2. Une situation préjudiciable aux étudiants
Les
bibliothèques universitaires ont pour fonction essentielle de contribuer
à la formation des étudiants et de constituer un instrument
irremplaçable de recherche.
Les bibliothèques universitaires contribuent en effet à modifier
et enrichir le rapport à l'enseignement et au savoir et favorisent la
constitution, par les étudiants eux-mêmes, de leur propre
documentation. Elles sont essentielles à l'acquisition de l'autonomie
dans l'accès à l'information. Elles constituent ainsi un
élément de l'amélioration de la réussite des
étudiants, les corrélations étant claires entre la
pratique documentaire et la réussite, d'une part, entre la poursuite
d'études et l'usage plus intensif des bibliothèques, d'autre part.
Or, il est indéniable que le retard qui les affecte ne leur permet pas
de mener à bien ces missions. Les étudiants sont donc les
premiers à en pâtir, l'immense majorité de leur public
étant constitué par les étudiants (environ 85 %).
Beaucoup d'étudiants ne fréquentent même pas la
bibliothèque.
Le rapport Miquel notait que
" près de la moitié d'entre
eux ne fait pas la simple démarche de s'y inscrire ".
En effet,
plus de 40 % des étudiants inscrits à l'université ne
fréquentaient pas la bibliothèque universitaire. Telle
était la situation en 1988.
De nombreux sondages et enquêtes montrent toutefois que, de 1984 à
1990, la fréquentation des bibliothèques universitaires a
progressé de manière considérable : + 70 %,
soit une hausse bien supérieure à celle des effectifs
d'étudiants malgré la " massification " de
l'enseignement supérieur. En outre, certains étudiants peuvent
préférer fréquenter soit des bibliothèques
municipales soit des bibliothèques d'autres établissements comme,
à Paris, la bibliothèque publique d'information (BPI) à
Beaubourg ou la bibliothèque nationale de France (BNF).
Cette plus grande fréquentation des bibliothèques universitaires
par les étudiants constitue bien-sûr une évolution
positive, mais, dans le même temps, elle a contribué à
engorger leurs capacités d'accueil.
Pourtant, cette tendance générale recouvre bien des
disparités selon le niveau d'études, les filières et les
disciplines. Ainsi, Bernard Lahire, à partir d'une enquête
réalisée par l'Observatoire de la vie étudiante, aboutit
à la conclusion selon laquelle "
le type d'études
constitue la variable la plus discriminante pour comprendre les écarts
d'intensité de fréquentation des bibliothèques
universitaires
".
L'Observatoire de la vie étudiante, dans une autre enquête
consacrée aux conditions de vie des étudiants, dresse un
état des lieux de l'utilisation des bibliothèques par les
étudiants en fonction des filières et disciplines
(cf encadré ci-après).
D'une manière générale, le travail personnel se fait pour
l'essentiel dans l'espace privé, à domicile. 50,4 % des
étudiants du premier cycle (et 41,6 % de l'ensemble des
étudiants qui ont répondu à l'enquête) disent
travailler souvent chez leurs parents et 57,2 % chez eux (64,2 % de
l'ensemble), alors que 18,9 % disent travailler souvent en
bibliothèque, et seulement 9,1 % dans leur établissement en
dehors de la bibliothèque. Les étudiants ne s'écartent
guère de ces lieux de travail : si un tiers d'entre eux disent
travailler parfois chez un camarade ou un ami, la part de ceux qui disent
travailler souvent ou parfois dans un café ne dépasse pas, dans
le premier cycle, 13,2 % (23,3 % chez les étudiants en Lettres
classiques ou modernes, 17,3 % chez les étudiants en Sciences
humaines, 16 % chez les élèves des classes de
préparation littéraires, chez qui l'idéal de la
bohème intellectuelle a peut-être conservé plus d'attrait,
contre 9,8 % chez les étudiants en Sciences et 9,1 % des
élèves des CPGE scientifiques). 4,5 % seulement
déclarent travailler souvent ou parfois dans les transports publics,
1,8 % sur leur lieu de travail professionnel.
