D. GARANTIR LES ASSURÉS MAIS PAS LES ENTREPRISES
En
dépit des règles prudentielles destinées à
protéger les assurés, tout risque d'insolvabilité n'est
pas totalement écarté en matière d'assurance, comme en
témoigne la défaillance de la société Europavie. La
probabilité d'une conjonction d'événements financiers
susceptibles de provoquer, par des effets de panique, des défaillances
en chaîne (ce que l'on appelle le risque " systémique ")
est certes très faible, mais des cas de faillite isolés sont
possibles, bien qu'ils aient été très limités
depuis l'origine du contrôle en 1938 : 2 cas en assurance vie et
plusieurs cas, mais de portée limitée, en assurance non vie.
Il convient toutefois d'observer que la faillite d'Europavie aurait pu
être évitée par un contrôle plus scrupuleux de la
Commission de contrôle des assurances. En effet, bien que la FFSA ait par
deux fois refusé l'adhésion d'Europavie dans ses rangs, loin de
lui retirer son agrément, la CCA a opté en 1995 pour la reprise
de la société par le groupe Thinet.
Quoi qu'il en soit, il n'existe pas de garantie de place destinée
à indemniser les adhérents de sociétés d'assurance
mises en liquidation dans le secteur de l'assurance en France.
Une telle lacune a incité le gouvernement à envisager la mise en
place d'un système de garantie dont le champ serait limité aux
assurances de personnes (assurance vie, opérations de capitalisation,
accidents, maladie) et qui serait destiné à préserver les
droits des assurés en cas de défaillance d'une entreprise
d'assurance régie par le code des assurances, constatée par la
Commission de contrôle des assurances.
Un tel système, qui devrait faire l'objet d'un volet dans le projet de
loi sur la protection de l'épargne populaire en préparation,
s'inspire des dispositifs existant à l'étranger.
Les fonds de garantie d'origine législative
Le fonds
de garantie représente le mécanisme le plus accompli en
matière de protection des créanciers mais aussi le plus
contraignant pour les sociétés d'assurances.
L'
Espagne
s'est dotée en 1985 d'une commission de liquidation des
entreprises d'assurances, entité publique soumise à un
régime de droit privé. La commission est dirigée par un
conseil d'administration composé d'un Président
désigné par l'autorité de contrôle de quatre
représentants des sociétés d'assurances ainsi que de
quatre représentants de l'autorité de contrôle. Cette
structure, mise en place par le législateur espagnol soucieux d'assainir
un marché caractérisé par un trop grand nombre de petites
sociétés parfois fragiles, est financée par un
prélèvement de 0,5 % sur toutes les primes nettes à
l'exception de celles collectées en assurance-vie. La commission
intervient à la demande des autorités publiques lorsque le
liquidateur ne gère pas correctement la liquidation. Elle peut avancer
des fonds aux assurés ou aux tiers victimes pour des montants
supérieurs aux actifs nets de la sociétés liquidée.
Les actifs représentatifs sont affectés par priorité aux
créanciers d'assurance, à moins qu'ils n'aient été
grevés d'un droit réel ou frappés d'une saisie
préalablement à la mesure de blocage décidée par
l'autorité de contrôle.
Elle intervient également en cas de difficultés des entreprises
opérant en assurance RC automobile, et ce en complément du fonds
commun de garantie. Elle fonctionne avec efficacité depuis 12 ans
à la satisfaction de l'autorité de contrôle et de
l'association professionnelle. Conçue à l'origine comme une
instance temporaire, elle s'est vue reconnaître par une loi de 1995 un
statut définitif. Les défaillances des sociétés ont
été assez nombreuses et ont, jusqu'à présent,
concerné exclusivement la branche dommages. Néanmoins, si une
entreprise d'assurance-vie était mise en liquidation, la commission
interviendrait dans les mêmes conditions.
