d'investissements ou d'accompagnement d'investissements directs
étrangers en tenant compte du fait qu'ils sont encore insuffisants dans
la plupart des pays, ce que l'on comprend. Cela suppose qu'ensemble, nous
consolidions l'environnement législatif et juridique, et nous luttions
contre la corruption et la criminalité organisée.
Il est également demandé que, dans le domaine de l'accompagnement
du progrès social, la Berd travaille en étroite collaboration
avec le Fonds de développement. C'est le point 8 du projet de
résolution. De nombreux projets pourraient être menés en
commun ; à cet égard, des suggestions peuvent être
formulées.
Une politique graduelle de retrait progressif a été
décidée en 1996. Elle a été confirmée en
1997. C'est un point d'interrogation très préoccupant. A partir
d'un certain moment, vous réduirez, vous arrêterez les prêts
aux pays qui auront atteint un certain niveau de développement. En la
matière, les questions sont très précises Monsieur le
Président : quels critères prendrez-vous en compte ? Le
retrait sera-t-il total dans ces pays plus avancés qui, naturellement,
le refusent ?
Mon rapport a porté essentiellement son éclairage sur les sept
pays de la CEI, pour plusieurs raisons, non seulement à cause de la
Russie, objet de toutes les préoccupations voire de toutes les
sollicitudes, mais aussi parce qu'un certain nombre d'autres pays qui ont leur
importance, notamment les trois pays du Caucase sont, dans leur ensemble, moins
avancés. Alors que les pays des PECO sont en expansion avec une
croissance supérieure à 5 %, les pays de la CEI sont en
déclin même s'il y a une reprise actuellement. L'inflation est
inférieure à 20 % dans les PECO ; elle est supérieure
à 50 % dans ceux de la CEI. Par conséquent, ces derniers ont
besoin de notre accompagnement. C'est la première raison qui justifie
mon choix.
La deuxième, non moins importante, est l'instabilité politique de
ces pays. Elle est sensible, elle est forte : en
Tchétchénie, le problème est en voie de
règlement ; en mer Noire, à Odessa, en Transnistrie, en
Abkhazie, en Ossétie, dans le Haut-Karabakh ; cette
instabilité autour du pôle qu'est la Russie concerne l'ensemble de
l'Europe.
Par ailleurs, les problèmes nucléaires et pétroliers - qui
se posent surtout dans les pays, qui détiennent ces richesses -
constituent aujourd'hui des leviers pour la politique étrangère.
Or, Monsieur le Président, il existe un déséquilibre dans
les aides au sein de la CEI. Alors que la Russie a reçu en 1996 plus de
900 millions d'ECU, les trois pays du Causase en ont perçu moins de 200
millions. Pourtant, ils ont besoin de notre accompagnement, de même que
la Moldavie. Vous avez eu raison de geler les projets de la Biélorussie,
accompagnant ainsi la décision du Conseil de l'Europe.
Pour conclure, j'indique que les pays de la CEI et ceux du Caucase, ont des
besoins urgents car ils sont dans des zones à risques. En termes
politiques, j'insiste sur le fait que si nous ne les accompagnons pas
économiquement, ils ne pourront jamais conquérir leur
indépendance économique, donc leur véritable
souveraineté. Nous entretenons une instabilité qui est dangereuse
et qui, au-delà de leur propre devenir, concerne l'ensemble de
l'Europe. "
M. Claude BIRRAUX, député (UDF),
s'exprime alors en ces
termes :
" Madame la Présidente, Monsieur le Président de la Berd,
mes chers Collègues, je veux d'abord féliciter Mme Durrieu
pour la qualité et la précision de son rapport.
La commission de la science et de la technologie se limitera à donner un
avis sur le seul aspect qui relève strictement de sa compétence,
à savoir le compte de sûreté nucléaire. Je rappelle
que ce dernier est alimenté par des contributions volontaires des Etats,
avec un minimum de 1,5 million d'ECU. Au 31 décembre 1996,
quatorze pays plus l'Union européenne avaient alimenté ce fond,
pour un montant de 257,2 millions d'ECU.
Au 31 décembre 1996, cinq projets avaient été
approuvés par l'assemblée des contributeurs, et les accords de
financement signés par les gouvernements concernés, les
compagnies d'électricité et la banque. Ils concernent : la
centrale de Kozloduy en Bulgarie, pour 24 millions d'ECU, accord
signé en juin 1993 ; la centrale d'Ignalina, en Lituanie, pour
35 millions d'ECU en février 1994 ; en Russie, la
centrale de Léningrad - 4 RBMK - pour 30 millions d'ECU,
les centrales de Kola et de Novovoronezh - 4 VVER 440/230 - pour
45 millions d'ECU, accords signés en juin 1995 ; enfin un
projet de 118 millions d'ECU, pour Tchernobyl, a été signé
en novembre 1996. Ce projet représente une partie du vaste programme de
soutien à l'Ukraine pour fermer Tchernobyl en l'an 2000. Cela est
conforme au memorandum of Understanding cosigné par l'Ukraine, le G7 et
l'Union européenne.
Pour chacun des projets, des accords précis engagent les signataires sur
les travaux, les échéances, leurs engagements réciproques.
Pour la Russie, un comité commun a été constitué
afin de suivre les progrès de la mise en oeuvre des accords.
Je me réjouis de cette initiative, qui répond en partie à
ma demande de l'an dernier, de voir une évaluation et un suivi des
projets, mais en partie seulement, car aucun mécanisme régulateur
n'est prévu si les cocontractants ne tiennent pas leurs engagements.