C'est chez les étudiants des UFR de Lettres classiques ou modernes
(30,9 %), de Langues (27,4 %), de Sciences humaines (25,4 %), de
Droit et de Sciences politiques (28,8 %) et chez les élèves
des CPGE littéraires (22,8 %), que la proportion des
enquêtés qui disent travailler souvent en bibliothèque est
la plus forte ; elle est beaucoup plus faible chez les
élèves des CPGE scientifiques (4,8 %), des STS (3,6 et
3,9 %), et chez les élèves des IUT (5,2 % pour ceux qui
se préparent à des métiers industriels, 10 % pour
ceux qui se préparent à des emplois du secteur tertiaire). On
observe la même opposition, entre les étudiants
d'université et les élèves des classes de
préparation littéraires d'une part, et, de l'autre, les IUT, les
STS, et les classes de préparation scientifiques en ce qui concerne la
fréquentation des bibliothèques proprement dite : la part
des étudiants d'université qui disent aller à la
bibliothèque (universitaire, interuniversitaire, de section ou de
spécialité) au moins deux fois par semaine atteint 35,7 % en
Lettres classiques et modernes, 37,5 % en Sciences économiques,
43,1 % en Langues, 47,5 % en Droit et Sciences politiques, et
46 % chez les élèves des classes de préparation
littéraires (30,5 % chez les étudiants en Sciences,
26,7 % en médecine).
En revanche, elle ne dépasse pas 25 % chez les élèves
des IUT " tertiaires ", 18,7 % dans les classes de
préparation scientifiques, 12 % chez les élèves des
STS industrielles et 8,5 % chez ceux des STS du secteur tertiaire.
Inversement, c'est dans les classes de préparation scientifiques
(28,3 %), les IUT commerciaux (16,4 %) et les STS (15,3 % dans
les sections industrielles, 18,3 % dans les sections commerciales) que la
proportion des enquêtés qui disent travailler souvent dans leur
établissement hors bibliothèque est la plus forte ; dans les
universités, c'est seulement en Sciences que cette proportion est
supérieure à la moyenne générale (13,9 %
contre 9,8 %). C'est ce que confirme la fréquentation des salles de
travail : plus faible que la moyenne dans les universités
(où elles sont utilisées par 20 % des étudiants en
Lettres, 21,3 % en Langues, 23,7 % en Sciences humaines, 24,6 %
en Droit et Sciences politiques, 25,7 % en Médecine, 27,1 % en
Sciences, 23,5 % en Droit, avec un maximum de 30,6 % en Sciences
économiques), elle passe à 51,4 % dans les STS industriels,
à 57,4 % dans les STS commerciaux, à 55,7 % dans les
IUT industriels, à 60,3 % dans les IUT commerciaux et à
65,6 % dans les CPGE scientifiques. D'un côté la
bibliothèque, de l'autre la salle de travail, héritière de
la salle d'études : c'est sans doute là un des aspects que
prend l'opposition entre la tradition universitaire de l'enseignement
supérieur, et la tradition scolaire de l'enseignement secondaire qui le
pénètre, avec son encadrement plus serré.
L'idée selon laquelle "
les étudiants ne lisent
plus
" - conception décadentielle de la culture - est du reste
réfutée par les faits qui montrent que les étudiants, par
rapport à la moyenne des Français, appartiennent à la
catégorie des gros lecteurs.
En revanche, il est exact que tous les étudiants ne font pas le
même usage des bibliothèques universitaires.
Le sondage
Les étudiants et la lecture
, réalisé par
SCP-Communication en novembre 1992, montre qu'une majorité
d'étudiants fréquentent " de temps en temps "
(43 %) ou " souvent " (32 %) une bibliothèque, mais
la pratique régulière n'est pas la règle. Au terme de ce
sondage, trois catégories d'usagers des bibliothèques peuvent
être retenues : les usagers réguliers, voire assidus ;
les usagers occasionnels ; les " non-usagers ".
