2. Deux tendances
a) La gestion du pluralisme
Comme il a été indiqué plus haut, le mouvement de la période 1974-1994 et les tâtonnements qui ont marqué celle-ci, ont procédé de la nécessité et de la volonté de passer d'une organisation monopolistique de la communication audiovisuelle à une phase de pluralisme. Dans son état actuel, la loi de 1986 peut être considérée au premier chef comme un mode de gestion du pluralisme adapté à l'histoire et aux besoins du secteur français de la communication audiovisuelle. Voyons-en les traits principaux.
(1) La liberté de la communication audiovisuelle
C'est le
coeur du système. Elle a été définie pour la
première fois par la loi de 1986 dans une formulation inchangée
depuis, qui proclame le principe et énonce ses limites.
Les développements de la première partie de ce rapport
présentent à ce sujet des analyses sur lesquelles il ne
paraît pas utile de revenir.
(2) Le retrait relatif de l'Etat
C'est la
condition de la liberté. Le législateur en a progressivement
défini les modalités, non sans repentirs, comme le montre le
retrait du pouvoir réglementaire à l'autorité de
régulation en 1989, mais sans jamais porter atteinte au principe
même, comme le montre le renforcement permanent des pouvoirs
d'autorisation, de sanction, de contractualiser les obligations des diffuseurs
privés accordés à l'autorité de régulation.
L'exercice de la forte dose de dirigisme qui continue de marquer le
régime juridique de la communication audiovisuelle a ainsi
été largement délégué à une
autorité indépendante du pouvoir politique : le retrait de
l'Etat correspond plus à l'objectif de libéralisme politique
qu'à la notion de libéralisme économique. Ceci s'explique
pour l'essentiel, comme on l'a déjà noté à
plusieurs reprises, par la volonté de tenir compte de l'influence
sociale des médias audiovisuels, et par le rôle éminent des
préoccupations d'ordre culturel-économique dans nos politiques de
la communication audiovisuelle.
Un des aspects les plus symboliques du retrait " politique " de
l'Etat est l'octroi à l'autorité de régulation, dès
1982, de la charge de veiller au pluralisme sur les antennes du service public
et de désigner les dirigeants des organismes. Le législateur
n'est jamais revenu sur cette mesure qui introduit dans la gestion du secteur
public des contradictions sur lesquelles on aura l'occasion de
revenir.
(3) Le pluralisme du secteur privé.
Il
s'agit de la seconde conséquence de la reconnaissance de la
liberté de la communication audiovisuelle, c'est aussi la dose
incompressible de libéralisme économique que cette liberté
implique.
La rareté des moyens de diffusion a imposé l'encadrement de
l'accès à ceux-ci des candidats opérateurs. Le
système des appels à candidature pour la délivrance des
autorisations d'utiliser les fréquences hertziennes, substitué en
1986 au régime de la concession et précisé depuis à
plusieurs reprises, assure la transparence de l'attribution des
fréquences et permet au CSA d'assurer le pluralisme des
opérateurs, encore que le secteur de la radio ait vu se
développer des pratiques de transfert occulte entre opérateurs,
auxquelles l'autorité de régulation a récemment
tenté de mettre fin.
Le dispositif anti-concentration mis en place par la loi du 27 novembre
1986 à la demande du Conseil constitutionnel constitue l'autre garantie
majeure du pluralisme du secteur privé. On a vu que la loi du 1er
février 1994 avait assoupli ce dispositif sur deux points. L'objectif
était de mieux conjuguer, compte tenu de l'expérience acquise,
ces deux piliers de l'économie libérale que sont la
liberté d'entreprendre et le droit de la concurrence. L'équilibre
atteint de la sorte reste discuté.
(4) Le dynamisme du secteur public
Constatons simplement à ce stade que l'existence d'un secteur public fort et dynamique est un trait majeur du paysage audiovisuel français, comme d'ailleurs européen. La loi de 1986 lui consacre l'un de ses huit titres. De fait, le secteur public de l'audiovisuel a constamment gagné, comme on l'a vu, en étendue, sinon peut-être en cohérence. Sa situation ne paraît pas entièrement stabilisée, et les questions que le législateur pourrait être amené à poser dans le cadre d'une nouvelle réforme de la législation de la communication audiovisuelle seront rapidement énumérées ci-dessous, avant de faire l'objet de plus amples développements dans la troisième partie de ce rapport.
(5) L'éthique des contenus
C'est une dimension essentielle de notre droit de la communication audiovisuelle, dont on a déjà évoqué les aspects principaux. On peut la considérer comme un aspect du pluralisme, dans la logique exposée ci-dessus d'une communication comprise comme échange et partage entre tous les acteurs du système.
b) La promotion de l'industrie des programmes
Il
s'agit de la seconde dimension essentielle du droit français de la
communication audiovisuelle. Le titre V de la loi de 1986 est
consacré au développement de la création
cinématographique. Le reste du texte de la loi, les conventions
passées entre le CSA et les diffuseurs, les cahiers des charges des
chaînes publiques et une réglementation détaillée
organisent par ailleurs la promotion de l'industrie française des
programmes. Les objectifs sont d'ordre culturel et économique :
assurer la présence sur les antennes de produits représentatifs
de notre culture, de nos centres d'intérêts, de nos modes de vie,
en favorisant l'émergence d'une industrie nationale suffisamment
puissante pour contrer les avantages relatifs de l'industrie hollywoodienne.
Ce dispositif juridique n'a pas été mis en place sans
tâtonnements comme en témoigne la modification par la loi du
18 janvier 1992 des obligations de diffusion aux heures de grande
écoute créées en 1989. Son bilan apparaît favorable,
les critiques des diffuseurs à l'égard de la contrainte
économique qui leur était imposée se sont d'ailleurs
estompées, constatation faite du succès de la production
française, au moins audiovisuelle, auprès du public.
Mais, comme on le verra, le débat sur la pérennité des
quotas se situe désormais sur un autre terrain, celui de la concurrence
internationale entre les services de télévision. En
définitive, si la défense de l'industrie française des
programmes reste un objectif majeur ; l'avenir de ses instruments
juridiques apparaît à l'heure actuelle assez flou.