b) Les relations sociales ville/campagne par M. Mathieu CALAMME, ferme de la bergerie du Vexin et Mme Elizabeth BOURGAIN, présidente de l'association Ebullition, l'Ile-Saint-Denis
La ferme
s'appelle " Ferme de la Bergerie ", mais du fait de la
présence en Ile-de-France de la Bergerie Nationale, nous disons Bergerie
du Vexin pour l'extérieur. La ferme appartient à une fondation
(fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l'Homme),
qui, au début des années 90, a souhaité que cette
exploitation, qui est une exploitation agricole traditionnelle dans cette
partie de l'Ile-de-France, c'est-à-dire 400 hectares de terres
agricoles dont 350 d'arables, réfléchisse à sa fonction
sociale, sachant que, dans les cinquante dernières années, la
fonction sociale majeure de l'espace rural a été la production,
soit de produits agricoles, soit de bois puisqu'il ne faut pas oublier la
forêt (250 ha).
De l'environnement aux relations ville/campagne
Il est évident que dans l'esprit du conseil de la fondation, l'objectif
premier, au début, était autour des préoccupations de
l'environnement. Très vite nous avons proposé au conseil de
fondation autre chose qui était de dire : nous sommes à 80
km du centre de Paris, à 20 km de Mantes-la-Jolie, il y a une
particularité de ce territoire rural qui est son aspect
périurbain même si ce ne sont pas des champs aux pieds des HLM.
Nous nous sommes posés la question de savoir ce qui pourrait être
le plus fécond en termes de relation ville/campagne. Nous avons vu ce
qui se faisait dans les fermes «découverte». Il y avait
certaines choses qui nous chiffonnaient dans la manière dont monde
urbain et monde rural pouvaient se voir. Ce qui nous choquait était
l'absence de durée dans ce type de relation, c'est-à-dire que les
enfants vont dans les fermes « découverte », ils
voient une image plus ou moins faussée de l'agriculture, plutôt
plus faussée, puisque les petits enfants qui croient que les yaourts
sortent des usines ont, en fait, raison et ils ont tort quand ils pensent que
les vaches sont traites comme ils le voient dans les fermes
« découverte ». Nous avions envie de
réfléchir autour d'un usage commun du territoire.
La solution du jumelage
Décréter que nous sommes une ferme ouverte pour l'ensemble de
l'agglomération parisienne c'est peu réaliste. Nous avons
cherché un partenaire urbain, une autre collectivité, sachant que
sur la ferme nous formons une petite collectivité de cinq familles, qui
puisse réfléchir avec nous à cet usage commun du
territoire, qui puisse se l'approprier afin que les gens s'y sentent un peu
" chez eux " et qu'ensemble nous puissions développer une
communauté de vie. Le principe du jumelage était :
« le territoire s'ouvre ». Le terme de jumelage est un peu
ambigu puisque traditionnellement le jumelage signifie l'association de deux
entités qui sont semblables. Ici, je ne vais pas éliminer le
terme de jumelage, mais il faut comprendre que ce sont deux entités qui
sont radicalement différentes. Mme Bourgain présentera
succinctement l'Ile-Saint-Denis, je rappellerai simplement que la commune en
elle-même fait 150 hectares et à environ 7.000 habitants. 150
hectares rapportés à l'espace que nous avions à
gérer, puisque nous avons également 250 hectares de bois, soit au
total 650 hectares, c'était quatre fois moins et nous étions cinq
familles à nous en occuper. Vous comprenez bien que nous allions mettre
en commun nos différences et pas nos similitudes. L'importance du
jumelage était aussi de ne pas seulement s'adresser aux enfants mais
à tous les habitants puisque l'un des grands problèmes des
relations ville/campagne telles qu'elles sont conçues c'est qu'elles
sont d'abord essentiellement en direction des enfants sans prendre en compte la
manière dont les parents vont percevoir cette relation que les enfants
vont avoir avec un territoire sur lequel ils, les parents, ne sont jamais
allés. Ceci nous paraissait très préjudiciable notamment
si nous voulions que le territoire joue un rôle dans l'émergence
d'une citoyenneté qui est une histoire partagée. Le jumelage est
en route, nous avons trouvé des partenaires, une association, nous
travaillons aussi avec la mairie, l'école. Cela a très vite
démarré avec les scolaires puisque depuis trois ans tous les
enfants viennent régulièrement avec l'objectif que finalement la
ferme soit un peu pour eux ce que la maison de famille de ma grand-mère
était pour moi qui suis né et ait été
élevé dans le monde urbain, c'est-à-dire un attachement
à un territoire non urbain. Tous les enfants vont venir pendant toute
leur scolarité, nous allons essayer de travailler avec les
collèges après, pour que petit à petit ils se sentent chez
eux dans cette portion de territoire. Avec les adultes, nous avons eu des
actions avec une association d'insertion autour des travaux du bois et tout ce
que l'on peut imaginer sur un territoire rural. Avec l'association de femmes,
nous montons un verger. Les choses prennent du temps, il faut apprendre
à se connaître, mais je voudrais insister sur un facteur :
nous ne proposons pas une prestation aux gens, au contraire nous leur disons
que nous n'avons pas d'idée de ce qu'ils peuvent faire de ce territoire
mais après tout nous pouvons en mobiliser une partie pour que vous soyez
acteurs. Effectivement, le verger a empiété sur un tiers
d'hectare de friches, etc.
