IV. QUELLE CROISSANCE POUR L'EUROPE ?
A. HYPOTHÈSES DE LA PROJECTION DE L'OFCE : L'EUROPE À CONTRE-COURANT
Compte
tenu de la convergence et du degré d'interdépendance des
économies européennes, les hypothèses de croissance pour
l'Union européenne
déterminent
très largement les
prévisions pour l'
économie
française.
La projection à moyen terme de l'économie française,
réalisée par l'OFCE et présentée dans le
chapitre II
et l'
annexe n° 1
, repose sur
l'hypothèse d'une stabilisation de la croissance européenne
autour de 2,5 % par an à partir de 1999 (après
+ 2,7 % en 1998).
Les experts de l'OFCE ont ainsi retenu un scénario qui peut
apparaître optimiste eu égard à la dégradation de
l'environnement extra-européen décrite ci-dessus ou, au
contraire, plutôt prudent si on le compare à la dernière
phase d'expansion cyclique de la période 1986-1990 (+ 3,4 %
par an en moyenne).
Le propos de votre Rapporteur n'est pas d'arbitrer entre ces deux
appréciations mais de tenter d'analyser ce qui sous-tend et ce que
suppose cette hypothèse, notamment à la lumière des
simulations présentées ci-dessus.
• Il faut tout d'abord observer qu'à la crise des
économies des pays émergents et du Japon, se superposerait
dès 1999 une forte
contraction
de l'activité aux
Etats-Unis
.
Même si l'économie américaine a continué de
croître au troisième trimestre de 1998 à un rythme
annualisé proche de 3,5 %, les facteurs qui ont longtemps soutenu
la croissance devraient, selon l'OFCE, se
retourner
brutalement :
le
taux d'épargne
des ménages, qui se situe aujourd'hui
à un point bas historique (0,3 %), devrait augmenter en raison de
la crise boursière ; surtout, l'
investissement
des
entreprises devrait se contracter en raison de la baisse des profits des
entreprises et de la crise financière qui menace la solvabilité
des banques. Le taux de croissance du PIB aux Etats-Unis passerait ainsi de
3,2 % en 1998 à 0,5 % en 1999. Ce retournement serait
néanmoins de courte durée, grâce à une
politique
monétaire accommodante
: à partir de 2000,
l'économie américaine retrouverait un rythme normal
d'activité et un taux de croissance de l'ordre de 2,2 % par an
entre 2000 et 2003.
• Malgré un environnement mondial dont la dégradation
devrait s'aggraver avec le ralentissement américain, les experts de
l'OFCE, comme la plupart des organismes de prévisions, nationaux ou
internationaux, ont certes retenu l'hypothèse d'un ralentissement de la
croissance en Europe (de + 2,7 % en 1998 à + 2,5 %
en 1999), mais pas celle d'une contraction comparable à celle de ses
partenaires. Les arguments en faveur d'une
stabilisation
de
l'économie européenne sur son sentier de
croissance
potentielle
ont été mis en lumière par les
débats récents sur les hypothèses associées au
projet de loi de finances pour 1999 et sont désormais bien connus :
la demande intérieure en Europe a gagné en vigueur au premier
semestre 1998, notamment la consommation des ménages soutenue par la
progression de l'emploi et des revenus ; les ajustements
budgétaires seraient moins sévères qu'au cours des
années récentes ; la croissance se maintient à un
rythme élevé dans plusieurs pays de la zone euro (Espagne,
Pays-Bas, Irlande).
Ce diagnostic relativement consensuel appelle quatre observations :
- Il faut d'abord rappeler que si ces prévisions se réalisaient,
ce ne serait pas la première fois que l'économie
européenne évoluerait à " contre-courant " de
ses principaux partenaires : la forte reprise de la fin des années
80 s'est produite dans un contexte de fort ralentissement en Amérique du
Nord ; au contraire, la récession européenne de 1993 a
coïncidé avec la forte croissance américaine.
Ces " décalages de conjoncture " ne sont pas
surprenants : l'Europe, prise dans son ensemble, est une
zone
fermée
sur l'extérieur. Le rapport des exportations au PIB
n'est que de 9,4 % ; si on y inclut les pays d'Europe centrale et
orientale, aujourd'hui dans une phase de forte expansion (de l'ordre de
8 % en 1998), le rapport des exportations au PIB de l'Europe n'est que de
6 %.
- A partir des simulations présentées au début de ce
chapitre, on peut estimer que la crise des pays émergents, le
prolongement de la crise au Japon et la baisse du dollar
" coûteraient " à l'économie européenne
environ 1,3 point de croissance en 1999. On peut donc en déduire,
afin d'apprécier le diagnostic des prévisionnistes, que
sans
ces événements exceptionnels
la croissance européenne
se serait située autour de
4 % en 1999
, soit un taux de
croissance atteint une seule fois - en 1988 - depuis le premier choc
pétrolier.
- Si l'on raisonne sur des taux de croissance en
glissement
9(
*
)
qui, à l'inverse des taux de
croissance en moyenne annuelle, permettent d'observer les fluctuations
conjoncturelles
infra-annuelles
, on observe que depuis la fin de 1997,
la croissance européenne a fortement
ralenti
. Elle se trouve
aujourd'hui sur une pente de 2 % l'an environ, contre 3,5 % l'an au
cours des trois premiers trimestres de 1997.
Il faut en déduire qu'une prévision de croissance en moyenne
annuelle de 2,5 % en 1999 suppose une
forte reprise
de
l'économie européenne au second semestre de 1999 et un retour de
l'activité sur un rythme d'activité annualisé de 3 %.
C'est donc une anticipation d'
accélération
de
l'activité, et non de stabilisation, qui sous-tend l'hypothèse de
croissance à court terme en Europe.
- Les deux observations qui précèdent conduisent à
considérer que les experts de l'OFCE ont privilégié un
scénario à
court terme très favorable
et même
normatif
pour l'économie européenne, le scénario
à moyen terme ayant un caractère plus
tendanciel
.