Parmi cette dernière catégorie figurent trop d'étudiants
de premier cycle. En effet, plusieurs études révèlent que
50 % des étudiants entrant en première année de DEUG
estiment qu'ils n'ont pas besoin de la bibliothèque pour faire leurs
études, et qu'ils peuvent se satisfaire des cours magistraux (qu'ils se
procurent souvent sous forme de polycopiés) ou de quelques manuels de
base.
Cette attitude est incompatible avec les méthodes de travail
dans l'enseignement supérieur, qui reposent avant tout sur le travail
personnel, et ne favorise guère l'apparition d'un esprit propice
à la recherche.
Elle est d'autant plus critiquable qu'elle est trop souvent si ce n'est
encouragée du moins confortée par des enseignants dont
l'intérêt pour les bibliothèques est souvent très
relatif.
Dans le cadre de la préparation du plan social étudiant
présenté par M. Claude Allègre devant la commission
des affaires culturelles du Sénat le 1
er
juillet 1998, un
document de travail avait été rédigé,
consacré aux aides sociales et à la vie de l'étudiant (cf.
encadré ci-après). Ce document prenait en considération,
même de façon succincte pour ne pas dire allusive, le fait que la
documentation ainsi que l'accès aux nouvelles technologies, constituent
des "
enjeux centraux de la condition étudiante
".
A. La documentation
Les problèmes de la documentation ont été abordés
de diverses façons par l'ensemble des interlocuteurs.
Le poids éventuellement important des ouvrages universitaires dans le
budget de l'étudiant a été souligné, certains
s'attachant à demander que l'aide de l'Etat aux étudiants ne
serve pas seulement à augmenter leurs ressources mais aussi à
limiter certaines de leurs dépenses.
En effet, faute de bibliothèques suffisamment pourvues et accessibles,
des inégalités sociales graves peuvent distinguer deux types
d'étudiants : ceux qui peuvent avoir recours à une
bibliothèque familiale ou ont les moyens de s'acheter des ouvrages, et
ceux qui dépendent totalement des bibliothèques universitaires
pour disposer d'une documentation.
Or, dans le cadre d'un soutien à l'autonomie de l'étudiant, la
possibilité de développer son travail personnel est fortement
dépendante de ses capacités de maîtrise des outils
documentaires.
Par ailleurs, il a été fréquemment noté que les
étudiants mal logés, ou en logement indépendant,
apprécient fortement de pouvoir travailler en bibliothèques
(parfois en groupes).
Même si cette question ne doit pas être confondue avec celle
d'éventuelles mises à disposition de salles de travail, il est
évident que la bibliothèque est un lieu propice à
l'étude, indépendamment même du prêt et de la
consultation de documents.
B. L'accès aux nouvelles technologies
Dans une perspective comparable, la question des nouvelles technologies est
posée aujourd'hui avec de plus en plus d'acuité.
Déjà, il s'établit une norme implicite ou explicite pour
exiger que les travaux de rapports, mémoires et thèses soient
saisis et présentés dans des formes rendues possibles par
l'utilisation des logiciels informatiques de traitement de texte.
Plus généralement, la maîtrise de l'informatique devient
une des compétences présumées de l'étudiant
contemporain.
En outre, l'explosion de l'Internet n'est pas sans effet sur les ressources
à disposition des étudiants. Indépendamment même des
modifications dans la pédagogie, l'accès Internet offre à
l'étudiant qui en dispose de véritables bases de données
documentaires qu'il peut réutiliser dans ses études.
Doit-on laisser de profondes disparités se creuser entre les
étudiants qui ont un accès facile à ces nouvelles
ressources (par un investissement personnel, familial, ou par la mise à
disposition de salles informatiques dans leur établissement) et ceux
qui, faute de moyens, ne peuvent " prendre le train " de ces
nouvelles technologies ?
Elément indispensable de la réussite par les étudiants de
leur cursus universitaire, les bibliothèques universitaires ont
bénéficié, grâce à l'impact et à
l'effet mobilisateur du rapport Miquel, d'une indéniable dynamique.