Tout ce qui précède représente la partie statutaire de mon
rapport et résume les éléments contenus dans le rapport
annuel de la banque, que j'ai découverts en temps voulu sur Internet.
Je veux ensuite aborder une partie plus politique qui n'y figure pas.
L'an dernier, je m'étais déjà interrogé sur la
capacité du compte de sûreté nucléaire de la Berd
à répondre à sa vocation, compte tenu des obstacles que
peuvent dresser, selon leur bon ou mauvais vouloir, les contributeurs. J'avais
cité le cas de l'achèvement de la centrale slovaque de
Mochovce : la banque avait fini par être
" recalée " et, finalement, elle avait choisi d'empêcher
l'achèvement de la centrale ce qui entraînait, de facto, la
continuation de celle de Bohunice, qui est l'une des plus vétustes de
l'Est. S'est substitué à la banque un consortium
tchéco-germano-franco-russo-slovaque.
De même en Ukraine, la presse nous apprend qu'une étude dite at
least cost effectuée par un cabinet britannique empêcherait la
banque de financer l'achèvement de deux centrales et proposerait de
construire des centrales à gaz. Or, ces centrales, de Rivne 4 et
Khmelnitsky 2, sont achevées à 80-90 %, et il s'agit de les
mettre aux normes occidentales, pour un investissement de 330 millions de
dollars.
De plus l'accord avec l'Ukraine, qui a été long à obtenir,
est un accord politique où chacune des parties doit pouvoir dire qu'elle
a obtenu et un bénéfice et une concession, mais que globalement
il y a bénéfice.
Comment politiquement faire accepter à l'Ukraine de fermer Tchernobyl et
aussi de passer sous la coupe de la Russie pour la fourniture de gaz ?
Cela impossible. C'est tout le fragile équilibre de l'accord entre le
G7, l'Ukraine et l'Union européenne qui est remise en cause. Aussi,
ai-je trois questions à poser : Qui sont ces distingués
consultants, d'un libéralisme ultra-orthodoxe ? La banque a-t-elle
fréquemment recours à ces consultants ? Défiant un
accord conclu au plus haut niveau des chefs d'Etat et de gouvernement du monde,
j'ai envie de demander : " Qui vous a fait roi ? "
Nous avons adopté hier une recommandation relative aux
conséquences sanitaires de l'accident de Tchernobyl. La fermeture de
Tchernobyl est un symbole et un signal fort : un symbole, car Tchernobyl
représente encore l'archétype du système
soviétique, où la production primait sur toute autre
considération, en particulier de sûreté ; un signal
fort, car sa fermeture signifiera que l'on a changé d'échelle de
valeurs, qu'une autre conscience a vu le jour : celle de la
primauté de la sûreté sur toute autre considération.
Ce renversement d'échelle de valeurs est un gage positif pour le
développement de la démocratie.
Il a fallu des années d'efforts pour tenter de faire comprendre comment
intégrer dans les esprits et dans les formes cette notion de
sûreté et ses exigences. Vous comprenez alors que le fond engage
beaucoup plus que la forme et que la pédagogie de l'exemple et du
respect des engagements est capitale.
La question qui se pose, devant un problème d'une telle ampleur est
celle de savoir non pas tant si les procédures internes de la banque
permettent d'honorer l'accord conclu sous l'égide du G7, mais comment
adapter ces procédures pour répondre à l'attente de vos
créateurs.
De votre réponse dépend toute la crédibilité et la
confiance que des démocraties naissantes et balbutiantes peuvent avoir
envers ceux qui sont sensés en représenter le berceau ".
Mme Josette DURRIEU, sénateur (Soc),
reprend la parole en ces
termes :
" M. le Président de Larosière a reçu de nombreux
messages tout en recevant des témoignages de confiance et de
crédibilité. Je retiens, pour ma part, deux points de son
discours introductif : d'abord, il a voulu affirmer un nouveau
défi, celui qui consiste à consolider les réalisations
faites, ensuite il a tenu à nous rassurer quant au retrait progressif
qui inquiète certains pays, disant qu'il n'y avait pas de retrait
d'Europe centrale, seulement - et malgré tout - un glissement des
priorités vers l'est.
J'ai aussi pu constater une insistance sur des aspects nouveaux. Le
problème de l'environnement est devenu central. J'ai également
relevé des interventions concernant les nouvelles techniques de
communications, la protection du patrimoine et cette autre forme d'industrie
que sont le loisir et le tourisme, lesquels peuvent, effectivement, être
créateurs de richesses et d'activités.
Je précise à Lady Hooper que les 60 % destinés à
l'investissement privé sont 60 % du portefeuille global de la Berd, et
même plus.
En ce qui concerne la collaboration étroite qui pourrait être
établie entre le Conseil de l'Europe et la Berd dans d'autres domaines,
notamment avec le Fonds de développement social, je citerai - tout
simplement parce qu'il peut être concrétisé dans un proche
avenir - l'exemple de l'accompagnement des orphelinats en Roumanie. Cette
opération pourrait être menée conjointement. Je vous la
livre puisque vous avez demandé que l'on vous donne quelques exemples.
En conclusion, je tiens à dire que nous avons à nous
féliciter, les uns et les autres, du travail harmonieux que nous
élaborons avec cette Banque. Je pense que nous pouvons être ainsi
les artisans de l'expansion économique et de la stabilisation politique
de l'Europe.
Permettez-moi de remercier le président de notre commission ainsi que M.
Barsony et M. Torbiörn, secrétaire de la commission, pour le
travail qu'ils ont accompli à mes côtés ".
A l'issue du débat, la résolution 1129 contenue dans le
rapport 7834, amendée, est adoptée.