Au
Royaume-Uni
, le
Policyholders protection Act
adopté en
1975 et modifié en 1997 a mis en place un fonds contrôlé
par le gouvernement. Ce fonds est alimenté par une cotisation d'un
maximum de 0,8 % des primes prélevées auprès de
l'ensemble des assureurs agréés afin d'indemniser les
assurés victimes de la faillite d'un assureur. Ce système mis en
place par la loi permet de garantir les créances des assurés et
des personnes physiques bénéficiaires d'assurance y compris dans
le cadre de contrats groupe, à concurrence de 100 % en assurance
obligatoire et de 90 % dans les autres branches. Les polices souscrites
par les sociétés ainsi que les contrats MAT (marine, aviation et
transport) et la réassurance sont exclus du dispositif. Le Lloyd's, qui
possède depuis 1982 son propre système d'indemnisation, en cas de
faillite de l'un de ses membres, ne bénéficie pas du
mécanisme du PPP.
Le
Policyholders Protection Board
, composé d'un président,
de trois assureurs et d'un représentant des consommateurs et
désigné par le secrétaire d'Etat, gère le
mécanisme. Il est autorisé à prélever au maximum
0,8 % des primes nettes par an (à l'origine 1 %) auprès
de l'ensemble des sociétés d'assurances communautaires
agréées, opérant sur le territoire par voie
d'établissement ou de LPS, y compris auprès des courtiers. Le
Board
a des attributions très larges, puisqu'il peut
procéder à un transfert de portefeuille, orienter les
investissements, redistribuer les fonds et aider les sociétés
à poursuivre leur activité. Le
Board
intervient aussi bien
de manière préventive lorsque la société rencontre
des difficultés financières que lorsque la procédure de
liquidation est engagée. Il accomplit sa mission en collaboration avec
le
department of trade and industry
-DTI- (autorité de
contrôle) qu'il consulte et peut également recourir aux services
d'un actuaire indépendant afin d'évaluer la méthode
alternative à la liquidation (run-off, transfert du portefeuille..) la
plus efficace et la moins coûteuse.
La modification de la loi en 1997 fait suite aux montants élevés
des indemnités qu'a dû verser le fonds en 1984. Les assureurs ont
tenté de limiter le champ d'application de la loi en ce qui concerne les
bénéficiaires. La Chambre des Lords a néanmoins
refusé d'en limiter le bénéfice aux seuls assurés
" domestiques " et d'en exclure les
partnerships
de
professions libérales. Les modifications adoptées en 1997
visaient à exclure du mécanisme de garantie les risques couverts
en dehors de l'Espace économique européen, de l'Ile de Man et des
Iles anglo-normandes. En revanche, les risques souscrits au Royaume-Uni par les
sociétés communautaires ayant reçu le passeport
européen sont désormais couverts.
En
Irlande
, l'
Insurance Act
de 1983, complété en
1989, régit les cas de défaillance des sociétés
d'assurances. La loi a instauré une phase intermédiaire
préalable à la liquidation qui prévoit la nomination d'un
administrateur judiciaire veillant à la poursuite des contrats des
assurés. La création de l'
Insurance Compensation Fund
,
suite aux très graves problèmes de solvabilité de la plus
importante société d'assurance automobile du pays, est l'une des
principales innovations de cette loi. Le fonds est financé par les
contributions des sociétés d'assurances solvables et a pour
fonction de régler les sinistres des assurés. Ses attributions
sont limitées aux faillites des sociétés d'assurance
non-vie. Par ailleurs, la loi fixe la limite maximum de remboursement à
65 % aux assurés et aux tiers demandeurs et exclut le remboursement
des primes par le fonds.
En
Norvège
, l'
Insurance Activities Act
du 10 juin 1988
prévoit un chapitre spécial consacré à la
procédure suivie en cas de difficultés financières d'une
entreprise d'assurances. Cette procédure mise en oeuvre par
l'autorité de surveillance prévoit un transfert des pouvoirs
à un comité nommé pour gérer l'entreprise en
difficultés. Un fonds de garantie, alimenté par une contribution
de 1,5 % sur les primes des sociétés d'assurances, permet
d'indemniser les créanciers. Les assurés et les employés
bénéficient d'un privilège par rapport aux autres
créanciers. Le fonds de garantie ne fonctionne qu'en assurance non-vie.