Les atouts de l'espace rural
On voit par les exemples donnés que ce sont les urbains qui vont dans
l'espace rural et que nous mobilisons le territoire. Pourquoi le territoire
rural peut avoir une certaine valeur pour résoudre un certain nombre de
problèmes du territoire urbain ? Je vais écarter une
tentation agrarienne qui serait de prêter à l'espace rural une
vertu naturelle. Il est évident que lorsque vous mettez quelqu'un qui a
des problèmes psychologiques, problèmes d'identité dans le
monde rural tout seul, il déprimera autant que s'il était dans le
monde urbain, il sera même coupé de réseau de
sociabilisation, de ses repères, ce qui peut être dramatique. Il
n'y a pas une sorte de vertu naturelle de la campagne face à une ville
qui serait mère de tous les vices. Par contre, qu'est-ce qui
différencie l'espace rural ? En ville chaque objet a une fonction, vous
n'avez pas quelque chose qui soit à disposition des habitants pour
qu'ils agissent dessus, on donne aux habitants un environnement qui est
déjà fait. Le vandalisme est bien souvent le détournement
d'objectif d'un objet. Vous cassez quelque chose parce que ce n'est pas vous
qui l'avez mis, qui l'avez construit. Où pouvez-vous dépenser
votre énergie créatrice en ville ? L'espace urbain n'offre
rien pour que la personne crée et agisse sur son environnement.
" Tu n'agiras pas sur ton environnement " c'est finalement un
interdit fondamental de la ville. Ce n'est pas nouveau, toute l'idée du
scoutisme c'est d'élever les gens, de leur permettre de
s'épanouir en tant qu'individu acteur en allant dans un espace qui offre
des choses à changer. L'espace rural a donc une carte à jouer,
essentiellement la forêt. Dans un hectare de forêt les enfants
construisent une cabane, jouent, font un feu. Ce qui est fondamental dans la
constitution de l'individu.
Le second point sur la relation parents/enfants est que, si nous
réfléchissons bien, les gens avec lesquels nous sommes en
relation, beaucoup sont des gens qui sont issus de l'immigration, ont
vécu trois ruptures fondamentales :
la rupture de la langue,
le fait qu'ils soient passés d'une civilisation souvent orale - ils sont
souvent analphabètes - à une civilisation de l'écrit,
la plupart sont issus du monde rural et ont été projetés
dans le monde urbain.
Dans ce contexte ce sont leurs enfants qui sont les médiateurs pour eux
vis-à-vis de la société. L'enfant maîtrise mieux la
langue, l'écrit et l'espace. L'avantage de l'espace rural c'est que les
enfants sont déroutés face à cet espace, même s'ils
se l'approprient très vite alors que les mères le sont beaucoup
moins. Il y a un facteur pédagogique très fort : à
partir du moment où ce territoire s'ouvre un petit peu, les mères
vont retrouver un ascendant sur leurs enfants et je crois qu'on ne grandit bien
que dans l'estime de ses parents.
