2. M. Philippe BALNY, directeur de l'Agence des espaces verts de la Région Ile-de-France
Merci
Monsieur le président. Je vais pour ma part vous parler de la
réflexion que nous avons développée à l'Agence des
espaces verts, pour mieux intervenir pour la protection des espaces agricoles
périurbains. Tout d'abord, un mot sur l'Agence des espaces verts de la
région Ile-de-France. Nous avons été créés
pratiquement en même temps que le Conservatoire du littoral et pour les
mêmes raisons. Nous sommes le Conservatoire des espaces naturels
d'intérêt régional de la région Ile-de-France. Nous
intervenons, par des acquisitions, dans le but, non pas de recéder, mais
de conserver pour préserver définitivement les espaces de la
constructibilité. Nous intervenons totalement comme un conservatoire
d'espaces naturels. Nous avons été créés dans le
cadre des réflexions qui ont conduit à l'élaboration du
premier schéma directeur de la région Ile-de-France et à
l'époque, ceci remonte à 1976, il s'agissait déjà
d'empêcher la ville de s'étendre, de l'obliger à se
reconstruire sur elle-même. Depuis 22 ans, dans la région
Ile-de-France, nous avons dessiné ce que nous appelons une ceinture
verte qui entoure l'agglomération parisienne dans un rayon de 10
à 30 kilomètres de Paris, mais l'expérience de chacun peut
conduire à penser que cette ceinture verte reste un concept. Pas tout
à fait parce qu'au bout de 22 ans d'efforts, en conjuguant le
schéma directeur, c'est-à-dire les instruments
réglementaires et les interventions foncières de l'Agence, nous
avons obtenu des résultats s'agissant des espaces boisés, des
espaces naturels classés normalement en zone «ND» dans les
plans d'occupation des sols. Aujourd'hui les espaces boisés en
périphérie des villes sont assez bien protégés et
extrêmement difficiles à aliéner pour un usage autre que
leur simple conservation.
En revanche, nous n'avons que très faiblement réussi pour la
protection des espaces agricoles périurbains. Des experts nous ont dit
que si nous n'arrivions pas à protéger les espaces agricoles,
nous n'avions qu'à les reboiser. C'est une solution qui a
été largement utilisée dans les pays voisins notamment en
Allemagne, dans le cadre de la reconstruction. Lorsque vous allez dans les
villes nouvelles souvent reconstruites après la guerre, vous vous
trouvez en campagne, vous traversez une couronne boisée ; premier feu
rouge et c'est la ville. C'est la situation idéale pour un francilien
qui viendrait tous les jours travailler à Paris prenant la RN 10 de
Rambouillet à Versailles où nous avons l'inverse
c'est-à-dire 20 kilomètres de zone d'activité qui
s'étendent le long de la RN 10.
Nous n'avons pas décidé le reboisement de tous ces espaces parce
que nous n'en avons pas les moyens. Reste la protection des espaces agricoles
périurbains. Nous avons besoin d'un outil de surveillance
foncière et nous ne l'avons pas. Par conséquent quand on dit que
tout existe dans la réglementation, il y a des choses qui existent plus
que d'autres, qui sont plus faciles à trouver.
Mais d'abord pourquoi faut-il faire une surveillance foncière ? Les
experts sont tous d'accord pour considérer que la protection de l'espace
résulte de la mise en oeuvre de toute une batterie d'instruments qui
relèvent à la fois de mesures réglementaires et
d'interventions foncières et qu'une bonne maîtrise de l'espace
nécessite souvent la mobilisation de tous ces instruments. Il est
inutile de vouloir opposer des instruments à d'autres et
préférer les uns au détriment des autres. Nous avons
besoin de tous les instruments pour protéger ces espaces. Je
définirai d'ailleurs pour ma part l'agriculture périurbaine comme
étant constituée d'espaces agricoles où le prix du foncier
n'est plus un prix agricole. Nous en avons tous des exemples sous les yeux.
Que se passe-t-il si le prix du foncier n'est plus un prix agricole ? Les
économistes vous diront évidemment que l'activité agricole
est à terme remise en cause. Comment voulez-vous qu'une activité
agricole soit rentable sur un prix de foncier très au-dessus du prix
agricole ? C'est totalement impossible. Et plus le prix du foncier
s'éloigne vers le haut du prix agricole, plus la pérennité
de l'exploitation agricole est remise en cause rapidement. C'est une simple
constatation de bon sens d'un économiste qui pourrait s'interroger sur
la profitabilité de son investissement. Par conséquent, si nous
acceptons cette définition de la périurbanité agricole, il
faut convenir que si nous voulons protéger l'agriculture, il faut
précisément intervenir sur le foncier. Or, nous ne trouvons pas
cet outil foncier facilement. Pourquoi ? Il y en a deux. J'exclus
d'entrée de jeu la ZAD d'Etat pour protéger les espaces
agricoles. Supposons que l'Etat renonce dorénavant à mettre en
oeuvre un dispositif de "zadage" pour protéger les espaces agricoles, il
nous reste deux moyens, l'Espace Naturel Sensible et le droit de
préemption de la SAFER.
