3. Le beau à la porte des villes par M. Guy POIRIER, conseiller technique auprès du directeur de l'espace rural et de la forêt
Merci
Monsieur le président. Lorsque M. Larcher m'a proposé de parler
de la beauté aux portes des villes, j'ai senti un piège. Il ne
faudrait pas trouver la vertu dans le monde des campagnes et tous les dangers
dans le monde des villes. Il est vrai que nous avons des campagnes où se
posent des problèmes et que nous avons des villes harmonieuses. Les
rapports entre ville et campagne et l'endroit où ces rapports sont le
plus tendu, les zones périurbaines, méritent d'être
analysés de façon moins passionnelle.
Pour continuer la réflexion qui a été amorcée ce
matin, je voudrais faire un bref rappel historique : M. Eugène
Weber, dans la fin des terroirs, situe dans les années 1914 cette
césure entre une France rurale et une France urbaine. Nous pouvons aller
jusque dans les années 1950. Les agriculteurs ont été les
véritables acteurs de la ville, pourquoi ? Parce qu'ils
bénéficiaient du monopole de l'approvisionnement, ils
étaient reconnus comme étant des éléments
fondamentaux parce qu'ils approvisionnaient le monde des villes dans une
période où la pénurie était fréquente.
Les rapports qui pouvaient exister entre urbains et agriculteurs étaient
plutôt de bon voisinage. Les horticulteurs, par exemple, apportaient
leurs légumes, leurs fleurs, leurs fruits et ils collectaient
auprès des urbains les ordures ménagères qu'ils
compostaient pour fertiliser leurs terres. Il y avait une véritable
osmose entre le monde des villes et des campagnes qui était telle que
l'on peut dire que notre territoire a été en partie forgé
à partir de la relation ville/campagne. C'est ce qu'explique avec
beaucoup de pertinence von Tunen, économiste et géographe
allemand, en expliquant qu'à proximité des villes étaient
cultivés des produits périssables difficiles à
transporter. Un peu plus loin on trouvait les zones d'approvisionnement du bois
nécessaire à la construction et au chauffage. C'étaient
les forêts de Rambouillet et de Saint-Germain qui étaient
exploitées ; encore un peu plus loin nous avions les zones
d'approvisionnement céréalier et encore un peu plus loin des
zones d'approvisionnement en viande. Il y avait tout un ordonnancement
d'aménagement en fonction de la demande urbaine. C'est ce qui a
forgé en partie notre territoire. Il est évident que dans les
années 1950, le développement des transports,
l'amélioration des techniques de production, les nouvelles
manières de conserver les produits ont modifié les
ordonnancements. Parallèlement, la crise des campagnes, la diminution
des besoins de main-d'oeuvre a fait en sorte que le monde des campagnes
affluait vers les villes. Il y a eu un véritable bouleversement dans
l'équilibre ancien. Les ruraux sont devenus les nouveaux acteurs de la
ville mais sous une forme différente en étant les consommateurs
de la ville. La pression foncière exercée autour des villes,
surtout à partir des années 1970, a commencé à
rendre difficile l'accès ou la permanence de l'exercice de
l'activité agricole. Alors se sont situés les grands
bouleversements des espaces mités, des espaces en
déshérence, des paysages saccagés, des actes de vandalisme
et l'on ne peut pas dire que la beauté était au rendez-vous aux
portes des villes. Nous connaissons en zones périurbaines les
problèmes qui sont inhérents au monde des campagnes et au monde
des villes.
Comment peut-on présenter l'agriculture périurbaine à
l'aube de l'an 2000 ? Je la présenterai en retenant trois
dimensions : elle est présente, elle s'est banalisée, elle
garde quelques caractères spécifiques qu'il faut
développer.
Elle est présente : une enquête de la Cégésa a
indiqué que 52 % du territoire des cantons périurbains sont
occupés par l'activité agricole. Cela concerne
400.000 personnes et environ 125.000 exploitations.
Elle s'est banalisée : ce qui faisait sa spécificité
à travers ces différentes couronnes, n'existe plus ; les
arboriculteurs survivent dans des conditions difficiles, le maraîchage a
pratiquement disparu et la viticulture n'est plus qu'un pâle souvenir.
L'espace périurbain est l'endroit où l'on vit les contradictions
les plus fortes qui sont exacerbées. L'urbain perçoit en
négatif l'agriculteur. Lorsque l'on parle de problèmes de
pollution des eaux, d'odeurs de lisiers, gêne occasionnée par les
tracteurs, le bruit et le rythme de bruit n'est pas le même pour les
urbains que pour les ruraux mais l'agriculteur est lui aussi l'objet du
caractère négatif de la ville, victime du vandalisme,
méfiance et méconnaissance de l'urbain qui a des exigences qui ne
sont pas toujours en rapport avec celles de l'agriculteur. Les tensions sont
plus fortes car la coexistence y est plus difficile mais aussi, l'agriculteur a
des atouts considérables et l'agriculture périurbaine offre des
avantages sinon des pistes intéressantes pour les urbains. Je pense
à ce qui se passe à Perpignan, à Aubagne, des
possibilités de ventes directes, et la législation rend difficile
les mouvements de producteurs avec l'approvisionnement des supermarchés,
mais il y a des possibilités. Il y a aussi toute la
variété possible et imaginable de l'activité de
diversification, tourisme à la ferme, tables d'hôtes, circuits
pédestres, parcours équestres, possibilités de cueillettes
qui rapproche ainsi le monde des villes du monde de la campagne et qui permet
aussi à l'agriculteur de tirer quelques bénéfices et
d'avoir un peu de valeur ajoutée.
Les urbains reconnaissent à l'agriculteur sa capacité à
gérer l'espace. On connaît bien des phénomènes de
relations étroites en ce qui concerne l'utilisation des boues des
stations d'épuration par les agriculteurs. La relation au niveau de
l'environnement reste très forte.
L'agriculture peut également se situer dans l'espace culturel et
esthétique, avec par exemple la réintroduction de la vigne
à Suresnes. On retrouve une véritable dimension de la
ruralité et de la production agricole à l'intérieur de nos
villes. Il y a depuis une dizaine d'années, 108 unités de jardins
familiaux qui ont été créées.
A Perpignan une activité agricole a été
réintroduite au coeur de la ville. Je crois qu'il y a, en effet, une
permanence de la place des agriculteurs dans le monde urbain parce que cela
permet d'avoir un cadre de vie agréable. Et parce que c'est aussi un
élément de diversification sociale au moment où notre
monde est en quête d'identité, l'acceptation de la
diversification, de la diversité y compris la diversité sociale
est une des réponses à cette recherche d'identité.