Comment mieux mobiliser l'espace rural ? On utilise très mal notre
espace rural, surtout l'espace périurbain compte tenu de l'urgence du
problème des villes. L'espace rural est beaucoup plus privé que
l'espace urbain. On considère que l'espace urbain est public à 30
% alors que l'espace rural est public à 5 %. Dans beaucoup de
départements, il y a beaucoup plus de propriétaires qu'il n'y a
d'habitants. Tous les espaces de Creuse ont un propriétaire
concrètement et nous sommes en incapacité de mobiliser cet espace
parce que l'on comprend bien l'appréhension d'un propriétaire
face à la foule urbaine qui apparaît incontrôlable. Il faut
que l'espace rural invente une nouvelle manière de mobiliser son
foncier, ce qui passe par des révolutions culturelles assez importantes.
La seconde chose qui me paraît essentielle, et c'est là que le
jumelage essaye de répondre à la question, est que c'est vrai que
c'est paniquant lorsque l'on est cinq familles de se trouver face à une
commune de huit mille habitants parce qu'ils sont plus nombreux que nous. Nous
ne sommes plus maîtres sur notre territoire et c'est angoissant. Ceci ne
peut se résoudre que par une bonne interconnaissance, donc en
choisissant un espace urbain, des gens que l'on va apprendre à
connaître, c'est seulement ainsi que l'angoisse du propriétaire
sera vaincue. Concernant l'agriculture, je crois qu'il n'y a pas d'autre
solution que de repartager le territoire. Nous sommes fortement aidés
par la puissance publique, notamment par le contribuable allemand à
travers la PAC. Je ne me fais pas d'illusion il va y avoir une
renégociation des aides qui me paraît légitime, de nouveaux
contrats vont être fixés et nous allons, dans ce cadre, repenser
ce que veut dire être propriétaire de son territoire, assurer un
service qui soit un service négocié avec la collectivité
et nous retombons sur la notion de contrat, chère à M. Leclerc,
qui se développera également en agriculture.
M. Daniel PERCHERON
: La parole est à Mme Bourgain,
professeur agrégé de mathématiques, qui anime
l'association Ebullition.
Mme Elizabeth BOURGAIN, présidente de l'association
Ebullition
: Je suis responsable d'une association qui travaille dans
une ville qui s'appelle l'Ile-Saint-Denis en Seine-Saint-Denis où tous
les problèmes soulevés tout à l'heure, d'exclusion et de
difficultés existent. Depuis le début nous essayons de travailler
sur le lien ville/campagne parce que nous sommes persuadés qu'il y a
là une idée qui est porteuse.
Nous avons commencé par faire cela dans notre île-même.
Chaque année nous animons des chantiers de nettoyage des berges de Seine
et nous nous sommes dit que nous pourrions aller plus loin. Notre
première expérience a été avec
« banlieues vertes » où une quinzaine de jeunes de
chez nous sont partis chez des agriculteurs des Deux-Sèvres à
l'invitation du CDJA. Les jeunes qui étaient dans ces fermes ont fait
beaucoup de découvertes sur la vie familiale dans les milieux de
l'agriculture. Ils ont découvert le lance-pierres qui est maintenant un
acquis à l'Ile-Saint-Denis. Leur demande la plus importante était
d'être regroupés et d'avoir des activités. Nous avons eu un
deuxième temps où nous sommes partis en Haute-Saône et dans
les Charentes en centres de découverte où nous avons
emmené les jeunes pour avoir des activités. Nous avons fait de la
spéléo, du Kayak, du VTT, de l'escalade etc. Nous nous sommes
rendu compte qu'entre les activités, ils avaient du temps pour faire des
bêtises et aller voler dans les magasins et qu'ils n'avaient aucun
contact avec la campagne. Sur le fond, ce n'était pas une rencontre avec
la campagne, c'était très ponctuel. L'idée magique que
nous avons eue lorsque nous avons rencontré la bergerie est que nous
nous inscrivons dans le développement durable. Les enfants de
l'Ile-Saint-Denis commencent à découvrir beaucoup de choses sur
les yaourts, sur le jus d'orange puisque dans une école maternelle nous
avons des activités importantes sur la nutrition en liaison avec la
bergerie et le centre international de l'enfance et de la famille. Nous avons
découvert que les enfants ne savaient pas que le jus d'orange venait des
oranges.
C'est intéressant d'aller à la bergerie parce que c'est proche.
Nous pouvons y faire plein de choses utiles et nécessaires. Nous
avons un centre de loisirs qui y va lorsqu'il y a des événements
locaux par exemple la tonte des moutons. Nous avons planté un verger.