La faillite d'une entreprise d'assurance non-vie, il y a quatre ans, a permis
à la Norvège de tester sa législation. Cette
dernière s'est révélée trop peu précise
à cette occasion. Depuis, des mesures d'application ont
été adoptées afin de détailler la procédure
à suivre lors de la liquidation d'une entreprise d'assurances.
La
Belgique
ne s'est pas dotée d'une loi sur les faillites
spécifique aux entreprises d'assurances. Les salariés et les
assurés sont considérés comme des créanciers
privilégiés. La loi du 9 juillet 1975, qui organise le
contrôle des assurances, prévoit la constitution d'un fonds de
garantie minimum qui correspond à un tiers de ce qui serait dû aux
assurés en cas de réalisation du risque.
Aux
Etats-Unis
, tous les Etats et territoires ont établi des
fonds de garantie visant à couvrir, dans des limites statutairement
définies, les obligations financières d'une entreprise
défaillante vis-à-vis de ses assurés, épargnants et
tiers. Lorsqu'une entreprise exerce ses activités dans un Etat
donné, elle devient assujettie au paiement de cotisations, dont le
montant est proportionnel, par ligne d'activité exercée par
l'entreprise et couverte par le fonds de garantie, au montant des primes sur
une période de référence statutairement définie,
mais toujours plafonné à un certain pourcentage de celles-ci.
Dans tous les Etats, à l'exception notable de celui de New-York qui
dispose d'un système de préfinancement,
le dispositif est
activé postérieurement à la faillite d'une entreprise
.
Tous les Etats disposent au minimum de deux fonds de garantie principaux,
destinés, l'un à la couverture des demandes d'indemnisation de
propriété-dommages, l'autre à celle des demandes
d'indemnisation d'assurance vie et d'assurance médicale.
Le système devrait intervenir pour compléter le fossé
apparaissant entre l'actif et le passif d'une entreprise lors du transfert de
son portefeuille pour lequel la Commission de contrôle des assurances
(CCA) procéderait à un appel d'offre.
Comme le système de garantie des dépôts bancaires, le
système de garantie des assurés serait une personne morale de
droit privé. Il serait géré par un directoire de trois
membres agissant sous le contrôle d'un Conseil de surveillance de douze
membres nommés par les entreprises adhérentes.
Les établissements adhérant au système de garantie
devraient lui fournir par avance les moyens financiers nécessaires
à l'accomplissement de ses missions.
Sous réserve d'un examen approfondi de ce projet, qui est encore en
préparation, le groupe de travail peut, d'ores et déjà,
rappeler deux positions constantes.
D'une part, il estime qu'un système de sécurité de place
ne doit pas conduire les dirigeants d'entreprise à relâcher leur
vigilance dès l'instant où ils sont sûrs que les
conséquences de leurs erreurs de gestion seront limitées pour les
assurés. C'est ce que l'on appelle " l'aléa moral ". Il
est nécessaire également de responsabiliser les assurés
à la nécessité de choisir des entreprises bien
gérées (la certitude de recouvrer leurs créances pourrait
les inciter à une indifférence de ce point de vue).
Au surplus, l'intervention, même à titre préventif, du
système de garantie auprès d'une compagnie d'assurance risque de
précipiter sa chute en encourageant les assurés à racheter
leurs contrats.
Le groupe de travail estime en conséquence que la mise en jeu d'un
système de garantie doit s'accompagner du
retrait systématique
de l'agrément des organismes secourus
, afin de supprimer
l'aléa moral tout en garantissant les assurés.
D'autre part, selon la base du raisonnement suivi dans l'ensemble du
présent rapport, il est nécessaire que tout entreprise ou
organisme intervenant dans le secteur, quel que soit son statut, soit couvert
par un fonds de garantie. Il n'y a pas de raison qu'il en existe pour certains
acteurs et pas pour d'autres.