L'Espace Naturel Sensible (ENS) : en regardant dans la
réglementation, les juristes vous diront que vous ne pouvez pas utiliser
le droit de préemption ENS au motif de protéger l'activité
agricole. Ce n'est pas possible. Il y a au moins deux objections
évidentes : l'obligation d'ouverture au public des espaces agricoles qui
ont un gestionnaire privé. Il n'est évidemment pas question de
les ouvrir au public. Deuxième objection : la domanialité
publique. Si vous faites de la surveillance foncière sur l'espace
agricole, cela veut dire que de temps en temps vous achetez. Les terrains
achetés tombent dans la domanialité publique d'après la
loi. Au moins pour ces deux raisons, c'est extrêmement dangereux
d'utiliser les ENS pour protéger les espaces agricoles.
Fondamentalement, je ne pense pas que ce soit l'outil adapté pour le
faire.
Reste le droit de préemption de la SAFER. C'est bien, mais la SAFER a
l'obligation de revendre dans les 5 ans. Comment peut-elle intervenir sur des
prix de marché du foncier qui ne sont plus des prix agricoles ?
Impossible. Elle ne peut pas intervenir pour acheter à des prix de
marché au-dessus du prix agricole sachant, par définition,
qu'elle ne pourra jamais rétrocéder à un agriculteur. Elle
ne peut le faire que dans le cadre d'un partenariat avec une
collectivité et je remercie le vice-président des Jeunes
agriculteurs de l'avoir rappelé. Effectivement la SAFER peut se
retourner vers une collectivité en disant "Vous êtes ma
société d'intervention, garantissez-moi la bonne fin,
j'interviens, je préempte et si je ne peux pas rétrocéder,
vous me rachetez ce bien", sachant qu'elle ne pourra pas si le prix du foncier
n'est plus un prix agricole.
Nous avons trouvé la solution. Faisons un partenariat entre les SAFER et
les collectivités locales. Mais cela veut dire que les
collectivités locales sont condamnées à acquérir le
foncier agricole périurbain menacé défini comme
étant les espaces où le prix du foncier n'est plus un prix
agricole. Cela pose des problèmes. Nous en avons discuté avec M.
le Président Larcher. Nous avons sur ce point réuni un groupe de
travail et l'Agence des Espaces Verts a publié un rapport sur les modes
d'intervention alternatifs à l'acquisition pour la protection des
espaces agricoles. Ce rapport est ici. Je le tiens à votre disposition.
Pourquoi l'acquisition par la collectivité locale pose-t-elle des
problèmes ? Il y a trois types de problèmes. Le premier
problème est le coût. Les élus qui financent ces
acquisitions au budget des collectivités locales vont trouver cela cher
pour installer, en passant un bail à long terme, un agriculteur. C'est
coûteux et c'est tout bénéfice pour l'agriculteur.
Deuxième objection : à chaque acquisition, cela entraîne
des problèmes politiques avec les agriculteurs qui pensent que c'est la
municipalisation des terres. Troisième objection : économique.
Les collectivités locales interviennent avec l'argent des contribuables
pour préserver des espaces agricoles, pour faire de l'aménagement
du territoire. Ce faisant, elles donnent une subvention économique
importante aux fermiers qu'elles installent sur leurs terres. Il y a donc un
problème dans l'objet de la dépense publique qui ne sert pas
seulement à l'aménagement du territoire.
Pour répondre à ces trois objections, les analystes ont
analysé la servitude non aedificandi. Nous avons dans le Code civil une
disposition qui dit qu'il peut y avoir un propriétaire qui
possède un fonds dominant, qui impose une servitude sur un fond
dominé. C'est l'histoire du château, d'un parc autour, des terres,
tout cela doit rester en l'état. Les héritiers vendent les terres
mais avec une servitude. Ce n'est pas une situation facilement reproductible.
Idée séduisante, nous séparons le sous-sol de la surface
et nous considérons que le sous-sol est le fonds dominant et la surface
le fonds dominé. La puissance publique par le jeu d'une convention avec
la SAFER achète le fonds dominant, garde le sous-sol et revend la
surface avec une servitude. Malheureusement, je crains que cette disposition ne
soit pas très praticable et ceci est détaillé dans le
rapport.
Il reste une solution, c'est la possibilité de séparer la
propriété en deux, l'usufruit d'un côté et la
nue-propriété de l'autre. La puissance publique
s'intéresse simplement à la protection définitive des
sols, c'est-à-dire en fait à la nue-propriété,
l'exploitant agricole s'intéresse à l'activité
économique, donc à l'usufruit. Nous gardons la
nue-propriété et nous vendons l'usufruit. Il y a des petits
problèmes dans la législation actuelle, c'est que l'usufruit est
attaché à la vie de la personne. On affine un peu le dispositif
et on fait une clause de réversibilité de manière à
garantir une période longue.
Voilà l'état de nos réflexions à l'intérieur
du droit existant. Si l'on veut poursuivre la réflexion, il faut se
mettre à l'extérieur du droit existant et imaginer de
légiférer. Soit créer un nouveau droit de
préemption qui s'appellerait le droit de préemption pour les
espaces naturels sensibles périurbains, ce qui n'existe pas aujourd'hui.
Cela peut être un espace agricole périurbain sensible, mais cela
suppose qu'on légifère, soit dans le cadre de la loi
d'orientation agricole, soit dans le cadre de la loi pour l'aménagement
et le développement durable du territoire.
M. Michel SOUPLET :
Merci Monsieur. Je vais demander à M.
Boisseau, président de la Fédération des associations de
propriétaires et agriculteurs d'Ile-de-France de bien vouloir nous
donner le point de vue des propriétaires fonciers sur l'ensemble de ces
questions.