Lorsque la société de chasse a eu besoin de compter les
chevreuils, les jeunes sont venus. Nous faisons beaucoup de sorties, de
méchouis. L'atelier poterie a fait des activités de cuisson en
plein air. Nous commençons à avoir des campings, etc. il y a le
projet de verger, un projet de volailles tout cela s'inscrit dans la
durée. Nos jeunes allaient à la campagne mais qu'y faire à
part prendre son transistor sur l'épaule ? Maintenant cela devient
une mode dans l'Ile-Saint-Denis parce qu'il y a des liens qui se sont
créés. Nous visons le long terme.
Nous souhaitons que ce qui se passe entre l'Ile-Saint-Denis et la bergerie se
passe entre beaucoup d'autres cités et d'autres fermes.
Pour aller à la bergerie, il faut prendre des bus et cela coûte
cher, nous avons eu un partenariat important avec la RATP mais elle ne peut
financer tous les voyages. C'est un gros problème et je lance un appel.
Concernant le problème de l'encadrement, nous avons dit que beaucoup de
parents et instituteurs étaient d'origine paysanne. Quant aux
animateurs, ils ne sont pas du tout paysans puisque nés à la
ville et lorsqu'ils emmènent les enfants à la campagne, il y a
des problèmes parce qu'ils ne savent pas quoi y faire. Il faut que les
jeunes soient accompagnés par des gens qui savent vivre à la
campagne. Il y a un gros problème de formation des animateurs qui
encadrent ces sorties. Nous avons la chance d'avoir un lien avec le MRJC de la
Creuse qui travaille sur l'accueil des enfants des villes. Ils ont des
expériences difficiles avec des groupes de jeunes qui sont
arrivés chez eux et cela n'a pas fonctionné. Nous
réfléchissons sur le contenu et la formation des animateurs qui
accueillent ou qui accompagnent les jeunes. Nous avons un projet de BAFA. Un
exemple : chez nous les jeunes mangeaient un peu n'importe quoi. Les
jeunes ruraux et les animateurs ruraux étaient choqués de cette
façon de se nourrir et s'il n'y a pas une réflexion et une
entente préalable sur les exigences qu'on a par rapport aux enfants,
cela ne fonctionne pas.
Cette réflexion sur l'encadrement est intéressante à
développer. Cela ne concerne pas uniquement les jeunes et nous essayons
de faire du travail le plus intergénérationnel possible pour que
le fait d'aller à la campagne soit un bienfait pour tout le monde.
En conclusion, ce que nous avons commencé à tisser avec la
bergerie du Vexin est quelque chose de très porteur. J'espère que
beaucoup d'associations de quartier comprendront l'importance de ce travail et
que nous serons aidés.
M. Gérard LARCHER
: Nous allons évoquer le beau et le
laid dans cet espace périurbain. Il y a des réalités qui
sont des réalités économiques, car l'immense
majorité du territoire périurbain agricole fait vivre des
familles d'agriculteurs qui doivent en tirer des revenus qui sont
indispensables. L'expérience de la bergerie nous a beaucoup
intéressés ou d'autres fermes pédagogiques que nous avons
approchées, ne sont pas en l'état actuel des modes de financement
ou d'approche face à un monde agricole qui, comme l'a dit
M. Calamme, va vivre une période difficile. Nous échangions
M. Daniel Percheron et moi-même le sentiment que la
renégociation de la PAC va être une épreuve très
difficile pour l'Europe en particulier pour la France. Face à cela,
n'oublions pas que les agriculteurs ont un droit légitime à avoir
à tirer un revenu qui, dans le milieu périurbain, a des
contraintes spécifiques et nous n'avons pas évoqué les
contraintes du foncier non bâti ou les contraintes de la transmission,
sujets qui seront abordés cet après-midi. Nous nous apercevons
qu'il y a des réponses qu'il va falloir trouver et négocier y
compris dans leur composante financière, car cette dimension de
sociabilité doit avoir une traduction financière sinon ce serait
du rêve ou la transmission des problèmes des uns sur les
épaules financières des autres qui ne peuvent le supporter.
La parole va être passée à M. Guy Poirier, conseiller
technique auprès du directeur de l'espace rural et de la forêt
mais qui est un militant du périurbain et de l'agriculture
périurbaine. Il est de ceux qui étaient venus me voir. C'est un
homme qui a le sens de la proportionnelle à la fois comme maire d'un
secteur qui vit l'espace périurbain et comme spécialiste de ces
questions qu'il a abordé avec Madame Celdran avec beaucoup de
volonté. Je lui cède la parole.